Rappelez-vous, c’était en février dernier. Sacramento envoyait celui qui avait été porté au rang de fils prodige, Tyrese Haliburton, dans l’Indiana, tandis que Domantas Sabonis, lancé sur le chemin de Celui-Qui-Avait-Enfin-Un-Prénom, faisait voyage inverse. Un transfert que nombreux, nous les premiers, n’avions pas pleinement saisi lors de son annonce, principalement côté Kings.
OFFICIAL: We have acquired Tyrese Haliburton, Buddy Hield and Tristan Thompson from the Sacramento Kings in exchange for Domantas Sabonis, Justin Holiday, Jeremy Lamb and a 2023 second-round pick.
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— Indiana Pacers (@Pacers) February 9, 2022
Si l’on savait que les Pacers souhaitaient se reconstruire en obtenant une pièce de premier rang en retour, du côté de la capitale californienne, les questions étaient légion : pourquoi se séparer d’un joueur aussi prometteur et déjà aussi bon qu’Haliburton ? Compatibilité avec Fox, tentative pour les playoffs en récupérant un All-Star, problème de timeline, opportunité de se séparer d’un Hield aux pieds traînants ? Difficile à dire.
Aussi bien les Kings que les Pacers ont depuis largement évolué : nouveau coach et ambitions à la hausse pour l’un, effectif remanié et objectif reconstruction de l’autre. Au milieu de ces deux projets, nos deux hommes continuent de tracer leur route. A des stades différents de leur carrière, focus sur leurs évolutions respectives et leur début de saison.
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Domantas Sabonis, le roc transformé
Il y a quelque temps désormais, nous vous avions proposé un portrait des qualités offensives indéniables de Sabonis. Toujours prêt à recevoir la balle, à l’aise des deux mains, fort sur ses duels poste bas, capable d’appuis divers et variés, en construction sur le tir, et sur son passing-game, Sabonis s’apprêtait à entrer dans le chapitre All-Star de sa carrière. Ce pourquoi, précisément, Sacramento l’a tant désiré.
Mais entre ses prestations décevantes à l’Eurobasket et son tout début de saison avec les Sacramento Kings, on commençait à se demander ce qu’il se passait dans la tête, les jambes et les mains de Domantas Sabonis. Fort heureusement, depuis quelques semaines, le lituanien semble bel et bien de retour en forme, et c’est toute la franchise californienne qui en profite.
Le profil de Sabonis est normalement sans surprise : vous savez ce qu’il vous apporte et ce qu’il vous coûtera. Pour autant de difficultés défensives qu’il laissera transparaître, vous devriez pouvoir compter sur un apport offensif largement profitable de l’autre côté du terrain pour, au final, rééquilibrer la balance en votre faveur. Tel était le souci en début de saison : l’apport offensif n’était pas, ou peu présent.
La faute à qui, la faute à quoi ? Difficile de pouvoir affirmer avec force et vigueur une telle chose, vos serviteurs n’étant – à notre grand malheur, croyez-le – dans les petits papiers de la franchise californienne, mais on peut voir dans les changements offensifs apportés par Mike Brown, nouveau coach en place, un élément de réponse assez certain. Qui dit nouveau coach, dit vraisemblablement nouveau système en place. Des habitudes à prendre, et un équilibre à trouver, qui, précisément en début de saison, semblait difficile à trouver pour Sabonis.
Mais, fervents défenseurs du verre à moitié plein que nous sommes, voyons plutôt dans ce début de saison “timide” de l’intérieur un désir d’apprivoiser au mieux le rôle de “hub” qu’il revêt désormais dans l’attaque des Kings. Hub, ou moyeu en version française. Pivot, si vous préférez. Bref, vous avez saisi l’idée : Sabonis est l’une des portes d’entrées principales de l’attaque de Sacramento.
Balle en main en tête de raquette, mais surtout sur le fameux elbow spot, jonction entre la ligne des lancers et le bord de raquette, l’intérieur est un véritable créateur de jeu et d’opportunités pour Mike Brown et les Kings.
Qu’il s’agisse par la suite de l’utiliser en tant que poseur d’écran, en tant que point de coupe, ou en tant qu’initiateur de jeu sur transition, Sabonis est le point d’entrée de nombre d’attaques des Kings. Kevin Huerter, De’Aaron Fox, Keegan Murray et consorts ne peuvent que s’en réjouir. Voyez plutôt.
Un bon écran, après tout, quoi de plus simple, et de plus efficace ? Davion Mitchell passe à Sabonis et coupe immédiatement, laissant la possibilité pour l’intérieur de venir chercher le main à main avec Huerter dans le même temps. Les Cavaliers switch, l’écran sur Osman permet à Huerter d’être libre, provoquant l’aide de Donovan Mitchell.
Et précisément, ce jeu de main à main (dribble handoff en VO) entre Sabonis et Huerter est l’un des points de succès du début de saison réussi des Kings, les deux joueurs se montrant parfaitement complémentaires, la qualité de tir de l’un rencontrant la qualité d’écran de l’autre. Un dribble handoff déjà estampillé comme un classique de la saison de Sacto, qu’il s’agisse de Huerter, Monk, Huerter, Fox ou autres à la finition.
Sur le dernier extrait, Hub Sabonis – personne ne dit rien à Shaq quand il trouve des surnoms, alors merci de vous abstenir – sert à nouveau de formidable point d’entrée pour l’attaque des Kings. Cette fois-ci, le dribble handoff avec Huerter est contré par Brooklyn, le défenseur passant avec l’arrière dans l’écran pour éviter le tir rapide. Mais en utilisant le roc qu’est Sabonis en point de coupe et en continuant son effort vers le cercle, Huerter se dégage la voie. Le temps pour le défenseur de contourner Sabonis, et la fenêtre de passe se créée, ici avec une sublime offrande du lituanien derrière son défenseur direct. Pour Huerter, c’est au mieux un tir au cercle, comme ici ; au pire une passe à l’opposé si une aide arrive.
La capacité de passes et de lecture de Sabonis lui permet donc de jouer plus qu’un simple main à main classique, ce dernier se montrant très attentif au jeu proposé derrière l’écran, et aux choix de la défense. C’est cette même disposition qui pousse Mike Brown à utiliser son intérieur en tête de raquette, au elbow spot, en-dehors même de tout jeu d’écran dont il serait l’acteur.
Ici, l’idée pour Sacramento est de jouer avec des écrans entre arrières (Fox-Huerter) ou arrières-ailiers (Fox-Barnes), situations de plus en plus fréquentes dans le jeu NBA, permettant d’optimiser les qualités d’une ligne arrière et de créer plus d’incertitudes encore pour la défense. Vision de jeu, capacité de lecteur et timing de passe : tels sont les ingrédients demandés à Sabonis dans ce rôle. Autant de choses dont l’intérieur se montre tout à fait capable.
En bonus, ce qui pourrait être problématique avec un autre style d’intérieur, à savoir le tenir aussi éloigné du cercle, ne l’est absolument pas pour Sacramento, Sabonis étant tout à fait capable de poser un dribble au sol pour punir l’agressivité défensive ou pour aller chercher un nouveau dribble handoff avec un ailier.
On vous évitera l’effet catalogue, mais le jeu de passes de Sabonis s’est nettement amélioré depuis notre dernier article à son sujet. Raison pour laquelle Mike Brown s’est vraisemblablement appuyé sur cela, en premier lieu, pour intégrer l’intérieur à la nouvelle attaque qu’il souhaitait pour Sacramento, quitte à parfois oublier de l’impliquer dans le jeu direct, ou même à ce que Sabonis s’oublie lui-même, peut-être trop préoccupé par ce rôle central.
Mais, une fois n’est pas coutume, tout est question d’équilibre.
Si l’intérieur a pu paraître trop peu impliqué en tout début de saison, les choses se sont depuis rééquilibrées. Certes, il disposera par moment de moins de tirs par match que de son temps à Indiana, mais avec plus de solutions et de jeu direct poste bas pour lui, où il peut autant scorer que créer du jeu, et plus de services de ses coéquipiers sur pick and roll, voilà un Sabonis de retour dans des standards plus attendus de lui.
Le rôle de Domantas Sabonis a évolué. Utilisé moins directement en finisseur qu’à Indiana mais plus omniscient dans l’organisation offensive, il a fallu un temps d’adaptation logique à celui-ci pour s’y faire. Attendre de Sabonis qu’il multiplie aujourd’hui les 20-20 comme face Golden State semble utopique. Peut-être était-ce dans cet espoir qu’en février dernier, Sacramento avait mis la main sur l’intérieur lituanien, se prêtant à rêver d’un duo 1-5 Fox-Sabonis guidant l’attaque vers les sommets à coup de feuilles statistiques noircies. Mais force est de constater qu’en dépit de cela, pour l’heure, l’attaque des Kings est parmi les meilleures de la ligue : du mouvement de balle, une circulation fluide, du jeu sans ballon, une bonne alternance, un rythme emballant, tout semble aligné pour que l’attaque prospère.
Et à n’en pas douter, l’ancrage de Sabonis dans son nouveau rôle n’y est pas étranger.
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Tyrese Haliburton, l’élève est devenu le maître
De l’autre côté du pays, enfin, plus exactement en plein milieu de celui-ci, Tyrese Haliburton s’élève.
A de nombreuses reprises depuis février 2022, Haliburton a fait part de son désarroi et de son incompréhension face à la décision de Sacramento de se séparer de lui. Comme une relation amoureuse qu’il n’a pas eu le temps de voir s’essouffler, Tyrese a atterri dans l’Indiana en moins de temps qu’il n’en faut pour dire Pacers. Et s’il se plait à rappeler qu’il considérait Sacramento comme sa maison, force est de constater qu’à Indianapolis, Haliburton a rapidement pris possession des clés, poncé le parquet, et refait la déco.
Du côté des Pacers, l’arrivée d’un jeune joueur comme Haliburton avait tout du miracle. Avec un double All-Star comme Sabonis dans la balance et avec l’objectif non-avoué d’une reconstruction XXL en tête, bien sûr qu’Indiana visait, a minima, en retour, un jeune à fort potentiel. Mais ce jeune là, sans doute qu’Indy n’osait même pas y croire. Et pourtant ! Voilà qu’après quelques coups de téléphone et quelques bouts de papier signés, c’est bel et bien Tyrese Haliburton qui s’apprêtait à devenir le visage des nouveaux Pacers.
Et si la reconstruction était toujours au programme à l’été 2022, force est de constater qu’entourer un joueur aussi doué balle en main qu’Haliburton de joueurs qu’il peut aider à optimiser vous donne un coup de boost des plus remarquables.
A voir ce dont était capable le jeune homme dans un rôle de lieutenant chez les Kings aux côtés de De’Aaron Fox et sans réellement jouer meneur, l’une des grandes interrogations – si ce n’est la plus importante – lors de son arrivée à Indiana, était de savoir comment Haliburton allait se débrouiller balle en main, avec un usage bien plus important.
Pour comprendre le profil du joueur qu’est Haliburton, encore faut-il comprendre en amont comment fonctionne l’humain qu’il est. Dans une interview accordée à The Athletic en début de saison, Haliburton revenait sur ce trait caractéristique du joueur qu’il était jusqu’alors, qui n’osait pas prendre tous les tirs qu’il aurait pu prendre et du besoin qu’il a eu de forcer cette nature, notamment en échangeant avec d’autres arrières de la ligue à ce sujet :
“J’ai presque l’impression d’avoir gagné le droit de le faire. C’est une question de mentalité, non ? Pour être honnête, c’est être juste un peu plus un trou du cul. C’est le bon terme : être un peu plus un connard pour que, quand je suis sur le terrain, je cherche mon tir d’abord.”
L’élégance d’Haliburton sur le terrain n’a d’égal que la justesse des mots qu’il emploie, vous l’aurez constaté. Si le choix des mots est certes original, vous aurez néanmoins saisi l’idée : Haliburton a pris conscience de son potentiel, et du fait qu’à Indiana, personne, à part lui-même, ne viendrait l’empêcher de devenir ce qu’il pourrait être.
Et depuis lors, et pour rester fidèle à la terminologie employée par notre sujet, disons que le meneur des Pacers est devenu un formidable connard. Voyez plutôt.
Ce tir sur Bam Adebayo n’est pas franchement le genre de tir qu’un joueur peu confiant oserait prendre, soyons honnête. Un bon mètre derrière la ligne à trois points, avec Adebayo et ses longs bras devant soi, disons qu’il y a déjà eu situation de tir plus optimale. Mais ça, ce n’est plus quelque chose qui compte pour Haliburton.
Avec un tir toujours aussi étrange car peu académique, mais plus rapide que la saison passée – rendons à César ce qui est à Guillaume -, le meneur peut désormais déclencher son tir en pull-up sans grande difficulté au-dessus des obstacles. Résultat : 7.1 tirs à trois-points tentés par match en moyenne cette saison, contre 5.1 l’an passé à Indiana.
Cette affirmation dans les choix de tirs d’Haliburton trouve également un écho dans les opportunités qu’il peut désormais se créer balle en main. Là encore, Haliburton a franchi un cap, n’hésitant plus à manger de l’horloge balle en main pour cadrer son défenseur et jouer une isolation qui lui semble favorable, qu’il s’agisse ensuite de prendre un tir lointain ou de pénétrer vers le cercle une fois l’écart créé.
Pas effrayé pour un sou à l’idée de driver plein fer dans la raquette, le meneur combine en effet agilité et habilité pour se frayer un chemin au cercle et varier les finitions sans trop de difficultés.
Capable de changements de rythme saillants, doté d’un jeu de feintes et d’appuis capable de créer le décalage avec son défenseur direct et utilisant à bon escient ses longs segments pour réduire/augmenter ses appuis, la confiance croissante d’Haliburton en la matière saute aux yeux.
Face aux grands segments des joueurs et intérieurs d’Orlando sur les extraits ci-dessus, Haliburton n’y va pas à reculons, bien au contraire. Là encore, un signe d’un joueur plein de confiance, qui maitrise son jeu et ses décisions.
Et si on peut s’estimer heureux de voir Haliburton devenir de plus en plus confiant sur son propre jeu et de ses capacités de scoring, c’est parce qu’il possède déjà une panoplie bien étoffée en ce qui concerne la création pour autrui.
Est-ce un hasard si Haliburton est, à l’heure actuelle, le joueur NBA qui touche le plus de ballon par match ? Pas vraiment (pour les curieux, Jokic et Doncic complètent le podium). Pour faire simple d’un point de vue chiffres, ses statistiques dans le secteur sont éloquentes, brutes ou avancées.
Meilleur passeur de la ligue avec plus de 11 passes décisives par match, Haliburton est le chef d’orchestre de l’attaque des Pacers. Entouré d’un Buddy Hiled qui l’a accompagné lors de son départ de Sacramento, d’un Mathurin qui ne demande qu’à avoir des ballons, et d’un Myles Turner en partenaire de pick and roll, Haliburton s’en donne à coeur joie, et ses coéquipiers aussi. Kick-out, pick and roll, pick and pop, backdoor, cross court, tout y est, tout y passe.
Le passing d’Haliburton et sa vision de jeu s’expriment encore davantage sur les phases de transition des Pacers. Dès la sortie de balle effectué, sur rebond ou même panier encaissé, Haliburton est trouvé en priorité, à charge pour les ailiers et arrières d’occuper leurs couloirs de jeu, et pour les intérieurs de jouer les trailers. Dans ce rôle de “piston” de transition, le meneur des Pacers m’a semblé être le plus tranchant, où du moins, c’est là qu’il m’a le plus séduit.
Haliburton cherche à dynamiser l’attaque dès la ligne médiane, en cherchant à déstabiliser la défense et à identifier le plus rapidement possible la solution de scoring la plus efficace, qu’il s’agisse de trouver un panier au cercle ou un tir extérieur – avec notamment une tendance à venir chercher ses shooteurs dans l’axe, Turner en premier lieu.
Si Indiana rêvait de mettre la main sur un jeune joueur plein de potentiel dans son objectif reconstruction en février 2022, certains se prennent à dire que, déjà, Tyrese Haliburton a surpassé les attentes placées en lui par la franchise. L’attendait-il si fort après ses débuts plus que réussis à Sacramento ? Peut-être. Mais l’attendait-il si fort, si tôt ? Pas certain.
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Alors au final, près d’un an après ce trade surprise de février 2022, ne serions-nous pas là devant l’un des rares cas de deal 100% gagnant ?
Sabonis retrouve un projet plus en phase avec ses envies, tout comme Sacramento, qui trouve finalement en lui un joueur qui s’adapte parfaitement au nouveau projet mis en place, sans crainte de voir le duo Fox-Haliburton s’annihiler l’un l’autre. De son côté, Haliburton trouve une équipe prête à lui confier à 120% les commandes de son jeu et où son statut de meneur et de créateur de jeu ne peut être revendiqué par aucun autre joueur, tandis que les Pacers, eux, ont trouvé le visage qu’il leur fallait pour incarner leur nouveau projet.
Win-win-win-win.