Parmi les fidèles – et nombreux – lecteurs de QiBasket, il est probable que certains aient ce que l’on appelle un style d’attachement « évitant ».
Evitants car fuyants l’intimité émotionnelle, la confrontation à leurs propres sentiments, voire à ceux des autres. Et bien sachez que cette proportion de lecteurs est la plus encline à opter pour deux méthodes de rupture particulièrement répandue : le ghosting ou la rupture par SMS (étude Collins & Gilliath, 2012 – et oui, même pour ça on cite les sources).
Pour ces gens, disparaître est plus facile que de faire face à la douleur qu’ils pourraient causer à leur partenaire. Cela ne signifie pas pour autant qu’ils sont dépourvus de toute empathie ou de sensibilité, la raison en est parfois plus simple : ne pas savoir comment gérer la situation, peur de la réaction de l’autre, mauvaise gestion des émotions, …
Selon un sondage YouGov, près d’un tiers des 18-35 ans ont déjà eu recours à ce mécanisme de rupture dans leurs relations amoureuses.
Nico Harrison, lui, a 52 ans. Et son truc à lui, c’est la rupture par surprise.
Le procédé est tout aussi surprenant, mais plus brutal, plus chaotique ; et la gestion qui suit l’est tout autant.
Dans la nuit du 1er et 2 février 2025, le blockbuster trade tiré du chapeau du general manager des Dallas Mavericks a secoué la planète NBA. Plus d’un mois après, la réalité semble toujours aussi folle. Dans ce laps de temps, de l’encre à couler en coulisses côté Dallas, beaucoup d’encre… Avec Luka Doncic en cible principale.
De la communication catastrophique des Mavericks aux interrogations sur les conséquences futures d’un tel positionnement, retour sur un mois de dérives dans le Texas.
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Un seul être vous manque… Alors autant le défoncer
Du haut de mes trente printemps, j’en ai vu quelques-unes, des ruptures. J’en ai vécu certaines, et j’en ai assisté à davantage encore. Sans être un spécialiste, on peut dire que du haut de ma modeste expérience en la matière, je sais reconnaître quand une rupture aussi douloureuse soit-elle est intelligente, classe, voire élégante. Je sais aussi reconnaître quand une rupture est à chier.
Depuis le 2 février, date du transfert de Luka Doncic et Anthony Davis, la gestion de la séparation par les Mavericks me semble pouvoir être ainsi qualifiée à ce titre de : totalement à chier. Digne des plus grandes foirades de l’histoire, comme on pensait qu’on en faisait plus avant que Nico Harrison et sa clique se rappelent à nos bons souvenirs.
Il y a bien sûr eu la traditionnelle conférence de presse post-transfert, et la position maintenue coûte que coûte par le general manager des Mavs : le choix était bon, il était juste, il était à faire, et il a été fait.
A dire vrai, que le choix soit bon ou pas ne nous intéresse pas tellement ici : globalement, la majorité des fans et observateurs du monde NBA s’accordent sur la question, et vous me permettrez donc de ne pas revenir davantage dessus.
Ce qui nous intéresse davantage ici, ce sont les raisons propres à Luka Doncic qui ont été mises en avant pour justifier ce trade, par Nico Harrison d’abord, puis par une sphère plus large, principalement médiatique, se faisant l’écho de propos rapportés sur le comportement et l’image du slovène au sein de la franchise texane.
Oui, car je préfère arrêter de suite les « Mais c’est pas la franchise, c’est les médias » : allons, jeunes naïfs, ressaisissiez-vous. Comment pensez-vous que depuis toutes ses années, les sacrosaints insiders arrivent à dégoter leurs informations et exclusivités, parmi leurs « league sources » ?
Disons-le franchement : la stratégie de communication des Mavs a été, à l’encontre de son ancien joueur et franchise player, des plus hostiles.
De mémoire de fan, je crois n’avoir jamais vu ça à ce point. En tant que fan d’une autre équipe du Texas, la meilleure, j’ai forcément souvenir de la rupture entre les Spurs et Kawhi Leonard. Postérieurement au trade et sûrement en réponse aux sorties plus ou moins étranges auxquelles on avait eu droit dans la presse, les Spurs avaient un temps effacé Kawhi de certaines vidéos de célébration de titre, certes, mais jamais à ce point.
A dire vrai, il y a toujours eu du grabuge post-rupture entre les joueurs et les franchises, mais elles étaient souvent – pour ne pas dire toujours – à remettre en contexte avec des circonstances de départ fâcheuses, des relations et une communication tendue entre les deux parties.
Dans le cas de Dallas, la chose est particulière, précisément car la rupture n’intervient pas dans un contexte… de rupture. Pas de fumée, ou très peu, mais un grand feu. Et ce qui rend la chose encore plus particulière, c’est que la vendetta contre Doncic prend des allures totalement personnelles, sans que l’on sache vraiment le but derrière tout ça.
En quelques semaines, on a eu droit à tout, ou presque.
D’abord, il y a eu les problèmes de poids et d’hygiène de vie. Doncic était hors de forme, ne faisait aucun effort en dehors du terrain, visiblement à un point tel que c’en était trop pour le management des Mavs, préférant se séparer de lui par crainte du futur.
Je répète : par crainte du futur. Futur confié à un joueur de 25 ans qui venait les amener en Finales NBA à bout de bras, qui même en surpoids en début de saison depuis son arrivée en NBA ou presque est légitimement un candidat MVP chaque année, et même un candidat Hall of Fame s’il prenait sa retraite demain et merde j’avais dit qu’on ne reviendrait pas sur ça.
BREF.
Ce sujet hygiène de vie, on l’a balancé à toutes les sauces, pendant des jours et des jours.
Puis, toujours sur fond de doute quant à la capacité de Doncic de jouer au plus haut niveau de manière viable (cette phrase, faut en avoir quand même), il y a eu la « peur » du contrat supermax, auquel le slovène allait devenir éligible. Est-ce qu’il le méritait, est-ce qu’il n’allait pas, au final, compliqué plus que de raisons l’été de la franchise à lui seul ?
Puis, on a vu par-ci par-là des reproches qui avaient plus traits au caractère même de Doncic. Certains – Haralabos Voulgaris pour le pas le nommer – allant jusqu’à prétendre que chaque personne travaillant pour les Mavericks était « terrifiée » face à un Luka Doncic qui se serait positionné en tyran à leur égard, ni plus, ni moins.
Entre temps, il y a encore eu la vidéo de la franchise, publiée quelques jours après le trade, contenant a priori un masquage en bonne et due forme – et quelque peu grossier – de toutes les images où figurait la tête du slovène. La totale.
Mais à quoi bon faire n’importe quoi ?
Car à bien y regarder, rien, absolument rien de positif ne peut en sortir pour la franchise, qui pourtant, persiste et signe dans ses dérives de communication, et ce à tous les niveaux.
Déjà, il y a la fracture avec les fans.
Au-delà du transfert en lui-même, elle est finalement peut être là la vraie rupture, tant les fans se sont sentis trahis, abandonnés par le front-office de leur franchise lors de l’annonce du transfert.
Que ce soit les prises de paroles et de position ultérieures de Nico Harrison ou les justifications avancées en pointant du doigt le comportement de Doncic ou son engagement pour la franchise, rien n’a été fait postérieurement pour calmer les émotions et les ardeurs des fans, légitimement bousculés.
Bien au contraire, c’est à croire que la franchise a oublié son identité, ce qui finalement, pour ses propres fans, la distinguait peut être de la plupart des autres.
Encore en 2025 – du moins jusqu’à ce 2 février – les Mavs incarnaient pour leurs fans et pour nombre d’observateurs NBA une certaine idée, de solidité, de stabilité. Surtout, une idée empreinte d’une très grande loyauté, et d’une fierté rattachée à celle-ci, forcément incarnée et inspirée par la carrière de la légende Dirk Nowitzki.
A cet égard, le sacrosaint “narratif” qu’aime tant vendre la NBA à ses fans semblait, à Dallas, tout tracé.
Alors que Dirk Nowitzki s’en allait doucement mais sûrement vers une retraite bien méritée, la franchise mettait la main de manière inespérée ou presque sur Luka Doncic à la draft 2018, pour un passage de témoin qui semblait écrit, et peut être trop beau pour être vrai. Le chapitre Dirk à peine terminé, celui de Luka débutait. La continuité parfaite, assurée par un talent générationnel.
Mais depuis le 2 février, l’inscription “Loyalty never fades away” inscrite sur statue de Nowitzki trônant devant la salle des Mavs a quoi faire sourire nerveusement les fans.
Cerise sur le gâteau : alors que la colère ne retombait toujours pas dans la fanbase, la franchise ne trouvait rien de mieux à leur annoncer le 4 mars dernier qu’une augmentation de 8% des prix des abonnements annuels.
La raison ? Une hausse due aux « investissements continus dans l’équipe et pour l’implication des fans » : si un jour vous trouvez votre sens de la communication et du timing catastrophique, pensez à cette phrase.
Un mois après, la fracture entre les fans et la franchise est loin, loin d’être résorbée. A tel point qu’aujourd’hui, certains se demandent pour la première fois : peuvent-ils encore continuer à supporter Dallas ?
Puis, il y a un autre risque, peut-être plus éloigné pour l’instant : la franchise n’est-elle pas en train d’envoyer un message particulièrement désastreux aux futurs potentiels joueurs des Mavs ?
A voir le traitement réservé par Nico Harrison et le management à Luka Doncic, la pertinence des justifications avancées et le traitement médiatique depuis lors, on comprendrait en effet aisément qu’une potentielle cible de la franchise, au hasard free agent, y regarde à deux fois avant de parapher un quelconque contrat à Dallas.
Si Luka Doncic, franchise player incontesté, incontestable, héritier tout désigné de Dirk Nowitzki dans une franchise que l’on pensait tailler pour lui, que l’on pensait inamovible, a été traité de la sorte, qu’en sera-t-il pour un autre ? Vous comprenez l’idée aisément. Après tout, personne n’a envie d’aller manger dans un restaurant où on dit que l’eau servie est chaude, que le serveur vous crache à la figure en partant et qu’en plus, le QR code avec le menu ne marche jamais (faut vraiment arrêter ça, s’il vous plait).
Alors certes, le risque de sabordage est incertain, mais il n’en n’est pas moins réel, peut-être même davantage à une période où les joueurs, surtout les plus prisés en free-agency, peuvent se montrer particulièrement attentifs à l’environnement dans lequel ils souhaitent évoluer.
Et avec une pomme pourrie dans le lot, pas sûr d’attirer beaucoup de gourmands.
Rappel brutal : la NBA n’appartient pas aux joueurs, et ne leur appartiendra jamais
C’est une expression quasiment galvaudée depuis plusieurs années, une idée qui a fait son petit bonhomme de chemin chez certains, jusqu’à devenir une quasi-vérité.
Une idée selon laquelle la ligue appartiendrait désormais aux joueurs, sous l’impulsion de certaines stars, qui, entre autres, auraient eu l’outrecuidance de solliciter leurs transferts et d’imposer leurs désirs de destination à leur franchise, sans honorer la durée de leur contrat.
Mettons les choses au clair : non, les joueurs, même stars, ne tiennent pas la ligue ni même leur destin entre leurs mains.
Ils peuvent toujours demander, râler, vouloir, se mettre en grève, faire chuter leur côte, semer le chaos, envoyer des listes de franchises non-souhaitées, faire pression avec leur agent, ils ne contrôlent in fine ni les conditions, ni le moment, ni leur destination finale : Jimmy Butler voulait les Suns, il aura Golden State ; Damian Lillard voulait Miami, il aura Milwaukee ; Paul George et Kawhi Leonard voulaient Los Angeles, ils auront Oklahoma et Toronto ; Chris Paul voulait les Lakers, il aura les Clippers ; et j’en passe.
Ce n’est que si la franchise y trouve un intérêt qu’elle acceptera d’envoyer le joueur où il le souhaite. N’importe quel joueur.
Mais si les dernières saisons ont pu laisser cette impression de joueurs qui souhaitaient davantage contrôler leur carrière et leur avenir, le transfert de Luka Doncic est un rappel brutal, mais inévitable : la ligue appartient aux franchises, et à elles seules.
Ce sont elles qui acceptent de laisser les joueurs prendre du pouvoir en leur sein, et elles peuvent décider à tout moment de leur reprendre, qu’importe le prix à en payer en retour auprès des fans. En un seul coup de téléphone, et quand bien même rien ne le laisserait présager.
En somme, si un seul homme peut contrôler le destin d’une franchise, il n’est jamais à trouver sur le terrain, mais dans les bureaux. Pour le meilleur, et pour le pire. N’est-ce pas Nico ?