Les Portland Trail Blazers & Damian Lillard ressemblaient depuis quelques années à ce couple modèle aux yeux de tous, dont les amants vivent en réalité dans des chambres séparées. Désireux de sauver les apparences, ils n’osaient s’avouer l’inavouable. En jeu, la peur de devoir assumer socialement le mauvais rôle, d’être celui qui prononcerait l’impardonnable : il est temps d’annoncer la séparation.
Ainsi, durant l’intersaison précédente, nous avons assisté à une drôle de danse. Les Trail Blazers clamaient vouloir entourer Damian Lillard afin de jouer le titre, tandis que ce dernier jurait sa fidélité à qui voulait l’entendre.
Problème, entourer un joueur doté d’un tel contrat, tout en devant casser un effectif en bout de cycle relève à quelques vaches près de l’impossible. Malgré toutes les contorsions possibles et des mouvements plutôt réussis, l’effectif de Portland paraissait toujours trop court à l’aube de la saison.
Sans véritable surprise, nous avons assisté à une saison moribonde des Trail Blazers, qui s’est terminée par une mission tanking afin d’augmenter les chances d’obtenir un asset de valeur supplémentaire le soir de la draft.
Le pire dans tout cela, c’est que même avec des attentes mitigées, la saison des hommes de Chauncey Billups n’en demeure pas moins décevante. Oui, ils n’avaient aucun espoir de jouer le titre, mais les voir passer à ce point à côté des Playoffs fut en revanche un véritable camouflet.
Résultat, après un début d’intersaison reproduisant le simulacre du couple parfait, Damian Lillard a fini par se décider à assumer la responsabilité de la rupture en réclamant son départ. Le début d’une nouvelle page pouvait donc s’ouvrir.
Mais vraiment ?
In & out : le point sur le roster
Arrivées : Scoot Henderson, Kris Murray, Ryan Rupert
Départs : Dreuw Ebanks, Justise Winslow, Trendon Watford, Nate Williams Jr
Le roster 2023/2024
Meneurs : Damian Lillard, Scoot Henderson, Anfernee Simons
Arrières : Shaedon Sharpe, Matisse Thybulle, Keon Johnson, Rayan Rupert
Ailiers : Jerami Grant, Kevin Knox
Ailiers-forts : Nassir Little, Kris Murray, Jabari Walker
Pivots : Jusuf Nurkic, George Conditt IV, Ibou Badji (two-way contract), John Butler (two-way contract)
Phase de l’équipe : Reconstruction
C’est la fin d’un très long cycle lancé au départ de LaMarcus Aldridge qui se ferme. Maintenant la rupture annoncée, les Portland Trail Blazers auront pour mission de se mettre dans les conditions idéales pour faire la reconstruction la plus rapide et efficace possible.
La bonne nouvelle, c’est que ces derniers ont déjà de la jeunesse à développer. Anfernee Simons arrivé il y a quelques saisons est prolongé et pourra autant s’inscrire dans le projet qu’être échangé au besoin. Shaedon Sharpe, drafté l’an passé, à tout de la première pierre d’un édifice à bâtir.
Mais la mission immédiate de Joe Cronin, c’est de maximiser la valeur de Damian Lillard dans le cadre de son départ, mais aussi, dans la foulée, des autres vétérans dignes d’intéresser d’autres franchises. On peut penser notamment à Jerami Grant et Jusuf Nurkic dont le temps dans la franchise apparaît désormais compté.
Les tendances de l’été
A l’heure où j’écris ces lignes, alors que la plupart des franchises ont bouclé leur recrutement et sont maintenant concentrées sur les derniers ajustements (bout de rotation et two-way contracts), l’été des Portland Trail Blazers apparaît comme un chantier abandonné.
Discutons ensemble des quelques mouvements majeurs et des raisons de l’enlisement actuel.
Le 3eme pick de la draft
Si il y a une excellente nouvelle pour les Portland Trail Blazers, c’est bien la draft. Si le gros lot s’appelait Victor Wembanyama, la draft 2023 ne s’arrêtait pas là, bien au contraire. Derrière le français, Scoot Henderson apparaissait comme un des meneurs les plus prometteurs de ces dernières saisons.
Pour Portland, ce 3eme pick, un temps considéré comme un moyen d’apporter du renfort à Damian Lillard fut finalement conservé et alors que les Charlotte Hornets jetaient leur dévolu sur Brandon Miller, la suite ressemblait à une évidence.
Scoot débarque donc dans l’Oregon et est déjà perçu comme le successeur de Lillard à la mène.
Comme Amen Thompson dont nous parlions dans la preview des Houston Rockets, Henderson est un meneur hyper athlétique, doté d’un premier pas dévastateur et d’une finition au cercle qui semble déjà dans les standards NBA. Sa capacité à accélérer et décélérer le rend déjà très dur à défendre, il est extrêmement puissant, ce qui lui permet de provoquer des contacts et de finir malgré tout. Tout comme le néo-Rocket, il est aussi un playmaker dont le potentiel fait saliver les observateurs, d’autant que son dribble lui permet d’être patient et de garder la balle en vie même quand il est sous pression.
… Et comme celui-ci, la limite la plus évidente de son jeu semble se situer dans le tir. Henderson est un shooteur plus convaincant que le rookie des Rockets à courte et mi-distance, mais son tir à 3pts (27% l’an passé) est lui, en revanche, très loin d’être suffisant.
Scoot Henderson va devoir travailler sur son tir, s’adapter au rythme de la NBA, mais il apparaît comme un solide prétendant au rookie de l’année… Si les conditions le lui permettent.
D’autres rookies
Quitte à ne pas capitaliser sur le 3eme choix de la draft, la soirée ne s’arrêtait pas là pour les Trail Blazers. La franchise possédait en effet encore quelques picks, que je me dois de vous mentionner.
Avec le 23eme choix, les Trail Blazers sélectionnaient un énième Murray en NBA. Si le nom du joueur est d’une certaine importance ici, c’est que Kris n’est autre que le jumeau de Keegan Murray, rookie des Sacramento Kings la saison passée et l’un des joueurs de première année les plus aboutis de l’exercice 2022-2023.
Si Kris arrive en NBA 1 an plus tard que son frère, c’est que tout s’est fait en décalage pour lui. Quand son frère intégrait une rotation NBA, lui faisait une saison blanche, quand son frère devenait leader d’une équipe, lui intégrait la rotation, aussi quand son frère jouait en NBA, lui devenait le leader d’Iowa State.
Vous l’aurez compris, en bon jumeau, Kris Murray possède des qualités et défauts similaires à ceux de Keegan. Ombre au tableau toutefois, Kris est un rookie qui arrive assez âgé en NBA ce qui a naturellement fait baisser sa côte. Pour autant, il a les arguments pour devenir un précieux joueur de rotation. Il peut contribuer en attaque sans avoir besoin de toucher beaucoup la balle, il possède un shoot extérieur fiable, il peut clairement défendre et contribuer au rebond.
Il n’est certes ni un bon passeur, ni un joueur qui peut créer une séparation par son dribble, mais Portland possède déjà plusieurs joueurs susceptibles de se développer dans ce registre.
S’il n’a pas connu l’ascension rapide de son frère, il n’en demeure pas moins un joueur assez semblable. Puisque Keegan a été une vraie réussite pour les Kings, les Trail Blazers espèrent certainement un succès équivalent avec son jumeau. Tout ce qu’on leur souhaite.
Enfin, le dernier joueur drafté est arrivé plus tardivement dans la soirée. Si l’on se doit de mentionner ce 43eme choix, c’est que le joueur sélectionné, Rayan Rupert, est un représentant tricolore. Formé à l’INSEP, l’arrière français évoluait l’an dernier dans le championnat Néo-Zélandais.
Son profil intriguait les scouts pour une raison très simple : Rayan Rupert est un arrière qui frôle les 2 mètres, avec une immense envergure (2m18) et qui peut mettre de grosses pressions défensives sur les postes 1 à 3. Défenseur individuel de très bonne facture, intelligent en défense collective, tout l’enjeu pour lui sera de devenir suffisamment bon offensivement pour ne pas être un poids en attaque.
Problème, le français est un shooteur médiocre pour le moment, son dribble n’est pas encore suffisant pour porter la balle en NBA et si sa finition au cercle est bonne, il doit progresser sur au moins deux des éléments précédents pour vraiment pouvoir obtenir un rôle offensif. Le défi est donc là pour Portland : développer le jeu offensif de Rayan Rupert.
L’équipe de France serait reconnaissante.
Une reconstruction qui continue de tarder
L’annonce du départ à venir de Damian Lillard avait tout d’une bonne nouvelle pour Portland, au fond. La star des Trail Blazers fait partie de l’élite NBA, possède un contrat qui court encore sur plusieurs saisons et sa valeur permet de prétendre à un grand nombre de tours de draft et joueurs en retour.
De quoi se mettre en position de drafter beaucoup et d’ajouter rapidement des prospects autour de la très jeune paire d’arrières Scoot Henderson – Shaedon Sharpe.
Le problème, c’est que Damian Lillard à une requête spécifique qui complique la vie de tout le monde : le meneur ne souhaite qu’une seule destination… Le Miami Heat. C’est là que l’horizon s’assombrit pour Joe Cronin. En faisant cette déclaration, Damian Lillard fait fuir le reste des GMs de la ligue, entraînant une myriade de conséquences qui pourraient aller jusqu’à faire capoter tout échange à court terme.
Je m’explique. Tout d’abord, le Miami Heat est un partenaire d’échange peu souhaitable pour les Trail Blazers. Ils ont déjà utilisé des tours de drafts pour des échanges précédents, ils possèdent peu de jeunes joueurs susceptibles de faciliter l’échange et on peut comprendre que Portland ne souhaite pas particulièrement récupérer Tyler Herro. L’arrière à une valeur certaine, mais il n’a pas vocation à s’inscrire dans la reconstruction de Portland.
Réussir un échange pour Portland signifie donc un deal à plusieurs équipes et peu vite s’avérer un casse-tête à monter.
En prime, en mettant un véto à tout autre destination que Miami, Lillard retire à la franchise de Portland la possibilité de faire monter les enchères. Résultat, nous pourrions très bien avoir une situation des plus décevantes pour la franchise : devoir démarrer la saison avec Dame, sans la véritable possibilité d’arracher le pansement et passer véritablement à autre chose.
Bref, vous l’aurez compris, la situation est plutôt indécise, et écrire cette preview est un sacerdoce pour votre serviteur.
Focus sur la saison 2023-24 des Portland Trail Blazers
Les équipes qui entament leur reconstruction ont souvent moins de problématiques terrain. La raison est simple : gagner est plus souvent un problème qu’une bonne nouvelle. Quand la compétitivité n’est pas au rendez-vous, forcément, maintes questions ne se posent même pas.
De fait, regardons les enjeux de la saison des Trail Blazers.
Quelle voie va prendre Shaedon Sharpe ?
Pour étayer cette question, je vous propose une petite rétrospective de la saison rookie de Shaedon Sharpe.
L’arrière est arrivé en NBA comme une énigme. Toutefois, nous savions qu’une des grandes caractéristiques de ce grand arrière d’1m98 (encore 1 !) était une détente absolument hors norme. Arrière slasheur, rebondeur absolument exceptionnel pour son poste, Shaedon Sharpe a produit une saison avec les forces que l’on espérait et les défauts que l’on craignait.
Pour le “bon”, Sharpe est effectivement un bon shooteur. Il est très adroit (43,9%) sur catch-and-shoot malgré un volume encore faible (1,9 tentatives par match). Il est déjà capable de dégainer aussi bien à longue distance qu’à mi-distance. S’il est déjà bon sur catch&shoot, il est aussi capable de pull-up en sortie de dribble, ce qui permet d’envisager un joueur capable de scorer aussi bien dans la raquette qu’aux deux autres niveaux (mi-distance, 3pts). Ses qualités de rebondeur en font une belle valeur ajouté pour conclure une défense ou obtenir une action supplémentaire en attaque.
Par ailleurs, sa défense est déjà intéressante et sa verticalité en feraient presque une forme d’intimidateur supplémentaire capable d’aider en second rideau.
Offensivement donc, Shaedon possède les arguments pour être considéré comme un bon arrière slasher en devenir. Il a déjà démontré pouvoir scorer efficacement via son shoot et ses facultés à obtenir des points faciles dans la raquette. Il peut dunker aisément et sa finition paraît très prometteuse. Pourtant, dans la NBA moderne où la polyvalence est reine, Sharpe semble encore loin d’être une garantie d’option majeure pour une équipe.
Tout d’abord, s’il est capable de shooter efficacement en sortie de dribble, il faudrait néanmoins que son dribble soit une valeur sûre. Arrivé très jeune en NBA, au sortir d’une saison blanche, le maniement de balle de Sharpe est à des années lumières des arrières sur lesquels il pourrait baser son développement. Car si Sharpe doit probablement lorgner du côté de Devin Booker ou Bradley Beal, ces deux joueurs sont d’une part très sûrs balle en main, mais sont aussi (surtout Beal) dotés d’un premier pas qui leur permettent de se créer de l’espace. Sharpe ne semble pas posséder ce premier pas et n’a pas la faculté de Booker de se mouvoir aisément balle en main.
Conséquence directe, cela peut générer des tirs compliqués ou des pertes de balles cadeaux pour les défenses adverses :
De même, le terme de connecteur qui est apparue les dernières années sous l’impulsion de Ben Taylor ne convient pas à Sharpe.
Par connecteur, on peut regrouper un ensemble de qualités allant du sens de la passe, à la faculté à faire l’action juste, à la vision globale du jeu. Dans l’idée, un joueur capable de maximiser son rôle et de contribuer à une bonne circulation de balle. Pour qualifier le cas Shaedon Sharpe, je citerai Matt Issa, rédacteur pour SB Nation : “le jeu des passes pourrait certainement être ce qu’il y a de pire dans son jeu actuellement“. Il est dans le 5eme percentile en NBA cette saison en termes de “taux de passe”, un seule rookie fait pire et c’est un pivot défensif. Entre difficulté à lâcher la balle, vision tunnel et difficultés à créer des décalages à cause de son dribble, il y a fort à faire pour l’arrière. Deux mises en exergue, toujours par Matt Issa :
Si Sharpe ne porte pas à haut volume le ballon, c’est rare de voir un arrière, même rookie, être aussi peu capable de trouver ses coéquipiers. Or, si les bons arrières capables d’attaquer le cercle et de créer du jeu (ce qui est désormais attendu sur le poste 2) effectuent beaucoup de progrès avec les années, leurs scores en année 1 sont généralement dans les moyennes de la ligue.
En somme, s’il y a des aspects de son jeu très excitants, d’autres sont très inquiétants. Bien sûr, le parcours de l’arrière de Portland peut expliquer une partie de ces lacunes, notamment lorsqu’il s’agit de son dribble. Toute la question, c’est quelle est la faculté de travail du joueur et quelle est sa capacité à réellement progresser dans ces aspects du jeu pour développer cette sacro-sainte polyvalence ? Pour l’orienter dans cette évolution, on peut aussi se demander comment la franchise perçoit le joueur et comment comptent-ils agencer son rôle avec celui de Scoot Henderson ?
Dans le développement du joueur, est-ce que la présence d’Anfernee Simons est prise en compte, ou la franchise souhaite avant tout développer un back-court Henderson-Sharpe ?
On espère voir des progrès marqués entre sa saison rookie et sophomore. Sharpe est très jeune et très prometteur. Mais il ne peut pas se développer dans un rôle majeur, en restant très faible dans d’autres aspects du jeu.
Chauncey Billups, le temps d’apprendre ?
A ce stade, nous avons déjà évoqué l’essentiel de la traction à suivre pour les Trail Blazers. Le trio de jeunes arrières représente le futur et on attendra beaucoup de Scoot Henderson, considéré comme un des meilleurs prospects de ces dernières années. Pour leur donner un semblant de base, il sera attendu mieux de la part de Chauncey Billups. Supposé donner un coup de boost à la suite de Terry Stotts, Billups a été malchanceux vu qu’il a finalement eu droit à un effectif en bout de course.
Pour autant, la proposition du coach est pour le moment assez peu convaincante. Néanmoins, comme les joueurs, les coachs débutants doivent passer par des expérimentations et échouer pour pouvoir progresser. Pour cette 3eme saison, la pression sera totalement absente puisque l’équipe est entre deux eaux et que la victoire ne sera pas un objectif.
L’occasion de tester et d’apprendre pour coach Billups. Après tout, une longue route attend cette franchise
Qu’est-ce qu’on veut voir cette saison ?
Difficile de statuer. A ce stade, on aimerait bien voir le cas Damian Lillard se clôturer avant la reprise. Faire avec l’aléa de joueurs qui ont déjà la tête ailleurs ne paraît pas être le climat idéal pour développer un embryon de jeunes joueurs.
Quoi qu’il en soit, on espère un Scoot déjà NBA Ready pour animer cette saison qui s’annonce assez vidée d’enjeux sur le terrain à Portland. Comme susmentionné, le développement de Shaedon Sharpe et les éventuels progrès sur les faiblesses évoquées seraient une indication de ce qu’il pourrait devenir dans les années à venir. Quant au reste de la jeunesse glanée l’an passé et cet été, on espère voir certains s’imposer comme des joueurs développables.
Ah oui et on leur souhaite un pick élevé la saison prochain, évidemment.