Tous les mercredis, nous actualisons notre top 100 all-time, un classement un peu spécifique et vu par les statistiques. Nous en profitons – il s’agit bien d’un prétexte ! – pour rédiger un portrait chaque semaine, sur le joueur que vous avez sélectionné par le biais d’un sondage publié sur notre compte Twitter. La semaine passée, vous avez voté pour Paul Arizin, 94ème de notre classement.
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De la foire à la saucisse au basketball structuré
“Le baseball a eu Babe Ruth, le basketball a eu Paul Arizin“
Voici ce qu’énonce le site officiel de la NBA, qui a réalisé le portrait de l’ensemble des 75 Greatest, dont fait évidemment partie Paul Arizin. La comparaison dit tout de l’influence qu’a eu l’ailier sur la Grande Ligue lorsqu’il a débarqué en 1950, sous le maillot des Warriors de Philadelphia. En effet, Ruth est fréquemment considéré, surtout Outre-Atlantique il est vrai, comme l’un des plus grands sportifs de tous les temps.
Paul Arizin a vu le jour à Philadelphia en avril 1928 et tient son prénom de son ascendance française. Doté d’une santé non pas fragile, mais dérangeante pour le sport de haut niveau (il souffre d’une congestion des sinus, ce qui l’empêche de respirer convenablement), il découvre le basketball sur le tard. C’est le moins que l’on puisse dire, puisqu’il a été recalé par l’entraîneur du lycée de LaSalle au milieu des années 1940, lequel considérait que le jeune Paul n’avait tout simplement pas le niveau pour intégrer son roster.
Si le basketball lycéen ne veut pas de lui, il ira le chercher ailleurs. Déterminé à fouler les parquets, il s’engage dans toutes les équipes possibles, sur les playgrounds, dans des ligues annexes et même dans les équipes confessionnelles. Avant d’entrer à l’Université, il évolue pour le compte de 7 équipes différentes et dispute parfois deux rencontres par soir. La motivation n’était pas de devenir professionnel et de faire de la balle orange son métier, c’était tout simplement de jouer. Paul est un romantique, et c’est encore dû à son ascendance française, à n’en pas douter…
C’est en jouant pour le compte de ces différentes équipes qu’il a développé son arme, celle qu’il allait populariser en NBA et qui est aujourd’hui recherchée par l’ensemble des 30 franchises : le jump shot. En cette période de fin de seconde guerre mondiale, le tir s’effectue encore les deux pieds dans le parquet et principalement à deux mains. Paul Arizin est l’un des tous premiers à décoller pour tirer.
Sa volonté n’était pourtant pas de révolutionner le sport qu’il aimait tant. Il s’avère, comme il le racontait lui-même, que les rencontres étaient parfois disputées dans des salles en mauvais état et avec un parquet peu adapté :
“Quand je tentais un hook, mon pied d’appui glissait continuellement. Du coup, je sautais. J’ai toujours sauté haut. Puisque je n’étais plus au sol, je ne risquais plus de glisser. Plus j’en faisais, plus je devenais précis. Avant de m’en rendre compte, presque tous mes tirs étaient devenus des jump shot.“
Il s’engage à Villanova en 1946, pour rester dans la ville de l’amour fraternel. Il y passe quatre années et étudie la chimie, tout en évoluant – évidemment – sous le maillot de l’équipe du campus. Notez qu’en cette époque, les étudiants en première année n’étaient pas autorisés à porter le maillot de l’université en compétition. Pitchin Paul dispute donc en tout et pour tout trois saisons pour le compte de Villanova. Ses débuts sont pourtant difficiles et il peine à faire partie de la rotation. Il faut rappeler, à cet égard, que s’il a probablement disputé plus de matchs que quiconque, ce n’était jamais dans un cadre strict. Ses premiers matchs sous le maillot des Wildcats constituent ainsi ses premiers pas dans le “basketball organisé”, là où jusqu’alors, ses rencontres étaient marquées par un amateurisme certain.
D’abord positionné au poste de pivot, il obtient la confiance de son coach au bout de 10 rencontres et termine sa première saison avec 11 points de moyenne. Il explose la saison suivante (1948-49). Il s’illustre particulièrement en inscrivant 85 points en une seule rencontre et en remportant 22 de ses 25 rencontres, pour se qualifier pour le tournoi final NCAA. Lors de sa dernière saison, il inscrit un total de 735 points (25,3 points/match), échouant à 5 petits points du record de l’époque. Nommé dans la meilleure équipe du pays, diplômé de chimie avec les félicitations du jury, le jeune Paul délaisse les becs bunsen pour se tourner vers le basketball professionnel.
Dominateur, toujours
“Une légende digne, classe et humble” – Jay Wright, coach à Villanova.
Paul Arizin fracasse les portes de la NBA comme un cowboy fracasse celles du saloon. Il est sélectionné par le biais d’un territorial pick par les Warriors, alors implantés à Philadelphia. S’il manque ses grands débuts dans la Ligue dans les grandes largeurs (10 points à 3/14 aux tirs, mais victoire face à Boston), il lamine la défense des Fort Wayne Pistons pour sa seconde rencontre. Avec 26 points (9/14 aux tirs) et 16 rebonds, il est le premier rookie à s’imposer de la sorte et de manière aussi immédiate. Cette performance sera pourtant “fréquente” entre 1958 et 1970, puisqu’Elgin Baylor, Wilt Chamberlain, Elvin Hayes et Kareem Abdul-Jabbar la réaliseront par paquet de douze.
La suite de ce premier exercice professionnel se situera au juste milieu entre les deux rencontres précitées. Dans une équipe compétitive (40v-26d) mais défaite au premier tour des playoffs par les Nationals de Syracuse, Arizin présente des chiffres sérieux pour le rookie qu’il était : 17,2 points, 9,8 rebonds et 2 passes décisives, à 40,7 % de réussite au tir (7ème joueur le plus précis de l’exercice). C’est le premier rookie à afficher de telles moyennes, étant précisé qu’ils ne sont que 22 dans l’Histoire à arriver à ce niveau-là, et que le dernier en date se nomme Karl-Anthony Towns.
À l’instar de son parcours universitaire, Arizin connaît une progression fulgurante lors de sa seconde saison. Allons à l’essentiel : il termine meilleur scoreur de la saison (25,4 points), tout en étant le joueur le plus précis (44,8 %), en disputant l’ensemble des rencontres et en passant 44,5 minutes par soir sur le terrain (plus gros temps de jeu de la saison). Alors qu’il n’était que le lieutenant de Joe Fulks la saison précédente, il prend cette fois-ci les rênes de la franchise, et même de la Ligue. Pourtant, le bilan collectif n’est qu’à l’équilibre à l’issue de la saison (33-33) et Philly va à nouveau échouer face aux Nationals au premier tour. Toutefois, si le trophée de MVP avait existé (créé en 1956), Arizin aurait indéniablement terminé dans le top 3, aux côtés de Bob Cousy et George Mikan. Il aurait tout à fait pu prétendre à le soulever, d’ailleurs.
S’il savait déjouer les défenses comme aucun extérieur de son ère, grâce à son jump shot, l’ailier des Warriors était lui-même un solide défenseur, comme il le démontrait déjà à Villanova. Et alors que la Ligue apprenait à le craindre et que les observateurs commençaient à en faire le visage de la NBA, ses devoirs l’ont rattrapé par le short. Nous sommes en 1952, Paul Arizin a 24 ans et doit s’engager deux années au sein de la Marine Américaine lors de la guerre de Corée.
À son retour, les Warriors sont exsangues et viennent de perdre Fulks, parti à la retraite. La franchise a toutefois vu de près l’éclosion d’une nouvelle brute, le pivot Neil Johnston, meilleur scoreur de la Ligue lors des 2 saisons où Arizin exécutait son service militaire. Au retour de l’ailier, Philadelphia possède donc un véritable one-two puch, à même de hisser l’équipe jusqu’au sommet.
Il n’en sera rien en 1954-55. Alors que l’équipe possède les deux meilleurs scoreurs de la saison (Johnston réalisant le triplé), elle ne parvient même pas à rallier les playoffs. Il faut dire que si l’on fait fi de ces deux stars, le supporting cast est bien faiblard. L’arrivée de Tom Gola va contribuer à stabiliser l’effectif, qui entame sa saison 1955-56 avec des ambitions renouvelées.
Philadelphia, sans totalement marcher sur la concurrence, retrouve un niveau digne des joueurs qui composent son roster. Arizin enfile les points comme des perles, comme à son habitude. Si son début de saison est un poil timide pour ses standards, il passe la démultipliée autour du All-star game, où il tourne à 27 points et 7 rebonds de moyenne. Dans son sillage, les Warriors remportent 45 de leurs 72 matchs et retrouvent, comme dans un mauvais running gag, les Nationals de Syracuse au premier tour.
En cette époque, ce premier tour se disputait au meilleur des 5 matchs. Aucune franchise ne remporte deux victoires consécutives. C’est cependant Philly qui composte son ticket pour le second tour, synonyme… de finale NBA. Sur ce premier tour, Paul Arizin est injouable. Pourtant, en face, il est défendu par Dolph Schayes, une véritable superstar et un défenseur reconnu. Schayes ou pas, Pitchin Paul termine sa série avec 30,2 points (52,7 % aux tirs !), 8,8 rebonds et 3 passes décisives de moyenne.
En finale, les Warriors retrouvent les Pistons de Fort-Wayne, dont les meilleurs joueurs étaient George Yardley et Larry Foust. Ils ne feront pas dans la dentelle, en remportant la série sur le score de 4-1, qui ne reflète pas la physionomie des rencontres, toutes serrées à l’exception de la dernière. Arizin remporte son duel de scoreur face à Yardley, et est clairement le MVP honorifique de ces finales. Le voici donc avec un trophée de champion NBA dans l’armoire. Juste à temps, car un certain Bill Russell s’apprêtait à faire ses grands débuts dans la Ligue…
Juste derrière les verts
“Don’t sell our short !” – Paul Arizin, au milieu de l’hégémonie des Boston Celtics.
Les saisons suivantes vont globalement se suivre et se ressembler. La Ligue est frappée par l’ouragan Russell, qui, entre 1957 et 1969, remporte 11 titres de champion NBA, ne laissant que des miettes, que les Hawks de St. Louis (1958) et les 76ers de Philadelphia (1967) allaient picorer sans se priver. Dans ce laps de temps, les Warriors, qui déménageront à San Francisco en 1962-63 (la première saison sans Arizin d’ailleurs) se heurtent souvent aux verts de Boston lors de leur parcours de playoffs.
C’est d’abord le cas en 1958, en finale de conférence (défaite 4-1), alors que Philly avait vaincu Syracuse au premier tour dans une énième revanche (une victoire 2-1 après une défaite 2-0 en 1957 pour Arizin & cie). Face aux Celtics cette année-là, il n’y eu d’ailleurs pas photo : Boston menait menait 3-0, avant d’abandonner le game 4 et de terminer le travail à la maison lors de la rencontre suivante.
Bill Russell, Jones et Heinsohn se dressent encore sur la route des Warriors en finales de conférence 1960 (défaite 4-2), dans une série où Arizin, meilleur joueur adverse, n’aura pas à rougir de ses prestations (24 points, 10 rebonds, 3 passes à 40 % aux tirs, le tout bien défendu par Heinsohn).
Ce sont encore les Celtics qui stopperont les hommes de Frank McGuire, toujours au même stade de la compétition, en 1962 (défaite 4-3). Le game 7, dernière rencontre d’Arizin en NBA, est d’ailleurs totalement indigne de son talent : 19 points, mais 4/22 aux tirs. Lorsqu’on s’aperçoit que Philadelphia s’est inclinée de 2 petits points, il y a des regrets à avoir. Néanmoins, sans lui, les Warriors n’auraient probablement pas franchi le premier tour, disputé, une fois n’est pas coutume, face à Syracuse (27 / 7,5 / 3 sur la série et 43 points, 10 rebonds et 5 passes décisives au game 1, remporté).
Arizin s’en va donc sur cette piteuse performance, alors que sa saison régulière était historique pour l’époque. En effet, jusqu’à Bob Pettit, personne n’avait inscrit au moins 21 points de moyenne lors de sa saison jubilée. D’ailleurs, Arizin et Pettit ne sont aujourd’hui accompagnés que d’un seul autre joueur, dont l’appartenance à ce groupe est fortuite, puisqu’il s’agit de Drazen Petrovic, décédé en plein prime.
Une carrière hors des normes
“Les gens me demandent souvent de décrire mes sentiments. Je pense que le plus simple, c’est de leur renvoyer la question. Que penseriez-vous si vous étiez intronisé ici, avec tous ces illustres noms, alors que vous n’avez jamais vraiment joué au basketball avant l’université ?” – Paul Arizin, au sujet du Hall of Fame.
Sa carrière en NBA s’arrête en 1962, à l’âge de 33 ans et après 10 saisons et 713 rencontres de saison régulière (49 en playoffs en 8 campagnes, notamment en raison du faible nombre d’équipes engagées dans la Ligue à cette époque).
Lorsqu’il raccroche les baskets, il est le troisième meilleur scoreur de tous les temps, avec 16.266 unités au compteur (derrière Bob Cousy et Dolph Schayes). Si sa carrière n’avait pas été amputée de deux années au service du pays, il aurait probablement frôlé les 20.000 points, puisqu’il tournait alors régulièrement à 1.600 points/saison. Ce total fait de lui l’actuel 111ème meilleur scoreur de l’Histoire. Néanmoins, au petit jeu de la moyenne, si l’on tient compte des 200 scoreurs les plus prolifiques depuis 1946, on retrouve Pitchin Paul en 24ème position. Il s’agit donc ni plus ni moins que de l’un des plus incroyables scoreurs que le basketball américain ait connu.
Après la NBA, Arizin intègre une petite Ligue concurrente, l’EBL, qu’il va dominer de la tête et des épaules (MVP en 1963, champion en 1964). Il s’arrête définitivement en 1965, à l’âge de 37 ans.
Il figure, bien évidemment, parmi les 25, 50 et 75 meilleurs joueurs de la NBA. Et il figurera parmi les 100, lorsqu’ils seront nommés en 2046. Il est également Hall of Famer depuis son intronisation au Mémorial de Springfield en 1978 (aux côtés de ses anciens coéquipiers, Neil Johnston, Joe Fulks et Tom Gola). Il y restera également à jamais, à double titre : premièrement, parce qu’on ne sort pas du Hall of Fame lorsqu’on y est intégré ; deuxièmement, parce que Paul Arizin est depuis lors décédé, et se trouve enterré à Springfield, non loin du Mémorial. En véritable perfectionniste qu’il était.