Vous vous rappelez la finale de Conférence ouest 2020, dans la bulle, entre les Lakers et les Clippers ? La fameuse bataille de Los Angeles ! Moi non plus je ne m’en souviens plus. Alors, plus récemment, des immenses Finales NBA 2021 entre le trio des Nets et l’aigle bicéphale Lakers ? Toujours pas. Pour la bonne raison que ces affrontements n’ont jamais eu lieu et que ces dernières années marquent peut-être le déclin des superteams dominantes.
La première superteam, dans sa définition moderne, est née avec les Celtics : à l’intersaison 2007, ce sont Kevin Garnett et Ray Allen qui débarquent dans le Massachusetts pour former un redoutable Big Three avec la légende locale, Paul Pierce. Bilan ? Champion en 2008 puis finaliste en 2010. Une réussite, donc. Il s’agissait bien d’une superteam, dans sa définition, même si elle n’était pas encore nommée ainsi. Ce sobriquet de superteam est réellement venu avec les « Heatles » : LeBron James et Chris Bosh rejoignent Dwayne Wade à Miami en 2010. Deux bagues dans la bijouterie et deux Finales perdues plus tard, LeBron retourne dans l’Ohio. Un peu de frustration certes, mais là aussi un véritable succès global.
Ce qui change avec l’exemple du Heat, comparé à celui de Boston, c’est d’une part le caractère artificiel avec la mise en scène de « The Decision » et le fait que LeBron James et Bosh soient des agents libres, mais également d’autre part que le King ait choisi volontairement de rejoindre une autre superstar, Wade (les deux ayant fini All NBA First Team en 2009-2010), ce qui ne se faisait pas auparavant. Ce mouvement a marqué un sacré précédent et ouvert une brèche dans laquelle les stars des années 2010 se sont engouffrées.
Vous l’aurez compris, une superteam est une réunion de strass et de paillettes entre superstars : par superstars, on entend des joueurs qui, en solo et bien entourés, peuvent légitimement envisager d’emmener leur équipe au titre. Alors, quand on les assemble…
Dans les faits, cela survient toujours dans un gros marché, c’est-à-dire une ville avec une histoire de franchise riche et/ou une grande ville américaine dans laquelle il y a une forte exposition médiatique (Los Angeles, New York, Chicago, Miami, San Francisco) et un cadre de vie agréable. Le schéma est généralement le suivant : une superstar est mécontente des résultats sportifs dans sa franchise de petit à moyen marché, elle force son trade ou signe à la free agency dans un gros marché.
Sur la décennie 2010, c’est-à-dire de la saison 2010-2011 à 2019-2020, cinq champions sont des équipes que l’on pourrait qualifier de superteam (Heat 2012 et 2013, Warriors 2017 et 2018, et Lakers 2020). Ces équipes ont performé et ont, pour bon nombre d’entre elles, apporté un ou plusieurs titres à leur franchise. Depuis 2019, malgré l’amplification du nombre de superteam (Lakers, Clippers à bien des égards, les Nets) et en dehors du titre particulier de la bulle des Lakers, elles ne gagnent plus, et surtout elles n’atteignent même plus les Finales. Comment pouvons-nous l’expliquer ? Sont-elles en voie d’extinction ? Quelles leçons pouvons-nous en tirer ?
Pourquoi les superteams ont moins de réussite qu’au cours de la décennie écoulée ?
Des problèmes d’égo
On a parfois tendance à oublier cette évidence, mais les joueurs NBA sont les meilleurs basketteurs au monde. Imaginez-vous ce que cela fait d’être payé des millions à jouer et faire partie des 15-20 plus forts sur toute la planète ? La réalité est que tous les joueurs NBA ont de l’égo, du joueur en bout de banc, déjà tout heureux de faire partie de l’élite mondiale, à la superstar qui, elle, domine presque n’importe qui sur Terre. Bien sûr, même si certains joueurs restent humbles (Giannis ou Jokic notamment), ces immenses stars sont celles qui ont le plus d’égo. Il n’y a qu’à observer la fréquence et le contenu de leurs différentes déclarations : « I’m the MVP/DPOY », « No one can guard me », « I play the best basketball of my career » etc. C’est monnaie courante. Toutes les stars de la Ligue ont envie de prendre le tir de la gagne, d’être sur le devant de la scène et en tendance Twitter. En effet, même s’ils disent le contraire, tous les joueurs lisent ce qui est écrit sur eux les réseaux sociaux et sont influencés, positivement comme négativement, par cela.
Dans les faits, dans une ère portée par la domination du numérique, avec une accessibilité de l’information sans commune mesure et une exposition constante sur les réseaux sociaux, nous remarquons que l’omniprésence et le règne des statistiques individuelles, des analytiques et des chiffres alimentent le culte de l’égo et la transformation progressive d’une superstar en une marque. Dès lors, il devient plus compliqué pour ces joueurs d’avoir ne serait-ce que l’état d’esprit pour s’adapter : pour beaucoup, qui ont passé parfois une décennie en tant que première option d’une franchise, il est difficile médiatiquement et dans la tête de passer deuxième ou troisième option. S’adapter dans un nouveau collectif dont on n’est plus le leader incontesté, jouer un rôle différent de ce qui a forgé notre succès individuel et ce pour quoi les fans nous apprécient, ce n’est pas donné à tout le monde.
Les problèmes d’égo, c’est généralement la raison principale qui marque la fin d’une superteam. On l’a vu avec le Heat de LeBron et Wade, les Warriors avec les brouilles entre Durant et Draymond Green, et avec l’exemple récent des Nets de KD-Kyrie-Harden. Pour la franchise new-yorkaise, le plus important à noter et ce qui rend le « What If ? » si savoureux, c’est qu’ils étaient presque injouables les rares fois où le trio jouait ensemble : ils étaient à 13 victoires pour 3 défaites, soit un ratio délirant de 81 % de victoires. Si l’échantillon restait trop faible pour être pris au sérieux, nous avons eu un aperçu de leur puissance de feu lors de la démonstration all-time contre les Celtics au 1er tour des play-offs 2021 : James Harden à 28 points de moyenne, 25 pour Kyrie Irving, ainsi que 32 points de moyenne pour le leader Kevin Durant, et un gentlemen’s sweep dans les dents de la franchise du trèfle. Un massacre.
Donc, ces trois superstars étaient capables de s’ajuster sur le terrain pour produire un basket à l’attaque tellement létale qu’ils en étaient presque imbattables. Hélas, ils n’ont joué que 16 matchs sur 126 et James Harden a fini par bouder. Bien sûr, il y a eu des blessures lors des play-offs 2021, mais cela ne saurait expliquer et excuser cette absence d’alchimie et de cohésion hors des parquets entre les stars de l’équipe.
En réalité, les trois superstars se reprochaient des choses entres elles, ce qui a pollué l’atmosphère du vestiaire : KD reprochait à Harden sa forme physique au camp d’entrainement avant la saison 2021-2022 ; Harden était exaspéré par le sketch médiatique de Kyrie, c’est-à-dire ses quatre mois où il ne pouvait pas jouer à cause de sa non-vaccination ; Kyrie a mal vécu sa relégation (médiatique plus que sportive) en tant que troisième roue du carrosse des Nets. Bilan ? Des égos surdimensionnés qui échouent à s’entendre en dehors des terrains. Échec et mat.
Les blessures & les artifices
Quand les joueurs arrivent à s’ajuster entre eux, ce qui est d’ailleurs beaucoup plus simple quand il y a 2 superstars et non 3, ce sont parfois les blessures qui mettent un coup de frein au projet. Sans les blessures respectives de leur franchise player (Kawhi Leonard) et de leur numéro 1 bis (Anthony Davis), les deux franchises de Los Angeles auraient raisonnablement pu envisager de sortir de la conférence Ouest lors de la saison 2020-2021. De la même manière, sans les blessures de James Harden et de Kyrie Irving, les Nets auraient sans doute battu les Bucks, le futur champion, toujours en 2021. On ne le répètera jamais assez, mais une superstar qui ne joue pas en play-offs ou qui joue sur une jambe, c’est rédhibitoire pour gagner un titre. C’est de la malchance, certes, mais cela reste une réalité inextricable.
Au-delà des blessures, le problème est la conséquence de ces blessures. Quand ta superstar n’est pas présente sur le parquet, il faut la remplacer numériquement. Logique, mais les superteams manquent généralement de profondeur qualitativement dans leur roster. Eh oui, quand 2 ou 3 stars sont payées au max, il n’y a plus de place pour des roles players de qualité : le cap n’est pas extensible à l’infini. C’est donc la double peine : non seulement celui qui était censé te porter vers la victoire est absent, mais en plus celui qui le remplace a souvent un impact négatif et pénalise ton équipe.
En effet, la construction d’équipe d’une superteam est fondée uniquement sur les têtes d’affiche. Dès lors, quand elles sont blessées ou non performantes pour x raisons, c’est l’équilibre global et tout le plan qui s’écroulent. Hélas, les blessures sont aléatoires et peuvent survenir n’importe quand : je dirais même que la première et la deuxième option sont les joueurs les plus sujets aux blessures, car ce sont eux les plus ciblés par les défenseurs adverses et ces deux joueurs sont ceux qui se démènent le plus sur le terrain. Vouloir miser sur une superteam, c’est risqué par essence. C’est prendre le risque de se retrouver avec des vétérans payés au salaire minimum obligés de jouer trop de minutes sur le parquet. C’est aussi prendre le risque de tirer sur la corde de tes stars, quitte à aggraver les risques de blessures, car elles seules ont la qualité pour te faire gagner un match ou une série.
Ces constructions artificielles n’en demeurent pas moins ultra court-termistes. Dans les faits, on donne à cette équipe un, deux ou trois années pour remporter un titre, sinon le projet est considéré comme un échec, et l’avenir est souvent jeté en l’air : des jeunes à potentiels échangés ou limités à des rôles anecdotiques, des picks de draft sacrifiés. La fenêtre de tir reste très courte. Même si les joueurs sont habitués à la pression inhérente au très haut niveau, c’est toujours plus difficile, autant pour les superstars que les autres joueurs, de se sentir obligés de performer et de gagner. Tenter ce pari de l’accumulation de stars, c’est certes maximiser les chances de remporter un titre à court terme, même si ce n’est pas une corrélation directe, grâce à la glorieuse incertitude du sport, mais à l’autre bout du spectre, le risque de passer une décennie dans les bas-fonds en cas d’échec est élevé.
Opter pour ce choix du clinquant, c’est généralement faire fi des compatibilités sportives. Pour beaucoup d’entre nous, et sans doute aussi de nombreux exécutifs, la vérité reste ainsi : « les stars parviendront toujours à s’adapter, l’alchimie naitra au fil de la saison et elles arriveront à jouer ensemble en postseason ». En réalité, ce n’est parfois pas le cas. L’exemple des Lakers 2021-2022 est saillant : LeBron James et Russel Westbrook, ça ne fit pas du tout sportivement. Ce n’était pas une surprise, mais ça n’a quand même pas loupé. Les deux joueurs aiment monter la balle : outre le fait qu’il n’y ait qu’un seul ballon, le premier préfère jouer à un tempo lent, tandis que le second a besoin d’un rythme de jeu rapide pour performer. Qui était l’alpha, au fait ? LeBron James. Donc le King a imposé son rythme et a réalisé une extraordinaire saison individuellement, alors que Russel Westbrook ne pouvait pas réellement performer. L’ancien meneur du Thunder n’a vraiment pas été bon, c’est vrai, mais il est loin d’être le seul coupable de cet échec. Il n’était juste pas adapté au style de jeu des Lakers de LeBron James.
Enfin, une superteam n’a finalement de « super » que les postes occupés par les joueurs de calibre all-star. Les deux ou trois autres spots de titulaire, et le banc, c’est souvent du bricolage : des jeunes trop tendres pour les joutes de play-offs et des vétérans qui n’ont plus leur niveau d’antan, cela cause des manques évidents sur certains postes. Ces manques les exposent d’autant plus face aux cylindrées adverses, moins starifiées mais mieux construites : par exemple la raquette de Nets et la faiblesse globale de son banc, la défense extérieure des Lakers et le manque de 3 & D, la mène et le poste 5 des Clippers auront été des problèmes récurrents au fil la saison. Des problèmes jamais résolus. Cette absence de certains profils cruciaux est évidemment un préjudice terrible dans les moments où cela compte vraiment, ou pour ne serait-ce qu’atteindre ces-dits moments.
La concurrence s’est adaptée et a progressé
Comme je l’évoquais au paragraphe précédent, les autres franchises ne craignent plus les superteams : elles savent que ces équipes artificielles ont globalement davantage de talent, mais que celui-ci est mal réparti et qu’il faut appuyer sur ces faiblesses. Plus globalement, pendant que les superteams dominaient, d’autres franchises ont fait le choix de se construire sur la durée, et cela a payé : quand on regarde les finalistes de l’an passé, Milwaukee a construit avec Giannis et ses boys (Middleton, Brook Lopez, Connaughton, etc.) depuis des années, tandis que Phoenix a misé sur des joueurs draftés et développés (Booker, Ayton, Cam Johnson et Bridges) en interne. Des bons roles players piochés ici et là plus tard (Crowder, Portis, Allen, McGee, etc.), ces mêmes joueurs inaccessibles financièrement pour les superteams, et les voici prêtes à en découdre. Vous allez me dire, « oh, il manque un joueur de chaque côté ! », et c’est vrai : pour réaliser la bascule, celle qui te fait franchir un cap, ces deux franchises ont eu chacune eu besoin de leur meneur d’expérience : Jrue Holiday et Chris Paul. Cela donne deux effectifs stables, cohérents et collectifs du premier au dernier homme, avec un leadership clairement défini, auxquels la pièce manquante a été ajoutée. Si les Bucks et les Suns sont arrivés en Finales l’an passé, ce n’est pas une surprise ou un hasard, c’est une construction à moyen terme qui a porté ses fruits.
D’autres équipes, avec peut-être moins de talent tout là-haut mais soit plus profondes qualitativement, soit mieux coachées, soit encore mieux construites (Heat, Celtics, Memphis et Warriors par exemple) arrivent également à exploiter les faiblesses des superteams et à les regarder droit dans les yeux. Ces équipes ne feraient peut-être pas le poids lors d’une série de play-offs (cf : les Finales 2020), mais encore faut-il déjà arriver jusqu’en Finales, voire poser les pieds en play-offs : les blessures et les problèmes d’alchimie sur comme en dehors du terrain ont empêché les superteams d’atteindre leur rythme de croisière, de gérer leur saison régulière, de parvenir en avril au chaud dans les six premières places de la conférence puis d’activer ce fameux « mode play-offs », ce soi-disant état d’esprit mental qui pourrait s’allumer comme un bouton on/off. Contrairement à la décennie précédente, ces superteams n’ont plus aucune marge, ni en régulière ni en postseason : l’addition seule de talent ne suffit plus.
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Pour conclure, non, les superteams ne sont pas en voie d’extinction : si cela se trouve, on retrouvera les Lakers, les Clippers et les Nets en finales de Conférence 2023. Pour autant, le recul dans la hiérarchie actuelle est réel, à cause de deux dynamiques majeures : des problèmes internes qui mènent à l’autodestruction, comme la mauvaise alchimie sportive, la gestion difficile des différents égos, le sacrifice des assets et du young core, ou encore un salary cap au bord de l’asphyxie ; et des éléments extérieurs qui empêchent les superteams actuelles de performer comme elles l’espèreraient, c’est-à-dire les blessures et la forte concurrence des autres franchises.
Ce que l’on observe, ce sont que ces superteams se prennent finalement les pieds dans le plat sans l’aide de personne, elles sont trop dépendantes d’un alignement de planète favorable pour triompher et ne peuvent plus se maintenir au sommet dans la durée. D’autant plus que la concurrence est beaucoup plus proche et de nature désormais à les cueillir au moindre vacillement. Enfin, le départ de James Harden des Nets et le probable futur départ de Russel Westbrook des Lakers montrent que les franchises parient moins sur des trios de stars, car l’équilibre est difficilement tenable en 2022, et que les effectifs de la Grande Ligue n’ont désormais qu’un ou deux joueurs de calibre all-star. Plus trois ou quatre.