Giannis Antetokounmpo a beau être en NBA depuis presque dix ans maintenant, le voir évoluer sur un terrain relève toujours de l’extraordinaire, au sens littéral du terme.
2m11 sous la toise, 2m21 d’envergure, 110 kilos de muscle, des foulées pouvant atteindre 2m64, le tout lié à plusieurs qualités que nombre de basketteurs bien moins grands n’ont pas la capacité d’avoir : contrôle du corps, maniement de balle, capable d’abaisser son centre de gravité pour passer l’épaule au contact, de déployer ses appuis en décélération ou à pleine vitesse.
Bref, Antetokounmpo est déjà, n’en déplaise à certains, au panthéon de l’histoire NBA.
Bien sûr, il n’est pas pour autant infaillible. Et s’il y a bien un aspect de son jeu qui a été, qui est, et qui sera vraisemblablement toujours critiqué, c’est bien sa capacité à shooter. Ou plutôt, son incapacité à shooter.
Pourtant, depuis le début de saison et à l’heure de souffler ses trente bougies, le grec semble bien décidé à changer son jeu. Et pour l’instant, ça marche.
Le point de départ : Giannis, destructeur de cercle
Depuis son éclosion en tant que figure de premier plan de la ligue, il est un constat partagé par toutes les équipes NBA qui affrontent les Bucks : Giannis est un danger absolu au cercle. Son combo de vitesse, puissance, longueur d’appuis et envergure en font l’un des tout meilleurs finisseurs de la ligue depuis de nombreuses saisons.
Là où le grec est le plus dangereux, c’est lorsqu’il arrive lancé balle en main en transition ou semi-transition. Face à une défense encore sur les talons, il optimise ses qualités physiques naturelles et profite de son touché de balle pour attaquer la ligne de drive et finir au cercle, faire tomber la faute ou les deux.
La menace plane également lorsque Giannis évolue au post-up, un élément clé du jeu des Bucks avec une action quasiment devenue signature pour lui : post-up côté gauche du panier, reverse sur l’épaule droite et là encore la même sanction : panier, faute ou les deux.
De même lorsque la défense lui oppose une surpression, soit très haute sur le terrain, soit lors de ses réceptions au poste. La sanction tombe dès que Giannis arrive à passer l’épaule au contact, c’est-à-dire très souvent.
Enfin, l’une des armes modernes les plus létales de la ligue et dont tous les fans NBA s’impatientaient de voir avec l’arrivée de Damian Lillard à Milwaukee : les inverted pick and roll, où le “petit” vient poser un écran au grand.
Cette simple situation entraine multitude de possibilités selon la lecture faite ou non par la défense, et notamment deux principales : l’ouverture de l’arrière au large pour un tir à 3pts, ou un drive de l’intérieur qui se retrouve sur un arrière après switch de la défense.
Avec Giannis Antetokounmpo et Damian Lillard dans ces rôles, difficile de ne pas saliver d’avance. Ce pick and roll inversé, les Bucks l’ont depuis quelques saisons déjà dans leur playbook, et bien évidemment, Giannis s’en donne à cœur joie.
Alors face à cette menace au cercle, les défenses se sont organisées. L’une des méthodes employées, observée pour la première fois de manière flagrante lors des campagnes de playoffs des Bucks face au Miami Heat ou aux Raptors en 2019 consiste… à mettre un mur devant lui.
Deux, voire trois joueurs qui dézonent totalement pour faire barrage, et le forcer à choisir une autre option, souvent la passe.
Ce qui a fait naître deux nécessités pour Giannis et les Bucks : pour le premier, améliorer ses lectures et son passing game ; pour les seconds, entourer leur franchise player de joueurs au moins respectables au tir longue distance pour sanctionner les écarts provoqués.
On a donc :
- Une énorme menace (Giannis au cercle) ;
- Une adaptation des défenses (on fait blocus) ;
- Une adaptation en réponse des Bucks (on essaye d’entourer Giannis).
Voilà pour le tableau schématique.
Reste que la solution trouvée par les Bucks n’a rien d’une solution miracle, et ne règle pas tous les problèmes. Finalement, entre se faire martyriser au cercle par Antetokounmpo ou mettre la balle dans les mains de Bobby Portis à 3pts (no offense Bobby), le choix est vite fait.
Surtout qu’en face, les défenses progressent, le profil des joueurs qui les composent aussi, avec de plus en plus de joueurs capables de multiplier des efforts d’aider-reprendre à haute intensité, haut volume, et sans trop d’efforts supplémentaires pour peu qu’ils bénéficient eux aussi d’une envergure notable.
Pour Giannis, multiplier les efforts au cercle, sur transition, post-up ou autres, est au demeurant extrêmement énergivore, d’autant plus quand il est attendu par toutes les défenses de la ligue sur cette qualité première.
Alors le grec a décidé de prendre les choses en main pour s’adapter : une évolution à contresens de la tendance de ces dernières années, mais peut-être bénéfique pour lui et pour Milwaukee.
La bascule : 30 ans, l’âge de raison
Partons déjà d’un constat, partagé facilement par tous : Giannis n’a jamais été un bon shooteur à 3 points et ne le sera vraisemblablement jamais.
Au meilleur de sa carrière, il a tourné à 31% dans l’exercice sur la saison 2017-18 à 23 ans… Avec 1,9 tirs à 3pts par match en moyenne.
Entre 2018 et 2022, année du titre des Milwaukee Bucks, sa moyenne de tirs à 3pts pris par match a augmenté pour avoisiner les 3,5 tentés par match, mais toujours à un pourcentage faible d’environ 30%.
Depuis 2 ans, Giannis semble avoir fait un trait sur son tir à 3 points :
L’encadré rouge à droite montre la proportion que représente le tir à 3pts dans la totalité des tirs pris par Giannis : de 20% en 2019-20 à 7% l’an dernier.
Cette saison, la tendance semble encore plus se confirmer : en 20 matchs disputés, Antetokounmpo n’en n’a tenté que 14, soit 0,7 par match (contre 1,6 l’an dernier, sur 73 matchs).
L’évolution de la short chart de Giannis termine de confirmer la tendance : au diable les trois points.
Si vous êtes fin observateur, vous aurez observé en revanche l’explosion du nombre de tirs pris dans la zone des lancer francs, que la NBA aime à appeler les « longs 2pts ».
Et ça mesdames messieurs, c’est ce que j’appelle une transition.
Car c’est la tendance de ce début d’année pour Giannis, qui explose en effet sur ce premier quart de saison NBA 2024-25 ses standards d’efficacité en la matière, notamment sur ces longs 2pts.
Mais parler uniquement de l’efficacité ne serait pas rendre hommage à ce qui ressemble à s’y méprendre à un travail de longue haleine de la part du grec et des Bucks sur le tir de ce dernier.
Commençons par le côté chiffres : n’ayez crainte, amis mathophobes, j’ai fait des graphiques aux petits oignons.
En gris ce que nous évoquions ci-avant, avec une chute drastique du nombre de 3 points pris au fil du temps par Antetokounmpo, en se projetant sous les 50 tirs tentés sur la saison s’il maintient ce rythme.
En vert en revanche, un bon phénoménal du nombre de tirs à deux points pris sur l’année, là encore via projection pour l’année en cours.
Jugez plutôt : s’il continue sur ce rythme, il atteindra quasiment +100% de tirs pris à ces spots par rapport à l’an dernier.
Sur le tableau vu plus haut, cette fois-ci dans l’encadré rouge, on observe cette poussée sous un autre angle : alors que ses longs 2pts représentaient 9% de ses tirs l’an dernier, ils grimpent à 17% cette saison.
Et en effet, cette augmentation significative du nombre de longs 2pts pris s’accompagne d’une efficacité jamais vu chez Giannis jusqu’alors :
On est donc sur une vraie révolution, avec quasiment 50% de réussite sur ces longs 2pts avec un volume 2 fois plus important.
Suppression du 3pts d’un côté, augmentation du nombre de 2pts de l’autre : à vrai dire, il n’y a rien d’illogique là-dedans.
Je n’apprendrais effectivement rien, même aux ennemis des mathématiques, en expliquant que 3 > 2, mais les conséquences en termes pratique pour le tir d’un joueur sont importantes.
A volume équivalent, il faudra pouvoir marquer 2 fois plus à 2pts qu’à 3pts pour être rentable et efficace. Par exemple, sur 10 tirs pris, pour être plus efficace qu’un 30% à 3pts, il faudra tirer à 50% à 2pts. Et plus le volume est haut, plus l’effort devra être accentué : à 5/15 à 3pts (33%), il faudra être capable d’assurer un 8/15 à 2pts pour être plus rentable (53%).
Mais avec Giannis, la vision est encore autre : il passe d’un joueur médiocre à 3pts en volume et en réussite, à un joueur dangereux à 2pts hors-raquette.
La raison : un travail sur le shoot enfin abouti ?
Regarder la mécanique complète de Giannis Antetokounmpo cette saison a quelque chose de “wow”. Non celui d’un geste pur, soyeux, rôdé d’un shooteur qui a ça dans le sang, mais plutôt celui d’un étonnement au regard du chemin parcouru.
Jugez plutôt :
Le tir est fluide, équilibré, relâché, confiant.
C’est peu dire que la mécanique du grec a longtemps fait l’objet de très, très nombreuses critiques et moqueries – soyons honnêtes.
Il était régulièrement mis en avant le décalage inexplicable entre la mécanique de tir fluide observée lors de son année rookie et le numéro de robotique articulé développé ensuite, souvent attribué à tort ou à raison au passage de Jason Kidd sur le banc des Bucks.
Reprendre une mécanique de tir, la corriger ou l’améliorer, n’a rien d’anodin.
C’est l’un des travails les plus minutieux, longs et fastidieux à mettre en œuvre, surtout en NBA. Ne serait-ce que par la force de l’habitude, et de la difficulté de la changer, surtout au regard des opportunités d’entrainement réduites en cours de saison. D’autant plus compliqué encore lorsque vous êtes un joueur majeur de l’équipe, devant assumé une charge offensive XXL soir après soir, et quand les résultats sont attendus.
Alors le travail se fait par petites doses, et sur les réglages souvent les plus importants : prise d’appuis, prise de balle, hauteur de coude, point de relâchement du tir, équilibre, …
Et force est de constater que depuis quelques saisons, Giannis travaille.
- Le set-up de tir est presque toujours le même, avec une séquence de dribbles plus ou moins courte et une hésitation, souvent main gauche.
Cette dernière permet à Giannis plusieurs choses.
Premièrement, jauger si le défenseur est ou non sensible à cette micro-feinte : s’il anticipe le tir et qu’il monte sur un appui, même léger, Giannis peut saisir l’opportunité, réenclencher le dribble et terminer au drive.
Deuxièmement, elle lui permet de servir de base l’impulsion à son bras de tir, en même temps que la prise d’appuis au sol. Le transfert d’énergie est double : du sol aux pieds via la prise d’appuis, de haut en bas via l’engagement du bras droit.
Sans le rendre prévisible, l’identification de ce « set-up » de tir lui permet également une chose essentielle : adopter une routine mécanique. Je n’apprendrais rien aux plus aguerris, mais l’effort de tir est avant tout un effort mécanique, qui use et abuse de la mémoire musculaire dans l’exercice. Il faut répéter, répéter, encore répéter, toujours répéter.
La confiance dans le geste sera d’autant plus marquée si l’on a l’habitude de répéter toujours les mêmes gestes, pour rendre le mouvement naturel et le plus efficace possible.
- Sur le tir en lui-même, deux observations liées : un coude bien plus haut, et un point de relâchement logiquement plus haut en conséquence.
Si la mécanique de tir de Giannis a souvent été moquée, c’est qu’elle ressemblait il y a quelques années encore à une mécanique rouillée, totalement anarchique, avec notamment un axe coude-bras-poignet qui paraissait totalement bloqué, comme si Giannis tentait de suivre le vieux schéma de tir appris dans les écoles de basket : le coude à 90°, le poignet aussi, et on casse après.
Le problème, c’est que Giannis semblait garder cette logique… Tout au long de son tir.
Fort heureusement la chose a été patiemment corrigée, à tel point que cette saison, Giannis semble avoir retrouvé sa mécanique originelle, observée lors de son année rookie.
Et comme des images valent parfois plus que des mots, jugez plutôt l’évolution de la position de relâchement du tir sur les 3 dernières saisons :
Ce changement, qui pourrait paraître anodin, est loin de l’être : meilleur équilibre, meilleur balancier, meilleur fouetté, meilleur relâchement, meilleur contrôle, bref, meilleur tir, tout simplement.
Ces changements et ce gros travail de l’ombre permettent aujourd’hui à Giannis d’être beaucoup plus en confiance sur son tir, notamment sur les fameux midranges donnés par les défenses qui lui font face, en témoigne les chiffres évoqués plus haut.
Une nouvelle arme ajoutée son jeu à l’heure de ses 30 ans ?
Un apport bienvenu pour le grec, parfaitement conscient des efforts que lui demande son jeu très physique, proche du cercle, à haut volume et haute intensité :
« Je sais que je suis efficace dans la peinture, mais vous prenez beaucoup de coups. Aujourd’hui mon corps se sent très bien, j’ai l’impression de ne jamais avoir été touché, c’est assez incroyable (…). Mais je suis littéralement en train de changer mon jeu, et ça me donne une vraie énergie dans la tête parce que ça fait longtemps que je veux faire ça. Ça me soulage et mes coéquipiers veulent que je continue à les prendre »
Affaire à suivre !