Les jours, voire les semaines, qui précèdent la trade deadline, sont très fun pour beaucoup de fans. On adore entendre des rumeurs, imaginer tous les scénarios possibles grâce aux trade machines et décortiquer les potentiels mouvements de notre équipe préférée. Si cet enthousiasme est à son paroxysme le jour même de la deadline (fixée au 6 février 2025 à 21h00), quand les échanges se matérialisent enfin, on risque d’être très déçu cette année. La faute à de nouvelles règles très (trop ?) restrictives.
L’introduction de la second apron
Qu’est-ce qu’une “apron” ? Il s’agit tout simplement d’un seuil. Lorsque le montant total des salaires (payroll en anglais) d’une équipe le dépasse, l’équipe concernée est restreinte dans sa construction, par des règles diverses et variées. Avant la renégociation du CBA (convention collective de la Ligue) en 2024, il existait un seul apron, situé quelques millions au-dessus du seuil de la taxe de luxe (luxury tax).
Les restrictions restaient toutefois assez faibles : une équipe au-dessus de ce seuil ne pouvait pas récupérer un joueur dans un sign and trade et la tax-payer mid-level exception (montant défini qui permet à une équipe au dessus du cap de signer un agent libre au-dessus du minimum salarial) leur était interdite. Et si une équipe signait un joueur en sign and trade, elle était “hard cap” à ce montant. Etre hard cap, ça signifie que le payroll total ne peut plus dépasser un certain seuil, l’apron, sous aucun prétexte.
Cet été, le nouveau CBA a introduit une deuxième apron, un second seuil, situé un peu plus haut que le premier Pour vous aider à visualiser tout ça, le cap se situe cette saison à 140,588 millions de dollars, la première apron à 178,132 millions et la seconde à 188,931 millions.
Mais le plus important, ce sont les nombreuses restrictions que le dépassement de ce seuil implique, et celles ajoutées à la première apron :
Oui, ça fait beaucoup. Grosso modo, retenez l’idée qui est plus vous avez amassé de salaires, moins vous avez de leviers pour vos futurs signatures et/ou trades avec ces nouvelles règles.
- Le premier trade majeur qui a été mis à mal par ces nouvelles règles a eu lieu au début de l’été, entre les Knicks et les Nets : Mikal Bridges contre Bojan Bogdanovic et des picks. Cet échange n’aurait pas posé de problème(s) quelques semaines plus tôt, dans la mesure où les salaires des joueurs étaient quasiment équivalents. Cependant, le diable se cache dans les détails et, en l’occurrence, dans le mot “quasiment”.
Comme Mikal Bridges gagnait 4 millions de plus que Bogdanovic, les Knicks ont reçu plus de salaire qu’ils en ont envoyé : ils auraient donc été hard cap, bloqués, à la première apron. Les Knicks voulant garder leur flexibilité (pour la signature d’Anunoby), ils ont convaincu les Nets, en pleine reconstruction, d’eux-mêmes se hard cap en équilibrant les salaires dans l’autre sens. Et c’est ainsi que Shake Milton a eu l’opportunité de rejoindre les Nets avec un sign and trade, et 3 ans de contrat (durée minimum lors d’un sign and trade) : le salaire perçu par Milton dans cet échange était donc comptabilisé comme “sortant” pour les Knicks. Bon, d’accord, les deux années suivantes ne sont pas garanties, mais ça lui donne l’occasion de faire ses preuves. Et en bout de chaîne, au lieu d’être bloqués à la première apron à cause des 4 millions de différence entre Bridges et Bogdanovic, les Knicks se retrouvent libérés de ce blocage grâce à Milton.
- Un autre trade nous permet d’illustrer ces changements. Il a eu lieu peu de temps avant le début de saison et mettait aux prises les Wolves et… oui, encore les Knicks. Les deux équipes étant au-dessus de la première apron, aucune ne pouvait recevoir plus de salaire qu’elle en envoyait. Minnesota étant au dessus de la second apron, la franchise ne pouvait même pas ajouter un joueur pour essayer de faire correspondre les différents montants de l’échange. La chose est déjà compliquée à mettre en place.
Cet échange, qui n’aurait là encore présenté aucune difficulté quelques mois auparavant, a nécessité de faire appel à une troisième équipe, à savoir les Hornets. En effet, les salaires combinés de Julius Randle, Donte DiVincenzo et Keita Bates-Diop (47,2 millions $) n’étaient pas suffisants pour matcher, voire dépasser, celui de Karl-Anthony Towns (49,2 millions $). Dès lors, New York a envoyé DaQuan Jeffries, Charlie Brown Jr et Duane Washington Jr à Charlotte par un sign and trade (les deux derniers ont d’ailleurs d’ores et déjà été coupés). Les Knicks ont ainsi signé puis échangé ces trois joueurs, afin d’ajouter du “salaire sortant” dans la balance dans le cadre du trade.
A cause de ces restrictions, les general managers doivent être de plus en plus créatifs. Les sign and trade sont assez courants dans la ligue et de plus en plus utilisés. On peut penser à l’arrivée de Jimmy Butler à Miami, Kevin Durant aux Nets qui était même doublé, puisque c’est D’Angelo Russell qui avait fait le chemin opposé, ou encore Max Strus aux Cavaliers plus récemment. Mais cela n’avait quasiment, voire jamais été utilisé dans le cadre d’un échange comme ceux évoqués plus haut : d’habitude, une équipe utilise cet outil pour récupérer un joueur lorsqu’elle n’a pas le cap space pour le signer ; maintenant, c’est utilisé aussi comme complément afin de “contourner” ces nouvelles règles et réaliser un échange.
Cependant, ces sign and trade ne sont réalisables que pendant l’intersaison et avec ses propres agents libres.
Lors de la deadline, cette solution ne sera pas disponible et il faudra faire avec les joueurs sous contrat.
Le hard cap virtuel et la taxe de luxe
Beaucoup d’équipes sont déjà hard cap suite à leurs mouvements de l’été. On y retrouve les Mavericks, après le sign and trade de Klay Thompson, qui sont bloqués à la première apron et ne disposent que d’un demi-million de marge. Les Warriors sont dans le même cas, hard cap et très proches (à 330.409$ près) du seuil après le récent trade de Dennis Schröder (le hard cap avait été déclenché cet été). Je ne vais pas vous citer les 16 équipes, je vous laisse les retrouver ici.
D’autres équipes agissent pourtant comme si elles l’étaient. On peut citer les Los Angeles Lakers, qui n’ont pas voulu passer le seuil de la second apron et qui se retrouvaient, avant l’acquisition de Dorian Finney-Smith et Shake Milton, à 30.001$ de celui-ci. Cet échange leur a d’ailleurs permis de récupérer environ 3,5 millions de dollars de marge sous la seconde apron (17,8 millions reçus contre 20,5 envoyés). Le Miami Heat, dans la même optique, n’a pas resigné Caleb Martin l’été dernier. La raison est simple pour ces deux front offices : garder le peu de flexibilité qu’il leur reste, même si… En réalité, ils n’en ont pas vraiment ; ces équipes ne peuvent pas ajouter de salaire via un trade, car elles sont déjà au-dessus de la première apron. Toute amélioration devra donc passer par une baisse, même minime, de leur payroll. Cette marge est en fait intéressante pour l’après deadline et le marché des joueurs coupés. Sans marge, elles passeraient au dessus de la second apron en signant un de ces joueurs, alors qu’en se créant ce petit matelas, elles resteraient en dessous.
Et ces équipes feront tout pour ne pas passer ce seuil fatidique. Pourquoi ? Il y a encore deux conséquences que nous n’avons pas mentionnées.
- Tout d’abord, une équipe qui termine la saison 2024-25 au-delà de la second apron verra son choix du premier tour 2032 non-échangeable. Par exemple, si les Bucks ne réduisent pas suffisamment leur masse salariale, leur pick 2032 sera “gelé”, ce qui réduira considérablement leurs chances de se renforcer via un trade.
- Ensuite, si une équipe reste au dessus de la second apron pendant encore 2 saisons sur les 4 suivantes, leur pick à année +7 ne sera pas juste gelé mais directement relégué à la 30e place de la draft. Si on reprend notre exemple des Bucks, imaginons qu’ils restent au dessus du seuil à la fin de la saison 2026 et de la saison 2027, cela voudra dire qu’en 2034, leur pick sera forcément à la 30e place de la draft. Avec un Giannis très probablement à la retraite, et sans savoir s’ils auront réussi à le remplacer, un choix 30 n’aide absolument pas à récupérer du talent, que ce soit via la draft directement ou via un échange.
Ces choix de draft présentent une véritable importance : ils ont de la valeur, car les franchises ont souvent d’ores et déjà échangé la plupart de leurs picks. Il ne leur reste donc souvent que ces choix lointains. Ce sont donc des leviers importants dans les négociations, permettant de récupérer un joueur afin de gagner tout de suite. Les managers adverses comptent sur la baisse de niveau de la franchise qui se sépare d’un pick lointain, espérant qu’elles soient assez faibles dans le futur pour avoir un choix très bien placé.
La taxe de luxe, en place depuis bien longtemps maintenant, est aussi comptée comme un hard cap par les franchises. Ce n’est rien de nouveau : à la deadline, les équipes qui y sont proches ne vont pas la dépasser à moins d’une amélioration significative de l’effectif, tandis que celles qui sont un peu au-dessus vont chercher à passer en-dessous. Les intérêts sont multiples : économiser quelques millions de dollars ou réinitialiser la repeater tax, qui est un système qui vise à faire payer plus cher les franchises qui restent plusieurs saisons consécutives dans la taxe.
Cette année, les équipes à moins de 3 millions de ce seuil sont nombreuses et chercheront probablement à réduire leur masse salariale : Clippers, Pelicans, Cavaliers et Pacers.
Dans l’autre sens, on a aussi 4 équipes qui ne vont probablement pas chercher à faire monter leur payroll : Hawks, Nets, Grizzlies et Kings, qui sont toutes à moins de 2,5 millions de la taxe. La marge reste assez faible pour deux équipes qui s’avèrent être en difficulté sportive et qui, habituellement, n’ont pas peur de faire monter le payroll pour récupérer des seconds tours en compensation : Blazers et Bulls.
Comme nous l’avons précisé, le mécanisme de la taxe de luxe n’est pas récent, mais, à nouveau, le problème se situe dans l’addition des restrictions.
Les Warriors, qui sont visiblement en win now, ne peuvent déjà plus ajouter de salaire dans leur porte-monnaie. Le potentiel échange pour Jimmy Butler est donc particulièrement compliqué à mettre en place, car en échangeant plusieurs joueurs contre un seul, la franchise de la Baie devrait également se dégager une marge financière afin de signer des agents libres, notamment les joueurs libérés après la deadline. De surcroît, il faudra aussi probablement lâcher un ou deux seconds tours à une troisième franchise pour qu’elle accueille un joueur indésiré, pour raisons financières ou sportives.
Où est le positif ?
Il y a une nouvelle règle dont on n’a pas parlé, qui concerne la mid-level exception. Comme son nom l’indique, il s’agit d’une exception qui permet à une franchise de signer un joueur alors qu’elle n’a plus de cap space. Elle est disponible une fois par saison, et il en existe trois types, qui dépendent de la situation de la franchise : la room MLE, la taxpayer MLE et la non-taxpayer MLE.
Nous allons nous intéresser aux deux dernières.
Pour une équipe dans la taxe, cette enveloppe est moins élevée (cf image plus haut) et moins longue (contrat de 2 ans maximum) que pour une équipe qui n’y est pas (contrat de 4 ans maximum). Cette différence à part, elles ont exactement le même fonctionnement. Avant ce nouveau CBA, elles ne pouvaient servir qu’à signer un ou plusieurs joueurs, pendant l’intersaison ou la saison.
Désormais, une équipe va pouvoir acquérir un joueur via trade grâce à cette exception, sans envoyer de joueur en retour.
Il faudra, pour cela, que le contrat match les règles de l’exception. Par exemple, le Heat pourrait trade pour Nicolas Batum car il a 2 ans de contrat, dont le montant de la première année est inférieur au montant de la taxpayer MLE. Plus encore, une équipe comme Houston pourrait aller chercher un joueur comme Josh Green, Brandon Clarke ou Robert Williams sans avoir à lâcher de valeur terrain grâce au changement de fonctionnement de cette exception.
Bien sûr, il n’est pas possible d’acquérir deux joueurs via trade en utilisant cette exception, ce serait trop facile. Par exemple, les Rockets ne pourraient pas combiner les salaires de Tre Jones et Julian Champagnie (12,1 millions) et les absorber dans leur mid-level exception. Pour signer des joueurs, il est en effet possible de répartir cette enveloppe… Mais c’est impossible à faire lors d’un échange. Si l’exception n’a pour l’instant été utilisée que sur une dizaine de joueurs, ce n’est pas pour rien. Les équipes ont préféré encore une fois garder leur flexibilité pour avoir la possibilité d’utiliser leur exception via un trade plutôt que via une signature pendant l’été.
A quel point il va être difficile de s’armer ? A quel point les équipes faibles seront enclines à aider ? Les restrictions vont-elles calmer les general managers ? On sait à quel point tout peut changer très vite dans cette ligue, dans un sens comme dans l’autre. S’il est encore un peu tôt pour juger de la réussite ou non de ce CBA, cette trade deadline va nous apporter un début de réponse.