Comme on se retrouve. Pour la troisième fois en quatre ans, après 2020 et après 2022, les Boston Celtics et le Miami Heat croiseront une nouvelle fois le fer à ce stade des Finales de conférence. Dans la bulle, les Floridiens avaient triomphé, tandis que l’an passé, c’est l’équipe du trèfle qui en était ressorti vainqueur au forceps, après une Game 7 au couteau. Qu’en sera-t-il de ce 3e affrontement ?
Pour se retrouver, les deux franchises ont vécu une postseason bien différente. Le Heat a dû passer par deux tours de play-in pour arriver en play-offs, où ils ont terrassé les Bucks, pourtant ultra favoris, dans le sillage d’un Jimmy Butler exceptionnel, avant de maitriser collectivement des Knicks valeureux mais limités offensivement. Malgré des blessures (Oladipo, Herro), le Miami est apparu en gestion sur les deux tours. Quant aux C’s, ils ont vaincu des Hawks combatifs mais avec des limitations défensives, puis des Sixers très accrocheurs, après un nouveau Game 7 maitrisé, mais ils se sont fait peur et arrivent finalement en Finales de conférence avec moins de certitudes collectives qu’à l’entrée des play-offs. Tout le contraire de leur adversaire.
Tout est ainsi réuni pour un véritable feu d’artifice tactique au cours des deux prochaines semaines. Qui remportera la belle et retournera en Finales NBA ?
La régularité et l’efficacité des superstars
Petite question en introduction : pour vous, est-ce que Jayson Tatum a fait une bonne série contre les Sixers ? Dans les statistiques totalement, car avec 29 points et 11 rebonds, il a été le meilleur scoreur et le meilleur rebondeur de la série. Le tout en étant clutchissime en fin de Game 6 et lors de la totalité du Game 7, dans lequel il a scoré 51 points, là où cela compte vraiment. Pour autant, c’est comme souvent une histoire de verre à moitié plein et de verre à moitié vide, et le côté pile c’est un JT à moins de 50 % au shoot lors de cinq matchs sur sept, avec un horrible Game 2 à 1/7 au tir et non moins fameux 5/21 au Game 6 (qu’il a sauvé avec son dernier quart-temps).
Du lard et du cochon donc, pour un joueur habitué à cette relative irrégularité dans la performance. Pourtant, face à l’une des défenses les plus rigoureuses de la ligue, sans doute marqué de près par Jimmy Butler une bonne partie du temps, l’ailier des Celtics ne pourra pas se permettre d’avoir autant de trous d’air offensifs.
De l’autre côté du flanc, nous avons Jimmy Butler. En feu total (36 points de moyenne sur la série) contre les Bucks, sa cible favorite, l’ailier du Heat est redescendu dans ses standards plus habituels au 2e tour (25 points de moyenne) et dans ses pourcentages, tout en dominant quand même les ailiers adverses.
Malgré une blessure à la cheville à la fin du Game 1, qui l’a éloigné pour le deuxième match, Jimmy Buckets est revenu pour la fin de la série et a été productif, même si on ne l’a pas totalement senti à 100 %. Heureusement pour la franchise floridienne, leur série s’étant finie plus tôt, ils ont disposé de cinq jours de repos pour soigner les différents petits bobos, dont ceux de leur superstar.
Tatum comme Butler auront tous les deux pour mission d’endosser la majorité du scoring de leur équipe, tout en se défendant mutuellement une bonne partie du temps. La clé de ce duel résidera dans l’agressivité en direction du cercle : si Tatum reste derrière la ligne à trois points et ne cesse d’arroser de loin, c’est là qu’il risque de se perdre, car l’adresse ne sera pas toujours là ; quant à Butler, son jeu naturel le force à se diriger vers le panier et à prendre un maximum de shoot à mid-range. Celui des deux qui prendra le dessus sur l’autre, en attaque comme en défense, donnera un avantage certain pour son équipe dans cette série qui risque de se jouer sur des détails.
L’attaque des Celtics retrouvera-t-elle son allant face à l’excellente défense du Heat ?
Literally, the majority of the offense is random. Cette phrase aurait été prononcée par Marcus Smart il y a quelques, au sujet des systèmes offensifs plutôt rudimentaires de son coach. Vraie citation, parole déformée ou véritable invention, il est indéniable de constater que l’attaque des Celtics s’est grippée en arrivant en play-offs, loin de la flamboyance de la saison régulière.
En statistiques brutes, Boston a justement été la quatrième meilleure attaque de la saison régulière. Impulsée par ses deux leaders, Jayson Tatum et Jaylen Brown, qui ont tous les deux réalisé leur meilleure saison en carrière au scoring (30 points de moyenne pour JT contre 26,5 pour JB), l’attaque de Boston est censée devenir un casse-tête difficilement soluble pour n’importe quelle défense de play-offs, celle du Heat comprise. Enfin, ça, c’est sur le papier.
Dans les faits, l’attaque de Boston s’est montrée trop stéréotypée et a manqué de variation lors des deux premiers tours : souvent un excès de tirs à trois points, un mouvement de balle plus aléatoire qu’à l’accoutumée, un Marcus Smart moins inspiré, un Tatum trop soliste, un Brown peu assez servi, des intérieurs pas suffisamment alimentés dans la peinture avec Horford limité dans son rôle dans un corner et la verticalité de Robert Williams inutilisée sur des situations de pick and roll ou de alley-oops. C’est passé contre les Hawks (123 points marqués en moyenne sur les six rencontres), ça a manqué de ne pas passer contre une meilleure défense (110 points de moyenne inscrits sur les sept matchs de la série contre les Sixers). Avec en point d’orgue deux rencontres sous la barre des 105 points. Ce sera une autre paire de manches face à une encore meilleure défense, qui vient en back-to-back d’étouffer les Bucks et de rendre impuissante la pourtant bonne attaque des Knicks, limitée à seulement 100 points de moyenne sur les six matchs.
La défense du Heat est douée d’intelligence collective : les joueurs sont excellemment bien coachés, coulissent dans le bon tempo et sont durs sur l’homme. Ils vont attendre l’attaque de Boston de pied ferme et camper sur leurs positions. Comment les Celtics pourraient les surprendre alors ? En deux mots, variation et agressivité.
C’est-à-dire ? De l’agressivité d’abord, car un « simple » 5-out ne suffira pas, même bien exécuté, tant le Heat prépare toujours de redoutables plans défensifs sur les schémas préférentiels de ses adversaires : Adebayo n’est pas Clint Capela et ne serait pas exposé autant lors d’un 5-out ; il n’y a pas tant de mismatch que ça parmi les défenseurs du Heat ; Tatum serait trappé, ce qui rendrait inopérante la meilleure arme des Celtics. Du 5-out est bien sûr à utiliser par séquences, mais ils ne devront pas se contenter de faire ça.
De la variation ensuite, car c’est en cuisinant l’ensemble de leurs ingrédients que les C’s arriveront à prendre le pas sur la défense du Heat : pick and roll, écrans, ligne de pénétration dans le dos des défenseurs, switch pour rechercher un match-up favorable, tirs à 3 points après une longue possession, tirs à 3 points en pull-up, circulation de balle à la recherche de décalage, agressivité vers le cercle pour finir proche du panier et obtenir des lancers, alley-oop pour Robert Williams, mid-range. En gros, utiliser tous les outils présents dans la caisse, pas uniquement quelques-uns par nonchalance et manque d’envie comme face aux Hawks, ou par suffisance des joueurs et limites de coaching de la part du head coach comme face aux Sixers.
L’attaque des Celtics est finalement corrélée au rendement de son meilleur joueur, Jayson Tatum : meilleur playmaker de l’équipe et première option au scoring, c’est lui qui devra donner le ton en attaque, faire les bons choix et impulser le mouvement collectivement. Son agressivité sera déterminante : hormis Butler et Adebayo, qui ne seront pas constamment sur son dos, aucun joueur du Heat ne possède l’aisance défensive et la mobilité latérale comme verticale pour défendre les pénétrations de Jayson Tatum.
En réponse, Miami pourrait dégainer son plus bel atout de sa manche : sa défense en zone, qui avait notamment tant gêné les Celtics en 2020. Le personnel autour du trio Butler-Adebayo-Spoelstra était un peu différent (Strus, Martin, Vincent, Love et Lowry ont remplacé numériquement Crowder, Herro, Iguodala, Derrick Jones Jr et Dragic), mais le cœur reste le même et l’intensité défensive est toujours présente.
La défense en zone consiste à s’appuyer sur une défense dite en « 2-3 », avec deux extérieurs devant, mobiles et rapides, et trois joueurs derrière pour bloquer l’accès à la raquette, avec le pivot au centre des tours telle une tour de contrôle. Bien exécutée, la défense en zone permet de limiter les drives, de couper les lignes de passes et ainsi de provoquer des turnovers adverses. Si le Heat met cette défense en zone en place, c’est pour inciter les Celtics à rester dans leur schéma peu agressif et se contenter de tirs à trois points plus ou moins ouverts. Si les Celtics tombent dans ce piège, ils perdront, car l’adresse va et vient en NBA, surtout dans un contexte de play-offs, et d’autant plus avec une armée de bons shooters mais pas non plus des snipers (seuls deux joueurs des Celtics, Horford et Brogdon, sont à plus de 40 % à trois points cette saison).
Envie, course à haute intensité, communication, aide et collectif, voilà les clés de la zone de Miami. Dans ce schéma d’une zone pour la franchise floridienne, les deux facteurs X seront Jaylen Brown côté Celtics et Bam Adebayo pour le Heat. Tatum sera le joueur le plus surveillé, ce qui de facto laissera des espaces à Jaylen Brown et de potentielles lignes de pénétration. Nous ne sommes plus en 2020, Brown est désormais un double All-Star à 26 points de moyenne par match, et s’il se montre lui aussi agressif, peu de défenseurs du Heat pourront l’empêcher de passer l’épaule. En défense de zone, Butler sera en premier rideau, et principalement dans la zone de Tatum, tandis que Adebayo sera dans la raquette, ce qui laissera Jaylen Brown face à des défenseurs (Lowry, Caleb Martin, Strus, Kevin Love) sur lesquels il devra prendre l’avantage.
Quant à Bam Adebayo, garant de l’assise défensive du Miami Heat, il aura à sa charge de protéger coûte que coûte la raquette. C’est lui qui avait contré Jayson Tatum au Game 6 en 2020, et c’est lui qui devra gérer les possibles rotations avec deux pivots, qui pourraient être utilisé par Boston pour contrer la zone ou au moins apporter de la taille face à une équipe du Heat assez petite, comme en 2022. Ce sont pour tous ces éléments que la science défensive de Bam Adebayo sera cruciale. S’il ne fait pas sa série défensivement, le Heat perdra.
Le « mur » du Heat a déjà fait ses preuves contre Boston il y a trois ans, et avait manqué de réussir l’an passé, ainsi que contre Milwaukee deux fois et une fois contre Atlanta. Pour les Floridiens, c’est clairement leur valeur sûre.
Les systèmes offensifs du Heat et son banc à l’épreuve de la défense des C’s
Pire attaque de la ligue en saison régulière, avec 109,5 points de moyenne pendant 82 matchs, le Heat se retrouve face à la quatrième meilleure défense, dans une savoureuse opposition de style. Disons tout de suite : énoncer les chiffres de la saison régulière pour parler de play-offs n’est pas forcément le plus pertinent, tant Miami est une équipe qui arrive à hausser en postseason son plancher défensif et son plafond offensif, mais ces statistiques sont assez parlantes et sur un échantillon suffisamment important pour que nous les prenions en compte.
Dans une insolente réussite d’adresse et avec un Jimmy Butler incandescent, le Heat a tout rentré dans sa série face aux Bucks, une série d’attaque avec un fort volume de points des deux côtés, qui a vu les Floridiens scorer en moyenne 124 points en cinq rencontres. Soit un différentiel de +14,5 points par rapport à leur saison régulière. Lunaire. Mais une telle réussite au tir ne pouvait pas durer et était le signe d’un épiphénomène, autant pour la superstar que pour les role players (non, Gabe Vincent ne pouvait pas décemment shooter comme Ray Allen pendant deux séries de suite) et ils ont vaincu les Knicks avant tout grâce à leur remarquable solidité défensive, moins grâce à leur attaque, qui était dans leurs standards de saison régulière (104,5 points de moyenne). Dès lors, face à la très bonne défense de Boston, et sans leur troisième et leur sixième meilleur contributeur offensif (respectivement Tyler Herro à 20 points et Victor Oladipo à 10 points), comment le Miami Heat peut s’en sortir offensivement ?
Comme nous l’avons évoqué dans la première grande partie, il existe la tentation de donner la balle à Jimmy Butler et d’attendre qu’il rentre un maximum de tirs difficiles. C’est une option qui existe, mais sur lequel Spoelstra n’a aucun contrôle tactique. Autant arroser et prier. Non, plus sérieusement, Jimmy Butler doit être mis dans les conditions pour scorer, c’est-à-dire placer un maximum dans ses spots (mid-range à 45 degrés), avec un maximum de mismatch : aller chercher Horford ou Robert Williams, jouer le 1 contre 1 face Marcus Smart ou Derrick White, tenter de prendre de vitesse un Jaylen Brown moins souverain actuellement en défense. En somme, essayez d’éviter, via les déplacements et les switch, Jayson Tatum. Tous les joueurs des Celtics cités précédemment sont de bons défenseurs, mais vous connaissez le dicton : good defense, better offense, et il est difficile d’empêcher Butler de scorer en play-offs et dans ses spots.
Une nouvelle fois, une partie des responsabilités restantes reposeront sur Bam Adebayo. Il n’est pas seulement attendu défensivement, il devra également se montrer dominant et efficace en attaque. Bam aura théoriquement moins d’espaces et de libertés dans la défense des Celtics par rapport à celle des Knicks, surtout dans le line-up à deux pivots dans la raquette de Boston, mais il devra en tirer profit pour étaler l’ensemble de sa palette offensive. Bien contenu dans la série de l’an passé (seulement 3 matchs sur les 7 au-dessus des dix points), il nous doit une revanche. Miami devra chercher le switch, cibler Robert Williams qui, même si très mobile, peine encore à tenir des arrières rapides en un contre un. Alors Bam sera en position de match-up favorable, puisqu’il est plus rapide qu’Al Horford et plus grand que tout le reste de l’effectif de Boston, et pourra être servi pour conclure l’action.
La défense en zone de Miami provoque des turnovers adverses, les joueurs du Heat pourront en profiter pour tenter des interceptions, se mettre en travers des lignes de passe et exploser en transition : Caleb Martin, Max Strus et Gabe Vincent auront ce rôle offensif de scorer en transition, d’être agressif en direction du cercle et de rentrer leurs 3 points. Kevin Love, quant à lui, devra élargir le terrain en étant efficace à longue distance. Duncan Robinson également, s’il voit le terrain. Kyle Low devra refaire comme lors de sa bonne série contre les Knicks : distribution, assurer le liant, agressivité, tenter des steals et prendre une dizaine de tirs par match. Le Heat aura besoin de sa quinzaine de points, car il n’y a pas tant que ça de contributeur offensif : le banc est finalement assez maigre, les rotations sont courtes.
En réalité, c’est surtout en défense que le salut de Miami passera, s’il passe, car à moins d’avoir un nouveau coup de chaud d’adresse, ils ne gagneront pas une série d’attaque face à Boston. L’an passé, ils ont réussi à les amener en sept matchs en limitant les Celtics à 101 points par rencontre au cours de la série. Cette année, il leur faudra rééditer une performance similaire, puisque si le Heat encaisse 110 pions tous les soirs, il leur sera difficile de répondre offensivement.
Après avoir annihilé l’attaque des Sixers dans la deuxième mi-temps du Game 7, les C’s ont une nouvelle mission !
Qu’attendre de cette série ?
Difficile de prédire l’issue de cette série, tant elle repose sur des éléments intangibles, loin du papier et de la théorie. Oui, si l’on additionne tous les joueurs dans chacun des rosters, la balance talent penche clairement du côté du Massachusetts. Oui, si l’on compare l’expérience et les qualités des deux coachs, c’est désormais une victoire par ko de Miami. Boston semble être une meilleure équipe, en tout cas leur plafond est plus haut, mais ils ont de sacrés trous d’air au cours des rencontres et au cours des séries (généralement, entre les matchs 3 à 5), tant et si bien que leur petite marge supposée s’étiole sur l’autel de leur irrégularité. Tandis que Miami est une équipe accrocheuse, qui ne lâchera rien, rugueuse et redoutable dans les fins de match.
Si je devais me risquer à un pronostic, je pense qu’il y aura 2-2 à l’issue des quatre premiers matchs, puis que le talent de Boston et le manque de profondeur de banc du Heat se fera ensuite sentir. Victoire 4-2 des Celtics.