Comme l’an dernier, l’Utah Jazz réalise une saison qui ne sait où s’orienter entre velléité à la draft et lutte pour le Playin. Les hommes de Will Hardy pratiquent un basketball de qualité et au sein de cet effectif plutôt compétitif, un rookie apparaît comme particulièrement prometteur : Keyonte George.
Aujourd’hui, je vous propose un exercice que je trouve ô combien délicat : parler d’un joueur dans sa saison rookie.
Débarquer en NBA représente un grand nombre de changements pour n’importe quel prospect : entrée dans le monde professionnel, changement de mode de vie, de rythme sur le terrain, besoin de trouver sa place dans une rotation, etc. Rares sont les joueurs qui bénéficient en année une d’un rôle régulier, puisque les coachs essaient de comprendre à qui ils ont affaire et qu’ils les forcent à gagner leur place.
Ainsi, il est souvent difficile, en mon sens, de donner beaucoup de crédit aux métriques classiques utilisées pour évaluer les joueurs. Il est plus, je pense, question des skills dont dispose un joueur que de sa faculté réelle à en tirer profit dès l’année 1.
Sans plus tarder, je vous propose de discuter des qualités qui font de Keyonte George un joueur à suivre en 2024.
Draft et acclimatation
Si comme moi, vous ne suivez pas la NCAA, le profil annoncé du meneur était à la fois intriguant et inquiétant.
Efficacité dans la finition au cercle, bon premier pas, aisance dans le tir longue distance étaient souvent mentionnés. Autant de qualités qui permettent d’envisager un futur joueur capable de devenir efficace dans la grande ligue. Le playmaking était également mentionné comme en net progrès, tout comme la défense, tandis que les qualités athlétiques sautaient aux yeux au premier regard.
Keyonte George avait tout d’un joueur capable d’attaquer le cercle grâce à un premier pas léger, bondissant, le tout avec un contrôle dans les airs qui ne laisse pas indifférent.
Et pourtant, les comparaisons faites avec ses ainés étaient elles, assez déstabilisante.
Comparé par certains à son futur coéquipier (Jordan Clarkson), George était critiqué pour une sélection de tirs douteuse, mais aussi un faible volume de passe pour autrui qui demeure depuis ses années lycéennes (les progrès étaient donc liés à un point de départ très bas). Dans ce qui était un trident de guards à Baylor, Keyonte évoluait certes très souvent sans la gonfle, mais cette tendance à faire son propre numéro au moment de shooter plutôt que de chercher ses coéquipiers a pu refroidir certains recruteurs à le sélectionner plus haut le soir de la draft.
En 2024, une comparaison avec Clarkson peut être perçue comme un camouflet pour un joueur qui a de hautes ambitions en NBA. Si Clarkson a une longue carrière, on parle aussi d’un joueur qui est généralement vu comme un remplaçant, au tempérament pas toujours altruiste et à l’efficacité au tir moyenne en carrière. Pas idéal si l’on souhaite devenir meneur titulaire d’une part, mais également compliqué dans une ère où ce type de profils de scoreurs à la vision tunnel fait de moins en moins recette.
Pour autant, George va avoir la bonne approche dès sa sélection par le Jazz. Conscient d’arriver dans une équipe en quête d’un meneur depuis l’échange de Mike Conley, ce dernier passe son été à regarder ce que le néo-meneur des Wolves faisait dans son temps à Utah.
J’ai regardé autant de vidéo que j’ai pu afin de connaître ce que serait mon rôle une fois sur le terrain. Je savais que Mike [Conley] était parti, donc je devais me projeter dans une nouvelle situation où je serai le meneur titulaire, pour tenter d’accélérer le processus. Mon principal objectif était d’être efficace dès que possible, je devais donc créer des automatismes et ne plus avoir à penser à ce que je devais faire dans ce nouveau système.
Débarqué dans une équipe du Jazz qui était en effet en recherche d’un meneur titulaire, le rookie a eu l’intelligence de suivre le voie tracée par Mike Conley, excellent la saison passée pour cette même équipe. Jusqu’ici, Will Hardy a su récompenser cette maturité puisqu’après 57 matchs, il a été titularisé à 26 reprises et a bénéficié de 25 minutes de jeu par rencontre. Des responsabilités que le rookie a gagné et qui lui permettent d’ores-et-déjà de jouer un rôle dans sa nouvelle équipe. Lui qui pouvait inquiéter quant à sa gestion de la mène, semble avoir abordé sa saison avec la bonne approche :
Quand je regardais des matchs de la saison passée, je voulais savoir comment Mike mettait les choses en place pour Walker Kessler, Lauri Markkanen et Jordan Clarkson. Ces gars ont besoin d’être en rythme si nous souhaitons gagner des matchs et je voulais savoir comment leur donner la balle et comprendre leurs mouvements sans ballon
Si l’efficacité n’est pas encore au rendez-vous, le meneur de 20 ans n’étant que dans le 23eme centile en termes d’efficacité au tir chez les meneurs (selon CleaningTheGlass), que le joueur est assez dispendieux avec la gonfle (14,6 de TOV%), ses aptitudes, elles, me semblent pour le moins intéressantes.
Keyonte George, des skills très prometteurs ?
Un joueur athlétique en NCAA l’est-il encore une fois arrivé en NBA ? Les qualités et les lacunes aperçues dans un contexte lycéen ou universitaire sont-elles confirmées ou infirmées une fois la carrière dans la grande ligue lancée ?
Dans le cas de George, il semble que les voyants sont au vert. Le meneur possède un nombre de qualités qui ne s’apprennent pas et laissent donc présager une faculté à performer à long terme.
Le plus important me semble être le premier pas susmentionné. Difficile d’acquérir ce type d’explosivité, dont l’absence peut parfois limiter une carrière (une pensée, par exemple, à RJ Barrett). Entre capacité à faire la différence sur des accélérations brutales et contrôle de ses décélérations pour repartir de plus belle, le meneur peut manipuler les défenses et se projeter rapidement vers la raquette adverse.
Entre explosivité, vitesse, maîtrise insolente des changements de rythme, Keyonte a largement les atouts pour créer de multiples décalages.
Cette simple qualité ne serait néanmoins (plus) suffisante dans la NBA moderne si elle n’était pas associée à un autre point fondamental : le tir.
Dans son profil de draft, on pouvait déjà lire qu’il maîtrisait une large panoplie de shoots. Capable de s’exprimer sur du Spot Up, tout comme dans des séquences où il déclenche en sortie de dribble, c’est bien la maîtrise du pull-up qui peut faire de lui une menace de haute volée.
En effet, comme susdit, il est tout à fait capable d’arrêter subitement sa course et de conserver son équilibre. Et cet équilibre, il peut l’utiliser pour repartir, ou pour shooter.
Le jeune meneur du Jazz peut pull-up, une arme qui change drastiquement le danger que représente un joueur, et il peut le faire à de très longues distances, avec une vitesse de déclenchement assez saisissante.
La mécanique est pure et même s’il est pour le moment meilleur dans cet exercice à 3pts qu’à mi-distance, on sait que se construire comme une menace aux 3 niveaux se fait avec le temps. Keyonte tourne déjà à 2,4 tentatives de pull-up 3′ par rencontre avec un indécent 36% dans l’exercice. Seulement 20 joueurs en NBA, sur un nombre de tentatives supérieur à 2 font mieux que George. L’élite, vous vous en doutez.
Par ailleurs, Keyonte George, est déjà capable de se frayer un chemin vers le cercle, et ses pourcentages aux lancers-francs (80% à l’université, 82% en NBA) laissent supposer qu’il peut devenir un shooteur efficace. Pour cela, il faudra néanmoins stabiliser son tir à mi-distance, progresser dans la finition au cercle, qui chute drastiquement si la défense réussit à rester au contact ou, devenir excellent dans la provocation de fautes.
Quant au tir à mi-distance, il peut bien attendre encore quelques années, car la mécanique de tir est prometteuse.
Et la prise de décision à la mène, dans tout ça ?
Si les skills de scoreur sont solides, tout le pari pour le Jazz avec son jeune prospect est d’en faire un joueur suffisamment complet pour, à terme, s’imposer durablement comme un meneur titulaire.
A ce niveau, il reste encore beaucoup de travail à George. Cependant, entre le joueur opérant uniquement comme finisseur décrit suite à sa carrière universitaire et celui aperçu depuis le début de saison, il y a de quoi être plutôt rassuré. Alors, certes, son ratio passes décisives / pertes de balles est mauvais, certes il s’exprime essentiellement sur des lectures simples et certes, il a encore beaucoup de boulot sur demi-terrain.
Pour le moment, il peut indéniablement trouver ses coéquipiers dans le mouvement, est déjà bon sur les phases de transition et il cherche réellement à servir ses coéquipiers dans de bonnes positions.
Autre point intéressant, il voit les mouvements off-ball de ses coéquipiers. S’il ne sait pas toujours les servir, ou a tendance à déclencher ses passes trop tard, la conscience de ce qu’il se passe autour, est au moins, présente. On parle souvent lors du passage à la NBA du moment où “le jeu se ralentit“. Réussir sa transition NCAA – NBA requiert plusieurs adaptations : faire face à des qualités athlétiques supérieures, une horloge qui donne moins de temps pour attaquer et donc des situations qui se créent plus rapidement. Le ralentissement du jeu évoque dont le moment où le joueur a l’impression que les choses se dessinent plus lentement et qu’il a plus de temps pour faire ses gestes.
Ainsi, on peut espérer pour Keyonte, qu’un moment viendra où il décryptera plus vite les situations et ne manquera plus les fenêtres de passes. Cet aspect du jeu sera déterminant pour la suite de sa carrière et sa capacité à prendre la mène du Jazz sur le long terme.
Bilan
A ce stade, Keyonte George est un rookie digne d’intérêt. Des qualités athlétiques indéniables, un shoot prometteur et un pull-up déjà développé permettent d’imaginer que sa faculté à scorer lui ouvrira des portes.
Ses talents de passeurs sont encore très bruts (voire insuffisants), mais là encore, il peut construire autour de sa dangerosité balle en main, en particulier son pull-up pour forcer les aides défensives et ouvrir ses coéquipiers sans avoir besoin de chercher des lectures compliquées.
Reste à devenir plus efficace à la finition, particulièrement près du cercle, et développer sa lecture du jeu pour devenir un passeur capable de tenir la mène d’une équipe.
Toutefois, cela fait beaucoup de paramètres théoriques, sur lesquels il est parfois très durs de concrétiser un potentiel. Les exemples d’excellents joueurs qui n’ont pourtant pas développé un toucher suffisant pour devenir très bon près du cercle sont nombreux, tout comme un tir à mi-distance fiable.
Quant à la gestion du jeu, le timing de passe, si on voit souvent des joueurs progresser toute leur carrière, on sait également que c’est une des dimensions du jeu où on ne devient pas élite sans un talent inné. En cela, son plafond paraît limité, mais l’évolution du jeu vers toujours plus de polyvalence signifie que des coéquipiers pourraient compléter certaines de ses lacunes.
Bref, le potentiel de Keyonte George est certain, le travail est grand, mais le meneur peut au moins justifier qu’on lui donne sa chance.