Nous avons commencé par décortiquer pourquoi une jeune équipe, en possession de ses assets futurs, pouvait en jeter une grande partie sur un poste pourtant déjà occupé. Ceci étant dit, cela ne répond pas à une question cruciale : à quoi va ressembler l’association de Rudy Gobert et des Minnesota Timberwolves sur le terrain ?
La question est pourtant cruciale pour une équipe qui a fait sa révolution l’an passé. Devenu une défense solide, trouvant son rythme en attaque autour du trident D’angelo Russell – Anthony Edwards – Karl Anthony Towns sous la houlette de Chris Finch, la présence du pivot français rebat largement les cartes. Mais ne perdons pas de temps : entrons dans le vif du sujet.
Tout commence avec la défense… évidemment
Un homme peut-il transformer une équipe en “top-10 défense” à lui seul ? S’il y a quelqu’un en NBA qui peut prétendre à cet exploit, c’est Rudy Gobert. L’an passé encore, en dépit d’une défense extérieure exécrable, le français a réussi à faire du Jazz un groupe solide de ce côté (10è défensive rating).
Dès lors, mettons les choses au clair : les Wolves cherchaient à s’améliorer dans deux éléments clés du jeu la défense et le rebond. Deux indispensables, particulièrement pour une équipe qui ne voulait pas voir les Playoffs comme un accomplissement éphémère. 13è défensive rating la saison passée et 21è au % de rebonds captés, la troupe de Chris Finch avait certes fait des progrès plus que tangibles, mais ne se voilait pas la face : c’est insuffisant pour rêver en grand une fois en Playoffs.
Avec Rudy Gobert, Minnesota obtient donc la présence intérieure la plus dissuasive en NBA, un rebondeur très solide (captation et box-out) et capable de faire tout cela, sans se mettre en danger avec les fautes (une pensée qui devrait émouvoir beaucoup de fans de la franchise). L’an passé, le pivot possédait le meilleur defensive rating individuel de la ligue (103,2). Et pour cause, Gobert fait chuter le nombre de tirs dans la raquette pris par les équipes adverses, en carrière, d’environ 5% par sa seule présence. Les deux dernières saisons, le chiffre à atteint des sommets avec une baisse de 7,6 et 7,8 points.
Or c’est, rappelons-le, le tir le plus rentable du basketball.
L’an passé, les Wolves ont joué avec un système très agressif en défense sur les poses d’écran adverses, le hedge, pour compenser les faiblesses de Karl Anthony Towns. Jared Vanderbilt, échangé pour Gobert a fait grand bruit en s’imposant comme un défenseur de haut niveau dans ses aides défensives côté faible. Si on devait utiliser une image, on pourrait dire que le jeune intérieur a toqué aux portes de l’élite par son apport défensif. Mais oubliez Vanderbilt, Tim Connelly vient de ramener la référence absolue pour jouer ce rôle. Le coup est double, la franchise pourrait bien conserver le schéma qui a fait son succès l’an passé mais avec une présence capable de combler les failles du système tout en améliorant ses atouts.
Et offensivement ?
Historiquement, Rudy Gobert n’a jamais été considéré comme une force offensive. Et pour cause, le pivot n’est pas doté d’un tir fiable pour s’écarter de la raquette. Le jeu au poste est réservé aux intérieurs très efficaces, dont Rudy ne fait pas partie, et s’il est une menace sur le lob, il n’est pas comparable à certains athlètes du poste 5. Aussi, si vous vous dites que les 12pts de moyenne enregistrés l’an passé par le pivot représente une sous-exploitation de son talent offensif, il est possible que vous soyez dans l’erreur.
Non pas que le français ne pourrait pas scorer plus. Mais pourrait-il scorer mieux ? En effet, le Jazz a usé la patience du français par son manque de soutien en défense et une tendance à l’ignorer offensivement, même grand ouvert. Pour autant, l’équipe a réussi à être la ou l’une des meilleures attaques de ces dernières saisons, grâce à un spacing idéal.
Le rôle de Rudy a été réduit à ce que l’on peut attendre d’un joueur qui n’a pas été particulièrement doté en talent offensif : être présent au rebond offensif, tenter de mettre les paniers faciles, transformer quelques lobs… Et basta. Ce n’est pas forcément lui manquer de respect, c’est juste exploiter un joueur pour ce qu’il fait de mieux. En l’occurrence, défendre et être opportuniste en attaque, c’est-à-dire l’essentiel, sachant que le joueur n’a pas montré sa faculté à exploiter des mismatchs.
Pour autant, Gobert n’est pas un poids mort offensif. C’est un des poseurs d’écran les plus actifs de la ligue (second), et une menace capable sur le lob. Ses grands segments lui permettent de sanctionner l’adversaire si trop d’espace lui est concédé… Ou par le rebond en cas de tirs manqués. Dans ce registre, il sera un partenaire intéressant pour D’angelo Russell, qui n’avait pas de coéquipier aussi dangereux sur Pick & Roll (et aussi bon poseur d’écran) l’an passé. D’autant que le meneur, plus shooteur qu’esthète de l’attaque de la raquette, ne sera pas gêné si Rudy attire son vis-à-vis près du cercle.
Enfin, comme mentionné par Nekias Duncan, le Jazz scorait en moyenne 1 point par possession lorsque l’équipe posait un écran sur le porteur de ballon avec un intérieur déjà dans la raquette (auquel cas, Rudy, vous l’aurez deviné). Ce qui en fait une des trois équipes les plus efficaces de la ligue selon Secound Spectrum. A l’inverse, les Wolves figurait dans la seconde partie du tableau (16è). Dans un cas de figure où Towns devient le poseur d’écran, là encore, remplacer Vanderbilt par Gobert devrait représenter une plus-value.
Mais une fois ces apports discutés, que penser de Gobert au sein de ce collectif des Wolves ?
Une équipe coriace en défense ?
Les réputations ont la vie dure.
Aussi, l’idée que les Wolves soient incapables en défense devrait avoir survécu à une saison plutôt solide. D-Lo a la réputation (désormais usurpée) d’être un défenseur médiocre, Anthony Edwards a encore à prouver dans le domaine et Towns est encore largement considéré comme désastreux dans ce compartiment. Rudy, se retrouverait alors, avec McDaniels comme seul défenseur réellement capable (ou Kyle Anderson), pour le soutenir. Une situation proche de celle de Utah, qui avait finit par le rendre dingue.
Mais rappelons le, les Wolves étaient l’an passé le 13è defensive rating NBA. Mieux, après le All-Star Game, ils sont passés 8ème. Et ce, parce qu’ils ont su individuellement franchir des caps, mais également, collectivement compenser certaines faiblesses. Le hedge, alternative défensive permettant de compenser par une forte agressivité de l’intérieur sur les écrans posés, a permis de construire une défense exploitant :
- La mobilité de Towns
- La vision de jeu de D-Lo
- Les bons défenseurs de l’équipe
En formant un mur de brique pour bloquer les porteurs de ballons et en comptant sur de bonnes rotations en couverture, les Wolves ont réussi à rendre une équipe viable en défense autour de Towns. La présence de Rudy signifie ainsi deux choses : les équipes devront cibler KAT, mais le schéma s’est avéré viable pour proposer un premier rideau décent. Et ce rideau va être couvert par Rudy Gobert. Un joueur, qui comme pré-établi, est suffisamment craint pour que l’ensemble de la ligue rechigne à attaquer la raquette en sa présence. Ainsi, si tout se passe bien, Rudy n’a pas à intervenir. Si la défense est débordée, il reste encore à passer le 3 fois défenseur de l’année. Amusez-vous bien.
Ce que cela veut aussi dire, c’est que l’idée d’un Karl Anthony Towns poste 4 n’a rien de si effrayant sur le plan défensif. Ce qui aurait pu être un bémol majeur pour cet échange. Le joueur a montré pouvoir s’en sortir dans des situations de switch. Les Wolves peuvent donc s’appuyer sur leur schéma, qui a toutes les raisons de fonctionner, et peuvent également, au besoin, décorréler les minutes des deux intérieurs et revenir à du drop lorsque KAT sera sur le banc.
Sur le papier, ils ont donc gagné en défense et en polyvalence sur le choix des schémas défensifs et des rotations.
Les extérieurs au rapport
Il n’y a priori, pas d’inquiétude à avoir pour le secteur intérieur en ce qui concerne l’aspect défensif. Maintenant, qu’en est-il à l’extérieur ?
Une première chose caractérise ce groupe, et cela a de quoi rassurer : Ils sont grands, ils sont longs. Et pas uniquement grâce à la présence de deux pivots dans le 5 majeur.
Le joueur du 5 le plus petit est D’angelo Russell, qui mesure 1m96. Le joueur avec l’envergure la plus faible est Anthony Edwards, qui se répand sur 2m10. Ceci étant dit, il faudra de l’investissement en défense.
Jaden McDaniels a démontré de belles aptitudes, il faudra s’en montrer digne en s’opposant aux meilleurs extérieurs adverses soir après soir. D-Lo a plus brillé par sa communication et défense off-ball que sa défense sur les porteurs de balle. Sa série face aux Grizzlies n’a pas nécessairement rassuré sur sa faculté à ne pas se faire exploiter par les adversaires. Edwards, lui, est encore jeune. Ses qualités athlétiques et son implication en Playoffs ont de quoi donner de l’espoir quant à ses chances de s’imposer, à terme, comme un maillon solide en défense. Mais peut-il le faire sur toute une saison ?
Dès lors, on peut imaginer que le principal problème de Finch sera de trouver comment tirer le meilleur de ses arrières. Une défense qui repose sur 2 pivots de métier est viable : les Celtics nous l’ont prouvé cette saison. Néanmoins, tout est plus facile avec des joueurs comme Marcus Smart et Derrick White pour freiner les extérieurs adverses. Si D-Lo ou Ant ne seront certainement jamais de ce calibre, il faudra néanmoins offrir un premier rideau convenable pour permettre à cette équipe de s’installer comme un défense top 7-8.
Ce qui semble tout à fait réaliste (bien que cela dépende du niveau de la concurrence, évidemment) avec Gobert au centre du dispositif.
Du travail en attaque ?
Une des raisons qui a rendu les Wolves spéciaux offensivement repose sur un combo très avantageux. Minnesota pouvait évoluer en 5-out (soit aucun joueur ne squattant la raquette). Towns est à la fois la plus grosse menace de la ligue à 3pts chez les pivots, mais s’avère également capable de profiter d’un avantage de mobilité pour perforer les défenses et devenir un mismatch. Ses pénétrations se sont d’ailleurs avérées une source de scoring très avantageuse pour son équipe, comme décrit ici :
Cette absence d’intérieur dans la raquette représentait un atout pour un autre joueur : Anthony Edwards. Si l’arrière est capable de grosses soirées à distance, c’est avant tout sa faculté de percussion qui en fait un véritable danger pour les défenses adverses. Son association à Towns était donc très avantageuse puisque le pivot, qui aime beaucoup shooter de loin, lui laissait tout l’espace nécessaire pour s’exprimer. Avec 6,2 tirs pris dans la raquette par match, seuls 2 arrières font plus en NBA : Ja Morant et Shai-Gilgeous Alexander.
Autrement dit, la présence de Gobert pourrait compliquer la vie d’Edwards et Towns dans leurs pénétrations. S’ils conviendra de savoir lâcher la balle au bon moment et de jouer avec les défenses, il est clair que cela représentera un défi pour Chris Finch et les joueurs concernés, qui vont devoir se frotter à un paradigme nouveau en attaque.
Cependant, décaler Towns en 4 signifie que son rôle change. Il ne sera plus nécessairement le principal poseur d’écran, et pourra donc en théorie… Se comporter comme un ailier.
Tenter des coupes, naviguer au large, entre les écrans, pénétrer balle en main puis envoyer un lob vers son pivot, autant de choses qui vont lui permettre de varier son jeu, bien que nécessitant de l’adaptation. Double bonne nouvelle en ce sens :
- Towns aurait poussé en interne pour être décalé au poste 4, ce qui signifie qu’il souhaitait cette évolution
- Son attrait croissant pour le tir longue distance et les actions balle en main semblent corroborer une chose : Towns aurait probablement adoré être un ailier s’il n’avait pas mesuré 2m10.
Ainsi, si les repères vont changer, que certaines limites sont notables, elles ne sont pas sans solutions. Elles vont juste demander aux joueurs d’exploiter leur polyvalence et leur flexibilité. Et s’il y a une bonne nouvelle ici : les Wolves ont opéré cette saison un changement de visage bien plus drastique que celui qui leur sera demandé cette saison.