Aux portes de l’élimination, les Minnesota Timberwolves ont sauvé l’honneur alors qu’ils étaient menés 3-0. En guerrier, Anthony Edwards a pris les choses en main pour repousser la fin de la saison. Enfilant sa cape de superhéros, Ant a enchaîné les drives et pull-ups pour aller chercher les points que son équipe a tant de mal à obtenir.
Meilleur joueur de son équipe depuis le début de la série, Edwards semble répondre à l’appel de la fanbase des Timberwolves qui voit en son jeune arrière (il fêtera ses 22 ans au mois d’août), la tête de proue de la franchise pour les années à venir. Alors que Karl-Anthony Towns semble petit à petit céder du terrain à son arrière, et au sortir d’une prestation très décevante, cette seconde campagne de Playoffs soulève naturellement des questions.
Notamment celle de savoir s’il est temps de se séparer de KAT et de laisser les clés du camion à Edwards.
Edwards doit-il devenir le numéro incontesté de la franchise ? A-t-il les épaules pour être seul maître à bord d’une équipe ambitieuse ?
Dans cet article, on va essayer de se focaliser en priorité sur la seconde question. Pour tenter de tirer une conclusion sur la première.
Être seul maître à bord, qu’est-ce que ça sous-entend ?
Devenir la seule star d’une équipe met forcément une grosse pression sur un joueur. Cela signifie pour le joueur que soir après soir, il devra être l’étincelle qui permet à la fois de pouvoir se tourner vers son leader pour marquer, mais aussi de permettre à ses coéquipiers de trouver des points faciles.
Dans le cas des Wolves, la pression est également sur les dirigeants. Minnesota n’a jamais réussi à monter une équipe compétitive avec Towns pour seul maître à bord. Autrefois considéré comme le futur du poste 5, KAT n’a pas réussi à devenir le moteur d’une équipe. Perçu comme d’un potentiel équivalent à Embiid et Jokic, il a vu ses rivaux devenir les piliers d’équipes aspirant au titre, tandis qu’il a toujours été dépendant d’un autre joueur pour avoir une équipe compétitive.
D’abord de Jimmy Butler comme leader, puis du jeune Edwards pour le seconder. Et même un peu plus.
Mais ici, je veux avant tout essayer d’établir un tronc de lecture commun pour ce qui va suivre. Si les Wolves mettent fin à l’expérience Towns, c’est pour donner toutes les cartouches à son arrière. Or réussir à mettre en place un système fonctionnel avec une seule véritable star, nécessite souvent qu’un joueur développe des qualités élites dans plusieurs aspects du jeu. Puisque le basketball reste un sport collectif, que le joueur ait les caractéristiques suffisantes pour tenter le pari ne garanti pas le succès. Mais cela permet d’espérer que cela porte ses fruits.
Par exemple, Doncic a beau être un attaquant d’exception qui peut, seul, porter offensivement une équipe : il convient de mettre à ses côtés les bons profils pour compléter son jeu. Surtout, il lui faut d’excellents défenseurs autour. Ainsi, les Mavericks étaient par exemple (pré-arrivée de Kyrie Irving) le 8eme offensive rating de la ligue avec le seul Doncic comme moteur offensif (et Spencer Dinwiddie en seconde). Par ailleurs, l’équipe marquait +7,7 points pour 100 possessions avec Doncic sur le terrain vs lorsqu’il était sur le banc.
D’autres exemples de joueurs portant des équipes en stars esseulées ? James Harden (2017 par exemple), Nikola Jokic (2021 & 2022), LeBron James (2018), etc.
Être la seule star à bord, cela signifie souvent des systèmes héliocentriques. C’est-à-dire que toute une équipe tourne autour d’un seul joueur qui assume l’essentiel de la création offensive de l’équipe. Les exemples ci-dessus font parties des plus illustres de ces dernières saisons.
Parfois, cela veut dire des effectifs particulièrement bien construits pour s’adapter aux caractéristiques de leur leader. Les Warriors de 2014-2016 avaient certes un duo Stephen Curry – Klay Thompson, mais tout était construit autour de la faculté de Curry à être en mouvement permanent. Stephen Curry est un scoreur de premier ordre, mais pas un créateur de très haut volume, de fait, tout l’effectif des Warriors a été fait à son image : en activité off-ball permanente avec des joueurs intelligents et bons passeurs.
Enfin, il existe des exceptions comme Jimmy Butler. Souvent, l’ailier est une star à l’investissement irrégulière en saison régulière. Il peut prendre un match en main à l’occasion mais va régulièrement, si l’équipe est assez bonne “rester en retrait”. L’équipe doit donc trouver d’autres sources de création. Mais une fois en Playoffs, il peut devenir le principal scoreur et créateur de son équipe.
En somme, pour être la seule star d’une équipe, je pense qu’il faut être élite dans un compartiment. De préférence dans deux. Et que ces caractéristiques puissent permettre à une équipe de vivre autour ou grâce à cet apport. Choisir de donner les clés à un joueur nécessite donc d’évaluer s’il est à même d’avoir un profil proche de ceux mentionnés ci-dessus.
Il convient ensuite de savoir si cela suffit pour faire vivre une équipe et quels profils sont nécessaires pour rendre cela viable.
Anthony Edwards, profil offensif
Ce long préambule passé, comment peut-on définir Anthony Edwards. Bon, pas question ici de faire un long développement, scouting, etc. Mais juste histoire de faire un récap sur le joueur.
Immédiatement, Edwards s’impose comme un scoreur plus que capable, qui aime se diriger vers le cercle grâce à un alliage d’un premier pas plutôt rapide, de qualités athlétiques hors-normes et d’une puissance lui permettant d’encaisser les contacts. Avec son mètre 93 et ses 102kgs, Ant est bien plus costaud que la plupart des arrières NBA, ce qui lui permet d’aller se mesurer à des joueurs plus grands que lui dans la peinture sans souffrir de leur poids supérieur. Cela lui permet également de jouer des épaules avec des joueurs de sa taille, mais souvent pas de sa carrure.
Il est à la fois capable de prendre un contact et continuer son chemin :
Tout comme il peut profiter d’une légère avance, d’un espace pour fondre très rapidement vers le cercle :
Sa capacité à accéder à la raquette a potentiel à devenir élite avec le temps, mais ce n’est pas le seul élément fort de son scoring. Comme nous le disions plus haut, le shoot fait également partie de son répertoire. C’est un tireur longue distance plutôt fiable (36,9% à 3pts cette saison), qui a débloqué le pull-up et peut donc déclencher à tout moment : en sortie d’écran, en isolation.
Une arme cruciale pour les extérieurs de notre ère qui fait d’un joueur capable de pull-up à 3 points un joueur beaucoup plus dur à appréhender défensivement.
Cette saison, il en prenait 4,6 rencontres avec une réussite de 33,8%.
Pas de quoi en faire pour le moment un tir que vous allez craindre absolument, mais il n’est qu’à 3 points de réussite de réellement devenir une menace inquiétante dans le registre (on considère qu’un shooteur autour des 36% commence à nécessiter une garde rapprochée).
Alors qu’il va clôturer sa 3eme saison NBA, s’il réussissait à revenir avec cette arme aux alentours des +36% de réussite, il gagnerait vraiment un atout impossible à ignorer. Or un joueur qui possède un pull-up régulier vous interdit catégoriquement de passer sous les écrans en défense. Il devient beaucoup plus dur à défendre tout au long d’une rencontre (fatigue de devoir traverser les écrans) et il s’offre une arme supplémentaire sur pick & roll.
Reste alors l’option de switcher et dans ce cas, il peut se mettre à chasser des mismatchs favorables.
En prime, Edwards est un joueur altruiste. Dans la NBA moderne, être un créateur uniquement pour soi-même n’est plus suffisant. La bonne nouvelle, c’est qu’Ant est un passeur volontaire. Il est loin d’être capable de faire des lectures complexes, il n’est pas non plus un passeur capable de trouver des angles très compliqués, mais il fait les minimums en la matière. Il voit les passes simples et puisqu’il créé des décalages, il offre régulièrement des tirs ouverts quand la défense réagit collectivement.
Exemple, ici où il sert son coéquipier dès que la raquette se ferme :
En revanche, il n’a pas une parfaite conscience de qui est où sur le terrain et il n’est pas forcément capable de servir instinctivement le côté faible. Ici, par exemple, il arrive à voir/servir Conley, pourtant seul, que lorsqu’il il bascule dans son périmètre :
Dès lors, on peut dire qu’il souhaite impliquer ses coéquipiers et sait utiliser sa gravité. Est-ce qu’il saura devenir un playmaker élite pour accompagner son scoring ? Difficile de l’imaginer comme un arrière qui se mutera en meneur au fil du temps. Les profils comme James Harden ou Luka Doncic sont très rares et il demeure très possible qu’il ait besoin d’un meneur capable à la fois d’exister sans ballon et d’organiser le jeu à ses côtés dans les années à venir.
De quoi porter une franchise ?
Nous avons essayé de décrire rapidement le jeu offensif d’Edwards. Nous ne sommes clairement pas sur un scouting, mais il semble à peu près juste de dire que ses principaux atouts, à ce stade sont sa projection vers le cercle, son shoot longue distance et un playmaking correct et volontaire. Par ailleurs, nous disions plus tôt qu’on peut partir du postulat qu’il faut posséder plusieurs armes élites pour prétendre à devenir le pilier offensif d’une équipe.
Il existe des stars de différents calibres. Par exemple, il me semble que Kyrie, tout génie offensif qu’il soit peinera à porter l’attaque d’une équipe s’il n’est pas accompagné d’une autre star ou d’une multitude de joueurs à haut potentiel (comme ce fut le cas à Boston). Cela ne remet en rien en cause ses talents, mais l’excellence qui pourrait être attendue d’Edwards s’il était laissé sans KAT signifie, en mon sens, qu’il devrait se projeter dans la catégorie du gratin de la ligue. Ceux qui peuvent par eux-même être l’épicentre d’une équipe.
Dans cette optique, plusieurs réserves me semblent à émettre.
Tout d’abord, le scoring d’Edwards n’est pas encore dans ce qui se fait de mieux en NBA.
S’il a déjà un “Usage” de star (actions qui se termine par un tir, lancer-franc ou perte de balle), il affleure à peine les moyennes de la ligue à son poste en terme d’efficacité (PSA = points par tirs tentés). La raison est simple : en dépit des atouts qui sont les siens à ce stade de sa jeune carrière, Edwards n’a pas encore une finition de haut vol. Même près du cercle il est toujours à peine au-dessus des moyennes de la ligue à son poste (52eme percentile).
Il est plutôt efficace à 3pts, mais n’a pas encore un tir semblable à certains joueurs élite dans le registre. Le pull-up fait descendre son rendement, mais il n’est pas encore dans la catégorie des gâchettes sur catch&shoot non plus. Quant à son tir à mi-distance auquel il fait de plus en plus appel, il est là aussi très loin par rapport aux standards de son poste.
Il est très risqué de tirer des conclusions sur un joueur aussi jeune, surtout quand il est arrivé dans la ligue en étant un produit assez brut et en ayant une marge de progression importante. Il est évidemment à noter que certains joueurs développent leur efficacité au fil du temps. Certains arrivent soudainement à rentrer régulièrement un tir qui ne faisait pas partie de leur registre initial.
Si on compare ?
Toutefois, si on s’amuse à entrer dans le jeu des comparaisons, on peut citer un joueur arrivé très brut en NBA qui a soudainement développé un shoot aux 3 étages (cercle, mi-distance, 3pts) : Zach LaVine. Lorsque ce dernier avait réussi à devenir une menace aux 3 niveaux, il a soudainement développé son potentiel offensif en devenant très efficace au tir.
La différence notable entre les deux, c’est que LaVine était un shooteur plus naturel que son lointain successeur à Minnesota. Dans le même temps, il avait beaucoup moins de charge offensive et donc plus d’espaces qu’Edwards. De même, on peut noter que si LaVine était également très athlétique, sa rupture aux ligaments croisés a légèrement réduit son potentiel athlétique et sa finition au cercle. Edwards n’a pas connu ce type de problématiques. Moins aérien, il pourrait continuer à bâtir son physique pour finir par devenir un véritable dragster dans la peinture.
Par ailleurs, si à l’instant T, il est possible de se dire que la finition au cercle est exceptionnelle, il convient de rappeler qu’il sort d’une série face aux Nuggets, qui ont été plutôt médiocres toute la saison dans la protection du cercle. Or si Edwards doit devenir la seule arme majeure d’une équipe, il doit pouvoir finir sur son point fort même quand le match-up n’est pas favorable.
A ce niveau, le travail est encore en cours.
Si on est moins modestes et qu’on prend le modèle de cette génération, Luka Doncic a immédiatement été sur des hauts niveaux d’efficacité tout en ayant un charge de création et d’Usage bien plus importants (+40% d’USG toutes la saisons depuis sa saison sophomore). Les créateurs de la classe de Doncic possèdent souvent une part d’inné qu’il est difficile voire impossible de combler. Il en va de même pour les James Harden, LeBron James, Nikola Jokic, Chris Paul et compagnie. Ils arrivent avec une vision de jeu et un sens de la passe souvent très supérieurs à la moyenne. On voit certains joueurs devenir de bons créateurs en cours de carrière. Mais rattraper l’élite ? Difficile de trouver un exemple.
Ainsi, tout porte à croire qu’on ne peut monter un système héliocentrique autour d’Edwards :
- Ni par un profil de ball-dominance : façon Harden, Doncic, LeBron
- Ni dans un registre de maestro avec faible temps de possession : façon Jokic
- Ni par le spacing offert par son activité permanente : façon Curry
Si Edwards doit devenir une star en solo, il va devoir se muter en scoreur d’élite avec un effectif parfaitement construit autour de lui. Cela veut probablement dire lui offrir un playmaker de très haut niveau et beaucoup de place pour se frayer un chemin vers le cercle. Autrement dit, des joueurs qui peuvent shooter, couper et idéalement un ou des intérieurs qui peuvent également s’écarter.
A cette heure, des joueurs comme Jaden McDaniels sont déterminants pour lui. C’est néanmoins trop peu. Avec Edwards qui a du porter l’équipe toute la saison, les Wolves étaient offensivement à la traîne (21eme offensive rating malgré la présence de Towns sur 29 matchs).
Cela ne veut pas dire qu’il n’en n’est pas capable, qu’il ne va pas soudainement passer un cap majeur, mais en l’état, Minnesota aura, je pense, du mal à devenir une attaque de premier plan si l’équipe reposait uniquement sur son profil.
Conclusion
En somme, si les qualités de scoreur de l’arrière sont très intéressantes, à fortiori compte tenu de son jeune âge, il convient toutefois, je pense de faire preuve de prudence. La NBA est désormais une course à l’optimisation offensive. Faire reposer sur un attaque sur un scoreur pour sa capacité à faire du volume, sans l’efficacité, n’est plus entendable sans une défense infranchissable.
Si rien ne dit qu’Edwards ne deviendra pas ce joueur, il paraît plus “sage” pour la franchise de conserver Karl-Anthony Towns et d’ajouter quelques renforts à l’équipe durant l’intersaison.
Il faut laisser le temps à l’arrière de se construire avant de réellement l’émanciper. Il me semble, en espérant me tromper, qu’il aura probablement besoin d’un attaquant aussi fort que lui à ses côtés pour que son équipe soit réellement compétitive. A court terme, les résultats des Wolves passent par le développement du joueur et l’espoir que la carrière de Towns finisse par se stabiliser. Donc pour revenir à nos questions initiales :
- Il ne me semble pas qu’Edwards doit recevoir les clés des Wolves maintenant.
- Car il ne me semble pas que son scoring et sa création soient suffisants pour suffire à alimenter ce qui devrait être une bonne, voire très bonne attaque NBA.
Or rappelons que faire venir une star nécessite souvent une palanquée de tours de draft. Que les Wolves les ont donné l’été dernier pour faire venir Rudy Gobert. Et que si KAT devenait la monnaie d’échange, ils perdraient leur seconde option, un joueur hautement compatible avec Edwards et dont la valeur, n’est pas au plus haut après plusieurs saisons amoindries par les blessures et une série ratée face à Denver.