Si on nous avait dit, en début de saison régulière 2022-23, que Kevin Durant et Kyrie Irving allaient croiser le fer avec Joël Embiid et James Harden dès le premier tour des playoffs, nous aurions signé des deux mains. Et nous y voilà. Philadelphia, qui a commencé son exercice avec le pied sur le frein (12 victoires et 12 défaites au 5 décembre) a passé la démultipliée en 2023 pour s’assurer la 3ème place de la conférence Est (et de la Ligue toute entière) pour retrouver les Nets. Toutefois, vous aurez beau chercher, vous ne trouverez trace ni de Durant, ni d’Irving. Les deux stars ont en effet plié bagage lors de la trade deadline, direction l’ouest du pays, respectivement à Phoenix et Dallas.
Le prestige de l’affiche a indubitablement pris un coup dans l’aile. Pour autant, il y a des choses à dire avant que les deux équipes ne croisent le fer pour la première fois samedi soir, à 19h00 et il n’est pas certain que ces Nets new look entament la série avec la tête d’une victime expiatoire. Certes, les 26 rencontres disputées depuis le transfert des deux larrons précités ont accouché de 14 défaites. L’équipe de Jacque Vaughn, loin d’être dénuée de tout talent, a néanmoins remporté quelques victoires probantes, à Boston, Minnesota, Denver ou Miami.
Joël Embiid va donc se coltiner Mikal Bridges, Spencer Dinwiddie et Cam Thomas. C’est clairement moins sexy, mais ça devrait tout de même valoir un petit coup d’œil. Apprécions ensemble quelques clés de cet affrontement, en espérant (pour le suspens) qu’il n’accouche pas sur le même score que celui de la saison régulière, au cours de laquelle les deux franchises se sont affrontées à 4 reprises, pour autant de victoire des bleus de la ville de l’amour fraternel (+ 9, + 4, + 3, + 29 pour le dernier match de l’exercice régulier).
Comment freiner l’attaque des 76ers ?
Sur un tempo très lent (27ème PACE de la Ligue), Philadelphia a terminé la saison régulière au pied du podium des meilleures attaques du pays (4ème offensive rating, 117,7 points inscrits / 100 possessions). Les forces offensives du roster dirigé par Doc Rivers sont connus de tous. Embiid est à nouveau le meilleur scoreur de la saison régulière (une première pour un pivot depuis Bob McAdoo en 1975), tandis que James Harden, moins scoreur depuis son arrivée en Pennsylvanie, demeure un passeur élite et productif (10,7 passes décisives / match, meilleur total de la saison). Derrière les deux monstres, Tyrese Maxey, Tobias Harris et une armée de role player sont également capables de scorer au besoin.
L’arme principale, c’est évidemment le pick & roll, avec Harden en porteur de balle et Embiid en poseur d’écran. Le camerounais (français ? Américain ?) est une arme de destruction massive dès lors qu’il pénètre la raquette adverse. Il l’est d’ailleurs tout autant en isolation. Derrière Luka Doncic, il est le joueur qui joue le plus d’isolation par match (6,6) et inscrit 1,07 point par possession de ce genre. S’il fait moins bien que le meneur Slovène (7,1 possessions, 1,11 point), c’est mieux que Shai Gilgeous-Alexander, Kevin Durant ou Jayson Tatum.
Quid de la défense des Nets ? La franchise de New York ne peut espérer créer la surprise que si elle parvient à limiter les velléités offensives des 76ers. Au jeu de celui qui score le plus, nul doute que Philly l’emportera aisément. Sur le papier, ce ne sont pas les défenseurs efficients qui manquent. En effet, au-delà de Ben Simmons qui n’a plus joué depuis un long moment, les Nets possèdent Mikal Bridges, Dorian Finney-Smith, Royce O’Neal, Cam Thomas ou Nic Claxton qui, tous, se sont imposés comme étant solides de leur côté du terrain.
Deux stratégies semblent pouvoir être pensées pour limiter l’impact offensif de la meilleure attaque NBA depuis le mois de décembre 2022.
Doubler Joël Embiid ?
Commençons par une banalité : il ne sera pas possible de limiter totalement Joël Embiid, tant le bonhomme semble être dans la meilleure forme de sa vie professionnelle. Pourtant, les Nets ne sont pas les plus mal lotis pour tenter de le faire. En effet, Nic Claxton est devenu cette saison un pivot défensif de choix. On s’était presque moqués lorsqu’il avait crié haut et fort son envie de participer à la course au DPOY, mais force est de constater que le natif de Greenville a joint les actes à la parole. D’ailleurs, au cours de l’un des deux affrontements de la saison entre les deux big men (qui ne s’apprécient d’ailleurs pas du tout), le futur et probable MVP a été en grande difficulté au tir (6 / 18, mais 13 / 13 aux lancers).
C’est que Claxton est particulièrement long et solide sur ses appuis. En somme, il a des arguments en magasin pour emmerder son vis-à-vis. De là à annihiler totalement son influence, il y a un grand canyon que nous ne sommes pas prêts à franchir. Il est en effet peu probable que Claxton parvienne à réaliser ce que Marc Gasol a pu faire à Embiid il y a quelques années, lors de la grande époque des Raptors.
Pour gêner le colosse de Yaoundé, il semble opportun (primordial ?) de le forcer à lâcher le ballon. Pour cela, le doubler ne paraît pas être sot. Claxton pourrait ainsi recevoir l’aide de l’un des ailiers défensifs dont nous mentionnons les noms ci-dessus. Nous connaissons le raisonnement : quitte à perdre, autant être puni par tout le monde, sauf la superstar d’en face. En contraignant Embiid a se séparer de la gonfle, les Nets s’exposeront nécessairement à ce que celle-ci ressorte vers un shooteur démarqué. Dans la mesure où les 76ers affichent le meilleur pourcentage à trois-points de la saison, ce n’est pas nécessairement une bonne nouvelle. Mais on s’accordera sur le fait qu’il “vaut mieux” perdre une rencontre parce que George Niang était en feu plutôt que d’en prendre 50 dans la musette par Jojo.
Couper Joël Embiid du ballon ?
Une autre idée peut être mise en avant : tenter de couper Joël Embiid de ses passeurs. Encore une fois, lorsqu’on se souvient que le playmaker principal de ces 76ers se nomme James Harden, la tâche paraît ardue. Elle est toutefois… envisageable ? La défense de Brooklyn sur le porteur de balle est en effet excellente. Il y a fort à parier que le barbu se coltine la défense de Mikal Bridges sur l’ensemble de la série. Le néo-Nets, longtemps joueur des Suns de Phoenix, a terminé second du classement du DPOY l’an passé et est considéré de manière unanime comme un véritable enfer pour les attaquants adverses.
Rendre la vie dure à Harden, c’est aussi empêcher Embiid de toucher le ballon dans des positions préférentielles. L’avantage de cette équipe de Brooklyn, c’est que les défenseurs pourront se relayer sur le barbu, car ils sont plusieurs à pouvoir défendre efficacement sur les ailes et le backcourt. Parvenir à limiter l’influence du MVP de la saison 2017-18 sera capital pour éviter de prendre le bouillon défensivement. Notez bien qu’il s’agit d’un prérequis et non pas d’une assurance.
Par-là, les Nets pourraient tenter de reproduire le schéma mis en place l’an passé par les Raptors de Nick Nurse, qui ont justement essayé de limiter au maximum l’apport d’Harden dans le jeu offensif des siens, avec un certain succès. Deux limites peuvent toutefois être apportées à ce plan. En premier lieu, le combo guard semble être plus en jambe cette saison que l’an passé. Ensuite, les ailiers de Toronto étaient moins responsabilisés offensivement.
Car c’est là un point important que l’on n’a pas encore mentionné. Mikal Bridges, aussi impressionnant soit-il de son côté du terrain, possède aujourd’hui des responsabilités offensives inédites pour lui. S’il les honore de manière admirable, celui nuit évidemment à son replis défensif. Il ne pourra pas se le permettre, cette fois-ci. S’il flanche, Cam Thomas et Dorian Finney-Smith pourront également se mettre sur Harden. Pour Jacque Vaughn, l’équation n’est pas tout à fait insoluble, mais semble particulièrement difficile à résoudre. D’autant plus que si tout ceci venait à échouer, un dernier problème pointera le bout du nez.
Le foul trouble : la menace invisible
L’étude du roster de Brooklyn permet de mettre en lumière une chose étonnant : il y a autant de joueurs du backcourt que du frontcourt. Quand on se souvient que seuls 5 joueurs peuvent fouler le parquet en même temps, on comprend que les postes 3, 4 et 5, bien que talentueux, ne sont pas légion. C’est surtout vrai sous les cercles, car l’équipe ne possède que deux pivots : Nic Claxton, dont nous avons déjà parlé et Day’Ron Sharpe, un sophomore pas maladroit mais sujet à de nombreuses blessures (80 matchs disputés en 2 saisons régulières).
Autrement formulé, il n’y a pas grand monde derrière Claxton pour espérer faire passer une mauvaise soirée à Embiid. Le point (très) positif, c’est que le premier cité n’a été exclu pour 6 fautes qu’à deux reprises cette saison. Face à Philly, il s’en est toujours plutôt bien tiré (5, 4 et 3 fautes). Il n’a d’ailleurs commis que 2,8 fautes par match cette saison, en 30 minutes de temps de jeu.
Il sera impératif qu’il poursuive sur cette excellente lancée. Sans préjugé de la combativité du jeune Sharpe, il y a fort à penser qu’il se fasse éparpiller s’il devait disputer de trop longues minutes sous son propre cercle. Il faudra donc protéger Claxton. On revient là aux possibilités défensives mentionnées ci-dessus.
SOS création en détresse ?
Aujourd’hui, les créateurs principaux du jeu de Brooklyn se nomment Mikal Bridges, Cam Thomas et Spencer Dinwiddie. Chacun de ces trois joueurs présentent des limites qui risquent d’être criantes en postseason. Le premier, nous venons de le mettre en lumière, n’a jamais véritablement été un ball-handler lors de son long passage dans l’Arizona (22,6 % d’usage au maximum… en début de saison 2022-23. Sinon, jamais au-dessus de 15 %, ce qui est minime). Depuis son arrivée à New York, il termine 30 % des actions de Brooklyn par un tir, une passe ou une perte de balle. S’il remplit pour l’heure son rôle avec beaucoup d’application, il paraît encore un peu “neuf” dans ce rôle pour briller sur la plus belle scène de la saison.
Cam Thomas, lui, est avant tout un créateur pour lui-même. Cette saison, à peu de chose près, il a perdu autant de ballon qu’il n’a distribué de passes décisives (1,1 TOV pour 1,4 passe). Surtout, son haut usage rate est lié au fait que la gonfle lui a souvent été confié dans des rencontres où tout le jeu des siens était centré autour de son développement. On se rappelle, à cet égard, sa fabuleuse première semaine du mois de février, où il a enchaîner trois rencontres (en trompe l’œil, même si son talent est indéniable) à plus de 40 points.
Enfin, Spencer Dinwiddie, bien que compétent à la passe et dans la création pour autrui, n’en demeure pas moins un arrière scoreur avant tout, plus à l’aise à côté d’un ball-handler dominant (comme Doncic à Dallas) que comme option n°1. Toutefois, et pour lui rendre le crédit qui lui appartient, il faut constater que depuis son retour dans la Grosse Pomme, Dinwiddie s’est mué en meneur d’une propreté exemplaire : 26 matchs, 35 minutes de jeu moyen, pour 9,1 passes décisives et seulement 2 turnover. Il y a là un motif d’espoir, nous y reviendrons.
La création des Nets va aussi devoir composer avec la défense de De’Anthony Melton et P.J. Tucker au périmètre. Le premier sort d’un exercice satisfaisant et est un défenseur redoutable. Le second, dont l’âge commence à se faire sentir, possède une expérience XXL des joutes printanières. En d’autres termes, Jacque Vaughn va devoir redoubler d’ingéniosité pour que son attaque – qui connaît de grosses difficultés depuis le double trade (24ème offensive rating depuis le 9 février) puisse convenablement tourner.
Le tacticien va certainement capitaliser sur l’excellente saison des siens à trois-points (37,8 %, 5ème meilleur pourcentage de la Ligue). Les snipers ne manquent effectivement pas et 7 joueurs dégainent à plus de 37 % de loin (Day’Ron Sharpe, Yuta Watanabe, Joe Harris, Seth Curry, Royce O’Neal, Cam Thomas et Mikal Bridges). Les 76ers sont d’ailleurs relativement permissif dans l’exercice, en laissant leurs adversaires 33,4 tentatives primées par rencontre (15ème ex aequo). Néanmoins, leur défense sur les tirs longue distance est exemplaire, puisque seules 34,8 % de ces tentatives sont finalement converties. Dans la Ligue, seuls les Celtics, les Lakers, les Nuggets et les Pelicans font mieux.
Le rôle de Spencer Dinwiddie est ainsi crucial. Il lui appartiendra de manipuler la défense des 76ers avec suffisamment de brio pour trouver ses tireurs démarqués. À charge pour eux de ne pas avoir le poignet qui tremble.
Qu’attendre de cette série ?
Les 76ers sont les grands favoris de ce premier tour. En toute logique, ils devraient d’ailleurs plier la série rapidement et sans trembler. Ce serait d’ailleurs préférable pour eux, qui risquent probablement de rencontrer les Celtics en demi-finale de conférence. Autant passer le moins de temps possible sur le parquet, pour économiser les forces en présence pour les hommes de Mazzulla.
Pour autant et comme nous l’avons énoncé en introduction, il ne faut pas enterrer Brooklyn trop rapidement. Inférieurs en talent brut, les Nets n’ont rien à perdre. Leurs capacités défensives peuvent instiller le doute dans l’esprit des shooteurs philadelphiens. Et s’ils peuvent être dans la série après les deux rencontres disputées en Pennsylvanie, ils n’auront aucune difficulté à jouer crânement leur chance, face à une équipe qui, ses dernières années, a parfois connu des difficultés face à des franchises présumées bien plus faibles.
Autrement formulé, la série ne sera pas facile pour les 76ers. Par contre, en faisant preuve de sérieux, ils devraient pouvoir se la rendre facile. Tout relâchement est prohibé, au risque de voir les fantômes lugubres des finales de conférence 2021 ressortir du placard. Pour un candidat au titre, cela ferait clairement tâche.
Philadelphia 76ers : 85 %
Brooklyn Nets : 15 %