Il parait qu’il y a une tendance étrange sur certains réseaux sociaux, qui consiste à demander aux hommes combien de fois ils pensent à l’empire romain par semaine.
Ce qui n’était au début qu’une blague a fini par prendre de l’ampleur devant les réponses données, l’empire romain étant vraisemblablement un sujet particulièrement important pour certains. De plus en plus de gens se sont mis à poser la question à d’autres pour voir si leurs interlocuteurs, eux aussi, vouaient une curiosité envers cette période, et l’effet boule de neige des réseaux sociaux opéra.
Bon, l’empire romain c’est bien, mais quand on y réfléchit, c’est un peu facile.
Alors que si je vous demande combien de fois par semaine vous pensez aux fans des Charlotte Hornets, qu’est-ce que vous avez à me dire ? Rien, j’en étais sûr.
Vous savez pourquoi ? Parce qu’on ne pense quasiment jamais à eux, et on en parle encore moins. C’est un peu comme les dragons de Komodo : on sait que ça existe, mais ça nous semble tellement bizarre qu’on préfère ne jamais y penser.
En ce qui me concerne, la semaine dernière, j’y ai pensé au moins une fois, quand je suis tombé sur ça :
Attendez attendez, Miles Bridges s’est entraîné avec les Hornets après ses nouvelles violences d’il y a quelques jours ?
Il va falloir une meurtre pour avoir une réaction ? https://t.co/3MFXbcmbBm— Antoine Tartrou (@Tartrou) October 17, 2023
J’ai lu l’intégralité de l’article auquel il était fait référence, et je vous invite à en faire de même.
Il raconte l’histoire d’un fan des Hornets qui leur a prêté allégeance depuis 1991. Depuis, il est resté fidèle, malgré les déménagements, malgré les Bobcats, malgré tout. Mais voilà qu’il vient de décider de rompre son serment, après que Miles Bridges a à nouveau pu évoluer sereinement sous le maillot de Charlotte la semaine passée.
Si vous n’êtes pas au courant des déboires judiciaires de Bridges, ouvrez une nouvelle fenêtre internet : vous y trouverez un flot de violences conjugales, de procédures, de suspension, d’ordonnance de protection, de violation d’ordonnance, encore de procédures, etc, etc.
Une fois vos recherches faites, n’oubliez pas de fermer la fenêtre, comme a dû le faire l’ex-femme de Bridges quand elle l’a vu débarquer avec sa nouvelle conjointe pour lancer des boules de billards sur la voiture qu’elle occupait alors, avec ses enfants.
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Cette scène s’est déroulée le 6 octobre, et ESPN en a dévoilé les détails le 11 octobre.
Nous sommes désormais le 23, et Miles Bridges est toujours un joueur des Charlotte Hornets, qui, à l’heure actuelle et selon leurs propres termes – repris par l’article précité – sont en train de « looking into it ». Depuis, silence radio.
Ce qui devrait être une honte, un camouflet pour la ligue, est en train de glisser dans l’angle mort d’un microcosme NBA qui sent de plus en plus le reflux gastrique d’un lendemain de soirée difficile.
Silver, médaille d’or
Adam Silver est commissionnaire de la NBA depuis 2014.
Autrement dit, avec près de 10 ans à la tête de la Grande Ligue, il a la pleine connaissance de l’éventail à sa disposition quand l’image de la ligue dont il est le porte-parole est égratignée, et de l’amplitude de son champ d’action dans le domaine.
Il sait mieux que quiconque qu’il a « le pouvoir de suspendre pour une période définie ou indéfinie (…) tout joueur qui, à son avis, s’est rendu coupable d’une conduite qui n’est pas conforme aux normes de moralité ou de fair-play, ou qui ne respecte pas les lois fédérales, étatiques et locales, ou qui est préjudiciable ou réalisée au détriment de l’Association » (NBA Constitution and By Laws).
Il le sait, car en avril dernier, il a de lui-même décidé de réduire la suspension infligée à Miles Bridges de 30 à 10 matchs, avec une justification des plus bancales :
« À la suite de son arrestation et de son plaider-coupable, M. Bridges n’a pas signé de contrat avec la NBA pour la saison 2022-23 et a manqué les 82 matchs. En conséquence, la NBA a considéré que 20 matchs de la suspension avaient déjà été purgés. »
Dès lors, il ne restait plus que 10 matchs de suspension à purger pour Bridges : ne cherchez pas la logique, il n’y en a pas. Pourquoi c’est comme ça ? Parce que c’est comme ça, c’est tout. « It seemed like the right thing to do », dixit Silver.
Sauf que maintenant, on fait quoi ?
Maintenant que l’on sait que Bridges a violé l’ordonnance de protection à laquelle il était astreint et qu’il a été l’auteur de nouvelles violences ? On remet la faute sur la franchise, on nous sort le coup de l’enquête interne ?
Ou bien, soyons fous, on prend les devants, on prend ses responsabilités, et on fait d’ores et déjà une conférence de presse ou une sortie médiatique en bonne et due forme pour condamner l’acte, laver l’image de la ligue, et asseoir sa position ?
Non, définitivement non.
Mieux vaut lancer une jolie campagne de communication autour du load management, et faire revenir sur la table, mi-octobre, le sujet du renouveau du All Star Game pour faire apparaître auprès des fans un sentiment de nostalgie qui emporte tout sur son passage. Surtout, mettre la poussière sous le tapis, et tenter de nettoyer quand tout le monde aura quitté la pièce. Surtout ne pas entacher la fameuse image de la ligue. Mais en agissant de la sorte, vous faites tout le contraire, Monsieur Silver.
Charlotte, aux fraises
Si la tête des bureaux de la Grande Ligue n’est pas la plus inspirée quand vient l’heure de prendre ses responsabilités, que dire de la franchise ?
Le 7 juillet dernier, les Hornets annonçaient avoir activé la qualifying offer de Miles Bridges pour un montant de 7,9 millions de dollars, lui permettant ainsi de jouer un an de plus sous leurs couleurs avant de devenir agent libre.
Déjà, les dents des fans avaient grincé. Les machoires se crispaient davantage lorsque le toujours très inspiré Mitch Kupchak, président des opérations basket et general manager de la franchise, avait souhaité justifier la position des Hornets :
« Plusieurs facteurs ont joué un rôle dans notre décision de faire revenir Miles, notamment la conclusion de la procédure judiciaire, les résultats de l’enquête de la NBA et l’engagement de Miles à suivre une thérapie et à effectuer des travaux d’intérêt général. Notre relation de 5 ans avec Miles a permis un dialogue ouvert et honnête. Il a fait preuve de remords, a indiqué qu’il avait tiré les leçons de cette situation et s’est engagé à ce que cela ne se reproduise plus. Nous attendons avec impatience que Miles rejoigne notre équipe. »
Et Kupchak de poursuivre :
« Vous devez porter un jugement là-dessus, non ? Est-ce que c’est du remord sincère ? Est-ce que c’est une prise de conscience sincère de ses responsabilités ? Ce n’est pas quelque chose qui est facile à trancher. Nous avons pris tous ces facteurs en considération, et nous avons décidé de lui offrir une seconde chance. »
Mais si le refrain de la seconde chance pouvait être entendu en début d’été, quel crédit lui accorder désormais, alors que les derniers évènements montrent que, par deux fois au cours de la dernière année, Bridges s’est montré incapable de respecter son ordonnance d’éloignement ?
Quel crédit accorder à une franchise qui, par son inaction, soutient son joueur, alors que ce dernier a sciemment menti lorsqu’il affirmait haut et fort que tout cela était derrière lui ?
Plus d’une semaine s’est écoulée depuis le déballage d’ESPN au sujet de derniers déboires de Bridges, et on attend toujours un quelconque signal de la franchise des Charlotte Hornets, dont le mutisme finit par trahir ce qui ressemble de plus en plus à un amateurisme béant.
Aucun communiqué, aucune suspension, même temporaire. Rien.
Ou plutôt, si.
Comme l’indique l’auteur de l’article précité, le 14 octobre dernier, alors qu’un nouveau mandat était lancé contre Miles Bridges, les Hornets ont fait un choix. Et pas le bon.
« Les Hornets restent silencieux. Ils ne se soucient pas du fait qu’une majorité de fans souhaite le départ de Bridges, même si cela nuit à l’équipe. Ils ne se soucient pas du fait que le garder et faire comme si rien ne s’était passé aliène les femmes, et donne un exemple détestable de la mentalité “gagner plus que tout”. Ils se moquent de savoir s’ils ont vraiment besoin de Bridges maintenant, avec l’émergence de P.J. Washington, Mark Williams, et l’espoir que Brandon Miller puisse être l’avenir à l’aile. Ce qui compte pour eux, c’est le moment présent, au diable ce que ressentent les autres. »
La colère est parfois saine.
Et pourtant, j’ose croire qu’ils ne sont pas si stupides.
J’ose croire qu’ils n’imaginent pas un seul instant qu’au coup d’envoi de la saison NBA 2023-24, Miles Bridges puisse être reçu avec joie et fierté par le public, quel qu’il soit. J’ose croire, d’ailleurs, que les fans NBA ne sont pas dupes de ce que l’on essaye de leur cacher.
Mais j’ai des doutes. Des doutes sur le fait que même les Hornets ne pensent pas à leurs fans.
Les joueurs, têtes baissées
Que dire des comparses de Miles Bridges, têtes baissées et visiblement tous devenus muets depuis quelques jours sur la situation ?
Qu’il s’agisse des joueurs de Charlotte ou d’autres franchises, des gros noms de la NBA ou pas, rien, aucun mot n’a été dit ou écrit sur la situation.
A l’heure où les joueurs lancent leur propre podcast en un rien de temps et où tous les sujets sont discutés sous tous les angles possibles et imaginables, rien, pas un mot, une phrase, un sujet sur la situation de Miles Bridges.
Comme s’il ne fallait pas trop en dire, voire ne rien dire du tout. Comme si, surtout, il ne fallait pas se lancer à la poursuite d’un des siens, en dépit de ses actions répréhensibles.
Alors, quelle est l’excuse cette fois ? Ce n’est pas leur rôle ? Ils ne sont pas compétents ? Ils ne sont pas juges ?
Pourtant, certains sont les premiers à revendiquer le droit d’avoir un avis, sur eux, sur leur équipe mais surtout sur les autres. A une époque où on adore véhiculer l’idée d’une NBA qui appartiendrait désormais davantage aux joueurs qu’aux propriétaires, quelle inspiration géniale se serait pourtant, d’oser briser ce qui ressemble à une totale omerta, et à un entre-soi gerbant!
D’oser dire que oui, Miles Bridges ne doit plus jamais pouvoir remettre un pied sur un terrain NBA, mais force est de constater que, dans cette histoire, à tous les niveaux, il est difficile de prendre ses responsabilités.
En attendant, l’image donnée est déplorable.
Miles Bridges peut s’entrainer tranquillement toute la semaine sous la tunique des Hornets, il peut changer sa photo de profil Twitter pour une photo de Johnny Depp (durant son récent procès) sans qu’on ne lui fasse remarquer, et peut faire un doigt d’honneur taille XXL à ceux qui le voudraient hors de la ligue, protégé bien au chaud par ses compères, sa franchise, les médias et sa ligue.