Dimanche soir, en prime-time européen, les 76ers de Philadelphia disputaient un game 7 décisif face aux Celtics de Boston en demi-finale de la conférence Est. Les deux équipes jouaient même un peu plus que cela encore, car le vainqueur de l’affrontement ferait automatiquement figure de favori au tour suivant, face au Miami Heat d’un Jimmy Butler un peu amoindri. Après une première mi-temps accrochée (55 – 52 pour Boston), Philly a complètement craqué. Le troisième quart-temps a été perdu sur le score de 33 – 10 (3 / 21 au tir !!!) sans que personne ne vienne insuffler un élan de révolte.
Au final, les 76ers ont été éliminés sans vraiment combattre. C’est la 5ème fois en 6 années désormais que la porte des finales de conférence leur est claquée sur le coin du museau (plus une élimination au premier tour en 2020). Un échec de plus, en somme, d’autant plus que la superstar du roster, Joël Embiid, vient tout juste de soulever son premier trophée de MVP de la saison régulière. Braquons d’ailleurs tous nos projecteurs sur le pivot star de la Ligue, car il a – encore une fois – cristallisé certaines critiques à l’issue de la rencontre. C’est que si le joueur est fabuleux, l’homme et le leader ne sont peut-être pas au niveau. Revenons rapidement sur les dernières sorties de Joël Embiid et sa propension à jeter ses coéquipiers sous le bus des critiques.
Si le rédacteur de ces lignes était plutôt un partisan silencieux de Nikola Jokic dans la course au MVP 2023, force est tout de même d’admettre qu’Embiid a réalisé un exercice phénoménal. Il a même d’ailleurs marqué l’Histoire, à plusieurs égards. Il est le premier pivot à conclure deux saisons consécutives en tant que meilleur scoreur de la Ligue depuis la nuit des temps, tout d’abord. Ensuite, malgré un taux d’usage incroyablement élevé (37 % d’usage %), il affiche un true shooting plus de 113, ce qui signifie qu’il a été 13 % plus efficient que la moyenne des joueurs NBA. C’est du jamais vu, tout simplement.
Voilà, ça c’était pour le joueur, pour que tout le monde comprenne bien que celui-ci est (presque) irréprochable. Les soucis viennent d’ailleurs. Évidemment, dans ce court article, nous n’allons pas tenter de définir ce que doit être un bon leader dans un collectif sportif. Ni même ce qu’est un leader, d’ailleurs. Par contre, en se passant de ce travail de définition, nous pouvons peut-être émettre quelques critiques sur le leader de vestiaire qu’est Joël Embiid.
Car c’est évidemment ce qu’il est, par la force des choses. La superstar d’un effectif est toujours considérée comme le leader du groupe, qu’elle soit vocale ou non. Il en va ainsi dans toutes les équipes et tous les sports, que cela plaise ou non au principal concerné. En NBA, nous pouvons prendre l’exemple de Kawhi Leonard, qui n’a pas l’air d’être très à l’aise dans ce costume de meneur d’hommes (en dehors du terrain, évidemment). La réalité, ce n’est pas que Joël Embiid est un leader ; il doit être un leader, dans la mesure où il est le meilleur joueur de son équipe.
Toujours sans entrer dans les débats terminologiques, il nous semble qu’un bon meneur (pas au sens basketballistique, évidemment bis) doit éteindre le feu médiatique quand celui-ci menace de se déclencher et de prendre de l’ampleur. Le coach sert également à cela ; combien de fois avons-nous entendu un entraîneur prendre l’entière responsabilité d’un échec, pour éviter que toutes les critiques soient concentrées sur tel ou tel joueur ? Sans aller jusque là, le leader demeure le porte-parole d’un vestiaire. Sa voix compte plus que celle des autres. Le discours apaisant qu’il tient peut éviter des mois de polémiques inutiles. A contrario, s’il rejette le rôle de pompier pour choisir celui de pyromane, il alimentera inévitablement les rumeurs et débats.
Depuis plusieurs années, à chaque élimination précoce en playoffs, Joël Embiid alimente vaillamment le feu par des déclarations… maladroites ? Petit florilège de ces phrases qui, sans aucun doute, ont dû faire plaisir à ses coéquipiers :
“Pour être honnête, je pense que notre erreur fatale – comment dire… – a été quand nous avons refusé un shoot ouvert pour n’inscrire ensuite qu’un seul lancer-franc“. Après la défaite au game 7 des demi-finales de conférence 2021 face aux Hawks d’Atlanta.
Ici, Embiid, faisait référence à une action effectivement lunaire, au sein de laquelle Ben Simmons s’est retrouvé seul sous le panier d’Atlanta et n’a pas dunké, préférant faire la passe à Matisse Thybulle, qui a manqué son tir, avant de rater un lancer. À cette période, Simmons était déjà dans l’œil du cyclone et connaissait des problèmes psychologiques qui nuisaient clairement à son jeu. Au cours de cette série, par exemple, il a tenté un tir toutes les 18,5 minutes lors des 4èmes quart-temps, comme s’il n’osait plus se projeter vers le panier.
“Nous pensions avoir récupéré le James Harden de Houston“. Après la défaite en demi-finale de conférence 2022 face au Miami Heat.
Prend-ça, James. Arrivé en provenance de Brooklyn à la trade deadline 2022, la barbe la plus célèbre du pays a laissé de côté son côté “scoreur boulimique” pour privilégier son playmaking élite. Adieu, donc, le combo-guard capable de scorer 35 points de moyenne sur une saison entière. Harden tournait ainsi à 21 points et 10,5 passes décisives au cours des 21 matchs de saison régulière, puis 18,5 points et 8,5 passes décisives en playoffs, avec des statistiques au tir en chute. Il faut toutefois rappeler qu’Harden trainait alors une blessure aux ischios-jambiers.
“Nous n’avons pas terminé le boulot. Nous n’avons rien gagné, et je pense que nous avons eu une opportunité de gagner […]. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé […]. Je dois être meilleur et je vais être meilleur. C’est ce sur quoi je suis concentré. Tout le monde doit revenir et s’améliorer. Moi et James ne pouvons pas gagner seuls. Le basketball se joue à 5 contre 5. Nous avons besoin que tout le monde trouve une façon de devenir meilleur. Et alors ça ira“. Après la défaite en demi-finale de conférence 2023, face aux Celtics de Boston.
À chaque fois, la petite phrase a eu un effet boule de neige médiatique. Dans un monde professionnel souvent aseptisé, les journalistes sont évidemment friands de ces déclarations. On peut toutefois se demander si ces dernières sont véritablement la meilleure des manières pour faire passer un message à certains coéquipiers. La réponse semble clairement être négative.
Il ne s’agit pas de savoir si, sur le fond, ces déclarations sont vraies ou fausses. Effectivement, le fait que Ben Simmons n’ait pas dunké est inexplicable. Évidemment, le game 7 récent face à Boston a été une faillite générale et collective. Bon, par contre, s’il s’attendait à recruter le James Harden de Houston, c’est qu’Embiid avait manqué le passage du principal à Brooklyn, où il s’était déjà mué en meneur plus traditionnel.
Le débat est ailleurs. Nous avons coutume de dire que le linge sale doit être lavé en famille. En l’espèce, au lieu d’offrir ses coéquipiers à la pâture des critiques publiques, Joël Embiid gagnerait certainement à jouer de la langue de bois et à faire passer ses messages dans l’intimité du vestiaire. Car, comme il l’a justement dit, le basketball se joue à 5 contre 5, avec des équipes composées de 15 joueurs. Encore faut-il que tout le monde aille dans la même direction. Or, pour cela… il faut suivre le leader. Et a-t-on vraiment envie de suivre aveuglément celui qui, à chaque élimination, n’hésitera pas à vous désigner clairement comme un responsable aux yeux du monde entier ? Pas nécessairement, nous sommes d’accord.
Avec le recul, lors des récentes campagnes de playoffs, la seule et unique fois qu’Embiid n’a pas fustigé quelqu’un en conférence de presse, c’était en 2019. Philly a alors perdu en 7 matchs en demi-finale (un très mauvais running gag) face au futur champion, Toronto, après un shoot lunaire de Kawhi Leonard au buzzer. Cette fois-là, nous avons vu Embiid en larmes dans le tunnel des vestiaires. Il n’a jamais paru aussi humain aux yeux des observateurs de la planète basketball.
Qu’on se comprenne bien. S’il ne passe aucun message, le leader du vestiaire ne sert certainement à rien hors du terrain. De telles déclarations peuvent d’ailleurs servir d’électrochoc pour les joueurs visés. Elles peuvent également produire tout l’inverse et mener à l’éclatement du collectif. Le cas de Ben Simmons en est d’ailleurs la preuve concrète ; plus jamais le “meneur” Australien n’a porté le maillot de Philadelphia (et ses soucis personnels ne semblent pas s’être réglés depuis lors). Aujourd’hui, des rumeurs courent déjà sur un possible départ de James Harden. En somme, au lieu de fédérer autour de lui, Embiid divise. Il comprendra certainement qu’il aura beau être le meilleur joueur du monde (ce qu’il n’est peut-être pas, mais quand bien même), il ne parviendra pas à rapporter à Philly le trophée de champion s’il n’emmène pas ses role players et lieutenants avec lui.
Le meilleur exemple, à cet égard, semble être celui de Tim Duncan. L’ailier-fort des Spurs n’était pourtant pas un tendre avec ses coéquipiers, surtout au milieu des années 2000. Par exemple, la légende veut qu’il n’a pas adressé la parole à Tony Parker lors de son année rookie. Pas un mot. Pourtant, il est unanimement considéré comme un leader exemplaire, suivi et adoré de ses coéquipiers. S’il était taiseux, comme homme, nul ne doute toutefois que s’il fallait dire ses vérités à quelqu’un, il le faisait… en privé. Ian Mahinmi disait d’ailleurs exactement la même chose de Dirk Nowitzki à Dallas.
Faut-il que Joël Embiid se taise ? Peut-être pas. Le bonhomme a toujours eu la langue bien pendue. Cela fait partie du personnage. Si cela peut avoir le don d’exaspérer, cela ne peut pas être critiqué. À défaut de se taire, deux choses peuvent être mises en avant.
Tout d’abord, la critique publique serait bien mieux admise si celui qui la profère a été irréprochable. Or, pour ne prendre que l’exemple le plus récent, Joël Embiid a été totalement transparent lors du game 7 des demi-finales de conférence 2023 (15 points (5 / 18 au tir dont 0 / 4 de loin), 8 rebonds, 1 passe décisive et 2 contres). Plus encore, il a connu une série compliquée au niveau de l’adresse offensive (aucun match à 50 %). De surcroît, mais cela s’explique par la charge offensive monstrueuse qu’il supporte, sa défense est loin d’être aussi exemplaire que par le passé. Être critiqué par quelqu’un qui vient de se louper dans les grandes largeurs, cela peut faire naître un sentiment d’injustice qui nuira évidemment à la cohésion.
Ensuite, s’il tient absolument à faire passer ses messages en interview, Embiid pourrait à tout le moins travailler la forme. S’il n’est pas toujours subtil sous les cercles – ce qui lui sert beaucoup – il gagnerait à le devenir devant les micros. Si tel n’est pas le cas, il continuera inlassablement à diviser autour de lui. Et à perdre, à n’en pas douter, malheureusement pour le joueur qu’il est.