Entre les 29 novembre 2019 et 2 avril 2021 @BenjaminForant et @Schoepfer68, accompagnés ponctuellement par d’autres membres de la rédaction, ont dressé le portrait de certains des acteurs méconnus ou sous-estimés de la NBA. Au total, ce sont 63 articles qui vous ont été proposés : un par année, entre les saisons 1950 – 1951 et 2009 – 2010, avec quelques bonus par-ci, par-là.
Pour cette saison 2, Le Magnéto change de format. Si l’idée est toujours de narrer la carrière des joueurs dont on parle finalement trop peu, il ne s’agira plus de traverser de part en part la si vaste histoire de la Grande Ligue. Désormais, chaque portrait sera l’occasion de braquer les projecteurs sur une franchise en particulier, avec l’ambition d’évoquer l’ensemble des équipes ayant un jour évolué en NBA, mais également en ABA.
Replongez avec nous dans ce grand voyage que constitue Le Magnéto. Notre 83ème épisode nous emmène à Salt Lake City, ville dans laquelle un défenseur hors pair s’est illustré pendant quelques 10 années, du haut de ses 224 centimètres : Mark Eaton.
Il était une fois dans l’Ouest
New Orleans, 1974
L’histoire que l’on doit narrer aujourd’hui débute à quelques 2 800 kilomètres de Salt Lake City, ville qui, depuis 1979, abrite la franchise du Jazz d’Utah. En effet, l’actuelle franchise de… Lauri Markkanen (?) n’a pas vu le jour chez les Mormons, mais bel et bien en Louisiane, du côté de la Nouvelle-Orleans. C’est au début de l’année 1974 que les dirigeants de la nouvelle institution ont reçu le tampon d’admission au sein de la Grande Ligue. S’en est suivi un conciliabule – apparemment court – pour choisir le nom de l’équipe. Dans la mesure où la Nouvelle-Orleans est l’un des berceaux de la culture musicale du pays et que le Jazz y est presque perçu comme une religion, la franchise est nommée “New Orleans Jazz”. Simple. Basique.
Inscrite à la rentrée 1974, l’équipe se devait encore de bâtir un roster et un staff. Pour ce qui est du second, Scotty Robertson est nommé en tant que coach, épaulé par Elgin Baylor, qui n’était à la retraite que depuis quelques mois. Pour ce qui est du premier, la franchise a dû passer par l’incontournable draft d’expansion, au cours de laquelle elle a pu se constituer son premier effectif, qui, il faut bien l’écrire, n’était initialement bâti pour rien d’autre que la draft 1975. On retrouve pourtant quelques vétérans, comme Walt Bellamy (qui disputera… 1 match pour le compte du Jazz), Mel Counts ou Jim Barnett.
Cependant, le front-office rêve plus grand et, le 20 mai 1974, procède au premier grand trade de l’histoire de la franchise : Bob Kauffman et Dean Meminger sont envoyés à Atlanta, accompagnés du premier choix des drafts 1974 (devenu Mike Sojourner) et 1975 (devenu David Thompson), et des second choix 1975 (devenu Bill Wiloughby) et 1976 (devenu Alex English), pour rapatrier à la maison un presque enfant du pays, Pete Maravich. S’il est né à Aliquippa, en Pennsylvanie, celui qui est déjà surnommé Pistol Pete a suivi son cursus universitaire à LSU, l’université de Louisiane.
C’est ainsi avec un 5 majeur composé de Louie Nelson, Pete Maravich, Bud Stallworth, E.C. Coleman et Mel Counts que le Jazz découvre la NBA, pour un exercice pas folichon, sans pour autant être totalement horrible (23 / 59), malgré des débuts… catastrophiques ? En effet, après 15 rencontres, Scotty Robertson est déjà remercié par la direction. Peut-être parce qu’il avait d’ores et déjà concédé 14 défaites, qui sait.
Les années suivantes, sans parvenir à décrocher le précieux sésame que constitue l’accession en playoffs, l’équipe de la Nouvelle-Orleans parvient à être globalement compétitive, terminant à chaque fois proche des 40 victoires régulières jusqu’en 1978. La saison 1978-79 vire toutefois au drame sportif, alors que l’effectif, composé de Pete Maravich, Spencer Haywood et Truck Robinson était plus que prometteur sur le papier. C’était sans compter le fait qu’en cumulé, les trois joueurs disputent 126 matchs au cours de la saison (49 pour l’arrière, 34 pour le pivot, 43 pour l’ailier fort).
Avec 22 petites victoires, l’équipe déçoit évidemment. Les résultats impactent l’affluence de la salle et, par voie de conséquence, les finances de la franchise, qui étaient déjà grevées par les taxes inhérentes à l’État de la Louisiane, manifestement particulièrement élevées.
Ni d’une, ni de deux, les têtes pensantes ont acté la décision de déménager, direction Salt Lake City. La ville, peu de temps avant, possédait en effet une équipe de basketball, le Utah Star, qui évoluait en ABA. Si le marché est petit à SLC, la ferveur des supporters est immense. C’est ainsi qu’au début de la saison 1979-80, le Jazz évolue dans l’Utah, qu’il n’a plus quitté depuis. Pour autant, les résultats ne s’améliorent pas, loin s’en faut. 24 victoires en 1980, 28 en 1981, 25 en 1982. Si la franchise était une fusée, elle n’aurait pas risqué l’accident en vol, puisque pour voler, encore faut-il parvenir à décoller.
Arrive la draft 1982, qui nous intéresse aujourd’hui. Dominique Wilkins est appelé rapidement, en 3ème position, et enfile une casquette… du Jazz ! Et oui, si nous avons une tendance certaine à l’oublier, l’enfant de Paris a été drafté par Utah, qui l’a transféré au début du mois de septembre 1982 du côté d’Atlanta, contre John Drew et Freeman Williams. En voilà un bien mauvais coup. L’ailier, effectivement, débute sa carrière NBA par une saison rookie conclue avec 17,5 points, 6 rebonds et 1 000 promesses.
Le Jazz sélectionne ensuite Steve Trumbo en #49, qui n’a jamais évolué en NBA, puis Jerry Eaves en #55. Et alors que plus personne ne s’intéressait aux joueurs appelés, un immense baobab à rouflaquettes, répondant au nom de Mark Eaton, est appelé en 72ème position. Un inconnu ? Presque, mais plus pour longtemps.
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Pendant ce temps-là, en Californie
Lorsqu’un homme de 2m06 décide de faire un enfant avec une femme d’1m83, il est peu probable que leur garçon finisse jockey. Et pour cause, il risquerait d’être plus lourd que le cheval. Spoiler, l’enfant en question, Mark Eaton, n’a pas terminé jockey. Peut-être – mais ce n’est qu’une hypothèse – parce qu’il mesurait déjà 2m11 lors de sa dernière année au lycée. Taillé comme un câble de frein (79 kilos) et naturellement peu à l’aise dans un corps trop grand pour un enfant de son âge, Mark se trouve une passion pour le water-polo, après un essai infructueux au basket-ball, comme il le raconte lui-même :
“Les entraîneurs ne savaient pas comment m’apprendre à jouer comme un grand, et moi je ne savais pas comment jouer grand“.
Diplômé en 1975, il étudie l’automobile et la mécanique. Étrangement, c’est dans ce milieu qu’il va se créer sa carrière de basketteur professionnel. Dans un salon de l’automobile, il est abordé par un certain Tom Lubin, professeur de chimie et coach de basketball à ses heures perdues. Lubin est déjà celui qui a découvert Swen Nater, un brave bébé de 2m11 et 110 kilos, qui a réalisé une carrière très honorable en ABA et en NBA.
Le jeune homme s’inscrit alors au Cypress College… et se fait drafter l’année suivante par les Suns de Phoenix, en 107ème position. Nous sommes là en 1979. Il rejette l’appel du monde professionnel, pour poursuivre sa carrière universitaire. Il monte d’ailleurs en puissance, au point, en 1980, d’être transféré à UCLA, la grande faculté de Los Angeles. Le jeu prôné par le légendaire Larry Brown – rapide – ne lui convenait pourtant pas. Eaton ne joue quasiment pas, au point de ne plus être autorisé à voyager avec l’équipe en 1982.
Frustré, le jeune homme reçoit les conseils d’un certain Wilt Chamberlain, qui lui intime de se concentrer sur la facette défensive du basketball. Protéger le panier, contrer et prendre des rebonds. Alors Eaton a travaillé ses points forts, au lieu de tenter de développer ses points encore faibles. C’est ainsi qu’il s’est fait drafté une seconde fois, par le Jazz d’Utah, en 72ème position de la cuvée 1982. Et si, avec son rookie majeur de l’année – Dominique Wilkins, vous vous souvenez ? -, les dirigeants n’ont clairement pas eu le nez creux, il en va autrement avec celui dont on n’attendait rien.
Coup de foudre à Utah
On l’appelle l’OVNI
Mark Eaton a déjà plus de 25 ans lorsqu’il pose son premier orteil sur les parquets de la NBA. C’est peu dire que son parcours de vie n’est pas celui du basketteur classique. Le mécanicien est devenu professionnel et a fait comprendre à tout le monde pourquoi il le méritait amplement dès son second match. Le 30 octobre 1982, Utah se déplace dans la toute jeune franchise de Dallas et repart avec la victoire (+ 5), notamment grâce aux 36 points, 8 rebonds et 9 passes décisives d’Adrian Dantley. Remplaçant, Eaton se voit accorder 24 minutes de jeu, pour 6 points, 6 rebonds et, déjà… 7 contres. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il est “fréquent” qu’un joueur qui évolue 24 minutes ou moins claque a minima 7 contres dans la rencontre : 109 occurrences dans l’histoire. Toutefois, ce match pose les bases de ce que sera l’ensemble de la carrière de Mark Eaton.
Il faut dire que le bonhomme, drapé dans son numéro 53, a le physique de celui qui déménage tout seul le piano à queue : 2m24 et 125 kilos. Il faut admettre que le fait de titiller les 3 mètres en levant les bras, cela peut être pratique pour détourner quelques tirs adverses. C’est un métier, contreur. Et Eaton en est un esthète. Ne lui demandez pas, par contre, de mettre la balle dans le panier adverse. Pour l’heure, il n’y parvient pas. Après 20 rencontres, il totalise la bagatelle de 58 points inscrits. Par contre, il avait déjà contré 40 tirs. Et il s’avère qu’il était alors en petite forme dans l’exercice.
L’albatros déploie ses ailes pour la première fois dans une immense branlée infligée par les Lakers de Magic et Abdul-Jabbar, juste avant Noël (- 24). Exclu pour 6 fautes, Eaton a marqué 6 points (33 % au tir), attrapé 8 rebonds, distribué 4 passes décisives et claqué 9 contres en 29 minutes. Et vous savez quoi ? C’est l’une des 5 performances du genre de toute l’histoire de la NBA. Mais s’il faut parler de performance historique, que dire de celle du 5 février 1983 (défaite – 7 à Denver), où Eaton marque 12 points (record en carrière, à ce moment), gobe 14 rebonds, envoie 6 passes aux copains et dévie 12 tirs adverses ? 12 / 14 / 6 / 12. Un triple-double de brute épaisse, qui ne trouve que deux équivalents depuis que les contres sont comptabilisés par la NBA.
Une dernière pour la route ? Dans une énième défaite, cette fois-ci concédée face à Portland (- 4), le plus beau roux de la NBA d’alors – ex aequo avec Bill Walton – termine sa rencontre en 16 / 9 / 2 / 1 / 13. Oui oui, 13 contres. Savez-vous depuis quand on n’a plus vu un joueur réaliser 13 contres sur une même rencontre ? 24 ans et Shawn Bradley, le 7 avril 1998. La France de Zizou n’était pas encore championne du monde. Jayson Tatum avait 1 mois et 4 jours. Voilà voilà.
Malgré une tour défensive extraordinaire, Utah termine sa saison avec 30 victoires et le 7ème choix de la draft, transformé en Thurl Bailey. Avec un effectif inchangé, mais un Eaton désormais titulaire indiscutable sous les cercles, le Jazz va redorer son blason. Le pivot n’est toujours pas scoreur. Par contre, il attrape plus de rebonds (7,3) et contre toujours plus. Oui, c’était encore possible. C’est vite vu : sur les 82 rencontres qu’il dispute au cours de cette saison, il n’a contré aucun ballon à deux reprises. Par contre, il a détourné au moins 5 ballons à 32 reprises. Si la dissuasion devait avoir un visage, il serait longiligne et doté de magnifiques rouflaquettes.
Offensivement, ce n’est toujours pas la panacée. Ce ne le sera jamais, puisque le pivot a quitté la NBA avec un record fixé à 20 unités (3x, dont une fois en playoffs). Cependant, entre Adrian Dantley, Darrell Griffith, John Drew et Rickey Green (81,5 points de moyenne par match en 1983-84), le scoring était assuré à Salt-Lake City.
Autant vous dire que lors de la causerie d’avant match, coach Frank Layden ne demandait pas à Mark Eaton de faire tout son possible pour marquer des points. Par contre, nul doute qu’il devait l’exhorter à effrayer les attaquants adverses. Du coup, le pivot termine sa saison en tête du defensive box plus / minus et en 11ème position au defensive rating.
Certes titulaire, Eaton possède encore un temps de jeu limité à 26 minutes. Présenter sa ligne statistique brute ne ferait donc pas grand sens. Vous nous direz, la présenter sur 36 minutes n’est pas forcément des plus pertinents non plus. Pour autant, voici à quoi cela ressemblait : 7,8 points, 10 rebonds, 2 passes décisives, 0,4 interception, 5,9 contres. Malgré sa relative faible présence sur le parquet, l’enfant de Westminster va terminer l’exercice en tant que meilleur contreur de la Ligue pour la première fois de sa carrière. Sa moyenne (4,3 en 26 minutes) est la seconde la plus importante de tous les temps à cette époque, derrière les 4,9 contres par soir d’Elmore Smith en 1974.
Dans son sillage, Utah défend très correctement. Les adversaires du Jazz scorent en effet 113,8 points / match, ce qui constitue le 20ème total d’une Ligue qui ne comportait alors que 23 franchises. Mieux, l’équipe se met enfin à gagner, pour espérer disputer la première campagne de playoffs de son histoire. Alors que la conférence ouest est dominée par les Lakers (et l’est par Boston, une constante au cours de la décennie), les mormons vont s’imposer à 45 reprises pour terminer 3ème de la west coast !
Le premier tour est disputé face aux Nuggets (38 victoires, 44 défaites) d’Alex English. Pour son grand bain dans les matchs éliminatoires, Eaton passe 22 minutes sur les parquets et colle 6 crêpes aux attaquants adverses (victoire +2). Il se fera plus discret sur le reste de la série, mais Utah va s’imposer au finish, aux termes d’un match 5 décisif et à sens unique. Voici la franchise en demi-finale de conférence, face aux Suns de Phoenix, 6ème de la saison régulière avec un bilan à l’équilibre. Le roster Arizonien ne possède certes pas de superstar, mais est composé de nombreux très grands joueurs : Walter Davis, Larry Nance, Maurice Lucas, Alvan Adams, Paul Westphal… D’ailleurs, si Adrian Dantley marque la série de son empreinte (33 points / match), c’est bien Phoenix qui va rallier les finales de conférence, sans trembler (4 – 2).
Une demi-finale de conférence, donc. Une bien belle performance pour la franchise, novice en playoffs. Toutefois, nous croiriez-vous si l’on vous disait que ce n’était pas la plus belle chose qui est arrivée à l’institution en cet été 1984 ? En effet, lors de la draft annuel, Utah possède le 16ème choix. Le timing est mauvais, alors que le haut de la cuvée est composé d'(H)Akeem Olajuwon (#1), Michael Jordan (#3) ou Charles Barkley (#5). Pour autant, le front-office ne va pas se tromper. Oh non, il ne va pas se méprendre. Car avec son choix du milieu du premier tour, il va sélectionner un petit bonhomme au physique de doctorant en droit, répondant au nom de John Stockton. Voici venu le temps des plus belles heures de la franchise.
Le meneur n’est que remplaçant en 1984-85, contrairement à Eaton qui, lui, va entamer les 82 rencontres de la saison régulière. En trois saisons, le golgoth n’a manqué qu’une seule rencontre. Mieux encore, il passe désormais quelques 34 minutes par soir sur le terrain. Pas radin pour un sou, il va faire fructifier ces minutes supplémentaires en statistiques. Vous trouviez certaines feuilles de match impressionnantes ? Préparez-vous.
Jusqu’alors, on pouvait s’étonner d’un fait : malgré sa taille – immense – Eaton n’était pas un excellent rebondeur. Il va alors se charger de remettre les pendules à l’heure, sans pour autant devenir un boulimique de l’exercice, comme pouvait l’être Moses Malone par exemple. Troisième match de saison régulière ? Une victoire contre les Knicks (+6), et 13 points, 19 rebonds et 7 contres. 7 contres, sans dire que cela va constituer sa moyenne sur l’année – car ce serait un chouille exagéré – cela va devenir son pain quotidien. Sans vous abrutir de chiffres, illustrons cela avec ses deux plus belles performances de la saison régulière, réalisées à cheval entre janvier et février 1985.
Le 18 janvier, Utah reçoit Portland et s’impose (127 – 122). Adrian Dantley claque 42 points. Mark Eaton, lui, en inscrit 12, à 1 / 12 au tir (soit 8 % de réussite !) et 10 / 12 aux lancers-francs (83,3 %). S’il était maladroit dans le jeu dans l’autre moitié du terrain, il a régné en maître incontesté dans la sienne : 20 rebonds, dont 17 défensifs et 14 contres. 12 / 20 / 14. Seul Shaquille O’Neal a réaliser une telle performance un soir de 1993 (24 / 28 / 15). 14 contres, c’est d’ailleurs son record. Cela le restera d’ailleurs à jamais.
Le 1er février, le Jazz se déplace à Dallas et repart à nouveau avec la victoire (+ 12). Eaton score à nouveau 12 points (4 / 8 au tir), gobe à nouveau 20 rebonds et, en petite forme, ne contre que 10 balles. Il n’en demeure pas moins que des matchs en 12 / 20 /10, il n’en existe que 12 dans l’Histoire. Et Eaton en a réalisé deux en l’espace de 15 petits jours. Souvenez-vous que quatre années auparavant, il était mécanicien.
Utah termine sa saison régulière avec 41 victoires et une qualification en playoffs. Son numéro 53, lui, réalise ce qui peut, a posteriori, être considéré comme sa meilleure saison en carrière : 82 matchs disputés, 9,7 points, 11,3 rebonds, 1,5 passe décisive, 5,6 contres. 5,6 contres de moyenne. Un record qui, soyons-en certains, ne sera jamais battu. L’an passé, Jaren Jackson Jr a remporté le titre honorifique de meilleur contreur de la Ligue avec 2,7 blocks par soir. Mark Eaton, en spécialiste qu’il était, affichait plus du double en 1985. Tout ceci fait qu’il a surclassé la concurrence de la tête et des épaules pour, à 28 ans, être nommé Defensive player of the year pour la première fois de sa carrière. Ajoutez à cela, s’il-vous-plaît, une sélection dans la meilleure équipe défensive de la saison et le fait que Utah affiche la meilleure défense de la Ligue.
En postseason, le Jazz va se défaire des Rockets d’Olajuwon et Sampson au premier tour (3 – 2) avant de céder en demi-finale face aux Nuggets (4 – 1).
Mark Eaton n’avait pas de véritable équivalent dans la Ligue, si ce n’est peut-être le tellement atypique Manute Bol. Avec sa gueule, son parcours et son style de jeu, il est unique – ou presque. Pour l’heure, cela s’est surtout traduit par des accomplissements individuels. Avec l’arrivée de Karl Malone dans l’effectif, les résultats collectifs allaient suivre, c’est acté. Encore fallait-il se montrer patient.
“Stagnation” et “regrets” ?
L’on sait qu’avec son tandem Stockton-Malone, le Jazz s’est imposé comme une place forte de la NBA au courant des années 1990. Au cours de la seconde moitié, pour être plus exact. Entre 1986 et 1991, la franchise montre certes les crocs en saison régulière, avant de se les faire limer en playoffs. Elle n’y dépasse en effet jamais les demi-finales de conférence.
Pourtant, en 1986, le roster est (très) prometteur. John Stockton commence à se faire une place de titulaire et balance 7 passes décisives aux copains tous les soirs. À ses côtés ? Adrian Dantley et Karl Malone à l’aile, Mark Eaton sous les arceaux et le plus anonyme Bob Hanser en tant qu’arrière. Tout ça pour 42 victoires et une élimination au premier tour des playoffs, pourrait-on dire.
Si la performance collective globale est tristoune, il est un membre du 5 majeur qui continue de faire ce qu’il fait de mieux. Eaton score un tout petit peu, attrape quelques rebonds et quitte la salle avec des brouettes pleines de contres. 369 en 80 matchs, pour être très exact, soit la bagatelle de 4,6 par rencontres. Cette année-ci, il a toutefois perdu son statut de meilleur contreur de la Ligue, dépassé en cela par l’immense Manute Bol. La différence entre les deux aliens et la concurrence est toutefois immense : le sud-soudanais a claqué 397 crêpes (5 par match), pour 369 pour Eaton. Le troisième ? Un certain Hakeem Olajuwon, qui culmine à 231 contres sur l’ensemble de la saison. Un monde d’écart, si l’on ose dire.
Individuellement comme collectivement, les saisons vont se suivre et se ressembler. Notre pivot poursuit son chantier de dissuasion et permet à Utah d’être la meilleure défense du pays en 1987, 1988 et 1989. Néanmoins – et cela peut sembler hallucinant avec Stockton à la baguette et Malone à la finition, c’est bien l’attaque des Mormons qui pose problème. À tel point qu’au cours de cette période de trois années, le Jazz va s’incliner à deux reprises au premier tour des playoffs face aux Warriors, dont un sweep en 1989 alors que les hommes de Jerry Sloan sont arrivés en postseason avec quelques 51 victoires dans la besace.
Au cours de cette saison régulière, Eaton a d’ailleurs réalisé sa dernière performance XXL dans l’art qu’il maitrisait le mieux : dans une victoire face à de terribles Spurs, il plante 8 points, attrape 9 rebonds (dont 5 offensifs), réalise 1 passe décisives et 2 interceptions et dévie surtout 14 tirs adverses. Ses performances individuelles globales, son importance dans la défense élite des siens et les résultats collectifs lui permettent d’être invité pour l’unique fois de sa carrière au All-star game et de gratter une toute dernière sélection dans la meilleure équipe défensive de la Ligue. Fort logiquement, il en est également nommé meilleur défenseur, d’un tout petit cheveux devant Olajuwon (26 points contre 25).
La sèche élimination au premier tour des playoffs signe la fin de son prime. Il faut dire que s’il a seulement terminé sa 8ème saison professionnelle, Eaton arrive rapidement sur ses 33 ans. Or, dans la mesure où il n’a manqué que 7 rencontres depuis sa draft, le kilométrage est important pour une si grande carcasse. Il ne va toutefois pas immédiatement quitter le basketball professionnel – loin s’en faut. Il continuera même d’être titulaire encore un long moment. Toutefois, son temps de jeu s’amenuise quelque peu et son impact sur la muraille du Jazz se ressent moins. Fichue vieillesse.
Adieux discrets
Mark Eaton va bourlinguer sur les parquets jusqu’à 36 ans et la fin de saison 1992-93. Il est ainsi de la belle campagne de playoffs de 1992, où il rallie les finales de conférence pour la première fois, après être venu à bout des Clippers (3-2) et des Supersonics (4-1). Il se fait cependant moins bondissant, à telle point que sa moyenne de contres par rencontre ressemble… à celle de Rudy Gobert en 2023. C’est vous dire la dégringolade. C’est vous dire s’il était encore fort.
Il perd progressivement sa place de titulaire en 1993, après avoir subi la première – et seule – blessure de sa carrière. Utah ne parviendra pas à dépasser le premier tour des joutes printanières et Eaton prendra sa retraite après une dernière défaite dans le match 5 (élimination 3-2), dans un match où il ne s’est évidemment pas réinventé : 4 points, 6 rebonds, 3 contres.
S’il fallait se faire l’avocat du diable, l’on pourrait dire qu’Eaton n’a pas connu les plus belles heures de sa franchise, qui s’apprêtaient à s’ouvrir. Ce peut être un regret, car le Jazz n’allait pas tarder à disputer deux finales NBA face aux Bulls de Michael Jordan. La timeline n’était toutefois pas bonne et l’ancien mécanicien n’aurait clairement pas pu prétendre à évoluer au plus haut niveau jusqu’en 1998, puisqu’il aurait alors été âgé de 41 ans.
Il quitte la Ligue auréolé de deux trophées de DPOY. Il est l’un des 10 joueurs de l’Histoire à avoir remporté le trophée a minima à deux reprises. Notons également une sélection au All-star game et 5 présences dans les meilleures équipes défensives de l’année (3x dans la première, 2x dans la seconde). En l’espace de 11 saisons, il aura manqué 26 rencontres, ce qui témoigne de sa résistance hors norme pour un athlète de sa stature. Il n’est pas évident de rester en santé quand on fait 2m24 et qu’on trimballe 124 kilos. Kristaps Porzingis peut vous en dire quelque chose.
La place au box-office du Jazz
Quelques trente ans après sa retraite, Eaton demeure aujourd’hui encore le 4ème contreur le plus prolifique de tous les temps, derrière Abdul-Jabbar, Mutombo et Olajuwon. Il est d’ailleurs certain de conserver sa place encore de longues années, puisque le joueur en activité le plus proche de lui se nomme Brook Lopez, qui a réalisé 1 785 contres en carrière. Eaton, lui, en a claqué 3 064. Surtout, malgré une fin de carrière plus tranquille dans l’exercice, il est celui qui présente la meilleure moyenne de l’Histoire dans cet exercice si spécifique : 3,5 par match. Seuls Manute Bol (3,34) et Hakeem Olajuwon (3,09) dépassent la barre symbolique des 3 contres par match, à laquelle David Robinson s’est fracassé les dents (2,99 !).
En somme, Mark Eaton mettait les mains et le corps devant tout et tout le monde. Il les mettait là où certains ne mettraient pas leur Dacia Sandero. C’est ce qui fait de lui le contreur devant l’Éternel, ce que sa saison 1984-85 entérine à tout jamais. Rendez-vous compte : 5,6 contres de moyenne sur 82 rencontres !
Tout cela fait que l’immense bonhomme possède une place à part dans l’Histoire du Jazz d’Utah :
Il est toutefois difficile à classer, dans ladite Histoire. S’il se situe évidemment derrière John Stockton et Karl Malone, c’est par rapport aux autres superstars que l’équipe a connues qu’il convient de le comparer. Individuellement, il était évidemment moins fort qu’un Dantley, Maravich ou Mitchell. À notre sens, il doit toutefois être classé en 5ème position, derrière Stockton, Malone, Dantley et Maravich. Le reste (Gobert, Mitchell, Hornacek, Drew, Jeff Malone, Kirilenko, Okur, Goodrich…) fait donc ainsi la queue derrière le grand bonhomme à rouflaquette. Le reste non plus, ne parvient pas à voir le panier.