La lottery 2023 a donné son verdict dans la nuit de mardi à mercredi, en octroyant le premier choix de la draft aux Spurs de San Antonio. Pour la plus titrée des franchises texanes, il s’agit du troisième first pick de l’histoire, après 1987 et 1997. C’est peu dire que les front office avaient eu le nez creux, en sélectionnant respectivement David Robinson et Tim Duncan. Soit, à la louche, deux des 25 meilleurs joueurs de tous les temps.
Nul ne doute du choix qui sera opéré cette année par Brian Wright, le general manager des Spurs. Avec ce premier pick, il est sûr et certain – sauf cataclysme pour l’heure inenvisageable – que les Spurs sélectionneront Victor Wembanyama, le français qui fait tant d’émules outre-Atlantique. Le principal concerné a par ailleurs semblé soulagé de voir son avenir se dessiner en noir et blanc. Pour San Antonio, drafter un tel prospect est une véritable aubaine. Toutefois, la réciproque est-elle vraie ? Débuter sa carrière chez les Spurs version 2023-24, est-ce vraiment une bonne situation pour Wemby ? Tentons d’y répondre en quelques mots !
Les points positifs d’une arrivée à San Antonio
Nous avons vu certaines personnes regretter que le premier choix de la prochaine draft tombe dans l’escarcelle des Spurs, pour tout un tas de raisons, aussi bien historique (difficile de marcher dans les pas de Tony Parker) ou sportive (ce que nous allons détailler). Pour autant, sans aucun doute, tout n’est pas tout noir et plusieurs points positifs peuvent être mis en avant si Wemby pose ses valises à San Antonio.
Le young core ?
Cela fait désormais une tripotée d’années que les Spurs n’ont plus mis un orteil en playoffs. Cela ne veut pas pour autant dire que le roster dirigé par Gregg Popovich est entièrement dénué de talent. Alors certes, lorsqu’on regarde le bilan de la saison régulière qui vient de s’achever, cela ne saute pas nécessairement aux yeux. SA n’a remporté que 22 rencontres, affiché le 29ème offensive rating et le 30ème defensive rating. En d’autres termes et pour manier l’euphémisme : c’était pas ouf.
C’est qu’il manque deux choses principales à cet effectif : un franchise player et des vétérans pour cadrer la jeunesse. Pour le premier point, peut-être que la question sera vite réglée. Nous verrons bien comment Wembanyama parviendra à se développer dans cette Ligue si exigeante qu’est la NBA, néanmoins, l’exemple récent de Luka Doncic (sans faire de comparaison qui n’ont pas lieu d’être, évidemment) prouve que les jeunes très compétitifs en Europe n’ont pas de complexe à faire valoir sur le sol américain. Pour le second point, la free agency devrait permettre de résoudre la difficulté.
Plusieurs jeunes gens de la troupe de Gregg Popovich affichent – ou peuvent afficher – le niveau attendu des options 2, 3 ou 4 d’une équipe compétitive. Le plus avancé, à cet égard, semble être Keldon Johnson. L’ailier, qui fêtera ses 24 ans le 11 octobre prochain, vient d’achever sa 4è saison dans la Grande Ligue. Chaque exercice a été le théâtre d’une amélioration substantielle, qui se traduit d’ailleurs par les chiffres. Avec des responsabilités offensives importantes (27,9% d’usage cette saison !), il a conclu ses 63 rencontres disputées avec 22 points, 5 rebonds et 3 passes décisives de moyenne. Néanmoins, il n’a jamais “aussi mal” tiré (45,2% au global, 32,9% de loin), signe peut-être que pour l’heure, il n’est pas suffisamment prêt pour être l’option 1 d’une équipe NBA.
Devin Vassell, lui, vient de conclure son troisième exercice (seulement 38 matchs joués, néanmoins, pour cause de blessures). Avec des responsabilités inédites, il s’est imposé comme un swingman compétitif (18,5 points, 4 rebonds, 3,5 passes décisives, 1 interception de moyenne, le tout avec peu de perte de balle malgré 24,5% d’usage), et tout laisse à penser qu’il continuera dans cette voie, et dans ce développement, pour la saison à venir.
Nous n’allons pas passer en revue le cas individuel de tous les jeunes du roster, rassurez-vous. Plaçons toutefois un mot pour Jeremy Sochan, avec lequel Wembanyama pourrait potentiellement partager la raquette l’an prochain. L’ailier fort, qui vient d’achever sa première saison, a affiché de belles promesses, notamment défensivement, là où il était principalement attendu. Offensivement, si le tir est encore en chantier, il a très nettement progressé au fil de la saison, notamment balle en main. Il y a encore du chemin, mais rien d’étonnant à cela, le bonhomme venant tout juste de souffler sa 20è bougie.
De bons joueurs donc, mais pas de crack absolu. Rôle qui devrait être rempli, justement, par le français. Rajoutez Wemby à ce roster, et vous obtenez, peut-être, une équipe susceptible de réaliser une saison similaire à celle d’Orlando cette année. Autrement formulé, les Spurs ne viseront probablement les playoffs dès l’année 1 du projet Wemby, mais pourraient développer un jeu suffisamment attrayant pour remporter une grosse trentaine de matchs. Pour, enfin, lancer pour de bon cette opération reconstruction, et ajoutez les pièces manquantes autour de Wembanyama.
Les clés du camion, tout de suite
Le second point positif que l’on peut mettre en exergue découle directement du premier. Sauf bizarrerie made in Popovich, il paraîtrait logique que les clés de la franchise soient confiées à Wembanyama dès son arrivée. Sur le papier (vous noterez que l’on prend beaucoup de pincettes), l’intérieur français est clairement le plus talentueux des joueurs du roster. Il semble être de la trempe de ceux qui changent une franchise par sa seule présence, malgré ses 19 printemps.
Or, être le leader d’une équipe, c’est exactement ce que Wemby souhaite. Il l’a récemment rappelé dans l’interview qu’il a accordée à l’équipe de First Team. Doté d’une confiance so american, il se dit prêt à devenir le franchise player de sa nouvelle franchise. La situation ne sera d’ailleurs pas totalement inédite pour lui : en effet, son transfert l’été dernier à destination des Metropolitans s’inscrivait clairement dans cet objectif. Certes, il a fait une croix sur l’EuroLeague, mais par contre, il a aura gagner l’occasion de faire ses gammes en tant que première option d’une équipe compétitive, qui vient de terminer la saison régulière de Betclic Elite à la 2è position, derrière Monaco. Mieux encore, il a tenu ce nouveau rôle avec brio, en étant nommé MVP et meilleur défenseur de la saison, rien que ça.
Parmi toutes les équipes susceptibles de l’attirer, San Antonio est la seule où Wembanyama était certain qu’il serait le centre du projet dès l’année 1. À Houston, on aurait pu hésiter avec Jalen Green. Du côté de Detroit, Cade Cunningham affiche le talent indéniable, malgré les blessures. Il en va de même pour Paolo Banchero à Orlando. Charlotte, Indiana et Utah possèdent un jeune All-star, avec LaMelo Ball, Tyrese Haliburton et Lauri Markkanen. Dallas, Portland, New Orleans, OKC et, dans une moindre mesure, Washington et Toronto ont a minima un joueur qui postule chaque année à une All-NBA Team. Autrement formulé, s’il voulait impérativement être le leader sportif de sa franchise, Victor Wembanyama n’aurait pas pu mieux tomber qu’à San Antonio, où il ne fait aucun doute que le jeu de l’équipe tournera autour de son extraordinaire gravité. Et on n’a même pas parlé du fait d’être coaché par Gregg Popovich.
Les potentiels points négatifs d’une arrivée à San Antonio
Pour le jeune français, il existe ainsi des avantages à s’installer dans la raquette des Spurs. Pour autant, il n’est pas absolument certain que l’équipe texane constitue pour lui le meilleur fit sportif. Les observateurs préféraient de très loin des franchises comme Indiana, Charlotte, voire Detroit (parmi les institutions qui avaient une chance véritable d’avoir le first pick). Les raisons à ces préférences sont doubles : un guard play qualitatif, voire presque élite, et l’existence d’un second intérieur costaud à mettre à ses côtés.
Des soucis de guard play ?
Imaginez, juste une seconde, un pick & roll Haliburton – Wembanyama ou un pick & pop Ball – Wembanyama. Cela rendrait immédiatement la franchise ultra-sexy. Spoiler, du côté de San Antonio, le guard play n’est clairement pas aussi qualitatif. Or, dans le développement optimal d’un jeune intérieur, la présence d’un meneur dominant et altruiste constitue non pas un impératif, mais un point primordial.
En 2022-23, la gonfle était majoritairement collée dans les mains de Keldon Johnson, Devin Vassell ou Tre Jones. Parmi ces trois joueurs, seul le dernier peut être considéré comme un meneur et comme un gestionnaire. Les deux autres, s’ils ne sont pas maladroits et ne rechignent pas à lâcher la balle, sont avant tout des créateurs pour eux-mêmes, sans être “élite” dans le domaine. Dans l’optique de faire jouer un intérieur, ce n’est peut-être pas ce qu’il y a de mieux.
Alors certes, Wembanyama se verra certainement confier des responsabilités à la création, tant il semble à l’aise balle en main. Il ne pourra cependant pas être l’alpha et l’omega de l’équipe, d’autant plus qu’il sera ciblé par les défenses adverses dès son premier match, le traitement qui lui sera réservé étant quasi-inédit pour un rookie. Dès lors, il faudra que les Spurs se dotent d’autres porteurs de ballon.
Tre Jones fera-t-il l’affaire ? Le rédacteur aimerait le croire, vraiment. Le frère de Tyus, qui évolue à Memphis, a réalisé une troisième saison très prometteuse. Il est d’ailleurs monté en puissance au fil de la saison, pour réaliser un dernier mois solide : 14 points (56 % au tir, 40 % de loin en un peu moins de 2 tentatives), 3,5 rebonds, 8 passes décisives, 1,3 turnover, en 15 matchs. Jones présente l’avantage d’être un distributeur. Il n’hésite pas à faire jouer ses coéquipiers, même si cela s’effectue aux dépens de sa propre marque au scoring. À notre sens, c’est ce style de meneur qui conviendrait le mieux au jeu de Victor Wembanyama, qui aura besoin d’être servi dans ses positions préférentielles.
La souci, c’est que malgré un mois de mars en fanfare, Tre Jones demeure un piètre shooteur, notamment à distance (28,5 % l’an passé, 27 % en carrière). Il ne représente donc pas une menace au large. La défense n’est donc pas contrainte d’aller le presser haut, comme elle devrait le faire avec Haliburton, par exemple. Aussi, les espaces seront naturellement moins importants à l’intérieur. On remarque d’ailleurs que les Spurs ne présentent que le 26ème pourcentage de réussite à trois-points (34,5 %). Surtout, seuls NOLA, Chicago et Atlanta ont moins tiré de loin que les hommes de Popovich. Attention à l’embouteillage dans la raquette, surtout si un phénomène de 2m20 y est ajouté !
Wembanyama au poste de pivot, vraiment ?
Certes, le jeu de Wembanyama n’est pas totalement tourné à l’intérieur, comme un pivot “traditionnel”. Le jeune homme préfère de loin être servi plus loin du panier, jouer en isolation, dégainer de loin, … Il a en réalité toute la panoplie de l’ailier, dans un corps trop grand pour le poste 3. Néanmoins, et cela semble indubitable, Wemby n’est pas fait pour être pivot en NBA. C’est davantage un ailier-fort, auquel il faudrait adjoindre un autre grand dans la raquette, notamment sur les phases défensives.
L’exemple de comparaison le plus topique semble être celui d’Evan Mobley à Cleveland. Le sophomore est d’ores et déjà l’un des tous meilleurs défenseurs de la Ligue ; néanmoins, ce n’est pas lui qui encaisse le premier contact sur les pénétrations adverses. Le “sale boulot” est effectué par Jarrett Allen, envoyé au charbon. Il en va de même avec Robert Williams III à Boston, protégé par Al Horford. Nul doute, d’ailleurs, qu’Oklahoma usera de la même stratégie pour entourer le défenseur d’exception – bien que frêle – que promet d’être Chet Holmgren.
Victor Wembanyama a le profil pour changer une défense par sa seule présence. Il est tellement long, tellement dissuasif, qu’il modifiera également l’attaque des adversaires. Pour autant, pour maximiser ses aptitudes défensives, il faudrait qu’il évolue à côté d’un vrai pivot de métier. Cela aurait pu être le cas à Indiana, avec Myles Turner, à Charlotte avec Mark Williams ou à Portland avec Jusuf Nurkic, voire à Toronto (à peine 1% de chance d’avoir le premier choix) avec Jakob Poeltl. L’Autrichien semble être le joueur parfait à mettre à côté du français. Dommage qu’il ait été tradé… par San Antonio pas plus tard qu’à la dernière deadline.
Les Spurs possèdent-ils ce profil de pivot costaud et à même d’encaisser les premiers contacts ? On constate effectivement la présence dans l’effectif d’un pivot plus classique, haut de 2m11 et qui répond au nom de Charles Bassey. Le sophomore, dont l’intelligence défensive semble être en évolution, aurait un profil idéal et complémentaire à celui de Wembanyama. Il est peut-être par contre insuffisamment lourd pour tenir le rôle que l’on entend lui confier. S’il s’agit d’un poste 5 proche du cercle et efficace dans cette zone (65% de réussite), ainsi qu’un défenseur besogneux et pas avare de contre (1 contre en 14,5 minutes de jeu), il ne s’est vu jusqu’alors accorder qu’un temps de jeu très limité; et souffre d’un corps qui le lâche trop fréquemment sur ce début de carrière (58 matchs en 2 saisons).
Hormis Bassey, personne ne semble pouvoir jouer le rôle de premier rempart. Jeremy Sochan est excellent défensivement sur l’homme, mais il a le corps d’un grand ailier ou d’un petit ailier-fort (2m06, 104 kilos). En somme, si le roster ne connaît pas d’évolutions en ce sens, Victor Wembanyama sera amené à évoluer au poste de pivot. Dans l’optique de capitaliser au maximum sur ses aptitudes naturelles et ses “compétences terrain”, cela ressemble presque à du gâchis. Dans un monde idéal, les Spurs profitent de la prochaine fenêtre de transferts pour attirer dans le Texas un poste 5 dur au mal, un éboueur qui n’a pas besoin de la gonfle. Wemby cherche son garde du corps, et cela semble capital, sauf à ce que Gregg Popovich et son staff aient déjà quelques idées de jeu.
Les hésitations sur la stabilité de San Antonio
On entend depuis le début du siècle que la franchise de San Antonio est un exemple de stabilité et de gestion idéale. C’était indubitable il y a encore quelques années. L’affirmation a cependant pris du plomb dans l’aile ces dernières années. R.C. Bufford a lâché le poste de directeur général en 2019 et le poste a été repris par Brian Wright. Si nous ne tirons pas au boulet rouge sur ce dernier, force est de constater que la franchise a connu quelques frasques depuis le début de son mandat, avec, en point d’orgue, le numéro d’exhibitionnisme de Joshua Primo l’an dernier.
Les choix ne sont peut-être plus aussi sûrs qu’ils ne l’ont été à San Antonio, et le fait qu’il n’y ait pas de vétéran dans le roster pour distribuer des baffes laisse la jeunesse livrée à elle-même (même si nous n’oublions pas ce brave McDermott).
Certes, le taulier qu’est Gregg Popovich est encore là. Néanmoins, même s’il paraît immortel, Pop a désormais 76 ans. Depuis le tragique décès de sa femme, des rumeurs courent sur son départ à la retraite à chaque fin de saison. Même si ce n’est pas pour tout de suite, il paraît peu probable qu’il reste encore 5 années assis sur le banc de la franchise. Sa succession sera l’objet de tous les regards, et dans la mesure où le roster est juvénile, elle sera surtout d’une importance majeure.
La franchise n’est donc plus aussi stable qu’elle ne l’était il y a 10 ans. Les turbulences liées au départ prochain de Gregg Popovich devront être gérées avec brio, sans oublier que RC Buford ne sera pas non plus éternel. La tâche ne sera donc pas des plus aisées. Pour Victor Wembanyama, on espère que les Spurs redeviennent la forteresse immuable du début du siècle. Alors, le talent générationnel qu’il est pourra s’exprimer pleinement dans un environnement sain. Ce n’est pas beaucoup demander, si ?