Carmelo Anthony est désormais à la retraite. Cela n’a surpris personne, il était grand temps de l’annoncer. L’ailier aura été un des visages de la grande ligue pendant presque 2 décennies. Il est devenu également un de ses personnages les plus polarisants. Anthony a connu une trajectoire de carrière étonnante, on pourrait même dire qu’il a tout fait à l’envers. Il a commencé par faire l’unanimité, puis il a divisé au fil des ans. Par son jeu et par sa personnalité. Par ses choix de carrière et par son manque de succès collectifs, Anthony a fini par perdre son statut d’intouchable alors que ses pairs, ceux de la draft 2003, gravissaient les échelons.
Il paraît loin le temps où nombre des meilleurs défenseurs NBA parlaient de Melo comme de leur Némésis. Pourtant il a fait partie de ceux qu’on regarde émerveillé pour la panoplie de leur jeu offensif, il a obtenu un succès immédiat en arrivant en NBA et rien de tout cela n’était volé. La vérité je crois, c’est que Carmelo a en réalité été le dernier des Mohicans. Le dernier représentant d’une manière de jouer au basketball, et comme il n’est jamais bon signe d’être le dernier à faire quelque chose, son jeu a fini par devenir anachronique. Peut-être que Carmelo Anthony était le joueur égoïste et pas toujours impliqué que certains ont décrit. Peut-être qu’il est un génie devenu incompris alors qu’un de ses meilleurs amis, LeBron James, était en train de changer le jeu à jamais.
Comme la vérité est souvent dans un entre-deux, je vous propose de revenir sur la carrière d’un joueur adoré de certains et conspué par d’autres. Surtout, je vous propose de parler d’un monstre de la balle orange, que vous le vouliez ou non.
Carmelo Anthony, un joueur arrivé prêt au succès
Quand Carmelo Anthony est choisi en 3eme position de la draft 2003, il n’a connu que le succès. Carmelo est un prodige de la balle orange, il a connu le succès au lycée (avec Oak Hill Academy), puis il est entré dans la légende de la NCAA. Une seule saison à l’université lui a suffit pour laisser sa marque. Avec ses conrows, le maillot orange de Syracuse et sa panoplie offensive “Melo” est le basket. Et il est New-York. Il honore ainsi la ville dans laquelle il a grandi, dans laquelle il a rêvé de jouer une fois en NBA en amenant le premier et seul titre pour les hommes en Orange de Syracuse. Il laisse une trace impérissable et une photo iconique avant de débarquer dans le Colorado pour jouer pour les Denver Nuggets.
Dans une franchise qui n’a jamais rien remporté, dont le dernier coup d’éclat se résume à un upset en Playoffs durant la décennie précédente, Carmelo va faire jaillir la lumière. Son début de carrière ressemble en de nombreux points à un rêve. Il devient l’un des meilleurs scoreurs de l’histoire moderne en saison rookie, devient le leader offensif d’une équipe qui retrouve les Playoffs et ce, dès sa première saison. Pour compléter ce portrait, Carmelo possède un style, une esthétique dans son jeu qui soulève les foules et fascine de nombreux fans.
Il peut marquer de n’importe où, possède une panoplie offensive fabuleusement complète, un jabstep qui deviendra rapidement sa marque de fabrique et des qualités athlétiques suffisantes pour attaquer le cercle. Mieux encore, Carmelo dégage au début de sa carrière quelque chose d’unique. Sous la tunique satinée de Denver, les images du jeune Anthony, encore affuté, ne resteront pas en mémoire pour rien. Certains parleront de flow, d’autres se contenteront de talent, mais quoi que ce soit, il en a lui un élément intangible qui devient vite addictif alors qu’on le voit perfectionner cette mécanique de tir d’une saisissante célérité.
Quand Carmelo prend feu, il n’y a pas grand chose que vous puissiez faire. Apprécier le moment éventuellement. Et contempler si vous jouez dans son équipe. Car Melo n’est pas différent de ce qu’il sera plus tard. Dans une NBA qui touche des sommets de ce jeu lent hérité des années 90, où les attaquants enchaînent les isolations qu’elles soient dans les mains d’un intérieur ou d’un extérieur, Carmelo est à son aise. Passer n’a jamais été sa priorité, il préfère appeler son propre numéro. Dans cette ligue qui peine encore à oublier Michael Jordan, où Kobe Bryant et autres ball hog font recette, Carmelo est comme un poisson dans l’eau. Nul joueur drafté les dernières saisons n’est aussi à l’aise dans ce registre.
Toutefois, ce n’est pas du goût de tout le monde. George Karl, coach connu pour son tempérament de feu ne voit pas d’un bon œil l’attitude de sa star. Il dit volontiers que c’est le joueur le plus talentueux qu’il ait coaché, mais Anthony a des défauts difficiles à encaisser pour le tacticien des Nuggets. Il le taxe souvent d’égoïsme et s’agace régulièrement de son manque d’implication en défense ou de son comportement en coulisse. La relation entre les deux sera un constant mano à mano.
La jeune star ne semble pas très à l’écoute des conseils de son coach. La mauvaise entente avec ce dernier est souvent palpable et Melo va par plusieurs fois prouver l’immaturité et l’égocentrisme décrite par Karl sur le banc ou en conférence de presse. Cela n’empêche pas leur relation de perdurer, les Nuggets de continuer à jouer les Playoffs, cela tous les ans depuis 2004… Mais également de sortir au premier tour à chaque occasion. Si durant ses premières saisons la jeunesse excusait tout, depuis, l’ami et rival de Carmelo, LeBron James, a réussi à relever les Cleveland Cavaliers.
James est un autre animal et s’éloigne de plus en plus d’un profil d’ailier scoreur pur. Il s’impose petit à petit comme un des joueurs les plus complets de l’histoire, devient un créateur malgré son poste d’ailier, le terme d‘all-around-player commence à être prononcé. Il change les choses. Forcément, Carmelo commence à souffrir de la comparaison avec son cadet.
Les choses vont néanmoins s’améliorer. Après une association séduisante mais peu fructueuse avec Allen Iverson, Denver échange le meneur contre Chauncey Billups. Connu pour être un meneur d’homme, Billups va remettre de l’ordre dans une équipe où les caractères compliqués sont légion. Melo reste le meilleur joueur de l’équipe, mais laisse le rôle de leader à Chauncey. Et c’est la recette gagnante. Anthony devient plus altruiste, force moins le jeu et s’il voit ses statistiques se réduire, il va enfin passer son premier tour de Playoffs. Il ne s’arrête pas là, face aux Mavericks il réalise la plus grande série de sa carrière pour toucher les finales de conférence, et retrouver les Lakers de Kobe Bryant.
Les deux joueurs vont se livrer un duel d’anthologie, les deux équipes vont se rendre coup pour coup. Mais les Nuggets commettent 2 erreurs critiques, 2 fois dans la série et perdent 2 matchs cruciaux sur le fil du rasoir. C’est le point culminant de la jeune carrière de l’ailier. Et, malheureusement, cela le restera. Plus jamais il ne reverra les finales de conférence. La saison suivante est perturbée par un cancer de George Karl et deux ans plus tard, Melo trépigne. Il veut rejoindre sa ville, il veut quitter le Colorado et relever le défi de redonner des couleurs aux New-York Knicks.
Où en est la ligue pendant ce temps-là ?
La ligue, elle, continue de bouger. Les Suns de Mike D’antoni ont contribué à changer le jeu, les analytics commencent à être utilisées par quelques franchises, à l’instar des Rockets. Les ailiers prennent petit à petit la main sur la ligue dans le sillage de LeBron James et certains postes connaissent des changements clairs.
Les ailiers forts ont besoin de s’écarter, même si beaucoup d’équipes évoluent encore avec deux intérieurs classiques. La notion d’all-around-player est désormais sur toutes les lèvres. Si nous ne sommes pas encore dans une NBA sans position, les changements sont palpables. Certains carcans, rigidités sont remises en question et de nombreux meneurs et ailiers se mettent à sortir des rôles très définis qui étaient les leurs pendant des décennies. Sur les ailes, le jeune Kevin Durant devient incontournable, au point que le statut flatteur de rival de LeBron, dont était labellisé Carmelo, va bientôt être remis en cause.
Anthony est néanmoins parmi les 5-7 noms les plus en vue de la ligue et son association à venir avec Amar’e Stoudemire fait saliver les fans. Mais le joueur n’a pas franchement changé, il est toujours un scoreur devant l’éternel et le joueur plus altruiste, plus impliqué en défense aperçu entre 2008 et 2010 semble s’être évaporé sur le chemin vers la Grande Pomme.
Carmelo Anthony chez les New-York Knicks, le cauchemar éveillé ?
A New-York, Anthony est un Dieu vivant et il soulève le Madison Square Garden comme peu l’ont fait. Le problème, c’est que les saisons ne sont pas excellentes. La franchise a beaucoup investi pour construire un trio avec Amar’e Stoudemire et Tyson Chandler. Sauf que la santé de Stoudemire s’en est définitivement allée. En 2012-2013, les Knicks construisent une équipe de vétérans autour de Carmelo. Rasheed Wallace sort de sa retraite, Marcus Camby et Kurt Thomas (39 et 40 ans) sont de la partie et Jason Kidd offre sa dernière saison aux Knicks, endossant le rôle de leader laissé vacant par Chauncey Billups. Portés par un Carmelo sur un nuage, les Knicks vont connaître une saison de rêve. Anthony est insatiable et réalise probablement son chef-d’œuvre. Les Knicks vont caracoler en tête une partie de la saison, en dépit d’un effectif pourtant assez moyen et tenir tête aux Heatles, au sommet de leur art.
Sauf que comme susdit, l’effectif de New-York reste globalement limité. Une constante du parcours d’Anthony dans sa ville. Des effectifs qui iront de sympathiques à calamiteux. Et après une élimination en demi-finale de conférence cette année-là, avec Anthony qui joue blessé à l’épaule, le groupe explose. C’est la dernière fois que Carmelo dans son prime aura un groupe un minimum compétitif et cohérent. Pour certains c’est sa meilleure saison, pour d’autres elle a eu lieu à Denver. Quoi qu’il en soit, elle reste encore aujourd’hui une référence pour de nombreux fans des Knicks n’ayant pas connu les 90s.
Si Anhony est toujours un féroce scoreur, un constat commence à s’imposer. La balle circule de plus en plus en NBA. Les ball hog que nous évoquions plus tôt ne sont plus à la mode. Le termes est péjoratif, certes, mais il incarne une idée assez facile à saisir. Il désigne les joueurs qui portent longuement la balle, parfois au détriment de la cohésion de l’équipe. Dans une NBA qui attaque mieux, où le rythme est plus élevé, ce profil autrefois considéré comme un must-have commence à faire grincer des dents. Le problème, c’est que Melo a connu son succès ainsi, et que dans l’ère-King James, les Superstars doivent également être altruistes, ne plus autant monopoliser la balle.
Or Melo n’a pas de lieutenant digne de lui enlever la balle des mains. Le meilleur scoreur qu’il a côtoyé à New-York s’appelle JR Smith. Quand il a l’occasion de rejoindre les Chicago Bulls, il ne saisit pas l’opportunité et préfère rester à la maison, pour une équipe qui souhaite pourtant ostensiblement tanker. Puis les blessures arrivent, et le génial scoreur commence à ne plus être si génial. La NBA commence à voir les choses autrement, ce qui ne va rien arranger. Les analytics sont maintenant partout et mettent en avant des choses qu’on ne regardait pas avant. Ou mal.
Par exemple, un joueur qui fait du volume sans efficacité est désormais plus facilement exposé. Les notions de ratings débarquent, mettant en évidence des anomalies. Par exemple quand une équipe est meilleure… Quand son meilleur joueur est sur le banc. Et tout d’un coup, les critiques faites à Anthony résonnent de plus en plus. Puis comment se réinventer dans des groupes qui ne sont pas taillés pour gagner.
Alors Carmelo reste lui-même, sans borne. Et les années sont passées, il débarque à OKC et on parle de le faire sortir du banc. Melo ricane, l’idée lui semble saugrenue. Sauf que c’est déjà trop tard, il est désormais anachronique, il n’est plus au niveau. Il ne l’a même pas vu venir. Les années sont passées, il a croupi à New-York jusqu’à trop tard, il comprendra bientôt qu’il n’est plus une star dans cette ligue et que son profil, en réalité, n’est même plus recherché.
Le prodige a battu des records, était All-Star, All-NBA Team. Mais une multitude de facteurs ont fait qu’il demeure un sentiment d’inachevé, une sensation de pas assez, compte tenu de tout l’or qu’il avait dans les mains et dans les jambes. Et s’il a fait vibrer des salles, multiplié les fans, remis une franchise sur la carte, incarné sa ville, il n’a pas été le monument qu’il aurait pu être. Ce n’est pas dramatique. Après tout, comme il dit, il a gagné le jeu de la vie le jour où il a été drafté. Puis tout n’est pas allé dans son sens. Il n’a pas su aller dans les bonnes équipes, ses GMs n’ont pas su l’entourer à la perfection.
Lui, ne s’est pas rendu compte du besoin de faire grandir son jeu, de ne pas s’entêter à rester invariablement le même joueur. Il a joué dans une période où la NBA connaissait des transformations rapides et successives. Malheureusement, elles ne faisaient pas son affaire. Ce qui laisse un goût d’aigreur, c’est que Carmelo a prouvé des flashs à la création qui n’avaient rien d’anodin. Quand il souhaitait partager la gonfle, il pouvait trouver des coéquipiers avec des passes qui laissaient peu de place au doute, il n’était pas que doué pour se créer des tirs, il pouvait aussi en créer aux autres. A Denver, aux côtés de Chauncey Billups, il avait également prouvé qu’il était un défenseur de bonne facture quand il s’impliquait.
Nous laissant avec ce constat : Carmelo Anthony aurait pu suivre la tendance. Il aurait pu.
Au mauvais endroit, au mauvais moment ?
Certains joueurs, comme LeBron James ou Stephen Curry révolutionnent le jeu. Ils incarnent une génération et construisent une ligue à leur image. Pour certains, les changements que cela implique sont fructueux. Certains joueurs sont nés de la révolution de Stephen Curry et ont vu leur carrière bénéficier grandement des changements que cela a impliqué.
L’inverse est tout aussi vrai. Quand des changements majeurs s’opèrent, certains se trouvent lésés, deviennent inadaptés à la nouvelle réalité à laquelle ils font face. Qu’on s’entende bien, Carmelo Anthony était bien trop fort et bien trop talentueux pour être happé par ces changements. Même sans avoir su devenir plus complet, comme les changements sur son poste l’auraient nécessité, sa capacité à scorer était bien trop incontournable pour qu’il soit laissé sur le bord de la route pendant ses belles années.
En revanche, imaginer qu’il aurait été plus à l’aise si la ligue était restée plus semblable à ce qu’elle était quand il a débarqué en 2003, paraît tout à fait crédible. Dans un basket où il y a moins de mouvement et où les équipes étaient dépendantes de la capacité d’un joueur à prendre des tirs très compliqués, Anthony était le roi. Dans la nouvelle réalité de son poste, tracée par LeBron James, dans une ligue en pleine transition, il aura su rester un visage majeur, avant de voir le train repartir sans lui. Sa carrière n’en demeure pas moins grande, son souvenir impérissable pour grand nombre de fans à travers le globe, mais aussi pour tous les défenseurs à qui il a donné le tournis soir après soir.
Quant au What If de ce que cela aurait pu être… On laissera à d’autres le soin de l’écrire.