La NBA, peut-être plus encore que le basketball européen ou les autres sports, est faite de multiples poncifs. Ces grandes phrases, que l’on répète à qui veut bien les entendre, à qui veut bien les croire. Il y a quelques années – que le temps passe vite ! – nous nous étions demandés si “la défense fait réellement gagner les titres“. Nous étions parvenus à la conclusion que ce n’était peut-être plus autant le cas aujourd’hui qu’il y a 50 ans.
Avec les playoffs 2025 qui pointent doucement le bout du pif, attaquons-nous à une autre phrase type : celle selon laquelle le Most Valuable Player (MVP) de la saison régulière en cours ne gagne jamais – ou presque – le titre NBA dans la foulée.
Profitons de cette très courte introduction – qui touche déjà à son terme – pour rappeler que le fait de décerner les trophées de saison régulière au beau milieu de la campagne de playoffs, lorsque plus personne ne s’y intéresse, est une sacrée mauvaise idée. Adam Silver, si tu nous lis…
Les résultats en playoffs du MVP de saison régulière
Avant d’énoncer les résultats de nos recherches et de tenter d’en tirer des conclusions, il nous faut procéder à deux rappels importants. En premier lieu, le trophée de MVP n’existe pas depuis 1947 et la création de la NBA. En effet, il faut remonter à 1956 (fin de la saison 1955-56) pour y trouver la première trace, avec le premier des deux sacres de Bob Pettit. Nos données, tout d’abord, se fonderont sur l’analyse des 69 dernières années complètes de la Grande Ligue, exclusion faite de la saison 2024-25 en cours, bien évidemment.
En second lieu, nous allons apprécier à quel stade des playoffs s’est arrêté le MVP de la saison régulière. Il faut garder à l’esprit qu’en 2024, le second tour de la post-season fait référence à la demi-finale de conférence. En 1958, pourtant, il s’agissait d’ores et déjà des finales NBA. Pour éviter toute incompréhension, nous tâcherons de préciser, à chaque fois, combien de série(s) de playoffs ont été remportées pour l’année considérée.
Le MVP de saison régulière peut connaître, ces dernières années à tout le moins, six résultats collectifs distincts : une non-qualification en playoffs, tout d’abord. Ce n’est pas forcément instinctif eu égard aux critères des votants pour attribuer le trophée, mais il se peut que l’équipe du MVP termine au-delà de la 10ème place de sa conférence, ou que son passage au play-in tournament ne soit pas couronné de succès. Au-delà, il peut connaître une défaite au premier tour des playoffs (0 série remportée, comme les Nuggets de 2022), en demi-finale de conférence (1 série remportée, comme les Nuggets en 2024), en finale de conférence (2 séries remportées, comme les Bucks en 2019) ou en finale NBA (3 séries remportées, comme les Warriors en 2016). Enfin, fort logiquement, le MVP peut également être champion NBA (4 séries remportées, comme les Warriors en 2015).
Six résultats collectifs distincts, donc. Faites vos jeux. Passons-les en revue, dans un ordre classique de la compétition.
MVP de saison régulière et non-qualification en playoffs
À entendre les gens gueuler comme des ânes lorsqu’un 6ème de conférence est sacré MVP, on comprend bien qu’il est quasiment impossible, de nos jours, que le meilleur joueur des 82 premiers matchs de la saison ne dispute pas les playoffs. D’ailleurs, il s’agit en réalité d’une constante depuis 1956 dans la mesure où, sur les 69 années analysées, il n’est arrivé qu’une seule fois que le MVP soit absent des matchs à enjeux.
Ironie de la chose, le MVP en question est l’un des trois joueurs qui est le plus fréquemment cité dans la si pénible course du GOAT : Kareem Abdul-Jabbar. Le pivot aux lunettes détient le record du nombre de “trophée Michael Jordan” remportés, puisqu’il a été nommé MVP à 6 reprises. En l’espace de 10 années, on parle bel et bien d’une dictature. En 1975-76, le colosse change de crémerie ; il quitte Milwaukee pour rejoindre Los Angeles. Cette première saison sous le maillot des Lakers est une franche réussite individuelle (27,7 points à 53% au tir, 16,9 rebonds, 5 passes décisives, 1,5 interception, 4,1 contres) mais aussi un loupé collectif : 40 victoires, 42 défaites.
Les Lakers ne sont pas qualifiés pour les playoffs, à l’inverse des Bucks et des Pistons, qui ont respectivement remporté… 38 et 36 rencontres. Allez comprendre, en cette époque le champion d’une division était classé au pire 4ème de la conférence (c’était le cas de Milwaukee), tandis que le second de division gagnait automatiquement son strapontin (c’était le cas de Detroit). Los Angeles, 4ème d’une division bien plus relevée, a donc regardé les playoffs à la télévision, probablement en noir et blanc.
Une occurrence en 69 ans, cela signifie que le MVP de la saison régulière ne rate les playoffs que 1,45 % du temps. Le chiffre sera même amené à chuter un peu, puisque le MVP 2025, qu’il se nomme Shai Gilgeous-Alexander (choix de la raison de l’auteur de ces lignes) ou Nikola Jokic (choix du cœur), sera forcément en post-season.
MVP de saison régulière et défaite au premier tour des playoffs
Attention, encore une fois, le premier tour de playoffs n’a pas toujours existé. Si l’on s’en tient à la définition que nous lui donnons aujourd’hui, le MVP s’est ramassé d’entrée de jeu en playoffs à 5 reprises. On se souvient, par exemple, que Dirk Nowitzki a récupéré son trophée de meilleur joueur de la saison 2006-07 en tongs (littéralement), après l’élimination des Mavericks au premier tour face aux Warriors version We Believe, 8ème de la conférence ouest. C’est d’ailleurs, pour l’anecdote, la seule et unique fois de l’histoire qu’un MVP, doté de surcroît du meilleur bilan de la Ligue en saison régulière (pas seulement de sa conférence, Dallas avait remporté 67 matchs), prend la porte dès le premier tour. Et ce alors même que le MVP a également eu le meilleur bilan collectif de toute la NBA à 42 reprises, soit 60,8 % du temps. Qualité allemande.
L’ailier-fort de Dallas n’est toutefois pas le seul MVP à n’avoir remporté aucune série de playoffs la même année. Cela a été le cas, en 2022, pour les Nuggets de Nikola Jokic, défaits 4-1 ensuite par les Warriors. Toutefois, l’élimination pouvait se sentir, puisque Denver n’avait alors que le 9ème bilan de la Ligue. Russell Westbrook, en 2017, a connu le même sort (9ème bilan également).
Voilà pour les trois occurrences de défaite au premier tour au 21ème siècle. Il y en a eu… moins au 20ème ! Il s’agit de l’œuvre d’un seul et même homme, trop souvent oublié : Moses Malone. L’ours a pris la porte d’entrée en 1979 et en 1982, sous le maillot des Rockets (6ème et 2ème bilan de la Ligue).
Dans le format “premier tour, demi-finale, finale de conférence, finale NBA”, le MVP s’est donc pris les pieds dans le tapis dès le premier tour à 5 reprises, soit 7,25 % du temps. On trouve ce résultat dans quasiment toutes les décennies, hormis 1960 et 1990 (si l’on excepte 1950, qui est bien écourtée). Sachez que dans d’autres formats de playoffs, plus anciens, il est arrivé à 4 autres reprises que le meilleur joueur de la régulière soit éliminé à la première série, qu’il s’agisse de ce qui était alors appelé la demi-finale de conférence (Bob McAdoo en 1975, Wes Unseld en 1969, Wilt Chamberlain en 1966) ou la finale de conférence (Bob Pettit en 1959). Pour simplifier nos calculs, nous comptabiliserons toutefois ces quatre saisons dans nos sous-parties à venir.
MVP de saison régulière et défaite en demi-finale de conférence
Cette fois-ci, il n’est plus question d’énumérer l’ensemble des saisons à l’issue desquelles le MVP du mois d’avril a connu une sortie de route en demi-finale de conférence, puisque nous y consacrerions bien trop de lignes. Notons, pour commencer, qu’il s’agit d’une constante quasi-systématique de notre décennie, puisque Nikola Jokic (2024, 2021), Joël Embiid (2023) et Giannis Antetokounmpo (2020, avec le meilleur bilan de la Ligue) ont tous passé une série de playoffs avant de connaître l’élimination.
Les grandes légendes du jeu (qu’au moins deux des trois joueurs précités sont déjà !) ont connu un sort similaire, qu’il s’agisse de LeBron James en 2010 (meilleur bilan), Tim Duncan en 2002 ou Karl Malone en 1999 (meilleur bilan). L’on constate que la meilleure équipe de la régulière, qui possède en son sein le joueur le plus valuable, n’est de loin pas assurée de rallier les finales NBA. Magic Johnson en sait quelque chose, lui qui a connu telle situation en 1990.
Au final, ce sont 14 MVP qui ont échoué en demi-finale de conférence, soit 20,29 % d’entre eux. Cette fois-ci, la répartition au cours des décennies est totale : 1 occurrence dans les années 1950, 1980, 2000 et 2010, 2 occurrences dans les années 1960, 1970 et 1990 et, déjà, 4 occurrences au cours de la décennie 2020. Cette élimination en demi-finale ne constitue pour autant pas le résultat le plus fréquent en post-season pour le vainqueur du trophée du meilleur joueur, loin s’en faut.
MVP de saison régulière et défaite en finale de conférence
Nous entrons dans les choses sérieuses. La finale de conférence constitue le palier absolu de certaines légendes, comme Steve Nash par exemple, qui s’y est arrêté à deux reprises en tant que MVP de saison régulière en 2005 et 2006. James Harden – en tant que franchise player – ne dit pas mieux, lui qui était à deux doigts de vaincre les Warriors en 2018 en finale de conférence. Fichue cuisse de Chris Paul. Idem pour Kevin Garnett chez les Wolves, en 2004.
Spoiler, parmi tous les résultats collectifs que nous avons cités depuis le début de cet article, le stade des finales de conférence est celui qui est, pour l’heure, le plus représenté : 17 fois, soit 24,64 % du temps. Les plus matheux d’entre vous commencent à comprendre la direction dans laquelle se dirige cette analyse.
Encore une fois, cette élimination en finale de conférence est d’une récurrence métronomique, puisqu’on la retrouve chaque décennie, hormis celle en cours. On la rencontre tout particulièrement en 21ème siècle : 9 fois sur 17. En somme, depuis 2001, le MVP arrête sa campagne printanière en finale de conférence 37,5 % du temps, contre seulement 17,7 % du temps au siècle dernier. Est-ce à dire qu’en moyenne les MVP ont de meilleurs résultats collectifs de nos jours qu’avant-hier ? Non, bien au contraire et la suite nous le démontrera.
Parmi les campagnes marquantes qui se sont achevées à ce stade, citons également celle de David Robinson, qui a pris la musique par Hakeem Olajuwon en 1995. On y trouve aussi quelques MVP “oubliés”, tels que Julius Erving (1980), Dave Cowens (1973) ou Oscar Robertson (1964). Il n’est ici plus véritablement nécessaire de préciser le bilan collectif de l’équipe au sein de la Ligue, puisqu’il est très fréquent, lorsque l’élimination se passe en finale de conférence, que le MVP ait le meilleur bilan régulier de la NBA.
1,45 + 7,25 + 20,29 + 24,64 = 53,64. Vous l’avez compris, cela signifie que près de la moitié des saisons, le MVP de saison régulière a rallié la finale NBA. Pour la gagner ?
MVP de saison régulière et défaite en finale NBA
Une finale, ça ne se joue pas, ça se gagne. En voilà un autre grand poncif, qui ne dit pourtant pas qu’au basketball, 50% des finalistes perdent. En ce qui concerne le MVP de saison régulière, le chiffre diffère nettement… à la baisse.
À l’inverse de la catégorie précédente, aucune disparité notable ne peut être effectuée en fonction des siècles. Au 21ème, trois MVP se sont inclinés en finale NBA (soit 12,5 %) : Allen Iverson en 2001, face aux imbattables Lakers de Shaq et Kobe, ce même Kobe Bryant en 2008, face au rival de Boston et, bien sûr, Stephen Curry en 2016, à l’issue de l’incroyable remontada des Cavaliers. Au 20ème, le résultat est quasi-identique : 13,33% des saisons de MVP se terminent par une défaite cruelle en finale NBA, soit 6 occurrences. Karl Malone (1997) et Charles Barkley (1993) se sont heurtés aux Bulls de Michael Jordan. Magic Johnson (1989) a manqué le three-peat de peu face aux bad boys de Detroit, quelques années après avoir vaincu son rival de toujours, Larry Bird, au même stade de la compétition (1985).
Si l’on remonte encore un peu dans le temps, Abdul-Jabbar s’est incliné pour sa seconde finale NBA avec les Bucks en 1974 face aux Celtics de Cowens et Havlicek, tandis que Bill Russell a perdu la finale NBA 1958 contre St. Louis. Mais vu qu’il en a aussi gagné 11, on lui pardonne.
Au final, cette défaite en finale NBA se retrouve 13,04 % du temps. Ce qui nous laisse l’hypothèse du MVP champion NBA la même année.
MVP de saison régulière et champion NBA
Le mythe s’écroule. La plus forte probabilité est la suivante : le MVP de saison régulière remporte, dans la foulée, le titre NBA. Les calculs sont simples. Si l’on cumule les hypothèses d’élimination en demi-finale de conférence et en finale NBA, on tombe sur le même ratio que le nombre de victoire finale. Il en va de même si l’on additionne les défaites au premier tour, en finale de conférence et le cas de la non-qualification. Et pour cause : 33,33 % des saisons, le MVP a enfilé la bague de champion à l’issue des playoffs.
Plusieurs choses sont à mettre en exergue.
Déjà, il est à noter que lorsque le MVP se hisse jusqu’en finale NBA, il l’emporte 71,88 % du temps. Clutch. Ensuite, à nouveau, on retrouve des Most Valuable Player bagués la même saison à toutes les époques : Bob Cousy et les Celtics en 1956, Bill Russell (3x) et Wilt Chamberlain entre 1961 et 1963, puis en 1967, Willis Reed et Kareem Abdul-Jabbar pour ouvrir les seventies, le même KAJ (1980), bien accompagné par Moses Malone (1983), Larry Bird (1984, 1986) et Magic Johnson (1987) dans les années 1980, Michael Jordan (1991, 1992, 1996, 1998) et Hakeem Olajuwon (1995) lors de la décennie suivante, Shaquille O’Neal (2000) et Tim Duncan (2003) pour ouvrir le siècle et, enfin, LeBron James (2012, 2013) et Stephen Curry (2015) il y a une grosse dizaine d’années. En attendant Jokic, Gilgeous-Alexander ou Doncic dans les années à venir ?
Cette victoire collective du MVP reste donc rare de nos jours. On la retrouve bien plus fréquemment au cours des 50 premières années de la Ligue (42,22 % du temps) que depuis le changement de millénaire (16,67 %). Il faut dire que certaines locomotives, telles que Bill Russell, Michael Jordan ou Kareem Abdul-Jabbar, ont fait grossir les chiffres. D’ailleurs, entre 1979-80 et 1997-98, soit 19 saisons, le combo “MVP + champion NBA” se retrouve à 10 reprises, soit 52,6 % des saisons !
Remarquons également que, le plus souvent, les joueurs à n’avoir été qu’une seule fois MVP dans leur carrière n’ont pas, la même saison, remporté le titre NBA. C’est le cas d’Oscar Robertson, Wes Unseld, Dave Cowens, Bob McAdoo, Bill Walton, Julius Erving, Charles Barkley, David Robinson, Allen Iverson, Kevin Garnett, Dirk Nowitzki, Derrick Rose, Kevin Durant, Russell Westbrook, James Harden et Joël Embiid. Il y a là une forme de logique, puisque plus on est MVP, plus on multiplie la possibilité d’être, la même saison, champion NBA. Au final, seuls Bob Cousy (1957, avec les Celtics), Willis Reed (1970, avec les Knicks), Hakeem Olajuwon (1995, avec les Rockets) et Shaquille O’Neal ont réussi ce tour de force. Le reste des cas appartient à de multiples MVP, que nous avons d’ores et déjà cités.
Avant d’essayer d’avancer quelques explications aux différents phénomènes mis en avant jusqu’alors, évoquons très rapidement le cas des MVP non officiels, qui sont désormais répertoriés officieusement sur basketballreference.
Quid des vainqueurs du Sam Davis Memorial Award ?
Il s’agit d’un award officieux, qui sert à désigner les MVP des saisons qui n’en ont pas eu un, à compter de 1950 (pourquoi pas 1947, allez savoir).
Neil Johnston, MVP officieux de la saison 1953-54, n’a pas connu de qualification en playoffs. Paul Arizin, en 1952, s’est arrêté, avec les Warriors de Philadelphia, en demi-finale de conférence (celle de l’époque, 0 série de playoffs remportée). George Mikan (1951) et Bob Cousy (1953, 1955) ont été éliminés, avec les Minneapolis Lakers et les Boston Celtics, en finale de conférence. Ce même Mikan, en 1950, a mené sa franchise au titre NBA.
Soyons-fou et faisons les choses jusqu’au bout. L’auteur a humblement tenté de déterminer les 3 MVP manquants, pour les saisons 1947 – 1949. Bob Feerick, meilleur scoreur de la meilleur équipe de la Ligue, très largement, mais aussi scoreur le plus précis de la saison, pourrait être notre MVP de 1947. Avec son équipe de Washington, il s’est incliné en demi-finale de conférence. Joe Fulks, première gâchette de la Grande Ligue, lui succéderait en 1948, pour une défaite en finale NBA. Enfin, George Mikan, encore lui, a été l’artisan n° 1 de la belle saison régulière des Lakers, qui ont remporté le titre en 1949.
Donc, si l’on aligne nos statistiques globales, en tenant compte de ces neuf MVP officieux :
Cela nous permet de donner une réponse tranchée à la question posée par notre titre : voir le Most Valuable Player de saison régulière soulever le Larry O’Brien trophy n’a rien d’un mythe, c’est même l’hypothèse la plus récurrente, d’assez loin. Le propos peut néanmoins être nuancé si l’on analyse la question à travers le prisme du 21ème siècle, puisque dans ce cas, le chiffre chute drastiquement : le MVP remporte le titre NBA que 16,67 % des saisons, soit 1 sur 6. Cela n’a d’ailleurs plus été le cas depuis 10 ans désormais (Stephen Curry 2015, avec les Warriors).
En une formule comme en 2 771 mots (pour l’instant) : historiquement, le MVP remporte fréquemment le titre NBA la même année mais, récemment, l’hypothèse est rare, voire inexistante. Tentons d’apporter quelques explications sur ces différents constats.
Tentatives d’explications
Nos explications demeureront dans le champ de l’intuition, de l’impression, bien que nous tenteront de corréler tout cela avec les éléments factuels que sont les chiffres. Posons-nous deux questions.
Pourquoi le scénario le plus courant pour le MVP de saison régulière est de remporter le titre NBA ?
Nous l’avons mentionné, pour une équipe NBA, il y a 6 résultats collectifs envisageables à l’issue d’une saison régulière. Partant, il pourrait être étonnant que le résultat le plus récurrent, pour le MVP des 82 premiers matchs, soit de filer tout droit vers le titre. Deux éléments de réponse viennent nuancer cet étonnement.
Tout d’abord, depuis 1947, le bilan collectif du MVP de saison régulière est toujours – ou presque – extraordinaire :
Sur les 78 saisons de l’histoire (en tenant compte des 9 MVP officieux), le MVP de l’exercice régulier a possédé l’un des trois meilleurs bilans de la Ligue à 64 reprises, soit 82,05 % du temps. Le fait qu’il reporte régulièrement le titre NBA par la suite ne tombe donc pas tout droit de la lune : il y a une certaine continuité entre les résultats de la saison régulière et ceux des playoffs.
D’ailleurs, il est à noter que parmi les MVP qui ont gagné le titre la même saison, seul LeBron James 2012 n’avait pas l’un des deux meilleurs bilans de NBA (4ème). En somme, lorsqu’un tel scénario se réalise, il peut le plus souvent être anticipé. Par exemple, malgré l’inexpérience globale de l’équipe, personne ne serait véritablement surpris si Shai Gilgeous-Alexander – probable MVP 2025 – venait à remporter le titre NBA en juin prochain. C’est dire, également, la prédominance du critère “bilan collectif” dans l’octroi du trophée de MVP, prédominance qui pourrait d’ailleurs être sérieusement discutée.
Au-delà, l’on s’aperçoit que les “MVP / champion la même année” appartiennent le plus souvent à une équipe bien spécifique : une dynastie. Rares sont finalement ceux qui y sont parvenus dans un effectif qui n’a remporté qu’un seul titre au cours d’une période donnée. Certes, définir avec exactitude ce qu’est une dynastie n’est pas aisée. Que penser, par exemple, des Spurs de Tim Duncan ? Avec sévérité, au sein du graphique ci-dessous, nous avons considéré qu’il ne s’agissait pas d’une équipe dynastique en 2003 :
En réalité, parmi les 25 occurrences (en comptabilisant 1949 et 1950 de manière officieuse), on pourrait décompter 6 MVP qui ont également été champion NBA dans une équipe non dynastique : Wilt Chamberlain en 1967, Willis Reed en 1970, Kareem Abdul-Jabbar en 1971, Moses Malone en 1983, Hakeem Olajuwon en 1994 et Tim Duncan en 2003. Soit cinq tous meilleurs (des 10 ?) meilleurs pivots de tous les temps et le meilleur ailier-fort à avoir jamais foulé un parquet de la Grande Ligue, ni plus ni moins.
À côté ? Uniquement des dynasties. Parfois, le titre collectif remporté par le MVP de saison régulière est d’ailleurs celui qui lance la dynastie en question. Ce peut être le cas de Bob Cousy en 1957 (premier des 11 titres des Celtics en l’espace de 13 ans), de Kareem Abdul-Jabbar en 1980 (premier des 5 titres des Lakers au cours des eighties) ou de Stephen Curry en 2015 (premier des 4 titres des Warriors en l’espace de 8 ans).
On retrouve également des équipes ultra-dominante sur une période plus courte, comme les Lakers du début du siècle (3 titres en 2000, 2001 et 2002, Shaquille O’Neal étant MVP en 2000) ou le Heat entre 2011 et 2014 (4 finales NBA, champion en 2012 et 2013 avec LeBron James MVP les deux années).
Citons, enfin, les Lakers (de Minneapolis) des années 1940/50, les Celtics des années 1980 et les Bulls des années 1990.
En somme, si la probabilité la plus forte, pour le MVP de saison régulière, est de remporter le titre NBA, il y a deux raisons majeures : le bilan collectif l’année considérée, qui l’a aidé à être MVP et qui démontre qu’il évolue dans une équipe très compétitive et, en sus, le fait qu’il soit très fréquemment la tête de gondole d’une équipe historique. Pour gagner à la fin, cela aide.
Les critères de vote du MVP freinent-ils ses chances de remporter le titre la même année ?
Il est euphémistique de dire que les critères retenus par les votants pour désigner le MVP d’une saison régulière peuvent prêter le flanc à la critique. La critique d’ailleurs, est quasiment toujours annuelle et on ne devrait pas y échapper en 2025. Le souci majeur (peut-être) vient du fait que tout ce fonctionnement est volontairement opaque : les critères principaux d’une année sont rejetés la saison suivante, dans un flou artistiquement entretenu. Ajoutez à cela le poids certain de l’histoire, et vous obtenez un cocktail certes buvable, mais dont il est impossible de déterminer les ingrédients.
On sait, par exemple, que la NBA est très réticente à octroyer 3 titres de MVP à un même joueur, car cela revient à l’élever au rang des Larry Bird, Magic Johnson ou Moses Malone. Elle l’est d’autant plus à donner ce titre plus de 2 fois consécutivement, car, à nouveau, cet accomplissement n’a été réalisé que par Bird, Russell et Chamberlain. La sacro-sainte alternance a une conséquence logique : le MVP n’est pas toujours le meilleur joueur de la saison régulière.
En de nombreuses hypothèses, cela ne change rien à notre sujet du jour, puisque le second joueur en débat – celui qui aurait pu ou dû être MVP en lieu et place de l’autre – n’a finalement pas remporté le titre NBA. C’est le cas en 2006 avec le sacre individuel de Steve Nash qui aurait pu revenir à Kobe Bryant, Dirk Nowitzki ou LeBron James. Idem en 2011, où le trophée aurait pu échapper à Derrick Rose pour revenir au même James ou en 2017, saison à l’issue de laquelle James Harden ou Kawhi Leonard auraient pu décrocher la timbale à la place de Russell Westbrook.
Dans d’autres cas, cependant, ces critères illisibles influencent clairement notre analyse. Par exemple, en 2023, Joël Embiid a été élu MVP de la saison régulière, après avoir tourné autour à plusieurs reprises. Pourtant, il serait possible d’argumenter que, cette année-là encore, le meilleur joueur de la Ligue était Nikola Jokic, qui possédait un bilan similaire (1 victoire de moins qu’Embiid) et un supporting cast moindre. Le serbe était cependant déjà double MVP en titre et le trophée individuel a été attribué à son rival camerouno-franco-américain. En fin de saison, cependant, ce sont les Nuggets qui ont remporté le titre NBA.
Pour vérifier si le mode de désignation du MVP peut être un facteur pertinent, apprécions si, depuis 1956, d’autres joueurs présents sur le podium du MVP ont remporté le titre NBA aux dépens du meilleur joueur de la régulière :
Il est donc arrivé à 21 reprises que le franchise player du champion NBA ait terminé à la 2ème ou 3ème position à la course au MVP. Pour autant, rares ont été les courses qui ont été véritablement serrées. Par exemple, en 2009, les Lakers ont remporté le titre NBA et Kobe Bryant était 2ème du MVP de la saison régulière, derrière LeBron James. Le King a néanmoins récolté 1 172 points de la part des votants (109 premières places) contre 698 pour son dauphin (2 premières places). Ces formes de consensus peuvent être écartées du raisonnement ; le plus souvent, si le joueur est élu MVP de manière quasi-unanime par les votants, c’est qu’il n’y a pas scandale.
Hormis le duel “Embiid / Jokic” de 2023, nous pouvons nous pencher sur 5 autres saisons “litigieuses”. À vous de vous faire votre propre jugement :
Je sais, cela ne fait que 4 saisons pour l’instant. Nous voyons que si les points récoltés lors du vote MVP sont toujours proches, il en va parfois autrement lorsque l’on regarde de plus près la saison des joueurs concernés. À notre sens, par exemple, difficile de donner le trophée de MVP 1976 à Dave Cowens, tant la saison de Kareem Abdul-Jabbar est extraordinaire. Pour les trois autres exercices, disons que cela se prête aux débats.
Il reste une saison, bien plus ancienne où, à notre sens, le classement du MVP pourrait cette fois-ci être inversé, sans trop de discussion. Il s’agit de la saison 1955-56, la toute première qui a donné lieu à l’existence de trophées individuels :
Au regard du gap gigantesque collectif, des statistiques proches (sauf au rebond, mais Pettit évoluait sous les cercles tandis qu’Arizin était ailier), peut-être que le joueur des Warriors aurait mérité de remporté l’unique MVP de sa carrière, qu’il aurait doublé d’un titre NBA dans la foulée.
Au final, le mode de désignation du MVP semble globalement étranger à notre résultat, malgré ses multiples biais. En effet, selon nous, seuls Paul Arizin (1956) et Nikola Jokic (2023) auraient agrémenté la catégorie des MVP / champion NBA la même année, faisant passer notre total de 32,05% à 34,62 %. Si vous estimez que Michael Jordan méritait plus le trophée individuel que Karl Malone en 1997 – ce qui peut tout à fait s’entendre – la statistique monte à 35,90 %.
Une augmentation somme toute relativement faible.
Voilà qui nous permet de conclure cet article. Ce dimanche, entre deux discussions sur la nécessité d’avoir un tonton dans la raquette de votre franchise favorite, vous pourrez le rappeler : le fait que le MVP de saison régulière ne remporte jamais le titre NBA la même année est un mythe. Prend ça, la croyance populaire.