Dans beaucoup d’articles, qui souvent mentionnent Hakeem Olajuwon, on peut lire “Post play is dead; long live 3s” (traduction: Le jeu au poste est mort ; vive les 3 points). On connait la chanson maintenant, depuis des années, les vieux de la vieille nous répètent que le jeu au poste a disparu au profit du trois points. Ils nous rabâchent que le small-ball et le spacing ont tué le poste bas. Et bien, ils se trompent.
Retour vers le futur
Oui, le jeu au poste n’est plus l’arme ultime d’une attaque NBA, les changements de règles et la révolution liée au spacing est passée par là. Mais pourtant, nous voilà en 2023, bien enfoncé dans l’ère du 3 points, avec des possessions où le jeu au poste semble être de retour, alors qu’on nous a répété à tort et à travers que le jeu au poste n’était pas efficace. Et si je vous disais que les équipes les plus efficaces au jeu au poste sont maintenant plus efficaces sur ce genre d’action que sur les Pick-&-Roll pour le porteur de balle ?
Sur le graphique ci-dessous, on met en compétition l’équipe la plus efficace au jeu au poste (Post-up PPP) face à l’équipe la plus efficace sur les actions de Pick-&-Roll pour le porteur de balle finit l’action (Pick & Roll Ball Handler PPP). Grâce au spacing, ces deux types d’actions gagnent en efficacité. Mais le post-up est devenu bien plus efficace que le Pick-&-Roll.
Sur les équipes les plus efficaces ces dernières années au jeu au poste, on retrouve les 76ers et les Nuggets. On pourrait donc supposer que c’est là le fait de joueurs hors du commun. Mais l’année dernière on retrouve aussi les Bulls et les Mavs parmi les équipes les plus efficaces au poste bas. Cette saison, on retrouve OKC, et un autre cas intéressant, les Celtics.
Pourquoi ce virage du côté des Celtics ?
On pourrait répondre que la raison est une licorne lettonne de 218 centimètres. Mais ça va plus loin que ça. Oui, clairement Kristaps Porzingis change la donne. C’est un des joueurs les plus efficaces de la ligue depuis une saison et demi sur le jeu au poste bas. C’est donc tout à fait normal que la fréquence du jeu au poste de Boston ait augmenté. Or, ce n’est pas la seule raison.
La fréquence au poste bas de Boston a plus que doublé, parce que Jayson Tatum et Jrue Holiday sont aussi souvent utilisés au poste bas. Tatum a d’ailleurs montré de belles promesses à la finition sur post-up cette saison, avec une des meilleures efficacités. Quant à Jrue, il est utilisé au poste bas, mais pour de la création, et c’est tout l’enjeu de cet article.
En effet, les stats du post-up sur NBA.com parlent des possessions qui finissent par des actions au poste bas. Mais ce qui nous intéresse ici, c’est la création via le post-up, et le potentiel derrière ça. Pour en finir avec Boston et ouvrir sur le reste de la ligue, je vous invite à regarder cette vidéo ou Boston utilise Porzingis au poste bas, non pas à la finition mais à la création.
Transformer un outil de finition en levier de création
Comme souvent évoqué, les attaques via poste bas ont forcé les défenses à s’adapter. Pour défendre des colosses comme Shaq ou Hakeem, vous deviez avoir dans votre effectif des profils pour les défendre. Sans la défense au poste bas, Kendrick Perkins n’aurait jamais eu de carrière, et il ne nous casserait pas les couilles quotidiennement sur ESPN.
Mais pourquoi ces profils étaient-ils aussi importants ? Car ils permettaient de ne pas avoir un deuxième défenseur qui vient en aide, et donc d’éviter de créer des décalages. Au basket, créer un décalage est le but ultime. Le but ultime est de créer des situations de 4 contre 3, de 3 contre 2, ou de 2 contre 1. Et de plus en plus, les équipes NBA tentent de créer des décalages grâce au poste bas. Mais comment ?
Et bien, j’ai pris pleine conscience de ça en juin dernier quand, pendant les finales, on analysait les matchs avec Guillaume du Basket-Lab sur Twitch. En effet, le Heat a utilisé Jimmy Butler au post-up pour générer des bonnes possessions offensives. Le but était en fait de créer un premier décalage avant l’action au poste bas. Miami cherchait à faire switcher Murray sur Butler, pour créer un mismatch. Une fois que le mismatch est créé, Miami envoie la balle à Butler et la magie peut opérer.
Le poste bas comme premier domino
En effet, une fois que Butler a le ballon au poste bas face à un défenseur incapable de le tenir en un contre un, la défense se retrouve face au dilemme suivant : venir aider et laisser un défendre les quatre joueurs sans ballon à trois, ou laisser le joueur se débrouiller seul face à Jimmy Butler. Mais défendre un joueur plus robuste au poste bas est encore plus compliqué que sur drive. La mobilité d’un défenseur plus frêle et plus rapide perd de sa valeur dans ce style de jeu arrêté où la puissance devient primordiale. Et les équipes NBA l’ont bien compris.
OKC par exemple utilise de plus en plus Shai Gilgeous-Alexander au poste bas en attaque. Pas parce qu’il a développé des moves à la Hakeem Olajuwon durant l’été (comme toutes les stars NBA en 2012) mais parce qu’il domine souvent physiquement ses matchups directes. Une fois installé au poste avec le ballon dans les mains, l’équipe est obligée de venir apporter de l’aide pour éviter de lui offrir un panier facile. Ce surnombre sur le porteur de balle crée un décalage, et le reste de l’équipe peut en profiter.
Ce que ça change sur la géométrie du terrain
Utiliser le poste bas pour initier l’attaque change beaucoup de choses pour la géométrie du terrain. Si on compare les deux possessions ci-dessous ou Jrue Holiday initie l’attaque, on peut voir que les défenseurs loin du ballon sont forcés d’agir de manière différente.
En effet, lors d’un Pick-&-Roll classique, les défenseurs loin du ballon ont le ballon et leur joueur dans leur champ de vision, c’est alors beaucoup plus facile à suivre. C’est aussi plus facile pour anticiper les écrans et voir le jeu venir. C’est parce que les défenseurs, ainsi que les attaquants, sont dans la zone entre le panier et leur ballon. Mais lorsqu’une équipe initie de l’attaque via du post-up, les défenseurs sont changés dans leurs habitudes.
Premièrement, le défenseur qui doit défendre le post-up doit faire face à un défi physique, et doit être prêt à contenir le joueur qui porte la balle. Au sujet des joueurs qui défendent loin du ballon, ils sont dans une position assez peu confortable eux aussi. En effet, au lieu d’être habituellement placés entre le panier et leur joueur, ils sont placés entre le ballon et leur joueur. Les écrans et les mouvements sont plus difficiles à anticiper car ils sont obligés de partager leur attention entre le ballon et leur matchup.
Ce ne sont pas des changements drastiques, mais ça force les défenseurs à changer leurs habitudes et leur façon de couvrir leur joueur, de switcher sur les écrans et de scanner l’attaque adverse.
Mais alors, qu’est-ce-que ça donne, au final, toutes ces attaques initiées par du poste bas ? Est-ce-que c’est vraiment plus intéressant que du Pick-&-Roll ? Est-ce qu’on peut vraiment compter sur ça pour créer des décalages ?
La zone d’ombre statistique
Et bien difficile à dire quand on regarde les statistiques proposées par la NBA. En effet, les catégories statistiques se concentrent surtout sur comment finissent les actions, plutôt que sur leur construction. Ce n’est pas un problème seulement lié au poste-bas, mais plus un problème qui englobe toute la NBA.
L’exemple du poste-bas en est assez parlant. On se concentre seulement sur les actions qui finissent par un tir au poste, alors qu’on a bien vu que le poste bas pouvait être utilisé pour initier l’attaque. Un autre exemple criant est la popularité des Shot Charts. Depuis des années, on les a vus se multiplier pour montrer l’évolution de la sélection de tir et la “mort du mi-distance”. Mais ces Shot Charts ne racontent pas toutes l’histoire de la possession, seulement son dénouement. C’est comme si vous regardiez Usual Suspect seulement lorsque l’identité de Keyser Sozë est révélée.
On pourrait alors demander à la NBA d’ajouter des statistiques sur les différents types d’initiations d’attaques… mais encore faudrait-il être capable d’identifier à quel moment une attaque est initiée.
Nos yeux comme meilleurs alliés
Lors d’un récent enregistrement, j’ai posé la question suivante à notre invité, Mike Prada: “Est-ce-que vous auriez des conseils à donner pour des jeunes analystes ?” et sa réponse était la suivante “Je pense que la première chose à dire est qu’il n’y a pas de meilleur outil que l’observation, ce que nous oublions un peu. Vos yeux remarquent les choses, vous pouvez les remarquer si vous savez les remarquer. C’est, je pense, le plus important, avant même de vouloir parler à quelqu’un d’une tendance ou de savoir quoi lui demander, il faut savoir ce que l’on voit et être capable de l’utiliser. Ne prenez donc pas vos yeux pour acquis. Ils sont votre meilleur outil.”
Alors, avec ce petit teasing, j’en profite pour vous rappeler qu’avant les statistiques, il y aura toujours le jeu. Et si les statistiques ne vous permettent pas de comprendre certains aspects du jeu, lancez un match et prenez le temps d’observer.