Au milieu d’un Jazz survolté après avoir acquis leur 8eme victoire de la saison face aux Clippers, Lauri Markkanen apparaît, sourire aux lèvres : son début de saison est un succès. Dans la lignée de sa coupe d’Europe avec la Finlande, le grand blond avec sa carrure de Viking transforme un début d’exercice qu’on annonçait mitigé en véritable succès.
Collectivement, c’est désormais 10 victoires en 13 rencontres. Individuellement, c’est 21,8pts à 57,8% d’eFG, 9,4rbds et 2,3asts par match*. Jamais dans sa carrière l’intérieur n’a été aussi agressif. Dans une équipe talentueuse mais en manque d’un leader évident, il s’est imposé comme une source offensive sûre pour ses coéquipiers.
Il est enfin, sous nos yeux, en train de se transformer en ce joueur qu’on avait imaginé durant ses années NCAA, ses saisons rookies, sophomore et en sélection nationale. L’Utah Jazz qui avait débuté une phase de reconstruction va avoir un choix déterminant à faire avec son joueur, voire l’ensemble de son équipe.
Le moment est venu de se poser de nombreuses questions pour mieux appréhender quel joueur est vraiment Lauri Markkanen, jusqu’où son niveau actuel peut l’emmener et quelle est sa place chez un prétendant au titre.
Lauri Markkanen paré au décollage
Après un début de carrière canon dans une équipe de Chicago qui semblait porter un projet cohérent, les choses se sont corsées pour Markkanen. Entre blessures, manque d’agressivité et difficulté à trouver sa place, lui qui aurait dû être un joueur d’avenir pour les Bulls a petit à petit glissé dans l’organigramme de la franchise.
Pourtant, Markkanen est un attaquant indéniablement doué, un intérieur moderne capable de shooter à longue distance et de s’adapter à différents rôles dans un effectif. Il n’a pas besoin de beaucoup de ballons pour être productif, mais, à ce moment-là, quelque chose ne prend pas.
Alors qu’on attendait un tandem avec Zach LaVine, Lauri a vu son coéquipier débloquer son potentiel pendant que lui même devait sombrer dans le doute.
Finalement, en 2021, il est envoyé à Cleveland, où, sans briller, il semble retrouver confiance. Lancé comme ailier dans un 5 partagé avec Evan Mobley et Jarrett Allen, il se fond dans le collectif pour apporter son tir et son sens du déplacement.
Puis, cet été, il fait partie du package envoyé par les Cavaliers pour arracher Donovan Mitchell à Utah. Une saison qui risquait d’être jetée par un Jazz en reconstruction. Pour le moment toutefois, tout se passe autrement.
Un Markkanen plus agressif que jamais
La hiérarchie de ce Jazz n’était pas bien claire à l’aube de la saison. Beaucoup de talent, pas de Franchise Player établi. Contrairement à Chicago ou à Cleveland, une place est à prendre dans cette équipe. Si Markkanen apparaît comme le talent le plus propice de s’affirmer, rien n’est gagné.
Pour autant, la greffe a spectaculairement pris. Le joueur hésitant de ses premières années à Chi-Town semble bien loin et ce, sans rien forcer. Markkanen a réussi à prendre de l’ampleur et à devenir le talent le plus en vue de l’équipe. Si chaque soir peut avoir un héros différent, toujours est-il que Lauri est toujours dans les parages.
Parmi les éléments les plus notables de son début de saison, Markkanen est tout simplement plus agressif que celui qu’on a connu jusque là. Lui qu’on connaissait réticent à se frotter à l’adversaire dans la raquette est libéré d’un poids :
- Il prend plus de tir à 2 points que par le passé : 6,1 tentatives par match en carrière Vs 9,4 en ce début de saison.
- Ce faisant, il obtient également plus de lancers francs : 2,6 en carrière contre 4,2 cette saison.
- Pour ne rien gâcher de cette volonté nouvelle, il est bien plus adroit à 2 pts : 52% en carrière contre 68 actuellement.
- Enfin, dernier signe de cette volonté de s’imposer, une présence au rebond plus notable : de 6,8 à 8,8.
En quelques sortes, on retrouve le spectre du Lauri Markkanen de sa saison sophomore, mais avec une agressivité plus importante et plus maîtrisée. Certaines soirées m’ont paru particulièrement parlantes quand, opposé à des intérieurs réputés pour leur dissuasion, il a tout de même réussi à scorer (et efficacement !) près du cercle.
Voici, via Cleaning The Glass, le résumé de sa répartition de tir au fil des saisons, et, sa position par rapport aux autres joueurs à son poste en termes d’efficacité. On note qu’il est plus actif dans l’attaque du cercle et surtout, sur des tirs à courte distance. Chose qu’il n’a fait, durant sa carrière, là-aussi, que durant son année sophomore.
Markkanen est donc plus efficace au global (eFG%), car il est bien plus actif dans les zones les plus rentables du basket (dans la raquette et tout proche). La bonne nouvelle, c’est qu’il réussit cette transformation en étant particulièrement maladroit à longue distance, zone de prédilection pour lui durant l’ensemble de sa carrière. Autrement dit, il peut encore progresser s’il retrouve ses standards en carrière à 3pts : 36,4% en carrière contre 29% cette saison.
Pour revenir à sa progression dans cette zone que tout coach veut prendre d’assaut (la raquette) : cette action me semble représentative de l’évolution du joueur cette saison. Certes, Anthony Davis est en retard et Markkanen bénéficie d’une belle avance sur l’intérieur, mais il n’a aucune hésitation en se projetant vers le cercle :
Voilà une excellente nouvelle pour Will Hardy, nouveau coach du Utah Jazz, qui a probablement joué un rôle dans la volonté assurée de Markkanen de dominer dans cette zone.
Une nouvelle palette de tirs
Pour réussir cette transformation, Lauri Markkanen joue de manière beaucoup plus dynamique. Cela passe par un jeu de drive plus actif (X vs Y), par plus de coupes, et en passant par diverses phases de jeu qu’il n’utilisait pas avant pour ajouter quelques points supplémentaires.
Le jeu a changé, et de plus en plus d’intérieurs se rendent compte que s’ils n’ont pas le premier pas des joueurs extérieurs, ils peuvent être assassins dans l’attaque du cercle (drive) grâce à leur taille et un bon toucher. Justement, du toucher, Markkanen en dispose. Quant à la taille, on parle d’un ailier fort de 2m13 accompagnés de 110kgs.
S’il faut une plus belle preuve de confiance de la part de Markkanen, ce drive sur AD pour fixer la défense, puis trouver un coéquipier ouvert, me semble le plus bel exemple à donner. Markkanen a repris confiance à Cleveland, et maintenant, dans un rôle plus grand et à sa hauteur, il n’hésite plus à produire ce genre d’actions :
Autre aspect dans lequel on aperçoit une nette hausse d’activité : les coupes. Sans dire que c’est une source majeure de points pour lui, il fait, comme susmentionné, beaucoup plus de choses près du cercle pour faire payer les adversaires.
Les divers playmakers du Jazz (Conley, Clarkson, Sexton), et les profils atypiques d’intérieurs à ses côtés (Kelly Olynyk, Jarred Vanderbilt) qui génèrent beaucoup d’espaces sont également des éléments qui facilitent cette progression.
Cette énergie générale permet à Markkanen, très actif sans ballon et pas uniquement pour obtenir des tirs longue distance, de s’ouvrir beaucoup d’opportunités en direction du cercle.
Ici, Westbrook pense avoir à contester un tir longue distance et ne s’attend pas à ce que Markkanen reste en mouvement et coupe : surtout face à lui qui est plus mobile que l’intérieur. Pourtant, le finlandais l’attaque immédiatement et absorbe le contact pour finir.
Et c’est là un des principaux changements pour le joueur : c’est que cette activité lui permet de shooter à 71% sous le cercle… Contre 58% par le passé.
Or il ne faut pas s’y méprendre, ce genre de pourcentages sera dur à tenir mais serait véritablement un franchissement de cap s’il arrivait à rester au dessus des 65%.
Pour compléter cette progression, Markkanen se bat au rebond, notamment offensif où il est plus agressif, n’hésite pas à faire des isolations sur des joueurs moins mobiles, sait reconnaître les mismatchs au poste pour les punir (le Jazz possède des joueurs capables de les repérer et de le servir) : autant d’éléments mis bout à bout qui contribuent à l’inflation statistique qu’il réalise.
Au final, Markkanen a réussi à devenir, sur ce maigre échantillon, le joueur que l’on espérait qu’il devienne durant les premières heures de sa carrière. Alors qu’il galère avec son tir à 3pts, qui devrait à terme finir par réaugmenter, deux questions restent en suspens : Quel est le niveau de ce Lauri Markkanen 2.0 ? Qu’est-ce que le Jazz va en faire ?
Comment positionner Lauri Markkanen dans la hiérarchie d’une équipe compétitive ?
Ce Jazz est un groupe hybride. Oui, ils démarrent la saison en trombe, oui ils se sont mis à position d’être considérés comme une équipe sérieuse, que vous vous déplaciez chez eux ou qu’ils débarquent dans votre ville.
Toutefois, cette année est l’année 0 d’une reconstruction et il convient pour Utah d’accroître la valeur de ses joueurs pour susciter un intérêt et obtenir la meilleure contrepartie possible pour ces derniers.
Alors, Lauri Markkanen, une star ?
Qu’est-ce qu’une star en NBA ? La définition sera éternellement sujette à débat. Néanmoins, on peut s’entendre que, dans la majorité des cas, c’est un joueur élite dans la production en volume, et dans le cas d’une superstar, un joueur élite en volume, en efficacité et en création pour autrui. Dans ce cas-là, on est sur la Rolls Royce du Franchise Player : Luka Doncic, Giannis Antetokoumpo, Nikola Jokic, LeBron James… etc.
Rare étant les joueurs qui sont des stars grâce à leur défense uniquement, on peut également en conclure que c’est un joueur très fort au scoring et/ou à la création pour autrui. Là encore, difficile d’être très précis car certains vont briller par leur activité off-ball, d’autres (plus nombreux) par leur domination balle en main.
Dans ce contexte, est-ce que Lauri Markkanen peut-être considéré comme une star ? De manière plus pragmatique, dans une équipé armée pour être prétendante au titre : quelle est la place légitime du finlandais dans le dispositif offensif ?
Nous disions pour commencer qu’il fallait être un joueur tout en haut en termes de volume. Idéalement, y joindre l’efficacité. Qu’en est-il du néo-leader d’Utah ? Retournons sur Cleaning The Glass.
Que pouvons-nous déduire ? Tout d’abord, Lauri Markkanen est, il est vrai, l’un des ailiers avec le plus haut volume de tirs pris / lancers provoqués / ballons perdus (ce qui correspond à l’Usage) de la ligue. Néanmoins, cet “Usage” est plutôt modeste et ne correspond pas réellement à l’idée que l’on se fait d’une première option en NBA (qui sera plutôt entre 28% et plus).
En revanche, son efficacité est dans une catégorie différente : s’il n’est que 81e percentile à son poste en ce début de saison, il figurerait beaucoup plus haut en fin de saison s’il arrivait à maintenir ce rythme. En effet, 126,4 est un score déjà extrêmement élevé si vous ne vous appelez pas James Harden, Stephen Curry, Nikola Jokic ou LeBron James.
Toutefois, contrairement aux joueurs suscités, il ne le fait pas en prenant la même charge offensive en volume. Par ailleurs, ce n’est pas un créateur balle en main, et quant à sa défense, si elle est plutôt bonne collectivement, il n’en reste pas moins un joueur qu’il est envisageable de cibler.
Si on devait le résumer, je serai tenté de dire que c’est une option offensive très solide et efficace, facile à glisser dans un collectif offensivement, en raison de son statut d’intérieur capable d’étirer le jeu. S’il est viable en défense, il n’est pas à exclure que ses adversaires en fassent une cible dans un contexte de Playoffs. En somme, il me paraît que Lauri Markkanen serait une très forte 3eme option dans une équipe NBA qui vise les hauteurs. Il n’est pas à ce stade une star, mais il peut prétendre à jouer un rôle majeur dans une bonne équipe.
Que faire, pour le Jazz ?
Monter une équipe d’underdogs et la voir dépasser les attentes peut être très grisant. Que l’on soit fan de la franchise, évidemment, mais très certainement aussi en tant que dirigeant.
Il est probablement tentant en voyant un assemblage inattendu sur-performer de vouloir voir jusqu’où la belle histoire peut mener, tout en sachant que : elle n’ira pas au bout et qu’elle retardera nos plans d’un an.
Cependant, à la fin, cela resterait une année perdue que de garder ce groupe ensemble et Danny Ainge, GM expérimenté, pourrait être l’homme de la situation pour maintenir le plan envers et contre-tout.
Le plan étant, à priori, d’obtenir un pick haut placé et de tirer profit de la valeur des joueurs disponibles à leur meilleur.
Aussi, voir ce groupe être démantelé en février reste tout à fait possible.
Si cela se faisait, qu’est-ce que la franchise voudrait pour Lauri Markkanen ?
On peut imaginer qu’elle cherchera à tirer au moins 2 à 3 1er tours de draft contre le finlandais. Le montant de ce précieux sésame pourrait être abaissé si, en plus des picks, la contrepartie offrait un jeune prometteur ou un autre vétéran susceptible d’être lui aussi échangé plus tard.
Quoi qu’il en soit, la côté de Lauri Markkanen monte, à l’instar d’autres joueurs du Jazz très en verve en ce début de saison. Et cela n’est pas pour déplaire aux dirigeants ou aux fans qui bénéficient d’un début de saison bien plus plaisant qu’escompté après avoir vu partir Rudy Gobert et Donovan Mitchell échangés durant l’intersaison.
*statistiques arrêtées avant le match contre les Atlanta Hawks