Si vous avez déjà regardé South Park, vous avez déjà entendu parler des « mémos myrtilles » et leur nostalgie exacerbée. Alors que tout le monde stresse pour l’élection présidentielle à venir, les habitants de South Park commencent à se partager ces mémos myrtilles. Des grappes de myrtilles donc, qui ont la particularité de ne parler que de choses du passé, censées réunir et réconforter les gens. La nostalgie s’installe.
Si cet article n’a aucun rapport avec South Park, il en a en revanche un avec la nostalgie. A force de voir d’anciens joueurs vanter leurs propres mérites à leur époque, de voir et revoir les mêmes critiques sur le jeu NBA actuel et à force de me rendre compte que moi-même je prenais le chemin d’un vieux con, j’ai fini par m’interroger sur l’influence de la nostalgie dans notre suivi de la NBA et ses implications.
Et vu que je suis sûrement le seul à me poser la question, c’est un prétexte suffisant pour rechausser le clavier le temps d’un instant.
En route pour explorer – humblement – les mécanismes de cette nostalgie qui façonne plus qu’il n’y parait la culture NBA, son histoire, mais aussi son futur.
De l’émotion primaire aux biais de perception
La nostalgie fonctionne sur un principe simple.
Au quotidien, notre cerveau est plus à même de se souvenir des évènements négatifs que positifs. Oui, je sais, pas le vôtre, comme tout le monde. Mais si on a réussi à le théoriser en long, en large et en travers depuis de longues années, disons que cet argument n’est peut-être pas le plus pertinent.
Pour la mémoire en revanche, c’est l’inverse. Elle sélectionne davantage les évènements positifs que négatifs. Je passe sur les considérations freudiennes du sujet et autres débats, mais l’idée qui nous intéressera ici est surtout celle selon laquelle la mémoire sélectionne davantage encore et en priorité les évènements où la charge émotionnelle est la plus forte.
Bien souvent, c’est dans l’enfance ou dans la construction de soi que les émotions sont exacerbées. Les fameuses « premières fois » sont toujours plus ancrées en nous, plus fraîches, plus intenses, que les troisièmes, quatrièmes ou vingtièmes fois.
La mémoire et le sentiment de nostalgie n’échappent pas à ces règles dans le domaine du sport et de la NBA, et on retrouve les mêmes phénomènes : les idoles de jeunesses, les souvenirs des premiers matchs, des premiers playoffs, la première fois que l’on a vu jouer Jordan, Magic, LeBron, Kobe, la première fois qu’on a suivi les Finales, les premières images, vidéos, … Toutes ces premières fois seront inévitablement plus puissantes et plus fortes que les images que nous pourrions voir par la suite.
Le revers de ce mécanisme d’où nait le sentiment de nostalgie, c’est que cela créé précisément une sorte de biais de perception.
A cette embellie du passé, il faut en effet ajouter le fait, là encore largement étudié, que nous sommes toujours plus propices à accepter ce que nous connaissons déjà, et à difficilement accepter le changement, le nouveau.
Mélangez le tout, et vous obtenez un biais très fort de perception négative du présent.
Pour avancer, disons que la nostalgie fait naître en nous un sentiment faussé, un biais de « positivité rétrospective », qui nous pousse à mieux considérer le passé en minimisant les aspects négatifs et en glorifiant les moments forts qui nous ont procuré des émotions que l’on ne retrouvera que rarement.
La NBA, fabrique à souvenirs sélectifs
Bien consciente de la valeur que son histoire peut représenter pour elle en termes de marché (et oui, la NBA reste une entreprise privée), la Grande Ligue a multiplié les initiatives pour entretenir cette flamme de nostalgie chez les fans.
La NBA est une ligue de stars, anciennes, actuelles et futures, et elle sait peut-être mieux que n’importe quelle autre ligue professionnelle leur rendre hommage.
Les années 90 ont été en cela un tournant majeur, fournissant à la ligue quantités d’histoires, de récits et d’images à partager pour véhiculer son image de marque et promouvoir sa ligue. Le duel des Lakers de Magic Johnson contre les Celtics de Larry Bird a été la première pierre, un scénario rêvé pour commencer à lancer la machine, avant que n’arrive l’icône Jordan, propulsant la ligue dans une nouvelle ère de médiatisation et d’internationalisation.
On pourrait d’ailleurs se cantonner à ces deux exemples pour illustrer la fabrique à souvenirs qu’est la NBA.
Depuis les années 80 et 90 jusqu’à aujourd’hui, on ne compte plus le nombre de livres, films, documentaires, émissions à avoir partagé, repartagé, débattu, raconté, fait vivre ou revivre les moindres aspects de ces épisodes, tant et si bien qu’on a parfois l’impression de les connaître davantage que des épisodes que l’on a vécu pour de vrai.
Les fonctions de la mémoire sélective aidant, voilà certains fans NBA certains d’avoir connu un temps que les moins de leur âge ne pourront pas connaitre : l’âge d’or. Un âge idéalisé, construction de l’esprit, de la mémoire et de la nostalgie, alimentée par les images et souvenirs que l’on accepte de revoir à outrance.
Et vous voilà un beau jour, devant les highlights d’un match de saison régulière où Tyrese Maxey a planté 50 points, dire à qui veut l’entendre que « C’était quand même autre chose avant ! ».
La transformation a opéré : vous êtes un vieux con.
Des exemples plus récents encore permettent d’illustrer cette gigantesque fabrique à souvenirs géante qu’est la NBA : le concours de dunks de Vince Carter en 2000, celui d’Aaron Gordon et Zach LaVine en 2016, la Redeem Team de 2008, le tir de Ray Allen en 2013, le chasedown block de LeBron en 2016, etc, etc, …
Toutes ces images fortes, vecteurs d’émotions toutes aussi intenses, sont utilisées jusqu’à la moelle par la Grande Ligue pour continuer de faire vivre le roman NBA et continuer à paver, en avance, le chemin des vieux cons qui s’annoncent dans les prochaines années.
L’idéalisation de l’un, l’invisibilisation de l’autre
Le problème de ce sentiment de nostalgie, c’est le traitement qu’il peut nous faire infliger aux informations que l’on reçoit, et que l’on choisit de considérer ou non.
Concernant la NBA, il n’y a qu’à voir le traitement dont est victime le jeu NBA des années 80 ou 90.
Par effet des mémoires et images transmises, des récits qui en ont été faits ou montrés, l’idée – justifiée – d’un jeu « à la dure », rugueux et âpre s’est développée et installée. Quand cette période est vue par certains comme l’apogée du jeu NBA, d’autres en revanche, visiblement moins empreints de nostalgie, sont plus enclins à faire passer le jeu de l’époque pour un stage en CAP boucherie-charcuterie.
Cette différence permet de mettre en évidence l’un des problèmes de la nostalgie qui guette le fan NBA, et déjà évoqué légèrement plus haut : l’idéalisation et l’invisibilisation.
L’idéalisation d’une époque, d’un joueur, d’un jeu, d’une période et l’invisibilisation de ce qui se produit depuis. Rappelez-vous, on est toujours plus à l’aise avec ce que l’on connait.
Comment ne pas se rappeler des débats enflammés en 2015 et encore actuels avec l’émergence de la dernière révolution en date du jeu NBA, menée par Stephen Curry ? S’en sont suivies des heures de critiques, de remise en cause du modèle NBA actuel et parfois même des capacités intrinsèques des joueurs. Après tout, sont-ils vraiment bons ou bénéficient-ils juste d’une époque où tout leur est plus facile, plus favorable « qu’avant » ? Ont-ils autant de mérite que leurs aïeux ?
Et vous avez ici servi sur un plateau, un élément qui cristallise autant les débats qu’il participe au folklore de la Grande Ligue : le jeu des comparaisons.
N’y a-t-il jamais eu une période où les comparaisons entre les stars NBA d’hier et d’aujourd’hui n’ont pas eu lieu ? Palmarès, capacités, accomplissements, jeu, tout est prétexte à comparaison, et à classement.
La nostalgie est l’ennemie de l’objectivité. Elle n’a d’ailleurs jamais eu vocation à cela, mais uniquement à servir de repère de construction à la personne qui la ressent. Et pourtant, combien de débats stériles a-t-elle nourrit ? Combien d’arguments douteux, de comparaisons hasardeuses et de raisonnements tronqués a-t-elle mobilisé ?
Est-ce que les exploits de Nikola Jokic, parce qu’ils ne sont pas vécus avec la même passion et émotions que les exploits de Vlade Divac, en sont moins impressionnants ? Bien sûr que non. Mais la passion et la nostalgie ont leurs raisons que la raison ignore.
Le risque existe bel et bien pourtant, de passer à côté de quelque chose. Pas nécessairement à côté de quelque chose de mieux, puisque ce serait ici remettre en question l’émotion ressentie elle-même, mais quelque chose de différent.
Le risque, finalement, de passer à côté d’une nouvelle « première émotion ».
La nostalgie, un frein aux évolutions NBA ?
Et si à force de biberonner une partie de ces fans aux glorieuses années passées, la NBA se mettait des bâtons dans les roues ?
La NBA, si elle est fière de son passé, est aussi et surtout à la recherche de nouvelles opportunités de croissance. Pour cela, elle dépend, comme beaucoup d’entreprises et de ligues privées, de sa capacité à s’adapter à la demande de son époque.
Depuis quelques années, les discussions vont bon train sur les nécessaires réformes dont la NBA pourrait avoir besoin, l’un des exemples cristallisant le plus les fans étant sans doute le désormais marronnier du calendrier NBA.
Pour rendre son produit attractif, la NBA doit-elle revenir sur les 82 matchs annuels de saison régulière par équipe ?
A cela, une armée de militants répondent en chœur non, souvent avec l’argument historique en bouche, les équipes jouant 82 matchs depuis la saison 1967-68. A l’époque, 12 équipes étaient engagées en NBA ; en 2024, elles sont 30. Le simple fait que le nombre de matchs par équipe n’ait pas évolué en 56 ans alors que 18 équipes ont intégrées la ligue depuis pourrait apparaitre totalement anachronique.
Et pourtant, l’argument semble faire autorité.
La nostalgie pourrait-elle ainsi être un frein au progrès et à l’évolution du produit NBA ?
Espérons pour elle que non, mais derrière les débats de comptoir pour savoir qui est le meilleur joueur de l’histoire, force est de constater que l’équilibre à trouver entre célébrer l’histoire et s’adapter aux exigences modernes est plus subtil à trouver qu’il n’y parait.
Allez, en attendant, je retourne regarder les Spurs version 2014. Que voulez-vous, « c’était mieux avant » !