Nous évoquions le cas Jalen Brunson dans notre prospective de la free agency. Alors que l’ouverture du marché approche, Brunson n’a jamais autant semblé sur le départ. Rumeurs et bruits de couloir se multiplient certes, mais pas seulement. Dallas a en effet monté un trade pour rentrer dans la Draft 2022, et sélectionner Jaden Hardy. Un choix d’extérieur créateur qui semble plus logique une fois Jalen Brunson écarté de l’équation. Retour en détail sur une piste établie, celle de New York, et surtout sur le mariage tactique entre les Knicks et le meneur de 25 ans.
Knicks-Brunson : un flirt de longue date
Théorème NBA reconnu, les Knicks sont tous les étés dans les papiers pour récupérer le free agent le plus en vue. Mais cette fois-ci, les rumeurs semblent tenir davantage d’un réel intérêt que d’une lubie de supporters. Alors qu’on pouvait espérer de la patience et un nouveau cycle autour de RJ Barrett, les Knicks veulent être compétitifs dès la saison prochaine. Dès lors, c’est par la free agency qu’ils doivent se renforcer.
La stratégie des Knicks semble d’autant plus claire depuis le soir de la draft. Pour rappel, les Knicks avaient décidé de ne sélectionner personne avec leur 11ème choix. Mathurin, Davis et Sochan, cibles potentielles déjà choisies, les Knicks ont remis leur sélection à plus tard. Accumulant des choix de drafts futures (qui ne donneront sûrement rien), les Knicks nous ont surtout offert un revival du trade de Kristaps Porzingis : tout lâcher pour libérer de la masse salariale. Si ce n’était pas assez évident, le trade d’Alec Burks et Nerlens Noel confirme cet objectif.
Les Knicks sont désormais armés. Avec leurs mouvements durant la draft, ils ont fait la place nécessaire pour offrir à Jalen Brunson le contrat maximal auquel il peut prétendre : 110 Millions sur 4 ans. Ils s’offriraient ainsi les services d’un joueur, si ce n’est talentueux, fortement lié à la franchise. Son père, Rick Brunson, est un nouvel assistant coach des Knicks. Leon Rose, président des opérations basket, est l’ancien agent de Rick et Jalen Brunson, le nouvel agent de Jalen n’étant autre que Sam Rose, fils de Leon.
Au-delà des rumeurs de collusions familiales, de discussions sur le salary cap et le CBA, une question primordiale doit se poser si les Knicks veulent vraiment gagner des matchs dès l’an prochain. Sur le terrain, Jalen Brunson, ça donne quoi ? Permet-il aux Knicks de passer un cap ?
A Dallas, seulement le lieutenant de Doncic ?
Une première réaction facile à la lecture des rumeurs serait de douter de la capacité de Brunson à sortir de la tutelle Luka Doncic. Deuxième porteur de balle dans l’héliocentrisme texan, Brunson devrait assumer un rôle de porteur de balle principal à New York. Du moins, selon la confiance qu’on accorde à RJ Barrett et Julius Randle, Brunson verrait son rôle considérablement augmenter à New York.
Mais cette lecture ignore une partie de la réalité : Jalen Brunson était bien plus qu’un simple lieutenant de Luka Doncic. Plutôt qu’une deuxième option, il était bien souvent l’option 1bis, voire la première option lorsque Doncic était absent. Devant les capacités de Brunson à être le porteur de balle principale, Jason Kidd avait pris l’habitude d’alterner les minutes des deux joueurs. Brunson n’a ainsi que 52% de ses minutes aux côtés de Luka Doncic.
Avec Doncic sur le banc, ou blessé, Brunson était donc la véritable première option des Mavericks. Dans ces minutes, Brunson assumait une forte utilisation (28 d’Usage%), et l’attaque des Mavericks demeurait largement compétitive (une marque de 115 d’Offensive rating serait la troisième de la ligue).
Lineup |
Nombre de minutes | Offensive rating |
Jalen Brunson + Luka Doncic | 1316 | 118 |
Jalen Brunson sans Luka Doncic | 1208 | 115 |
Luka Doncic sans Jalen Brunson | 985 | 113 |
La plus notable itération de l’expérience Jalen Brunson comme go-to-guy a eu lieu lors des derniers playoffs. Luka Doncic blessé pour les trois premiers matchs de la série face au Jazz , c’est au tandem Brunson-Dinwiddie qu’est revenu la responsabilité de créer le jeu. 34% d’usage pour Brunson, et une sévère inflation statistique :
Sur les 3 matchs disputés sans Doncic, Brunson tourne à 32 points de moyenne (50% aux tirs dont 41% à 3-points), 5 passes décisives (1 balle perdue), 5 rebonds et deux victoires pour les Mavs.
L’échantillon est évidemment trop faible pour en tirer des conclusions durables. D’autant plus que c’était face au Jazz de Rudy Gobert, loin d’être la meilleure équipe pour défendre des extérieurs. Ces performances confirment toutefois une tendance vue sur l’ensemble de la saison. La production et l’efficacité de Brunson cette année ne sont pas que le fruit de la cohabitation avec l’excellent créateur qu’est Luka Doncic, Jalen Brunson est prêt à assumer un plus grand rôle offensif.
Brunson le slasher : de la « rim pressure » supplémentaire pour les Knicks
Maintenant que les doutes sur la capacité de Brunson à assumer un rôle offensif plus important sont, sinon dissipés, au moins nuancés, revenons à notre question première. Qu’est ce que Jalen Brunson peut apporter aux Knicks sur le crucial poste de meneur de jeu ? Une première réponse globale serait « du talent ». Mais, plus en détail, Brunson peut déjà apporter sa capacité de pénétration au panier.
Combien de pénétrations des Knicks se terminent-elles par des tirs contestés à mi-distance après vingt secondes d’attaque stagnante où aucun joueur n’a réussi à créer le décalage initial ? Brunson, justement, à cette capacité de création balle en main et apporterait de la percussion dont les Knicks ont bien besoin.
Les Knicks étaient tout simplement derniers lorsqu’il s’agissait de marquer sur pénétration au cercle (44,7% de réussite selon NBA.com). Malgré les progrès en kick-out de RJ Barrett, les Knicks manquaient d’armes crédibles pour amener la balle dans la raquette par dribble. Ces « paint touches » sont cruciales, parce que ce sont elles qui forcent la défense à rentrer en rotation, et forcent donc des décalages.
Brunson, lui, était l’année dernière le 19ème joueur en termes de nombres de drive par match (13.6), et le troisième à les convertir les plus efficacement. A 56,7% de réussite sur ses drives, il ne se place que derrière Giannis Antetokounmpo et Chris Paul. Une belle compagnie, surtout lorsqu’on considère sa taille (1m85) et le volume.
Sa qualité de dribble et ses changements de rythmes lui permettent de finir au cercle, où il est très à l’aise avec 64% de réussite. Explosif sur le premier pas, c’est surtout le contrôle de son corps qui lui permet d’accéder au cercle et d’exploiter le meilleur angle face à des joueurs plus grands que lui.
S’il est aussi à l’aise près du cercle, c’est aussi parce qu’il était utilisé ainsi à l’université. Il commençait souvent ses pénétrations face au panier, avant de transformer son drive par un jeu posté. Une « Villanova special » qui se sent encore dans son jeu et ses excellentes pénétrations.
Pick and roll : saura-t-il s’adapter à des outils différents ?
Un autre aspect fondamental du jeu de Jalen Brunson est l’attaque du pick and roll. Élément indispensable de toute attaque NBA moderne, on retrouvait les Knicks dans le ventre mou de la ligue en efficacité sur pick-and-roll, alors qu’ils étaient la 8ème équipe à l’utiliser le plus. Par exemple, l’inefficacité au cercle et l’absence de jeu intermédiaire font de RJ Barrett un porteur de balle très moyen sur pick-and-roll, Alec Burks était forcé de jouer un rôle qui n’est pas le sien, et Immanuel Quickley, quoiqu’en progrès, nécessite un spacing optimal pour être efficace.
Jalen Brunson arrive quant à lui avec un pedigree fantastique sur pick and roll. En 5 possessions par match à Dallas (un volume qui augmenterait chez les Knicks), Brunson avait une efficacité de 1.06 points par possession. Tout simplement LA meilleure marque de toute la ligue (parmi les joueurs à plus de 3 possessions par match).
Brunson excelle sur pick and roll grâce à sa patience, qui lui permet d’analyser rotations et angles des défenseurs. Il peut alors soit passer, soit finir au cercle ou à mi-distance. Ici, il contrôle parfaitement son dribble pour garder KCP dans l’écran, puis jouer avec Porzingis.
Parce qu’il a cette menace du jeu intermédiaire, midrange ou floater, il force les pivots adverses à des choix difficiles : défendre sur lui, ou revenir sur le poseur d’écran. Imaginer l’action suivante avec Mitchell Robinson comme partenaire de pick and roll fait saliver.
Toutefois, l’excellence de Jalen Brunson doit aussi beaucoup au contexte très favorable dans lequel il évoluait à Dallas. L’attaque de Dallas combine en effet le « space-ball » et le spread pick-and-roll. Presque toujours aligné avec une menace sur le roll et trois tireurs de catch&shoot, Brunson disposait d’un spacing optimal sur son pick and roll. Le spacing allonge les distances que doivent parcourir les défenseurs en rotation, et augmente mécaniquement la marge de décision et de manœuvre du porteur de balle.
C’est ce qui a permis à Brunson d’exceller, tant dans le scoring, que dans le playmaking en sortie de pick. Sans être un passeur génial, il a pu trouver ses coéquipiers ouverts à trois-points, ou le fantastique Dorian Finney-Smith sur coupe. Notez aussi sur le clip suivant le mouvement pré-Pick and Roll : Brunson prend la balle déjà lancé, moyen efficace de compenser pour son manque de vitesse.
L’équation pour les Knicks est simple. S’ils veulent faire du pick and roll avec Jalen Brunson leur atout offensif, il faudra lui donner un spacing similaire qu’à Dallas. Cela passera par des vrais choix, notamment au poste 4 : Brunson ne pourra pas faire avec Julius Randle (30% en Catch&Shoot à trois-points l’an passé) ou Obi Toppin (31,5%) ce qu’il a fait avec Dorian Finney-Smith ou Maxi Kleber.
Jeu intermédiaire : excellent là où les Knicks sont médiocres
Le tir à mi-distance n’est pas mort pour ceux qui mettent leurs tirs à mi-distance. Brunson fait partie de ces joueurs pour qui c’est toujours un tir rentable. D’une parce qu’il est précis dans ce type de tirs, mais surtout parce que c’est la menace de son tir à mi-distance qui lui permet, du haut de ses 185 centimètres, de finir au cercle. Les Knicks, pour référence, n’ont aucun joueur capable d’apporter dans cette zone intermédiaire (à l’exception, peut-être, de l’inefficace floater d’Immanuel Quickley).
Son pull-up à mi-distance est une excellente arme face aux défenses de drop sur Pick and roll. Il rentrait ses 4.2 pull-up à deux-points par match à 48,5% de réussite, 7ème meilleure réussite de la ligue (parmi les joueurs qui en prennent trois ou plus). Une fois encore, ce sont ses dribbles et ses changements de rythme qui lui permettent de créer la séparation nécessaire pour transformer un tir compliqué en tir confortable. Illustration sur le piètre défenseur qu’est Jrue Holiday, face à qui Brunson se téléporte, tout en changements de rythme.
Sur floater/runners (2.6 tentatives par match dans la zone), il tourne à 50.7% de réussite. La deuxième meilleure réussite parmi les guards (derrière Jordan Clarkson). Encore une fois, une arme particulièrement létale sur pick and roll.
La question de la défense
Attaquant complet, extrêmement efficace et qui apporterait largement aux nombreux besoins des Knicks, Brunson est un fit assez naturel. Une question épineuse demeure : quid de la défense ?
Disons-le clairement, Brunson est un piètre défenseur. Il n’est certes pas aidé par des outils physiques limités (seulement 1m85, faible envergure, explosivité très limitée) ; mais il est compliqué d’affirmer qu’il compense par une implication ou intensité hors du commun.
Toutes les stats « tout-en-un » qui mesurent l’impact défensif de Jalen Brunson s’accordent pour le qualifier de négatif, bien en-dessous de la moyenne de la ligue. Stat imparfaite mais tout de même parlante, le différentiel « on-off » de Brunson va dans ce sens : Dallas encaissait 3.5 points de plus par 100 possessions avec Jalen Brunson sur le terrain que sans (6.6 en playoffs), le plaçant dans le pire quart de la ligue.
Ici aussi, le contexte collectif des Mavericks peut explique une telle déroute. Avec Doncic comme autre défenseur moyen face aux extérieurs, Brunson devait souvent assumer un rôle défensif auquel il n’est prêt. Comme ici, face au De’Aaron Fox.
Aux Knicks, on pourrait retrouver des joueurs capables d’assumer ce rôle de défenseur au point d’attaque (Quentin Grimes, RJ Barrett, les jeunes Miles McBride et Trevor Keels). Brunson pourrait alors être relégué à défendre sur un joueur qui porte moins le ballon, réduisant son impact négatif. En somme, une perspective peu réjouissante du côté du terrain où les Knicks ont le plus régressé la saison dernière, et qui doit être l’identité de cet effectif.
Brunson vaut-il un contrat $110 Millions sur 4 ans ?
Terminer cet article sur une note négatif sur sa défense serait trompeur. L’association Brunson-Knicks a énormément de sens sur le terrain. Du moins, Brunson remplit un nombre important de cases que New York doit améliorer. Pour le meneur, la perspective de passer de Luka Doncic et d’un contender à une équipe qui a tout à construire, à l’approche de son prime, c’est un choix qui lui incombe. L’imaginer en leader d’une attaque lente, aux nombreux pick-and-roll et avec Mitchell Robinson comme partenaire est une belle perspective. Si New York veut continuer à développer RJ Barrett offensivement, alors Brunson pourrait par moments retrouver son rôle naturel de second créateur, dans lequel il a excellé cette année.
Le contrat est certes élevé pour un joueur qui ne sera sûrement jamais un all-star établi. Malgré tout, la combinaison d’efficacité, de propreté et de création qu’offre Jalen Brunson vaut largement, pour une équipe qui en manque cruellement, quelques millions supplémentaires. New York cherche sa star ; Brunson n’est sûrement pas de l’envergure médiatique et populaire attendue. Sportivement, ce serait un excellent casting, une première étape vers une montée en puissance tant espérée.
Très bon article bien détaillé, équilibré sur les atouts et faiblesses du joueur et qui dieux merci évite de tomber dans la facilité des clichés sur les Knicks.