Les attentes étaient grandes. Pas seulement en France où, après avoir grandi dans la peau d’un véritable phénomène, il est devenu notre premier représentant à être sélectionné en première position de la draft NBA ; aux USA, la hype “Victor Wembanyama” existait également, chez les observateurs et ses futurs adversaires, qui étaient dithyrambiques alors même que l’enfant du Chesnay n’avait pas encore posé un orteil sur un parquet américain.
Après 35 rencontres dans l’élite, force est de constater que Wemby répond à ces attentes. Certes, les plus ronchons dotés d’un clavier n’hésitent pas – sur la poubelle géante que constitue l’ancien réseau à l’oiseau bleu – à dire que ses performances son décevantes. Cet article – mais ils ne le liront pas – est là pour démontrer… tout l’inverse.
Car notre frenchie réalise en réalité un début de saison sur des bases historiques, et le terme est soigneusement choisi, vous le verrez. En tentant de faire court – mais ce n’est pas gagné, je commence à me connaître – démontrons aux grognons que Victor Wembanyama réussit clairement ses premiers pas dans la Grande Ligue.
Focus sur les statistiques
First thing first, parlons des performances du plus connu des phasmes français (listé à 2m24 et 94 kilos sur bballref). Nous l’avons mentionné, depuis le 25 octobre dernier, il a disputé 35 des 40 matchs des Spurs (87,5 %). La franchise avait prévenu ; à la moindre alerte, sa nouvelle star serait mise au repos. Les back-to-back ? Pas toujours, clairement. Certes, le bilan collectif est horrible : 7 victoires, 28 défaites. Car effectivement, sans Wembanyama, San Antonio s’est toujours incliné. Vous pourriez me faire remarquer qu’avec lui, ce n’est pas beaucoup plus brillant. Et vous auriez raison ; c’est un peu mieux, mais c’est loin de faire lever les foules.
Toutefois, éloignons-nous des considérations collectives pour nous intéresser aux prestations individuelles du joueurs. Voici, pour commencer, ses statistiques brutes au 18 janvier 2024 : 19,8 points, 10,1 rebonds, 3 passes décisives, 1,1 interception et 3,1 contres de moyenne. Avant même d’en parler plus longuement, veuillez noter que Wembanyama est aujourd’hui le contreur le plus prolifique de la saison, devant Brook Lopez (2,9 contres / match) et Walker Kessler (2,6). S’il venait à terminer la saison avec ce statut, il deviendrait tout simplement le second rookie meilleur contreur d’une saison, après Manute Bol en 1986.
Entrons plus en avant dans le détail. Avec ses 19,8 points par rencontre (record à 38), Wemby est actuellement le 46e scoreur le plus prolifique de la Ligue (et le premier rookie). Il en est également – en sus d’être le meilleur contreur – le 13e rebondeur et le 31e (ex aequo) intercepteur. Il n’y a finalement que dans l’exercice de la passe décisive qu’il n’est pas classé dans le top 50 : 97e ex aequo. Rappelons que la NBA est composée de 450 joueurs et que la majorité a disputé bien plus de 35 rencontres dans leur carrière.
Il est une statistique que nous avons volontairement passée sous silence, alors qu’elle est d’une importance capitale. Depuis le début de l’exercice 2023-24, Tyrese Maxey passe en moyenne 37,6 minutes par match sur le terrain. Il s’agit du joueur avec le temps de jeu moyen le plus élevé, pour l’heure. Les superstars (ou co superstars) de leur équipe respective se trouvent juste derrière : Kevin Durant (4e, 36,9 minutes / match), Luka Doncic (5e, 36,8), Anthony Davis (8e, 36,1), Jayson Tatum (10e, 35,8) ou Donovan Mitchell (13e, 35,6). Personne ne sera surpris d’apprendre que les meilleurs joueurs jouent beaucoup. À titre de comparaison, parmi les 15 joueurs nommés dans les All-NBA team l’an passé, le temps de jeu moyen de l’actuelle saison s’élève à 34,7 minutes. C’est Stephen Curry qui joue le moins : 33,2 minutes de jeu par soir.
C’est là qu’il faut pointer du doigt ce que certains considèrent comme une bizarrerie : Victor Wembanyama, alors même qu’il a 20 ans et qu’il est clairement la star de cette jeune équipe de San Antonio, ne dispute que 28,5 minutes par match (101e temps de jeu de la Ligue). Autrement formulé, il passe 40,5 % d’une rencontre sur le banc des remplaçants. Il y a évidemment des raisons à cela. Tout d’abord, il découvre le rythme totalement fou de la NBA, en enchaînant les voyages et les rencontres tous les 2 jours. Pour un joueur de sa taille, le risque de blessure est toujours présent. Les Spurs ont ainsi pris le parti de le protéger, ce qui peut s’entendre. Nul n’a envie de voir Wemby subir ce qu’a connu – par exemple – Kristaps Porzingis, un autre européen aux dimensions hors des normes.
Plus encore, le français a connu une petite alerte à la cheville au courant du mois de décembre. Depuis lors, Popovich ne lui accorde que 24,2 minutes de jeu par soir ! C’est… moins de la moitié d’un match. C’est… le temps de jeu moyen de Bobby Portis ou Colin Sexton. Pour faire une comparaison avec un autre intérieur, depuis le 20 décembre, Victor Wembanyama passe moins de temps sur le terrain que Bismack Biyombo. Nous sommes d’accord, c’est bien dommage et nous voudrions en voir un peu plus.
Son “faible” temps de jeu, le français sait le faire fructifier. Vous l’avez certainement vu, il a récemment réalisé le second triple-double le plus rapide de l’Histoire, en 21 minutes et 2 secondes de jeu : 16 points, 12 rebonds et 10 passes décisives dans une victoire face aux Pistons (+22). Le surlendemain, en 19 minutes et 41 secondes, il a claqué 26 points, 11 rebonds et 2 contres dans une nouvelle victoire remportée contre Charlotte (+37). Certes, dans les deux rencontres, l’adversité n’était pas terrible. Pour autant, les performances forcent le respect. D’autant plus que Boston, meilleure équipe de ce début de saison, n’est pas parvenue à limiter l’impact du français : 26,5 minutes et 27 points, 5 rebonds et 1 contre. Il n’y a pas de match facile, mais on peut se rendre un match facile.
D’ailleurs, depuis que la franchise a fait le choix de réduire plus encore son temps de présence sur le terrain, ses statistiques ont fait un bon vers l’avant : 11 matchs et 21,7 points, 8,4 rebonds, 3,4 passes décisives et 3,5 contres, à 52,1 % au tir (dont 32,1 % de loin et 84,2 % aux lancers). De claires statistiques de All-star, en somme.
Le tableau est semble-t-il dressé. Pour être exhaustif, notons que, malgré tout, Wembanyama perd 3,2 ballons par rencontre, ce qui reste significatif, même si l’intérieur touche énormément le ballon (30,7 % d’usage %, soit le 12e total de la Ligue, devant Kevin Durant, Jayson Tatum ou LeBron James, rien que cela). Si sa réussite globale au tir est encore très moyenne pour un grand (46,1 %, dont 29,3 % de loin et 80,6 % aux lancers), c’est en grande partie dû à la difficulté des tirs pris. Il est à cet égard possible de parfois questionner les choix offensifs, mais n’oublions pas que nous parlons d’un jeune homme qui vient de souffler sa 20e bougie et qui découvre un nouveau monde dans une équipe qui vise la prochaine lottery.
Malgré tout cela, les chiffres que nous avons présentés font de Wemby une anomalie statistique dans la Grande Ligue.
Dans la caste des plus grands
L’anomalie dont il est question se constate doublement. Tout d’abord, Victor Wembanyama réalise un exercice mémorable pour un rookie. Ensuite, si l’on étend le prisme des recherches, on constate que sa ligne statistique n’a été réalisée que par d’immenses légendes dans l’Histoire… avec une petite particularité.
Géant parmi les rookies
Certes, les éléments qui vont vous êtes présentés sont frappés du sceau de l’incertitude, dans la mesure où nous allons comparer le début de saison de notre français avec des saisons complètes et dont les chiffres sont gravés dans la roche (comme diraient Aketo, Blacko et Tunisiano).
Dans l’Histoire, soit depuis 1947, rares sont les rookies qui ont scoré a minima autant que Victor Wembanyama. Ils ne sont en réalité que 66 a avoir terminé leur première saison avec 19 points ou plus de moyenne. Récemment, on trouve les noms de Paolo Banchero (20 points de moyenne), Anthony Edwards (19,3) ou Luka Doncic (21,2). Même à l’échelle de notre époque, ce n’est donc pas un exploit. Il n’en demeure pas moins qu’ils ne sont que 14 à l’avoir réalisé au 21e siècle. La chose n’est donc pas unique, mais elle est très loin d’être récurrente.
Vous vous en doutez, il en va de même au niveau des rebonds et, a fortiori, des contres. Pour les premiers, on ne décompte que 57 rookies avec 10 rebonds de moyenne. Ils ne sont cette fois-ci que 5 depuis l’avènement de l’an 2000 : Emeka Okafor (2005, 10,9 rebonds de moyenne), Dwight Howard (2005, 10), Blake Griffin (2011, 12,1), Karl-Anthony Towns (2016, 10,5) et Deandre Ayton (2019, 10,3). La statistique est en effet celle d’un autre temps : 75,4 % des performances du genre datent d’avant 1986. Il y a là une certaine logique : les pivots ont connu un premier long âge d’or jusqu’au milieu des années 1980 et le showtime des Lakers, puis un second, bien plus court, dans les années 1990.
Avant de passer aux contres, veuillez prendre acte que, pour l’heure, Victor Wembanyama est l’un des 24 rookies de tous les temps à réaliser une saison en 19 / 10.
Les contres, donc. En claquer 3 par match n’est pas donné au premier bonhomme venu (28 joueurs seulement, dans l’Histoire). Rudy Gobert, par exemple, n’y est jamais parvenu en carrière. Si l’on se concentre sur les rookies, le nombre de résultats est évidemment limité : 8 joueurs en tout, dont notre français. À ses côtés ? De futurs Hall-of-famer dans tous les azimuts : David Robinson (3,9 contres / match), Shaquille O’Neal (3,5), Alonzo Mourning (3,5) et Dikembe Mutombo (3). On y trouve aussi deux des meilleurs contreurs de tous les temps : Manute Bol (5, ce n’est pas une faute de frappe) et Mark Eaton (3,4). Reste enfin l’immense Shawn Bradley, qui a su se servir de ses 229 centimètres pour contrer 3 tirs par soir lors de sa première saison, en 1993-94. Rappelons que les contres ne sont comptabilisés depuis 1973. Certains rookies sont ainsi de facto évincés de notre article, comme Bill Russell, Wilt Chamberlain ou George Mikan.
Mêlons nos trois statistiques. Dans l’Histoire, seuls 3 autres joueurs ont terminé leur premier exercice avec, a minima, 19 points, 10 rebonds et 3 contres par match : David Robinson, Shaquille O’Neal et Alonzo Mourning. C’est peu de dire que Victor Wembanyama est bien entouré et que, de toute évidence, son plongeon en NBA est une franche réussite.
Deux éléments pourraient venir nuancer ce constat : le temps de jeu – encore lui – et la PACE, à savoir le rythme de jeu. Sans surprise, les autres joueurs disposaient d’un temps de jeu bien supérieur à celui de Wemby : 37,9 minutes pour O’Neal, 36,6 pour Robinson et 33,9 pour Mourning. Pour passer outre ces différences, comparons les statistiques de tous ces pivots s’ils disposaient du temps de jeu de l’actuel intérieur des Spurs, soit 28,5 minutes par soir :
- David Robinson : 18,9 points, 9,3 rebonds et 3 contres de moyenne ;
- Shaquille O’Neal : 17,7 points, 10,5 rebonds et 2,6 contres de moyenne ;
- Alonzo Mourning : 17,7 points, 8,7 rebonds et 2,6 contres de moyenne.
À temps de jeu égal, les statistiques de Wembanyama sont ainsi toutes supérieures à celles de ses trois concurrents. Néanmoins, le rythme de jeu de la saison 2023-24 est plus rapide que celui qu’ont connu les légendes précitées. Il convient donc d’en tenir compte. Ainsi, à PACE égale (100 pour tout le monde, calculs cette-fois réalisés par le site bballref), voici les résultats :
- Victor Wembanyama : 32,7 points, 16,7 rebonds, 5,1 contres de moyenne ;
- David Robinson : 32,4 points, 16 rebonds, 5,2 contres de moyenne ;
- Shaquille O’Neal : 30,7 points, 18,2 rebonds, 4,6 contres de moyenne ;
- Alonzo Mourning : 29,7 points, 14,6 rebonds, 4,9 contres de moyenne.
Voilà où court actuellement Wembanyama : dans les traces de certains des plus grands pivots de tous les temps et dans celles des plus belles saisons réalisées par un rookie. Il fait d’ailleurs mieux ; sa ligne de stat complète (avec les passes décisives et les interceptions) ne se retrouve que très rarement depuis 1947.
Anormal parmi les légendes
Rappelons rapidement les chiffres, pour vous éviter de remonter le fil de l’article : 19,8 points, 10,1 rebonds, 3 passes décisives, 1,1 interception et 3,1 contres en 28,5 minutes. Il n’y a que 15 autres saisons qui ont été conclues avec de tels chiffres. Attention, on ne parle pas de 15 autres joueurs qui, dans l’Histoire sont parvenus à faire une saison “Wembyesque“. En effet, pour ces 15 saisons, on ne compte que 5 noms différents. Et quels noms ! Il s’agit de Kareem Abdul-Jabbar (7x), Hakeem Olajuwon (3x), David Robinson (3x), Patrick Ewing (1x) et Bob Lanier (1x).
Déjà, ces 5 joueurs sont Hall-of-famer. Ensuite, les trois premiers ont été élus MVP d’une saison régulière. Abdul-Jabbar est cité dans la course au meilleur joueur de tous les temps, tandis qu’Olajuwon et Ewing figurent très certainement parmi les 10 meilleurs pivots de tous les temps. Lanier, pendant près de 10 ans, était tout bonnement au niveau de tous ces monstres, sans résultats collectifs néanmoins.
Encore une fois, l’actuel numéro 1 des Spurs est bien entouré. Sauf qu’à nouveau, il convient de tenir compte des deux variables d’ajustement dont nous parlions. Car il est deux choses qui choquent : tout d’abord, là où Wemby ne joue que 28,5 minutes par soir, les autres disposaient d’un temps de présence sur le terrain bien plus important. Au petit jeu du temps de jeu le plus faible, le second du classement est Kareem Abdul Jabbar version 1977-78, avec… 36,5 minutes par soir ! De toute évidence, le français est un homme pressé (comme dirait Bertrand Cantat).
Ensuite, là où notre français n’est que rookie, les autres étaient clairement déjà dans les plus belles années de leur carrière.
Pour éviter d’interminables comparaisons, pour les joueurs qui ont réalisé plusieurs saisons du genre, l’auteur n’a retenu que la plus impressionnantes statistiquement. Ainsi, à temps de jeu égal, voici les résultats :
- Kareem Abdul-Jabbar (1975-76) : 19,2 points, 11,7 rebonds, 3,5 passes décisives, 1 interception et 2,4 contres de moyenne ;
- Hakeem Olajuwon (1992-93) : 19 points, 9,4 rebonds, 2,5 passes décisives, 1,3 interception et 3 contres de moyenne ;
- David Robinson (1993-94) : 21 points, 7,6 rebonds, 3,4 passes décisives, 1,2 interception et 2,3 contres de moyenne ;
- Patrick Ewing (1990-91) : 19,8 points, 8,4 rebonds, 2,2 passes décisives, 0,7 interception et 2,4 contres de moyenne ;
- Bob Lanier (1973-74) : 17,1 points, 10,1 rebonds, 3,2 passes décisives, 1 interception et 2,3 contres de moyenne.
Si Robinson et Ewing sont un peu plus scoreur, Abdul-Jabbar plus rebondeur et légèrement plus altruiste, Wembanyama domine au contre, en compagnie d’Olajuwon. Excusez du peu. Si vous souhaitez crier sur les toits que, parmi les 6 saisons présentées, celle de Wemby est la plus impressionnante… vous aurez des arguments.
Quid du rythme de jeu, désormais ? Il peut y avoir des surprises, dans la mesure où la PACE des années 1970 était très élevée et celle des années 1990 particulièrement lente :
- Victor Wembanyama : 32,7 points, 16,7 rebonds, 4,8 passes décisives, 1,8 interception et 5,1 contres de moyenne ;
- Kareem Abdul-Jabbar (1975-76) : 29,9 points, 18,2 rebonds, 5,4 passes décisives, 1,6 interception et 4,4 contres de moyenne ;
- Hakeem Olajuwon (1992-93) : 33,6 points, 16,7 rebonds, 4,6 passes décisives, 2,4 interception et 5,4 contres de moyenne ;
- David Robinson (1993-94) : 39,2 points, 14,1 rebonds, 6,3 passes décisives, 2,3 interception et 4,4 contres de moyenne ;
- Patrick Ewing (1990-91) : 35,1 points, 14,7 rebonds, 4 passes décisives, 1,3 interception et 4,2 contres de moyenne ;
- Bob Lanier (1973-74) : 26,9 points, 15,9 rebonds, 5,1 passes décisives, 1,6 interception et 3,7 contres de moyenne.
Ici, peut-être que la saison 1993-94 de Robinson est intouchable. Il n’en demeure pas moins que l’exercice rookie de notre Victor Wembanyama national est loin de faire tâche, alors que tous les autres joueurs étaient bien installés dans leur prime. Voilà pour les fameux grognons dont nous faisions état : globalement, le n° 1 de la dernière draft réalise une saison à la hauteur de celles de certaines des plus grandes stars que la NBA ait connu. Les pourcentages au tir et les victoires en moins. Les années aussi, de toute évidence. Vite, la suite !