La NBA a sa propre mythologie. Bien souvent, elle s’écrit en Playoffs, où les titans s’affrontent, confirment ou infirment leur légende, se donnant l’occasion d’entrer à la postérité ou faillissant en tentant d’y pénétrer. Depuis le début de ces Playoffs, je ne peux m’empêcher de voir en Jamal Murray un joueur qui écrit son propre mythe, marchant sur un chemin que personne n’a encore foulé.
Après plus d’un mois et demi de joutes de Playoffs, il semble désormais clair que le Blue Arrow réalise quelque chose d’unique et qu’il est lui-même, un animal différent une fois que les matchs comptent.
La dernière fois que nous avions vu Jamal Murray en post-saison, nous étions dans la bulle d’Orlando, sans public et ce dernier avait littéralement pris feu au premier tour face au Jazz.
Inarrêtable, il avait continué de réaliser des performances d’envergure les tours suivant, avant de chuter face au futur champion. Écopant du surnom Bubble-Murray, restait une déférence pour ce joueur et son fait d’arme, mais une forme de circonspection autour de sa performance désormais lointain souvenir. Mais surtout, une question demeurait : pouvait-il réitérer ?
Le meneur des Denver Nuggets avait, lui, de plus grandes ambitions pour ce retour. Il comptait être la meilleure version de lui-même, celle que personne n’avait encore vu, et ce moins d’un an après son retour d’une rupture des ligaments croisés l’ayant privé de 2 campagnes de Playoffs. Pour couronner cette longue attente, il a largement contribué à mener son équipe vers les finales NBA.
En ce faisant, ils réalise quelque chose de jamais-vu dans l’histoire de la ligue. Oui, Jamal Murray écrit bien son propre mythe, et on va vous expliquer pourquoi.
Jamal Murray, le Playoff-riser
Aux US, on utilise souvent le terme de “Playoffs-riser” pour qualifier ces joueurs dont le niveau augmente au même moment où les défenses sont plus agressives et l’arbitrage plus permissif. On parle ici de l’élite de la ligue, des joueurs qu’on voit tranquillement dominer en saison régulière, mais dont on sait qu’ils gardent des ressources sous le pied pour la post-saison.
Son coéquipier, Nikola Jokic, fait partie de cette catégorie restreinte. Son adversaire en finale, Jimmy Butler, est un des membres les plus éminents de cette classe de joueurs.
Là où l’histoire de Murray est unique, c’est qu’il n’est pas considéré comme une star en NBA, mais qu’il devient redoutablement dangereux quand il sent l’odeur de la post-saison, au point d’en devenir un joueur différent. Un joueur aisément qualifiable de star NBA.
Cette saison, le meneur des Nuggets tournait à 20pts, 6,2asts avec un eFG% de 53,7.
Un excellent joueur donc, mais pas de quoi être considéré comme un All-Star ou un joueur de premier plan. Durant ces Playoffs en revanche, ses statistiques font un improbable bond : 27,4pts, 6,8asts à… 55,8 d’eFG%. Non seulement Jamal prend plus de responsabilités, prend plus de tirs, mais il le fait en étant plus efficace. Une anomalie parmi les anomalies, l’explosion de Murray en Playoffs fait partie de ces choses inexplicables, qui défient la logique.
C’est simple, une fois qu’il s’y trouve, le meneur fait tout mieux, alors qu’il prend pourtant plus d’importance dans le jeu.
La logique veut que plus votre volume augmente, plus votre efficacité soit difficile à maintenir. Mais voilà, Jamal écrit le mythe d’un joueur qui appuie sur un bouton et devient une autre personne au printemps. Ainsi, son Usage augmente, son efficacité augmente, sa contribution à la création collective augmente et il réussit même cette année… à progresser dans la gestion de la gonfle.
Résultat de cette hyperactivité, parmi les joueurs ayant disputé un niveau plancher de 30 matchs de Playoffs, aucun joueur dans l’histoire de ce sport connaît un tel différentiel au scoring entre saison régulière et Playoffs. Jamal score 8,4pts de plus par match. Improbable.
En outre, il fait désormais partie d’un club bien particulier. Dans l’histoire, parmi les joueurs ayant + de 50 matchs de Playoffs au compteur, seuls 7 ont compilé en moyenne plus de 25pts, 5rbds, 5asts. Voici la liste :
- Michael Jordan
- LeBron James
- Jerry West
- Stephen Curry
- Giannis Antetokoumpo
- Nikola Jokic
- … Et donc Jamal Murray
Dans cette liste, Jamal a tout du parfait d’intrus. Tous sont de multiples All-Star, des joueurs de calibres All-NBA et MVP. Alors que Jamal, lui, n’a littéralement jamais été même proche de participer au match des étoiles. Encore une fois, ce que fait le meneur des Nuggets est une anomalie, un bug de la matrice. Pour expliquer cette erreur, il n’est plus vraiment suffisant d’analyser sa façon de jouer. Évidemment que son jeu mute, pour avoir une telle différence entre saison régulière et Playoffs.
Toutefois, il faudrait s’asseoir à une table avec lui et discuter pour comprendre pourquoi, une fois en Playoffs, il réalise aussi naturellement ce bond.
Comment explique-t-il, que si soudainement, il puisse transformer son jeu, devenir un basketteur à la fois plus complet, mais aussi plus létal ? Est-ce l’ennui de la saison régulière qui se dissipe, est-ce qu’il se préserve pendant cette dernière ou est-ce que tout simplement, les émotions décuplées par les joutes de printemps le transcendent ?
Car oui, combo guard, le Blue Arrow a parfois laissé sceptique quant à son playmaking. Là encore, la réponse vient au printemps. Plus patient, plus attentif aux réactions de l’équipe adverse, il devient donc un meilleur meneur. Nouvelle preuve qui peut paraître anecdotique compte tenu du volume : Murray est le premier joueur de l’histoire à distribuer plus de 10 passes décisives sur chacun de ses 4 premiers matchs en finales NBA.
Si cela peut s’expliquer par le plan de jeu de Miami, toujours est-il qu’il semble évident, qu’être trop cartésien avec Jamal, c’est manquer une partie de l’histoire.
Un basketteur plus complet, plus concentré, plus appliqué
Autour du mois de janvier, Jamal Murray faisait cette déclaration à propos du All-Star Game qui m’a paru, sur le moment, plutôt étrange :
Je sais que je suis meilleur que certains des All-Stars qui s’y trouvent, ouais. C’est certain.
De retour de blessure, avec un début de saison compliqué et des statistiques bien en deçà des standards de la totalité des joueurs sélectionnés cette saison, il était difficile de trouver cette petite phrase très cohérente. Pensait-il réellement ce qu’il disait ?
Mais cela bien sûr, cela ne concerne pas Murray qui, au fond de lui, semble savoir qu’il sera un joueur différent s’il décide de passer la vitesse supérieure. Justement, dès le lancement de cette campagne de Playoffs, Jamal a eu à cœur de rappeler que 2020 n’était pas une fièvre passagère, mais bien l’histoire qu’il laisserait à l’issue de sa 3eme participation en post-saison : il est tout simplement un basketteur d’un tout autre niveau à ce stade de la compétition.
Ok, mais brièvement, pourquoi ?
Un scoreur beaucoup plus polyvalent qu’en saison régulière
Nous le savions dès son arrivée en NBA, Jamal Murray est un shooteur, capable de viser très juste sur du simple catch & shoot (43,9% à 3pts ces Playoffs), tout comme créer son tir et dégainer en sortie d’écran ou sur une isolation. Le développement de son pull-up à 3pts a été clé dans le développement de son jeu offensif, lui permettant de poser plus de difficultés aux défenses qui ne peuvent plus lui laisser d’espace.
Ce pull-up, qu’il transforme à un excellent 38,1% à l’extérieur de la ligne des 3pts dans ces Playoffs interdit aux défenses de se relâcher, sous peine d’être abusées comme Jimmy Butler et Bam Adebayo lors du Game 3 :
La problématique est d’ailleurs complète, puisque si vous le collez de trop près, il peut également driver et possède un bagage suffisamment complet pour dégainer en pull-up à mi-distance (51,4% à 2pts sur cette campagne).
Tout cela, faisait néanmoins partie intégrante de l’évolution attendue de Jamal Murray. Son profil lors de son arrivée en NBA mettait en avant un excellent shooteur, qui devait, dans une ligue en train de se transformer, maîtriser le pull-up à tous les niveaux.
En revanche, le joueur s’est développé comme un finisseur extrêmement complet. Si sa faculté à rentrer des tirs impossibles pour le commun des joueurs NBA est indéniable, nous n’attendions pas nécessairement que Jamal devienne le type de joueurs capables d’attaquer le cercle avec autant de variété et en se construisant un tel bagage.
Sa créativité est magistrale, et il a démontré tout au long de ces Playoffs, que là encore, les différents move qu’il avait éprouvé durant sa campagne de 2020 n’étaient pas une sorte de transe prolongée dans un contexte favorable.
Jamal Murray, un meneur de jeu ?
Son jeu à deux avec Jokic permet cependant de transcender le bagage très complet qu’il s’est construit.
Leur créativité en duo permet de répondre à différentes formes de couvertures et de découper les défenses jusqu’à plus soif. Les Lakers et le Heat, deux défenses dont la polyvalence étaient indéniables ont eu toutes les peines du monde à trouver des réponses à la paire des Nuggets. Si en saison régulière, leur connexion est beaucoup moins utilisée, en post-saison, l’équipe laisse l’attaque reposer sur la polyvalence de ses 2 joueurs. Et ils savent qu’en fin de compte, même lorsque cela ne rentre pas, la capacité de Murray et Jokic à prendre des tirs compliqués permettra de sauver plusieurs possessions.
En prime, Jamal Murray est petit à petit devenu le parfait complément en attaque de Nikola Jokic.
Se faisant plus patient, améliorant sa lecture de jeu, il a réussi à devenir un meneur suffisamment complet pour ne plus s’embourber à répétition dans tirs compliqués quand il y avait mieux à faire. A tel point qu’il réussit cette année à combler beaucoup plus habilement les minutes sans le pivot, qui ont toujours été une problématique de premier ordre pour son équipe. Dans le Game 4 face au Heat, privés du serbe assis sur le banc pour sa 5eme faute, toute l’équipe, menée par Murray a répondu présente.
Si elle a pu réussir, c’est aussi parce que cette version de Jamal Murray, particulièrement ciblé dans cette rencontre, sait quand lâcher la balle.
Ce n’est pas aussi efficace que le jeu à 2 avec Jokic, mais cela offre une option suffisamment solide pour ne pas prendre complètement l’eau. Ce n’est pas encore des lectures qui font de Murray l’élite de la ligue, mais il sait désormais manipuler une défense à bon niveau, en utilisant la menace qu’il représente.
Jamal Murray est désormais un meneur de jeu à part entière.
Construit pour l’instant
Si sa première campagne de Playoffs fut globalement moyenne, en raison notamment d’une série laborieuse offensivement contre Portland, Jamal Murray avait montré les prémices de ce qu’il serait. Un joueur capable de coups de chauds monumentaux, inattendus, parfois à contre-courant de sa performance durant le reste du match.
Il y a presque un côté erratique dans la façon dont ses accélérations soudaines se produisent, comme si aléatoirement, les étoiles s’alignaient soudainement sans crier gare et lui permettaient de se transformer.
Quand il marque 23 points dans le dernier quart temps du match 2 contre les Lakers, il produit jusqu’alors un match particulièrement compliqué, puis soudain, au moment où cela compte le plus, il prend son équipe sur ses larges épaules.
La première fois que cela s’est produit, nous étions en 2019, les Spurs affrontaient Denver et alors qu’ils s’apprêtaient à prendre un avantage crucial dans la série au Game 2, Murray prenait feu sans prévenir, laissant les hommes de Gregg Popovich K.O.
Si vous voulez voyager dans le temps, voici le jour où Murray a transposé pour la première fois ce qu’il avait montré en saison régulière, en Playoffs. Ce jour-là, San Antonio s’apprêtait à mener 2-0 à l’extérieur. Puis, à brûle-pourpoint, Murray enfila son costume de superhéros :
L’année suivante, alors qu’il arrive transformé dans le jeu, trouvant l’adresse et la régularité qui lui ont fait défaut en 2019, ce qui avait d’ailleurs probablement coûté la série contre les Trail Blazers, un pan clair de sa personnalité est mis en avant.
Son jeu paraît indéniablement lié aux émotions qu’il traverse. Très engagé dans le jeu depuis son très jeune âge, réalisant très tôt des entraînements très exigeants physiquement et mentalement, la bulle va mettre en avant ce que lui coûtent ses grandes performances.
Dès le premier tour, opposés au Jazz et à un Donovan Mitchell incandescent, les Nuggets vont se reposer sur un Jamal Murray incapable de manquer un tir pour suivre le rythme. Les réactions de Murray à ses actions, sont comme souvent quand il est dans cet état second, exacerbées. Mais ce qui est marquant, c’est probablement Jamal, en larmes à la fin du match, incapable de contenir l’effort et les émotions du match. Et l’actualité du moment, certainement.
Une fois en Playoffs, tout s’exacerbe, l’actualité, les émotions, les enjeux et tout cela s’intrique avec la manière dont il aborde ses matchs, et donc la manière dont il joue. Les images de Murray craquant complètement à l’issue des matchs, parmi les plus marquantes de la bulle, sont je crois un trait tant de sa personnalité, que de sa manière de jouer au basketball.
Aujourd’hui, Jamal Murray a désormais 26 ans, il arrive dans ce que l’on considère généralement le sommet de la carrière d’un basketteur. Il a été forgé par un père aux méthodes très brutales : entraînements sans fin à travailler son physique ou ses gestes, entraînements dans des conditions météorologiques désastreuses, conditionnement à la douleur, rien ne lui fut épargné.
Il a travaillé inlassablement, étant largement considéré comme le bourreau de travail de cet effectif de Denver.
Et puis, en 2021, il a su qu’il devrait vivre une épreuve d’un autre genre : une rupture des ligaments croisés. Dévasté par la nouvelle, il demandait le soir-même à Michael Malone s’il allait être échangé, se considérant comme un “bien endommagé. La franchise a cru en lui, a fait preuve de patience pour lui permettre de revenir. Il a traversé ce long processus, a regardé en larmes l’élimination des siens face aux Suns en 2021, a patienté toute la saison suivante pour s’offrir ce retour.
Si les attentes sur sa première saison étaient mesurées, Jamal Murray a prouvé beaucoup de choses. Il a démontré qu’il était bel et bien de retour. Il a prouvé qu’il était meilleur que jamais. Il a confirmé que ses Playoffs 2020 n’étaient pas une erreur, mais la promesse d’un grand avenir.
Surtout, il a écrit sous nos yeux son mythe. Celui qu’on retiendrait comme le bon joueur de saison régulière, qui devenait une star NBA quand l’heure des Playoffs sonnait.