Faire une preview d’une série de playoffs, pronostiquer un résultat est toujours un exercice difficile. Surtout quand les équipes qui s’affrontent ont des atouts et des faiblesses différentes. L’issue perçue comme la plus probable est basée sur un ensemble d’éléments auxquels nous allons attribuer plus ou moins d’importance.
Le fond du problème ? Nous utilisons souvent les rapports de forces d’hier pour jauger les affrontements d’aujourd’hui. Par habitude et parce que certaines règles semblent établies. On s’est par exemple toujours dit que les playoffs étaient avant tout le rendez-vous des superstars. La phrase selon laquelle les légendes se forgent au printemps ne vient pas de nulle part. Et aussi loin que je puisse me souvenir, ou aussi près, difficile d’arguer le contraire.
Il suffit de voir les confrontations de finales et les noms des derniers MVP de ces dernières : LeBron James, Kevin Durant, Stephen Curry, Kawhi Leonard, Giannis Antetokoumpo. Aucun nom de cette liste ne coche pas la case “superstar“.
Pour autant, le basketball est en mouvement et plus les années passent et plus un constat me semble s’imposer : nous ne donnons pas assez d’importance aux rotations. L’exemple le plus probant de ce premier tour a été la série entre les Knicks et les Cavaliers. L’équipe de Cleveland était globalement considérée comme favorite, puisqu’elle possédait les noms les plus clinquants et le 5 de départ le plus fort.
C’est essentiellement ce qui a nourri la confiance autour de l’équipe de J.B. Bickerstaff. Le quatuor Garland – Mitchell – Mobley – Allen inspirait nettement plus que les starters de Tom Thibodeau. Pourtant, la marche était bien trop haute et les Cavaliers ont rapidement pris la porte (4-1). Ce phénomène pourrait encore se contempler jusqu’aux finales NBA. Il semblerait qu’il soit le résultat d’un monde du basketball en mouvement. Je vous propose d’en discuter.
La profondeur en NBA n’est plus comparable
Il ne faut pas remonter si loin pour sentir l’évolution contemporaine du basketball. Revenons pour commencer aux playoffs 2011. Moins d’un an plus tôt, les Heatles se sont formés autour du trio Wade – James – Bosh. Le titre leur semble acquis et la présence en finale est vue comme une formalité. Ce sera le cas. L’équipe sort de la conférence Est sans que cela surprenne réellement grand monde, avant de s’incliner face aux Mavericks (4-2). Cette défaite est toutefois certainement plus due à la défaillance de LeBron James que celle de ses role players.
Pourtant, le supporting cast du Heat me paraît particulièrement faible. Déjà à l’époque, mais beaucoup plus à posteriori. Le genre de groupe dont on douterait aujourd’hui très sérieusement de la faculté à gagner 4 séries de playoffs. Et pour cause, aucun joueur récurrent dans la rotation de Spoelstra n’excédait les 7 points par match au cours de la saison régulière. Plus encore, nombre d’entre eux n’auraient pas leur place dans une rotation de 10 joueurs à l’heure actuelle et d’ailleurs, aucun n’apporte une véritable polyvalence offensive. Voyez plutôt :
Ce constat peut être dupliqué vis-à-vis d’un grand nombre d’équipes majeures de cette période. Pourtant, beaucoup de champions des trois dernières décennies (des années 1990 au début des années 2010) disposaient d’un groupe de cet acabit. Il s’agit peut-être là d’une première explication à notre façon d’évaluer aujourd’hui les équipes, leur roster et leurs chances d’aller au bout. Ce type de constructions autour de 2 à 3 stars a longtemps été la clé du succès ; les stars vous emmenaient loin et vous pouviez avoir autour quelques spécialistes, voire parfois des joueurs bien peu mémorables qui comblaient les trous dans la rotation. C’était alors suffisant.
Le monde influence la NBA
Dans les années 2000, le scouting international donnait un avantage compétitif aux Spurs. Ils arrivaient à drafter la crème de la crème du basketball à l’étranger, même dans les profondeurs du second tour (Manu Ginobili a été draft en 57eme position !!). Devant le succès en NBA de ces joueurs venus du monde entier, l’engouement pour notre sport a explosé. Il a tracé une voie pour que, petit à petit, le vivier des joueurs susceptibles d’évoluer dans la Grande Ligue s’étende de manière exponentielle. Aujourd’hui, la quantité de talents à disposition est sans commune mesure avec ce qu’il a été.
Le nombre d’excellents joueurs draftés tard ne cesse d’augmenter, les derniers MVP sont tous étrangers (Giannis Antetokounmpo en 2019 et 2020, Nikola Jokic en 2021 et 2022, Joël Embiid en 2023) après des années de domination États-unienne et toujours plus de joueurs arrivent à faire leur trou sans même avoir été sélectionnés à la draft (le Miami Heat en a par exemple fait sa spécialité).
Vous l’aurez compris ; la densité de talents disponibles ne cesse de s’accroître et en ce faisant, de plus en plus d’équipes arrivent à monter des rosters avec des joueurs talentueux qui sont bien plus que des faire-valoir pour les stars qui évoluent à leur côté.
Ce n’est cependant pas tout.
“Le Basketball il a changé”
Le jeu actuel est également différent. Les attaques sont beaucoup plus riches et réussissent de mieux en mieux à impliquer l’ensemble d’un groupe. En réalité, elles ne peuvent plus se permettre d’avoir des poids morts en attaque, la faute à des défenses qui ont su s’adapter, se discipliner, apprendre à utiliser les statistiques avancées pour orienter les choix, délaisser les joueurs qui ne représentaient pas un danger au profit de ceux qu’il faut museler. Et d’ailleurs, c’est tout aussi vrai en défense. Posséder un joueur qui ne sait pas défendre n’est acceptable que si le joueur est indispensable en attaque et encore, cela pose parfois des dilemmes insolubles.
Ce n’est pas un hasard si les Suns souffrent actuellement face aux Nuggets ; ils manquent de profondeur et doivent faire des choix qui nuisent soit à leur défense, soit à leur attaque. Okogie est leur meilleur défenseur disponible mais manque de talent offensif et contraint (presque) ses coéquipiers à attaquer à 4 contre 5. D’autres joueurs permettraient d’attaquer à 5-contre-5 (Terrence Ross, par exemple) mais rendent la défense de l’équipe poreuse.
Dans le même temps, des équipes comme les Celtics possèdent une palanquée de joueurs qui sont tous capables de shooter, de défendre à haut niveau, de poser un dribble et d’attaquer lorsqu’ils ont un espace. Le basketball devient alors beaucoup plus simple car tout ce qu’il faut attendre de ces joueurs, c’est qu’ils fassent le bon choix au bon moment : ne pas forcer de tirs, prendre leurs responsabilités, shooter quand la défense offre un espace ou attaquer le cercle quand elle parvient à faire un close-out.
Ainsi, depuis le milieu des années 2010 et le début de la course à l’armement entre Warriors et Cavaliers, les équipes qui se hissent en finales NBA ont toutes des rotations très fournies.
Pourtant, nous continuons de donner beaucoup de crédit à des superstars qui manquent de soutien, alors même que l’on sait parfois que leur marge d’erreur est minime : il suffit que l’un sous-performe, ait un pépin physique ou match-up défavorable pour que l’équipe se trouve au bord de la rupture.
Une équipe peut-elle survivre à un manque de rotation ?
Ici, notre capacité à faire preuve de nuance va être importante. La réalité de notre constat ne découle pas du fait que les superstars ont perdu de leur superbe, c’est surtout qu’ils font face à une opposition beaucoup plus compacte.
Les meilleurs exemples cette saison semblent à nouveau être Cleveland et Phoenix.
Par exemple, les Cavaliers n’avaient que 4 joueurs sur qui compter. Okoro est un attaquant beaucoup trop frustre. Cela a obligé J.B Bickerstaff à utiliser à Caris LeVert. Or, faire de celui-ci un maillon essentiel de votre saison équivaut à se tirer une balle dans le pied. Dès lors, ils ont passé la série à chercher leur 5eme joueur, mais ont du faire face à des Knicks qui, de leur côté, pouvaient compter sur leur banc pour apporter du scoring, de l’énergie et des variations. Obi Toppin a été décisif, Josh Hart a littéralement emporté le Madison Square Garden et Isaiah Hartenstein a fortement contribué derrière un Mitchell Robinson étincelant. Et encore, ils ont dominé avec un Immanuel Quickley très en-deçà du niveau qu’il a affiché en saison régulière et un Julius Randle à la peine (mais sur ce point, sommes-nous vraiment étonnés ?).
Les Suns ont connu un premier tour tranquille face à des Clippers qui possédaient une profondeur qui avait de quoi les effrayer, mais qui ont malheureusement dû se passer de Kawhi Leonard (qui a disputé deux rencontres) et Paul George. Pour autant, malgré l’absence de leurs leaders, les Clippers ont représenté un véritable challenge et avaient même repris l’avantage du terrain avant que Leonard ne se blesse. Les Suns se sont retrouvés menés 2-0 face aux Nuggets et s’ils ont égalisé, c’est bien lorsque Monty Williams a trouvé une réponse à cette question : qui peut aider Devin Booker et Kevin Durant à tenir le rythme ?
Comme nous l’avons mentionné plus tôt, les Cavaliers étaient favoris face aux Knicks et les Suns font figure de favoris à l’Ouest pour accéder aux finales. Et si Phoenix continue de tenir la barre de ces attentes, force est de constater que la pression sur Devin Booker et Kevin Durant est incommensurable.
Tout cela parce que nous continuons de surestimer les stars, ou plutôt de sous-estimer l’importance d’une rotation complète qui offre une flexibilité aux coaching staffs. Nous continuons de nous fourvoyer en donnant trop de crédit à des équipes contre lesquelles, malgré l’addition de superstars, il sera aisé d’attaquer ou défendre. Un constat s’impose : il devient de plus en plus anachronique d’espérer gagner un titre sans avoir une rotation d’au moins 7-8 joueurs de très haut niveau.
Ceci représente peut-être l’évolution la plus importante que les GM de nos franchises favorites doivent intégrer pour nous faire rêver. À nous, désormais, d’en tenir compte pour enfin faire un bracket de playoffs à peu près réussi.