Enfin, c’est parti ! Je ne parle pas spécialement de la saison 2023/2024, mais d’une confrontation qui devrait déchainer les passions. Le très sérieux “BballBreakdown” en faisait même son sujet de rentrée en parlant de “Magic v Bird 2.0”, le duel Holmgren – Wembanyama a démarré.
La hype traine depuis au moins 2021, et la finale de la coupe du monde U19. Alors annoncés comme des futurs numéros 1 de draft, les deux intérieurs sont les leaders de leurs générations nationales respectives. Si l’Américain Chet Holmgren (21 ans) fait tantôt 2m13, tantôt 2m16, pas de doute sur son envergure incroyable mesurée à 2m29. Le Français Victor Wembanyama (19 ans) est encore plus démentiel : 2m24, 2m43 d’envergure. Les deux savent shooter, défendre, dribbler. Ils représentent une certaine idée de l’évolution du jeu.
Cette finale, Holmgren l’emporte sur le fil, 83-81 (10 points, 5 assists, 2 rebonds), mais beaucoup retiennent la domination de Victor (22 points, 8 rebonds, 8 contres). Le rendez-vous est pris, les prochain chapitres seront en NBA, et comme dans un mauvais western : “on verra qui est qui”.
Les deux jeunes hommes devront probablement assumer cette comparaison toute leur carrière. C’est une forme d’évidence qui les lie. Celle de profils tellement similaires qu’on ne peut s’empêcher de se demander qui est le meilleur. Mais, à l’aube de leur première course, celle pour le titre de rookie de l’année, nous voulions vous donner quelques clés de lecture pour un combat équitable. Essayons d’aller un peu plus loin que les scouting report.
Holmgren, MIP des deux dernières années
Quand on pense à Holmgren, ceux qui se rappellent de lui dans cette équipe U19, ou avec Gonzaga, sont probablement restés sur ce défenseur profitant de ses bras pour dissuader à peu près tout ce qui bouge. Ils avaient également vu quelques bribes d’un potentiel de shooteur (39% à trois points à Gonzaga, 71% aux lancers francs), mais ils décriraient alors une tige encore un peu frêle.
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Drafté à la deuxième position en 2022, il s’est blessé au pied droit dans une ligue d’été et a dû faire une croix sur sa première saison. Ce n’est donc pas vraiment un rookie traditionnel qui entame l’exercice 2023-2024, et ça se voit. Sa présaison réussie augurait du meilleur et ses premiers pas NBA le confirment.
Si on devait faire un rapide scouting report, voici ce qu’on pourrait en dire :
- D’abord, que sa défense est effectivement impactante. Ses longs segments lui permettent de venir contester efficacement les lay-ups des extérieurs adverses. Ses qualités athlétiques offrent la possibilité, par instant, de rattraper une tentative trop anticipée en sautant une deuxième fois ou de sortir sur les shooteurs pour les gêner. Contre les Cavs, par exemple, il a montré toute sa panoplie, terminant la rencontre à 7 contres. Ces qualités ne font pas oublier une certaine naïveté sur les feintes, qui lui coûte des fautes évitables.
- Offensivement, son shoot est, comme attendu, sa première arme. On l’avait vu à Gonzaga être efficace à trois points et les quelques mètres supplémentaires NBA ne l’impactent pas. Que ce soit en catch-and-shoot ou en trailer, Holmgren est un réel danger. Sur le drive, on le voit par séquence dribbler pour se rapprocher du cercle. Avec sa taille, il s’empêtre forcément dans quelques excès maladroits, mais son agression en un dribble suivi d’un eurostep “à la Giannis” est vraiment efficace. C’est à l’intérieur que le bât blesse un peu. Toujours aussi léger compte tenu de sa taille (environ 90 kilos), il a du mal à résister au contact et gagne rarement les batailles intérieures.
Même si les attentes étaient hautes, les premiers résultats arrivent à les surpasser. Nous n’en avons pas encore parlé, mais ce doux bilan est surplombé par la sensation qu’il ne force jamais de trop, et qu’il reste dans des gammes maitrisées.
Ce dernier élément n’a rien d’anodin, et il le doit en partie au contexte dans lequel il arrive.
En Play-In l’année dernière, OKC rentre déjà dans la 5e année de l’expérience Shai Gilgeous-Alexander. Et le Canadien donne l’impression de pouvoir emmener une équipe loin en playoffs. L’avenir dira si cette sensation se confirme mais elle suggère la nécessité de le conserver en lui proposant un projet ambitieux. Pour l’entourer, Sam Presti a cumulé les tours de drafts pendant plusieurs années et a construit un effectif complet qui doit passer à la vitesse supérieure. Ainsi, malgré ses maladresses, Giddey est un second prometteur et les Williams sont des lieutenants sérieux. On pourrait même penser que l’arrivée, cet été, de joueurs comme David Bertans (30 ans) et Vasilije Micic (29 ans) confirme l’envie d’ajouter de l’expérience plutôt que de la jeunesse.
Dans ce contexte, OKC avait plusieurs besoins. En premier lieu, il fallait un joueur qui peut conclure les séquences défensives. 13e meilleure défense de la ligue la saison dernière (defensive rating) alors qu’il possède des défenseurs d’élite (SGA, Williams, Dort) sur les lignes extérieures, le Thunder pêchait dans sa capacité à diminuer l’efficacité des adversaires lorsqu’ils arrivaient près du cercle (62,6% de réussite sur les tirs contestés dans la raquette, 12e en NBA). Holmgren est là pour amener cette arme si précieuse dans la construction d’un effectif.
Offensivement, le jeu d’OKC est déjà mature. Mark Daigneault a construit une attaque dans laquelle :
- l’isolation a une place importante pour valoriser SGA (10e équipe qui en jouait le plus en 2022-2023). Cette arme étant déjà à disposition, il n’y a pas de raison de forcer Chet à la développer.
- On profite des stops défensifs pour accélérer le jeu et jouer la transition (4e équipe qui jouait le plus de transition en 2022-2023). Il est attendu d’Holmgren qu’il augmente le volume de transitions jouables par sa défense intérieure. Également, de mettre à profit son shoot à trois points en transition, qu’il maitrise déjà.
- Le pick and roll est au centre de tout (8e équipe qui jouait le plus de pick and roll se terminant par un shoot du porteur de balle). Pour le rendre efficace, il faut des bons porteurs de balles, ce qu’OKC a, et des bons shooteurs de catch and shoot pour concrétiser les écarts, ce qu’Holmgren est. Il lui faudra tout de même progresser sur sa pose d’écran qui reste un peu tendre.
En dressant ce tableau, vous comprenez qu’il est demandé à l’intérieur de faire ce qu’il maitrise, puisque l’effectif est déjà avancé et qu’il faut désormais assurer les playoffs.
Wembanyama, vers l’infini, et au-delà
Côté Français, on ne parle pas d’un gars de Charenton, mais d’un OVNI. Autant, suite à ses premiers pas à l’ASVEL, on pouvait avoir tendance à vouloir poser des limites à son évolution, autant, désormais, bien maladroit serait celui qui s’y tente. Lorsqu’il évoluait dans le club de Tony Parker, Wemby s’est vite confronté à plus costaud que lui. En Euroleague, face à des intérieurs plus petits et plus véloces, il avait du mal à exister avec ce qu’il développait. Face à ces premières limites, certains, dont l’auteur de ces lignes, ont imaginé qu’il serait mieux de le rapprocher du cercle et de développer un rôle d’intérieur. A ma décharge, je ne voulais pas qu’il devienne un Shaquille O’Neal, ni même un Anthony Davis, mais que l’on puisse reproduire ce qui est sorti du laboratoire Giannis Antetokoumpo (ce que je pense toujours). Il était sans doute injuste de juger un gamin de 17/18 ans se frottant à un niveau nettement supérieur à celui de la NCAA, contre des adversaires qui ne sont pas de son âge.
Avec une grande intelligence, Victor a eu la lucidité de quitter la machine ASVEL (triple champion de France à son départ) pour rentrer dans un programme de développement à sa mesure. Transfuge à Levallois, chez les Mets, avec des principes simples : un match par semaine pour développer sa musculature et une TOTALE liberté sur le terrain pour lui permettre d’aller là où il souhaite aller.
Dans un rôle plus proche de celui d’un ailier, il a non seulement brillé (21,6 points par matchs, 10,4 rebonds, 3 contres, 26 d’évaluation. Premier dans ces 4 catégories et MVP), mais il a amené son équipe là où personne ne l’attendait : en finale du championnat de France. Se faisant le plaisir d’éliminer l’ASVEL en demi-finale.
https://www.youtube.com/watch?v=Jgx1NjUWt1k
Plus précisément, vers quoi a-t-il tenté d’aller pour se développer ? Le socle de son jeu, comme Chet, c’est sa dissuasion intérieure. Grace à des qualités similaires à l’Américain, il arrive aussi bien à conclure les bonnes défenses en contrant sous le cercle qu’à sortir sur les shooteurs extérieurs. Il est encore plus à l’aise sur la défense des petits extérieurs. Tout ce que Holmgren peut faire, Victor donne l’impression de le reproduire en plus grand, plus long, plus fort.
Offensivement, son style se caractérise par une énorme utilisation du pull-up à mi-distance. Il l’expliquait à Tony Parker dans Sweek Show by Tony Parker : “Celui que j’attends c’est Kevin Durant. Parce que c’est le joueur que j’ai le plus observé [T. Parker précise que c’est le joueur dont les attributs physiques se rapprochent le plus de lui]. Oui, puis parce que KD personne n’a jamais réussi à le lock défensivement.”
Et, effectivement, Wemby explore un style de jeu d’ailier. Sa taille et sa longueur de bras lui permettent de tirer au dessus des défenseurs et de limiter leur impact sur sa réussite. Son handle l’aide à se démarquer face à des adversaires plus lents que lui. En revanche, il est nettement plus en difficulté face à des ailiers qui l’empêchent de poser son dribble. Mais, à contrario, s’ils sont trop petits, il peut les punir via du post-up. Son touché et sa mobilité lui permettant d’accéder au cercle, pour le coup, en mimant un Anthony Davis.
Enfin, à Levallois, il avait fait du pick and pop une sorte de valeur sûre qui lui permettait de rentrer dans ses matchs (lui qui est plutôt un mauvais starter et qui passe souvent la deuxième en seconde mi-temps).
A San Antonio, le contexte est totalement différent de celui de Chet Holmgren. Les hommes de Popovich sont en reconstruction et ils partent presque d’une page blanche pour écrire cette histoire. Oui, Keldon Johnson, Devin Vassel et Jeremy Sochan devraient être là pour quelques années, mais quand une équipe démarre avec la meilleure imitation de Dennis Rodman au poste de meneur, l’ambition est modeste. D’ailleurs, ce choix contestable le coupe d’un certain nombre de certitudes qu’il avait sur son jeu, à savoir le pick and roll, les services en transition et l’exploitation des mismatchs. Mais l’objectif est plus grand, il est d’aller explorer les premières perspectives de son potentiel.
Wemby sera rapidement l’option numéro 1 des Spurs. Reste à savoir s’il est capable de devenir un Kevin Durant ou s’il faudra se “limiter” à un Giannis upgradé d’un catch and shoot efficace. Patience, cette question mettra plusieurs années à être répondue. Il faut s’habituer à le voir prendre des tirs compliqués, voire à faibles pourcentages, passage choisi pour qu’il progresse et devienne le leader offensif des années à venir.
Après, le match contre les Clippers, un journaliste a demandé à Popovich une comparaison avec Kawhi Leonard. Sa réponse dit long sur le projet “Quand Kawhi Leonard est arrivé il y avait Tim Duncan, Manu Ginobili, Tony Parker, on n’allait pas lui donner les ballons comme ça. Il a dû grandir. Pour ‘Wemby’ c’est différent, nous n’avons pas de tels joueurs dans l’équipe aujourd’hui. Victor va rapidement devenir le leader, c’est juste une question de temps. Je ne vais pas le retenir longtemps.” La où Kawhi devait rentrer dans un moule et apporter de suite, Wemby peut créer un écosystème. C’est même ce qu’on attend de lui.
L’injuste comparaison
C’est la trame de cet article, donc vous l’aurez compris avec aise, il est impossible de dissocier un rookie de son contexte. Il y en a plusieurs, mais retenons en deux : celui d’une équipe en reconstruction et celui d’une équipe construite. Dans une équipe en reconstruction, la marge de manœuvre est grande et l’objectif est avant tout de savoir où le joueur peut vous emmener.
L’année dernière, c’était le cas de Paolo Banchero, à Orlando. Arrivé dans une équipe très faible offensivement (29e attaque à l’offensive rating en 2021-2022), le numéro 1 de la draft 2022 devait incarner des espoirs de progression pour l’attaque du Magic. A Duke, Banchero était un joueur puissant et habile pour terminer les actions. Comme on a pu le voir cet été avec Team USA où son jeu de pose de pick et de finition sur le roll était plus que bon.
Pour autant, sous les ordres de Jamahl Mosley, il a été décrié. Il n’était déjà pas le plus rentable en NCAA, mais son efficacité au shoot a chuté, le positionnant parmi les 10% les moins efficaces de la ligue, avec un effective field goal à 46%. Cette inefficacité est historique et non souhaitée, mais elle s’explique. Dans leur quête de progression, les Floridiens cherchent une première option, et l’enjeu est plus de savoir si Banchero est un Jayson Tatum ou un Pascal Siakam que de le rendre efficace dès sa première année.
A l’inverse, en 4e position, dans la même draft, Sacramento avait choisi de faire confiance à Keegan Murray, l’ailier d’Iowa. L’exemple Murray est intéressant tant sa saison a été appréciée par les suiveurs des Kings (12,2 points, 4,6 rebonds, 41,1% à trois points). Décidant de sortir de son processus de reconstruction, SacTown a anticipé l’été 2022 en recrutant Domantas Sabonis à la trade deadline 2021-2022. Durant l’été, leur seul objectif était de construire un roster compétitif. Dans ce contexte, il a été demandé à Murray de faire ce qu’il maitrise : du déplacement off-ball, du shoot extérieur, de la défense. A l’inverse, il fallait le limiter sur ce qu’il maitrise moins, à savoir la création pour soi et les autres. Résultat, son année a été particulièrement satisfaisante (dans les 13% des joueurs les plus efficaces au shoot à son poste).
Chet Holmgren sera probablement le rookie le plus performant de la saison. Je pourrais presque vous le signer dès à présent – quoiqu’avec Wemby, nous ne sommes jamais sûrs de rien. Son efficacité devrait être supérieure, dans une équipe qui va remporter plus de matchs, où son impact sera valorisable et valorisé. Mais il le tiendra avant tout de son rôle, plus encadré, plus confortable, et de la qualité de ses coéquipiers. A l’inverse, l’Alien devrait, en s’appuyant sur sa défense comme base, se chercher offensivement.
Mais cela ne dit que peu de choses sur leurs duels à venir, et qui seront autrement plus passionnants. Car cette différence d’approche n’est pas que liée à leurs équipes. Elle réside aussi dans la grandeur même de leurs talents. Holmgren n’a pas le profil d’une première option offensive. Bon, quelques flashs de création pour soi empêchent d’avancer cet argument avec certitude, mais l’Américain parait plus être le parfait complément d’un créateur. Ca tombe bien, il partage la lumière avec SGA. C’est sans doute pour cette raison qu’Orlando avait préféré s’orienter vers Banchero, potentiellement plus autonome.
Wembanyama est, à minima, une première option et, à maxima, la nouvelle image de la NBA. Pour lui, dans cette course, le but n’est pas d’être celui qui va le plus loin au bout de 10 mois, mais au bout de 10 ans. Nous vous invitons, durant cette première année, à les juger en intégrant ces éléments.
A titre personnel, pour cette première saison, j’essaierai de répondre à deux questions :
- Comment les entourer ?
- Lequel sera le meilleur dans le rôle qu’on lui confiera à terme ?
Car, si le potentiel de Wemby semble plus grand, la compatibilité de Chet avec d’autres stars me parait plus évidente. Et, comme entre Magic et Bird, les titres nous aideront à savoir qui était le meilleur de sa génération.
Si on se donnait rendez-vous dans 10 ans ?
Pour Wemby, il faut surtout qu’on lui mette un meneur pour qu’il donne sa pleine mesure. Le délire de Pop de démarrer les matchs sans meneur va devoir s’arrêter…..