Les Milwaukee Bucks ont été une place forte de l’Est depuis l’arrivée de Mike Budenholzer en 2018. Toujours en bonne position pour occuper la 1ere place de leur conférence, ils se sont imposés grâce à une défense élite et une attaque centrée autour de Giannis Antetokoumpo, en parfaite maîtrise malgré quelques lacunes bien connues.
En dépit de ces saisons régulières sans nuage, les Playoffs furent une autre paire de manche. 2021 devint l’année du titre, mais certaines grosses sorties de routes ont fini par faire douter la franchise (et disons-le, Giannis lui-même). Ainsi, l’élimination au premier tour de la saison passée, malgré une première place à l’Est, a semblé créer un sentiment d’urgence dans une équipe dont les failles étaient pourtant bien connues. Toujours en quête d’un meneur capable de représenter une triple menace ultime (donc, capable de punir une défense par le tir, le drible, ou la passe) et faute de solutions, la franchise a visiblement pensé qu’il était temps de mettre un termes à l’expérience Budenholzer.
Triste timing pour le coach qui avait su transformer cette équipe du ventre mou en véritable machine, puisque quelques semaines plus tard, les Bucks faisaient l’acquisition de Damian Lillard, solution à la mène dont les qualités ont toujours été absentes à Milwaukee. En effet, que ce soit via George Hill, Eric Bledsoe puis Jrue Holiday, l’équipe a toujours semblé souffrir de l’absence d’un meneur capable de briser les défenses.
Un problème de taille puisqu’avec Giannis comme principal moteur offensif, les défenses adverses avaient, lorsque bien équipées, les armes pour compliquer la vie de double MVP et ainsi, enrayer l’attaque de Milwaukee. Néanmoins, plutôt que de blâmer leur construction, les Bucks ont choisi de mettre fin à l’ère Budenholzer, ouvrant, possiblement la boîte de Pandore, mais levant surtout le voile sur leurs limites collectives.
Bilan global des Bucks 2024
L’arrivée de Damian Lillard offrait des promesses de taille pour les hommes du nouveau général en chef : Adrian Griffin. Lillard représentait à la fois un profil manquant, mais aussi une synergie avec Giannis dont le potentiel faisait saliver de nombreux observateurs : un jeu de pick & roll avec le Greek Freak. Il y avait certes un compromis en défense, mais comme on aime souvent le répéter : si très utile, une défense souffre moins d’une mauvaise défenseur extérieur qu’intérieure, et la paire Antetokoumpo – Brook Lopez toujours présente, nous étions en droit d’attendre des standards minimum.
Les choses se sont pourtant vite corsées. Griffin décidait de changer les habitudes défensives de l’équipe, exposant les lacunes du groupe tandis qu’offensivement, si les Bucks sont bons, cette fameuse synergie attendue entre les 2 stars de l’équipe ne se met pas réellement en place, à tel point que sous le poids des attentes et probablement un sentiment d’urgence, la franchise met fin à l’expérience et se tourne vers… Doc Rivers.
Il va sans dire que l’auteur de ces lignes porte peu dans son cœur le néo-coach des Bucks, qui s’est souvent montré absent des grands rendez-vous, comparativement peu intéressant tactiquement face à ce que la ligue produit aujourd’hui et toujours prêt à rejeter la faute sur ses joueurs dans les grandes déconvenues. Toujours surpris de le voir retrouver un poste, il faudra néanmoins reconnaître 2 choses à sa prise de fonction : les Bucks ont repris leurs habitudes défensives (sans retrouver leur niveau élite, malheureusement) et Damian Lillard a pris en importance dans l’attaque de Milwaukee, ce qui semblait nécessaire en vue des Playoffs.
Toutefois, cette arrivée s’est accompagnée, nonobstant une forme dans le jeu un peu plus convaincante, de résultats particulièrement indigestes. Ainsi, les Bucks sont tout juste à l’équilibre sous Doc Rivers, viennent d’enchaîner 3 défaites contre des équipes pourtant dans une opération tanking débridée et à quelques matchs de la fin de saison, ne sont toujours pas assurés de valider directement leur siège pour la post-saison malgré une conférence Est assez faible.
Alors qu’une nouvelle génération d’équipes est en train de voir le jour, que le jeu continue d’évoluer, j’en suis venu à me poser cette question : est-ce que Mike Budenholzer n’était pas l’arbre qui cachait à la forêt, et alors que l’équipe s’était pourtant renforcée, ne sommes-nous pas en train de contempler une équipe sur le point de devenir…anachronique ?
Je m’explique.
Le manque de flexibilité offensive
La NBA est dans une course à la polyvalence. Alors que la domination des Warriors a mis en exergue la nécessité d’avoir un tir convenable pour exister dans la ligue, les joueurs sont désormais appelés à pouvoir sanctionner les décalages ou les mismatchs obtenus. Aussi, être capable d’exister balle en main apparaît désormais comme le nouveau sésame, même chez les role players (dont les rôles sont de plus en plus larges, finalement). Le Thunder d’OKC semble montrer la voie avec sa jeune équipe où tout le monde peut driver, poser un écran, shooter.
Dans le cas de Milwaukee, une absence semble inéluctable : celle de joueurs à-même d’attaquer le cercle (driver), faute d’un handle fonctionnel ou des qualités physiques. Cette saison, Milwaukee est 26eme au nombre de drives par match alors qu’ils possèdent 2 gros moteurs dans le domaine avec 2 franchise players capables de créer du volume et de l’efficacité. Pour cause, sur 42,9 drives par match; 42% sont réalisés par ces 2 joueurs.
L’équipe s’est construite sur l’idée qu’il fallait créer de l’espace pour Giannis, ainsi la franchise a fait l’acquisition de joueurs tout à fait capables de shooter : Malik Beasley, Jae Crowder, Brook Lopez, Pat Connaughton, Khris Middleton. Le soucis, c’est que Beasley et Crowder ne sont pas réellement fonctionnels pour attaquer le cercle à haut volume, même quand ils obtiennent des décalages. Brook Lopez est un intérieur qui possède un jeu au poste exceptionnel, mais qui n’est pas utilisé dans le registre, tandis que Khris Middleton, faute aux blessures, est moins capable de se frayer un chemin à répétition vers le cercle qu’il y a 2-3 saisons. Bobby Portis a été une source de scoring plus qu’apprécié en sortie de banc, mais les renforts récents (Patrick Beverley & Danilo Gallinari) tendent à répéter cette même lacune de pression exercée sur le cercle.
D’autres équipes avec des vétérans âgés possèdent ces profils de “role players” qui ne se contentent pas juste du profil éculé de 3&D. Les Clippers par exemple, peuvent s’appuyer sur Norman Powell et Terance Mann. Ces joueurs doivent laisser les responsabilités à leurs multiples stars et joueurs qui évoluent balle en main, mais ne vous avisez pas de laisser une ligne vers le cercle ouverte, ou ils vous sanctionneront (repensons d’ailleurs qu’il y a moins de 10 ans, on évoquait immédiatement Danny Green ou PJ Tucker lorsqu’on pensait à cette notion de parfaits compléments à des stars).
Résultat, si les Bucks sont exceptionnels quand ils ont Lillard & Giannis sur le terrain (+9,4 de net rating), ils sont médiocres sans (-10) et inquiétants l’un sans l’autre :
Alors, bien sûr on pourrait opposer des bémols à cette logique. Tout d’abord, les leaders de chaque conférence (Boston & Denver) génèrent encore moins de drives que Milwaukee. Denver est dernier, Boston 29è. Néanmoins, Denver produit un jeu unique basé sur les particularités de Nikola Jokic (les drives sont compensés par des coupes) et deviennent non fonctionnels dès qu’il sort du terrain. Pour les Celtics, qui ont le meilleur offensive rating de l’histoire cette saison, je vous propose d’écouter nos doutes à ce sujet, dans le contexte de Playoffs, dans cet extrait de podcast.
En outre, on pourrait dire que certes, ils en prennent moins, mais qu’en compensation, ils sont 1er en efficacité sur le drive. En effet, mais là encore, cela pose le problème du personnel et du climat des Playoffs. Chaque année, l’attaque de Milwaukee prenait le risque d’être exposée selon les match-ups : la survie venait alors de la faculté de l’équipe à maintenir leur niveau défensif. L’arrivée de Lillard réduit certes ce risque, car il n’est pas limité par l’absence de shoot (bien au contraire), comme Giannis. Il peut donc faire sauter le verrou d’une défense de bien d’autres manières.
Néanmoins, et j’en parlais lors de la dernière campagne de Playoffs, on tend à négliger l’importance d’un supporting cast adapté en Playoffs, sous prétexte que les titulaires jouent plus. Pourtant, les rotations permettent ou non de rendre les stars fonctionnelles, de jouer de leurs forces, de combler leurs lacunes. Le risque pour Milwaukee, si le supporting cast ne peut vivre que par le tir extérieur, c’est que ce soit, d’un point de vu macro, insuffisamment efficace en attaque sur l’ensemble d’une campagne pour aller loin. D’un point de vu micro, que la variance plus importante du tir extérieur les trahissent dans une série (il suffit de quelques matchs avec une mauvaise adresse de loin pour que l’attaque devienne soudainement stérile).
Or nous le sous-entendions plus haut, la défense des Bucks n’étant pas au niveau attendu (17eme defensive rating sur la saison, 11eme depuis le 1er février), elle ne permet plus d’apporter autant de garanties que par le passé pour compenser des pannes offensives.
Giannis, moins “freak” que la nouvelle génération ?
On a souvent dit que Giannis était le Shaq de sa génération. Dans le contexte de l’évolution de la NBA, la comparaison faisait sens. L’un dominait par sa puissance au poste bas, dans une NBA à l’espace réduit, l’autre dominait par un mélange de mobilité / taille / explosivité hors du commun dans un spacing en constante amélioration. Toutefois, avec l’émergence des Bucks, le Grec ne s’est pas avéré comme d’autres Superstars (LeBron, Jokic), une sorte de problème insoluble.
Giannis ne possède pas un tir fiable, il n’est pas une menace inarrêtable par sa synergie avec d’autres joueurs, tout comme il n’est pas élite au playmaking. De fait, lui proposer un rideau de fer près du cercle tend à l’obliger à défier la défense là où elle l’attend. Les Bucks sont à l’image de leur franchise player, il y a un rigidité inhérente à leur jeu qui vient puiser dans l’essence même de celle de son franchise player.
Depuis Giannis, d’autres licornes ont fait leur entrée dans la ligue. La dernière cuvée de rookie en est le parfait exemple. Que ce soit Chet Holmgren ou Victor Wembanyama, s’ils ne sont pas aussi puissants physiquement que la star des Bucks, ils sont en revanche techniquement bien plus avancés que ce dernier au même âge. Ils ont intégré le pré-requis de posséder un tir fiable, les voilà donc moins engoncés dans cette problématique technique (pour le joueur) et tactique (pour l’équipe). La révolution actuelle du jeu est technique, elle vient s’appuyer sur un niveau plus homogène des joueurs dans le handle, dans le jeu de passe.
Or à l’image de ses coéquipiers, Giannis est lui arrivé avec un angle mort dans son jeu, qu’il n’a jamais su résoudre.
Win now… or never ?
En dépit de ces défauts, les Bucks semblaient à l’aube de la saison dans une position plus que confortable. La perte de Mike Buldenhozer semble avoir fait plus de mal qu’elle n’a permis de déclencher un vent nouveau. Pour autant, plus que jamais, les Bucks sont contraints de performer maintenant.
L’âge des cadres est évidemment une incitation. Brook Lopez a 36 ans, Damian Lillard a lui 33 ans et Khris Middleton 32. Il est naturellement difficile de les imaginer sur une pente ascendante, particulièrement les deux joueurs historiques de Milwaukee qui montrent des signes évidents de ralentissement. Par ailleurs, les jeunes équipes tendent à s’appuyer sur des jeunes joueurs plus polyvalents, permettant d’envisager un nouveau cycle en NBA offrant plus de solutions aux coachings staffs que ce dont dispose les Bucks, cf cet article sur l’exemple du Thunder.
Les Bucks possèdent évidemment leurs chances, le talent du groupe lui permettant d’espérer. Un coaching différent, quelques changement dans les role players pourraient évidemment changer la donne. Mais en l’état, le risque pour eux, c’est tout simplement de manquer. Manquer de flexibilité technique, tactique, et d’être finalement, trop courts pour subsister durablement en arborant leur visage actuel.