Si l’on en croit les odes de début de saison, plusieurs équipes présentes dans le dernier carré de la ligue ne faisaient pas partie des favoris pour prétendre au titre. Les Celtics ont opéré un retour des abysses, les Mavericks font office de surprise du chef dans une conférence Ouest que beaucoup voyaient promise aux Suns et aux Lakers. Brooklyn, grand favori est sorti sur KO dès le premier tour face aux celtes, le champion en titre a également mordu la poussière et les Warriors retrouvent les sommets après 3 ans d’absence.
Golden State, parlons-en justement. Au sortir d’une finale 2019 cataclysmique pour la franchise, le groupe était sorti bardé de blessures et obligé de solder la fin d’une ère entre le départ de Kevin Durant, l’échange d’André Iguodala et l’âge avancé de nombreux cadres. Pourtant, Klay Thompson enfin remis sur pied, Iggy rapatrié pour jouer son rôle de sage, le succès repose en partie sur le même groupe que celui de 2019.
S’il a fallu se tourner vers Andrew Wiggins pour palier au départ de KD et que Jordan Poole est venu, belle surprise, ajouter une dimension de talent offensif très bienvenue, toujours est-il que 4 joueurs sur 5 dans le de départ faisaient partie de la précédente épopée. Stephen Curry, Klay Thompson, Draymond Green et Kevon Looney sont donc de retour.
Avant hier, John Hollinger sortait un article sur le “space ball”, nouvelle tendance de ces Playoffs qui selon lui, expliquait le succès de certaines équipes et risquait d’impacter l’intersaison des prétendants au titre.
En substance, ce space ball, serait une évolution naturelle des dernières campagnes de post-saison et serait particulièrement incarné par les effectifs de Boston et de Dallas. Deux équipes qui ont décidé de miser sur la capacité collective à shooter. Là où les Warriors représentaient le danger par le mouvement et la présence de plusieurs shooteurs historiquement forts dans l’effectif, les Mavericks et les Celtics ne possèdent quasiment que des shooteurs solides (sans pour autant avoir une star dont le jeu repose sur cet aspect offensif), leur permettant de faire fi des notions de poste.
Dans cette évolution, la série fondatrice aurait eu lieu l’an passé. Quand les Clippers, privés de Kawhi Leonard et de Serge Ibaka ont fait le choix de se priver d’Ivica Zubac pour introniser un groupe de 5 joueurs tous capables de driver et de shooter, la voie aurait été ouverte. L’idée, comme les fameuses “death lineups” de Steve Kerr, serait de maximiser l’attaque de l’équipe, de profiter d’une idée désormais bien ancrée, qu’une équipe composée de joueurs de la même taille représente un atout en défense et qu’elle permet également de mettre hors course certains profils de joueurs.
Car en 2021, ce fut la grande histoire de cette série entre Utah et LA : Rudy Gobert, aussi grand défenseur qu’il soit, perdait son impact en étant obligé de chasser des joueurs au large. En ce faisant, les Clippers gagnaient 2 fois : ils libéraient plus facilement 1 joueur de la présence de Gobert, mais l’empêchaient également de couvrir, comme il en a l’habitude, les erreurs de ses coéquipiers.
Une idée sujette à controverse: gagner par le tir extérieur
Il fut un temps, où l’adage en NBA était clair, on ne gagnait pas grâce au tir à 3pts. Mais ça, c’était avant l’avènement des Warriors, l’ère des Rockets de Morey-D’antoni et les évolutions que tout cela a engendré. Aujourd’hui encore, subsiste l’idée que cette nouvelle tendance dénature le basketball. Que ce soit auprès de certains fans ou de d’acteurs de la grande ligue, Gregg Popovich n’ayant par exemple jamais caché son aversion pour le recours croissant à ce tir.
Pour autant, la tendance est claire : de plus en plus d’équipes sont conscientes que cette menace offre une opportunité incontournable.
Ainsi, durant le second tour de ces Playoffs, les deux finalistes de la saison passée ont été éliminés prématurément. Non pas qu’ils aient été dominés dans les grandes lignes. Les deux sont tombés lors d’un Game 7.
Néanmoins, dans les deux cas, des similitudes existent. Il est toutefois important de noter que ces deux éliminations sont, dans le contexte, différentes. En effet, Milwaukee sort contre une équipe qui avait l’avantage du terrain, dans une série très intense alors qu’elle a dû faire sans Khris Middleton toute la série. Une absence qui aurait pu changer beaucoup de choses pour palier aux difficultés offensives du groupe. A l’inverse, Phoenix était le grand favori face à une équipe de Dallas sans véritable joueur de calibre All-Star derrière Luka Doncic.
Cependant, comme nous le disions, des similitudes existent :
- Les deux équipes ont chuté malgré un avantage 3-2, semblant à cours de solutions
- Les deux équipes ont eu du mal à utiliser leurs pivots au terme de la série (Brook Lopez et DeAndre Ayton)
- Les deux équipes ont été dominées derrière la ligne des 3 pts (-159 pour les Bucks, -99 pour les Suns sur l’ensemble de la série)
Autrement dit, dans les faits, les deux équipes ont fini par céder face à une orientation stratégique usante à défendre.
Dans les deux cas, l’idée de profiter de leur avantage de taille n’a pas suffi et au contraire, le space ball s’est avéré une option tout à fait convenable en défense : 95 et 81 scorés par les Bucks aux Games 6 et 7 ; 86 et 90 pour les Suns dont une bonne partie dans le garbage time. Des joueurs comme Maxi Kleber & Dwight Powell se sont avérés de bonnes options pour switcher et ont largement compensé le mismatch que représentait Ayton. Coup du sort, les Suns qui avaient perdu en finale l’an passé, maltraités par la taille des Bucks, qui s’étaient armés de Bismack Biyombo et JaVale McGee, ont perdu pour la raison inverse : ils manquaient d’ailiers de grandes tailles pour prendre la place de leurs nombreux pivots rendus caduques.
Dans l’autre série, l’absence de Robert Williams a produit un résultat inattendu, puisque ce fut loin d’être un problème, au contraire, et le très polyvalent Grant Williams fit tout à fait l’affaire. Dans le même temps, des pivots sous-taillés comme Horford et Theis offraient des options offensives viables pour gêner Milwaukee, et puisque tout le monde s’est relayé sur Giannis et que la meilleure option fut en définitive Marcus Smart, la mobilité de ces derniers faisait parfaitement l’affaire en défense.
Enfin, et c’est le cœur du sujet : ce désavantage de taille n’étant pas un problème en défense, le fait de n’avoir aucun non-shooteur sur le terrain permettait aux stars d’avoir beaucoup d’espace dans lesquels naviguer (Jayson Tatum / Jaylen Brown d’un côté, Luka Doncic de l’autre). La difficulté proposée par ce set-up est double : non seulement les menaces balle en main ont plus de facilités à se déplacer, mais en prime, n’importe quel joueur avec la main chaude peut avoir sa soirée. Ainsi, d’un côté, les Suns se sont noyés face à l’effondrement de Chris Paul et Devin Booker, quand dans l’autre série, Giannis s’est retrouvé esseulé et fut obligé de courber l’échine.
A l’inverse, au relais de Brown – Tatum et de Doncic, les noms furent variés. Al Horford, Marcus Smart, Grant Williams, ont eu leurs soirées. Idem pour Dallas.
C’est pour ça que dans le match 7, Mike Buldenhozer a fait un pari osé : laisser les joueurs opposants les moins expérimentés prendre les tirs. C’est ainsi que Grant Williams, Payton Pritchard, Derrick White ont été laissés grands ouverts toute la rencontre. Malheureusement, si la stratégie a perturbé White, elle n’a pas stoppé les deux autres qui ont brisé les espoirs de repeat pour Milwaukee.
C’est néanmoins dans l’autre série que l’impact de ce plan paraît le plus radical. Car si Boston paraissait, avant même les Playoffs, armé pour rivaliser avec Milwaukee, à fortiori sans Middleton, les Mavericks ne possèdaient pas la même somme de talent que Phoenix. Pourtant, les Suns ont bien manqué de réponses. En atteste la tentative (désespérée ?) de relancer Torrey Craig dans l’ultime rencontre. Cameron Johnson étant le seul joueur possédant le rapport mobilité-taille pour suivre les drôles d’intérieurs des Mavericks, les velléités de Monty Williams de jouer petit pour trouver une réponse se sont avérées infructueuses. Et les Suns ont fini, ironiquement, “trop petits” pour rivaliser.
Les Warriors, déjà garants de “l’ancienne époque”
Dans ce contexte, les match-ups à venir vont être intéressants. Miami n’a pas de joueur du calibre de Giannis Antetokoumpo dans ses rangs pour proposer un défi défensif insoluble aux Celtics. Néanmoins, leur équipe possède un paquet de joueurs que le space ball des Celtics ne devraient pas invalider. PJ Tucker est le digne représentant de cette génération d’intérieurs mobiles qui n’ont pas peur de se retrouver contre plus grand qu’eux. Bam Adebayo est sans aucun doute l’intérieur de la ligue le plus compatible avec ces équipes qui vous poussent au large. Si le Heat n’est potentiellement pas plus fort que les Bucks, ils seront en revanche certainement plus à l’aise avec ce type de constructions.
Pourtant, c’est l’autre série qui me semble la plus intrigante. Kevon Looney n’est au final qu’un role player comme un autre bien qu’il soit titulaire. Il est tout à fait envisageable pour Golden State de décider de s’en passer. Les Warriors, avec leur attaque centrée sur 3 shooteurs historiquement forts représenterait presque l’ancienne tendance, vestige d’un monde déjà prêt à basculer dans les abîmes.
Pourtant, ils gagnent probablement la bataille en termes de talent offensif disponible, et ne devraient pas avoir de problème à jouer petit. Ce sont après tout eux les précurseurs de ce schéma et on peut imaginer que Jonathan Kuminga, Otto Porter Jr ou André Iguodala verront leur temps de jeu augmenter pour tenir le changement tactique que pourrait présenter la bande de Luka Doncic.
Par ailleurs, si les Mavericks ont très bien réussi face aux menaces offensives des Suns (Chris Paul et Devin Booker), les Warriors sont une bête très différente. Là où Phoenix s’appuie sur le danger de ses porteurs de ballon, Golden State va mettre à l’épreuve leur concentration loin du ballon. Pour autant, sur le papier, Dallas est parfaitement armé pour ce jeu fait de mouvement.
A l’inverse, s’il sera impossible pour les Warriors de faire des impasses en défense – le space ball n’offrant pas ce type de luxe aux opposants, tous les joueurs étant capables de scorer avec régularité, voire d’avoir un coup de chaud – Dallas peut très bien choisir d’ignorer Kuminga, Iguodala, Looney ou Green. Un avantage qui permettra peut-être de faire ce que les Grizzlies ont su faire : rendre les choses compliquées offensivement pour les Warriors. Or, dans des séries qui se transforment en guerres de tranchées, les équipes possédant le plus de menace régulières pourraient alors faire la différence, comme ce fut le cas au second tour.
D’autant que s’il s’agit d’obtenir des paniers compliqués en isolation pour obtenir la décision… Avoir Luka Doncic dans ses rangs paraît encore la meilleure option.
L’intersaison 2022, déjà victime de la tendance ?
Vous l’aurez compris, les deux équipes qui incarnent le mieux ce nouveau paradigme, évolution naturelle que les Rockets avaient déjà tenté d’insuffler en échangeant Clint Capela pour ramener Robert Covington, sont donc Boston et Dallas. S’il n’est pas certain que cela suffise pour aller au bout, toujours est-il que la seule présence des Mavericks à ce stade est déjà, il me semble, une preuve irréfutable de la viabilité du space ball.
Pour plusieurs équipes dont la campagne s’est achevée prématurément (Bucks, Nets, Suns, Jazz, Nuggets, Sixers), il est possible qu’un cas de conscience se présente. Le choix entre prendre la décision de s’adapter ou décider de trouver un moyen de le punir risque de se poser. Certains, pourraient faire le choix de repartir avec le même groupe et quelques ajustements. Les effectifs de Phoenix et de Milwaukee sont, après tout, suffisamment pléthoriques pour se recalibrer avec quelques ajustements et échanges mineurs. Pour d’autres, qui ont semblé beaucoup plus loin du compte, comme Utah, Brooklyn ou Denver, il sera intéressant de voir quelle tendance est choisie.
Posséder Drummond & Aldridge paraît bien anachronique désormais. Les Nuggets dépourvus d’ailiers polyvalents semblent des cibles de choix pour des équipes plus équilibrées. Le Jazz est incapable de répondre au défi défensif avec des extérieurs vieillissants et inaptes en défense. Les Warriors pourraient également être secoués (paradoxe, attention) par le “grand nombre de non-shooteurs” dans le roster. Alors que la tendance au rassemblement de superstars est en train de s’éteindre, la nouvelle pourrait être de se ruer, par la draft ou sur le marché des agents libres, vers les 3&D… qu’importe le prix.
Réponse cet été.