Plus les années passent, et plus la question de la transformation du jeu me passionne. La NBA est une formule atomique, qui attire petits comme grands, initiés comme débutants, et où les atomes se confrontent tellement vites que les lignes bougent, que les règles sont questionnées et que le jeu évolue en permanence. Dans son livre The Midrange Theorie, Seth Partnow, ancien directeur des recherches sur le basket chez les Bucks, fait même une révélation qui amuse. Il décrypte la saison 2018-2019 et assure que le jeu NBA mute au point où ses analyses ne seront probablement plus valables pour la saison 2019-2020.
Depuis la lecture de ce bouquin, j’essaye de comprendre quelles sont les révolutions latentes. Alors je décrypte des matchs, je discute avec des experts, encore et encore. Fan de jeu européen, je me suis permis d’avoir un regard sur la saison de Vasijile Micic. J’ai regardé le Thunder et tout ce que j’avais projeté sur l’apport du Serbe est tombé à l’eau. En novembre dernier, je vous expliquais pourquoi il était essentiel pour OKC d’avoir ce magicien du pick and roll. Mais son temps de jeu, malgré un réel apport, restait maigre, voire se réduisait. Et c’est vrai que, finalement, le gameplan de Mark Daignault, le coach, n’a pas vraiment besoin de ses services. Je voyais cette équipe de shooteurs fous, qui multiplient les picks entre petits, les drives, les isolations. Où le seul gaillard de plus de 2m10 reste au large, et drive balle en main plus souvent qu’il ne roule vers le cercle.
C’est une étrange composition que ce jeu d’OKC. Tout le monde tire, tout le monde drive, tout le monde met des écrans. TOUT LE MONDE ! Et dieu que c’est efficace. Les mismatchs sont ciblés en permanence, le mouvement ne vient jamais réellement du joueur que l’on attend. Les certitudes que l’on a sont bousculées.
J’ai grandi dans un monde où on m’a appris que la base d’un joueur de basket est de tirer, de dribbler et de passer la balle. Ce qu’on appelle la triple menace. Mais quand je vois cette équipe, déjà copiées, la base de leur jeu est de tirer, de driver et de mettre des écrans. Et si c’était ça, les nouveaux fondamentaux ? Et si c’était ça la nouvelle triple menace ?
Pourquoi l’attaque d’OKC intrigue tant ?
Si on s’intéresse autant à l’attaque de Daignault, c’est avant tout parce qu’elle fonctionne. Avec 118,6 points pour 100 possessions, le Thunder dispose du 4e meilleur offensive rating de la ligue, au coude à coude avec les Clippers (3e), derrière Indiana (2e) et Boston (1e). De plus en plus de voix s’élèvent pour la qualifier de meilleure attaque NBA. On pourrait contre-argumenter ce titre officieux, vu qu’ils ne sont pas premiers. Mais l’attaque des Clippers reposent plus sur un starpower unique autour de James Harden, Paul George et Kawhi Leonard – voire Russel Westbrook – et celle des Pacers conserve un modèle où si le « joueur système » qu’est Haliburton est bloqué, tout se grippe. Rappelez-vous la finale du InSeason Tournament.
Reste le cas des C’s, premier de NBA, avec le meilleur offensive rating All-Time (122,6 points pour 100 possessions). Mais l’attaque des Boston Celtics interroge aussi. Elle est boostée par une proportion et une réussite incroyable à trois points. 41% des points marqués viennent de derrière l’arc, nettement devant le 2e, les Memphis Grizzlies à 37,8%. Dans le top 6 des attaques qui ont la part la plus importante de leurs points qui viennent de cette zone, l’efficacité est plutôt basse :
- Les Memphis Grizzlies, 2e 37,8%, sont la dernière attaque NBA (107 d’offensive rating)
- Les Golden State Warriors, 3e avec 37,5%, sont la 11e attaque NBA (116,8 d’offensive rating)
- Les Dallas Mavericks, 4e avec 36,8%, sont la 6e attaque NBA (117,9 d’offensive rating)
- Les Brooklyn Nets, 5e avec 36,3% sont la 21e attaque NBA (113 d’offensive rating)
- Les Cleveland Cavaliers, avec 36,3% sont la 17e attaque NBA (114,7 d’offensive rating)
La corrélation entre efficacité et fort volume à trois points est assez compliquée à faire. D’autant qu’on goûte peu à ces modèles souvent instables et qui peuvent s’écrouler en Playoffs sur la nature fluctuante de l’adresse extérieure. La capacité à aller chercher des points dans la raquette et des lancers francs est plus fiable, tout simplement parce que l’adresse près du cercle est stable.
A ce titre, Boston est la dernière équipe de la ligue sur la part de leurs points qui sont amenés par des points dans la raquette, et la 23e sur les points amenés par les lancers francs.
De son côté, OKC se démarque par son remarquable équilibre :
- 15e à la part des points obtenus par les trois points, tout en étant 4e au nombre de trois points assistés (contre 26e pour les Celtics – haut volume de pull-up). Donc ces tirs sont amenés par des décalages créés plus que par des exploits individuels.
- 18e à la part des points obtenus dans la raquette, en étant seulement 28e au volume de deux points assistés (beaucoup de drive et d’isolations, peu de pick and roll terminés par le poseur de l’écran)
- 18e au volume de points récupérés grâce aux lancers-francs.
- Le tout dans un jeu maitrisé, puisqu’ils ont le 2e ratio de points par tirs tentés de la ligue, quasiment a égalité avec Boston (1.218 pour Boston, 1.216 pour OKC)
L’équilibre n’a pas qu’une valeur esthétique. Il traduit la capacité à disposer d’un nombre plus important de solutions qu’une attaque unidimensionnelle. Schématiquement, là où il suffit de limiter les trois points de Boston pour faire descendre leur efficacité, OKC donne l’impression d’être une équation complexe.
Conséquence directe, le Thunder a le meilleur bilan de la ligue contre les équipes du top 10 (71,4%).
On nous promet donc des schémas variés, aux solutions multiples, qui fonctionnent en toute situation et qui sont efficaces ? Alors à quoi ça ressemble concrètement ?
L’importance des écrans des « petits »
Quelques principes très simples guident l’attaque de Daignault :
- Le fiveout est privilégié, autour de 5 shooteurs, et si possible d’au moins 4 à haute efficacité,
- Tous les joueurs doivent être capable de poser un écran, le plus souvent pour Pop (ouvrir l’écran vers le trois points),
- Un maximum de joueurs sont en capacité d’attaquer le cercle par le drive,
- L’attaque du mismatch guide le mouvement. Un mismatch c’est un avantage que l’on a dans une confrontation directe entre deux joueurs. La taille d’un grand pour attaquer un petit près du cercle. Une isolation d’un joueur rapide sur un joueur lent, etc.
Dans le deuxième podcast de JJ. Redick et LeBron James, les deux intervenants décryptaient les actions les plus difficiles à défendre. Celle qui vient le plus rapidement : le reverse pick and roll. Cette forme consiste à faire en sorte qu’un « petit » pose un écran sur un plus grand. Finalement, que le porteur soit grand ou non, c’est le poseur d’écran qui va nous intéresser ici.
Pourquoi ce type de pick est si difficile à défendre ?
- Il implique en défenseur de l’écran un joueur qui n’est pas habitué à jouer le rôle de gardien du pick, ce qui provoque souvent des incompréhensions. I
- l écarte le protecteur de cercle de la raquette, dans la mesure où cette action est jouée dans un five-out.
- Il pose le switch (changement de défenseur) comme solution évidente pour minimiser le risque. Sauf que, si Isaiah Joe, défendu, au hasard, par Duncan Robinson permet à Shai-Gilgeous Alexander, défendu par Jimmy Butler, d’attaquer systématiquement Robinson, OKC a gagné la séquence.
Le Thunder a maîtrisé ce système en s’assurant que chacun des joueurs présents soient capables d’amener le moins bon défenseur sur le porteur de balle. Jalen Williams, l’année dernière, avait développé sa relation avec Shai, il a continué à le faire cette année, en apportant une alternance entre le pop et le roll. Isaiah Joe, Cason Wallace, voire Luguentz Dort l’ont également intégré à leur jeu cette année.
A OKC, les écrans porteurs ont une particularité, ça en est presque un running gag. Ce sont bien souvent des Ghosts Screen ou, comme l’appelle habillement LeBron James, des Bluffs Screens : le porteur feinte de poser l’écran et ouvre immédiatement le pop. Deux objectifs sont recherchés :
- Générer toujours plus de mouvement et de vitesse. Un Ghost Screen permettant de ne pas figer le jeu à l’inverse d’un pick classique.
- Attaquer les défenseurs feigneants, souvent le principal créateur de jeu dans l’attaque adverse, qui a tendance à se reposer en défense (Luka Doncic, LeBron James, Trae Young, etc.)
Deuxième type d’action qu’ils ont également perfectionné, plus classique : les flares screens ou en Français plus littéral, la pose d’un écran à celui qui devait initialement faire écran au porteur de balle. Ces séquences très efficaces permettent de libérer un tireur en impliquant un maximum de défenseurs dans l’action. Ce pourrait apparaitre comme un désavantage, mais qui dit plus d’options, dit aussi plus de communication nécessaire. Et en impliquant autant de défenseurs manquant de repères, on maximise la possibilité d’incompréhensions.
Cet ensemble s’appuie sur une adresse impressionnante. Parmi les joueurs à plus de 2 trois points tentés par match (8 joueurs) :
- Trois tournent à plus de 40% à trois points. I. Joe (41,4%, 4,5 tentatives), Jalen Williams (43,6%, 3,5 tentatives), Cason Wallace (41,1%, 2,9 tentatives),
- Cinq tournent à plus de 36% à trois points. L. Dort (39,7%, 4,9 tentatives), C. Holmgren (37,7%, 4,3 tentatives), SGA (36,7%, 3,5 tentatives), Jaylin Williams (36,4%, 2,1 tentatives), Kenrich Williams (38,3%, 2 tentatives),
- Seul Josh Giddey est décroché, mais avec un honnête 34,1% pour 3,1 tentatives par match.
Cette qualité là de pose d’écran, Mon Très Cher Micic, je dois l’avouer, ne l’a pas.
Tout le monde peut drive, mot d’ordre : attaquer le missmatch
Dans le rôle du porteur de balle que ce soit Shai, Williams, Giddey, Wallace ou les autres, tous disposent d’une qualité de dribble suffisante pour accéder au cercle en cas de mésentente, ou passer la balle au bon endroit en cas de prise à deux pour rapidement profiter du surnombre. Cette compétence est au coeur de la viabilité de ce système offensif. Pour qu’il puisse exister, il faut que les joueurs sur le terrain soient en capacité de drive and kick. En réalité, ce n’est même plus un “skill”, c’est un prérequis.
Tous les joueurs ayant eu du temps de jeu à OKC ont eu l’occasion de tester leurs techniques de dribble. Ousmane Dieng est un bon exemple. Ce grand ailier Français, formé comme meneur de jeu, a pu prouver ses qualités de dribbleur. Le Thunder cherche à faire de ses « roles players » des joueurs à impact maximal. Des attaquants capables de grandir un petit écart en un plus grand écart. De faire d’un 4 contre 3,5 un 3 contre 2. Voire même de directement attaquer son défenseur en initiant l’attaque, pour que le terrain apparaisse comme un champ de mismatchs. Il faut dire que ça raisonne comme un cheminement limpide pour la vie des roles players :
- Au début des années 2010, autour de joueurs héliocentriques, il était demandé aux roles players simplement de shooter : Mike Miller, Shane Battier
- Les défenses ont évolué, ces joueurs stars ont été mieux défendues, désormais on demande à ces rôles players de shooter, mais aussi d’attaquer les intervalles pour arriver au cercle en un dribble ou finir à mi-distance : Norman Powell étant sans doute la plus parfaite illustration,
- Désormais, on leur demande d’être plus autonome et plus complet. Pourquoi chercher à fuir les meilleurs défenseurs avec des systèmes qui, via ajustement, peuvent être défendus alors qu’il suffit d’attaquer le mismatch en disposant d’un personnel compétent sur le terrain ? C’est ce qu’on fait les Lakers avec leur 5 Russell – Reaves – Hachimura – LeBron – Davis. C’est ce que fait le Thunder aujourd’hui, dans un fiveout fluide.
Le premier joueur de « complément » qui a vu sa gamme technique évoluer drastiquement grâce à ces préceptes est Jalen Williams. Dort développe petit à petit cette qualité. Joe, Wallace et Giddey l’ont en eux. Même Jaylin Williams est responsabilisé. Holmgren est la nouvelle cible et il n’est pas rare de le voir attaquer un petit par le dribble. Notamment tôt dans les possessions (6,6 drives par match).
OKC est la 5e équipe qui joue le plus d’isolation qui se terminent par un tir de la ligue. Avec 1,04 points par possession, ils sont 3e à l’efficacité dans ce registre. C’est la 3e équipe de la ligue qui passe le plus de temps dans des situations d’isolation incluant une passe. L’énergie mise à créer des mismatchs simples qui provoquent des prises à deux est importante et rentable. A l’inverse, ce n’est que la 14e équipe qui consacre le plus de séquence sur de pick and roll (incluent ceux générant une passe).
Avec en tête, ne soyons pas trop fou non plus, Shai. Il est le le 3e joueur qui joue le plus d’isolation de la ligue (derrière Doncic et Tatum) et est le deuxième plus efficace du top 10 (1,12 points par possession, K. Leonard 1e avec 1,19 points par possession).
Enfin, traduction de ce jeu agressif, le Thunder est l’équipe de la ligue qui met le plus de points par match grâce à des drives (36,7 pts/match) et la quatrième qui a la plus grande part de trois pris via une passe potentiellement décisive (conséquence du drive and kick).
Que nous dit cette transformation ? Elle nous dit que nous ne voulons plus de joueurs qui dépendent des autres. Pour multiplier les dangers, OKC a développé une voie où les joueurs de compléments sont des joueurs autonomes. Capable d’accéder au cercle par eux même, capable de lire les décalages et pouvant s’appuyant sur 4 autres joueurs capables de les aider via des écrans.
On peut ajouter que la multiplication des joueurs pouvant driver multiplie également le nombre de drives dans une possession. Le drive (de qualité) étant le meilleur moyen de déséquilibrer la défense en attirant plusieurs défenseurs dans la raquette pour ensuite ressortir. Et donc, une fois de plus, comme un jeu de domino, conserver l’avantage du nombre.
A voir si cette tendance se confirme, mais de plus en plus de roles players développent leurs qualités de porteur de balle. Duncan Robinson ou Sam Merrill sont de bons exemples. Dans un registre supérieur, Malik Monk s’est révélé en passant d’un rôle de scoreur de fin de chaine à celui d’un rôle de scoreur créateur.
Et si les licornes avaient trouvé leur place ?
Je vous l’ai dit, cette affaire ne concerne pas que les extérieurs. Les intérieurs d’OKC aussi sont invités à driver et lire le jeu, Chet Holmgren en tête de file. Mais pour y arriver, il faut tout de même des profils particuliers.
J’ai l’intime conviction que le front office d’OKC a compris plus tôt que les autres que les licornes seraient le futur de ce jeu. Il faut dire que grandir avec Kevin Durant a du donner des idées. La question qui restait en suspend était de savoir comment les intégrer. Les licornes, ce sont ces joueurs dont la taille repousse un peu plus les limites humaines chaque année et qui sont capables de dribbler, de shooter et de protéger le cercle. Anthony Davis avait marqué le top départ, Wembanyama et Holmgren ont poursuivi la mutation.
Il se trouve que parallèlement à leur apparition, le five out s’est aussi fortement développé. Et cette idée que chacun puisse driver, dans un contexte de fort spacing, n’est finalement pas si neuve. Rappelez-vous les Rockets de la bulle, sous Mike D’Antoni. Pour maximiser son duo star, Clint Capela avait été échangé contre Robert Covington et il n’était pas rare de voir des 5 combinant Westbrook – Gordon – Harden – Convington – Tucker finir les matchs. Déjà, la triplette Harden – Westbrook – Gordon avait tendance à sévèrement cibler le mismatch.
Problème de ce dispositif, la protection de cercle était lacunaire et ne pouvait pas rendre viable ce projet jusqu’au titre. Avec ces grands intérieurs mobiles, shooteurs et habiles sur le dribble, la solution est finalement toute trouvée. Holmgren est le joueur qui transformé OKC. Le Thunder était assurément une équipe amenée à progresser même sans lui, mais le passage de 9e de conférence à top 3 est passé par son apport défensif. Avec ses grands segments, il a apporté de la dissuasion. Avec ses qualités offensives, il a respecté le projet de jeu. Or, pendant longtemps, nous ne savions pas comment utiliser le large éventail technique de ces joueurs. Anthony Davis est d’ailleurs devenu un intérieur traditionnel offensivement, laissant de coté ses qualités de shooting et de dribbles.
Daignault a trouvé et c’est finalement une belle rencontre entre un développement offensif de la ligue, qui s’est rendu compte qu’écarter au maximum le jeu facilitait le jeu, que ce soit pour les cuts, les drives, les écrans entre petits ou les shoots extérieurs (les 4 actions les plus rentables du basket), et le besoin de valider tout ça en conservant les outils défensifs traditionnels avec le plus de valeur.
Il apparait désormais comme une évidence que ce sont dans ces styles de jeu que les licornes vont s’épanouir. Mais également que le jeu NBA de demain va avoir besoin de ces profils. Comment passer à côté de systèmes offensifs où le décalage peut être créé n’importe où sur le terrain par les simples compétences fondamentales des joueurs ? Le temps que cette philosophie s’installe, les front office vont de plus en plus chercher ces profils. Les Pacers n’ont pas pris Siakam par hasard. Ils n’ont pas non plus transféré Buddy Hield pour faire plus de place à Andrew Nembhard (meilleur driveur) pour rien. De même à Sacramento avec le développement de Monk, de Murray, de Sabonis. Il faut s’attendre à ce que les scouts mettent de plus en plus de valeur dans ces profils polyvalents. Qu’ils soient arrières, ailiers ou intérieurs. Il faut même dire surtout intérieurs puisque les lois de la physique font qu’il est plus dur pour un brave de plus de 2m15 de poser un dribble et de shooter.
C’est probablement ça la NBA de demain, celle où tous les joueurs sur le terrain peuvent donc driver, shooter et mettre des écrans en attaque et où défensivement le rebond et la protection de cercle ont toujours autant de place. C’est si fondamentale que j’ai la conviction que cela va impacter le ranking des jeunes talents, et par extension la formation. D’où la nouvelle triple menace.
Reste à imaginer la NBA d’après demain.