Entre les 29 novembre 2019 et 2 avril 2021 @BenjaminForant et @Schoepfer68, accompagnés ponctuellement par d’autres membres de la rédaction, ont dressé le portrait de certains des acteurs méconnus ou sous-estimés de la NBA. Au total, ce sont 63 articles qui vous ont été proposés : un par année, entre les saisons 1950 – 1951 et 2009 – 2010, avec quelques bonus par-ci, par-là.
Pour cette saison 2, Le Magnéto change de format. Si l’idée est toujours de narrer la carrière des joueurs dont on parle finalement trop peu, il ne s’agira plus de traverser de part en part la si vaste histoire de la Grande Ligue. Désormais, chaque portrait sera l’occasion de braquer les projecteurs sur une franchise en particulier, avec l’ambition d’évoquer l’ensemble des équipes ayant un jour évolué en NBA, mais également en ABA.
Replongez avec nous dans ce grand voyage que constitue Le Magnéto. Dans ce 74ème épisode, narrons la trop courte carrière de Brad Daugherty et de sa franchise de toujours, les Cleveland Cavaliers.
Il était une fois dans l’Est
Ohio, 1970
Il devait probablement faire chaud à New York, le 17 juin 1986. Le soir même, l’annuelle draft se tenait au Madison Square Garden. La cuvée, qui ne se savait pas encore maudite, était ultra-prometteuse. Plusieurs prospects étaient susceptibles, sur le papier, de venir faire de la concurrence aux (futures) légendes draftées les années précédentes, à savoir Hakeem Olajuwon, Michael Jordan, Charles Barkley ou John Stockton en 1984 et Patrick Ewing, Chris Mullin, Karl Malone ou Joe Dumars en 1985.
Le soir venu, David Stern monta une première fois sur l’estrade, pour déclarer :
“With the first pick in the 1986 NBA draft, the Cleveland Cavaliers select… Brad Daugherty, from North Carolina university“.
Pour comprendre comment la franchise de l’Ohio a pu se retrouver avec le premier choix de la draft 1986, remontons quelque peu dans le temps. La ville de Cleveland se vit offrir une franchise lors de l’expansion de 1970. Sous la houlette de Nick Mileti, businessman qui présidait d’ores et déjà les Cleveland Indians (baseball) et la World Hockey Association franchise, la seconde ville de cet État du nord-est du pays (derrière Columbus) débuta son histoire dans la Grande Ligue par 27 défaites en 28 rencontres. Son bilan de 15 victoires en fin de saison lui octroya le premier choix de la draft 1971, avec lequel elle sélectionna Austin Carr, qui sortait d’une carrière universitaire extraordinaire. En 4 années de présence sur le circuit inférieur, l’arrière afficha 34,6 points… de moyenne, auxquels il ajouta 7,3 rebonds quotidiens. Surtout, son tournoi NCAA 1971 demeure peut-être le plus brillant de l’histoire : 61 points au premier tour face à Ohio (record inégalé du tournoi, qui tient toujours), 52 points au second contre Kentucky, 45 points en petite finale face à Iowa.
Pas mauvais en NBA, Carr n’atteignit cependant jamais les espoirs qui étaient placés en lui (1x All-star en carrière). Ce n’est donc pas sa sélection qui permit à Cleveland de décoller dans le paysage NBA. Il n’en demeure pas moins qu’avec Carr, Chones ou Thurmond, la franchise atteignit les finales de conférence 1976, pour sa première incursion en playoffs. Ce ne fut pas qu’un coup d’épée dans l’eau, mais presque.
En effet, au début des années 1980, l’institution est, à nouveau, la risée de la Ligue. Ironiquement, malgré un bilan de 36 victoires pour 46 défaites, l’équipe disputa les playoffs en 1986, pour la première fois depuis près de 10 ans. C’est dans ce renouveau tout relatif que, le 16 juin 1986, soit la veille de la draft, Cleveland transféra Roy Hinson (19,6 points, 7,8 rebonds en 82 matchs la saison achevée) à Philadelphia contre… le first pick de la draft !
Et c’est ainsi que, promis à la Pennsylvanie, Brad Daugherty débarqua finalement dans l’Ohio. Il y fit toute sa carrière, longue de 8 années, durant lesquelles il s’imposa comme l’un, si ce n’est le, pivot référence de la Ligue.
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Pendant ce temps-là, en Caroline du Nord
Les premiers cris de Bradley Lee Daugherty furent poussés le 19 octobre 1965, dans un tout petit village, Black Mountain. Le garçonnet descend alors de la lignée des indiens Cherokee, qui furent les premiers à peupler le coin. Son grand-père, d’ailleurs, y dirigeait une tribu. Passionné de courses automobiles, nous y reviendrons, il ne quitta son cocon familial qu’au moment d’entrer à la fac. Tandis qu’il était grand très jeune, il joua au football, au baseball et eut même une licence d’athlétisme. Concomitamment à tout cela, il fit rapidement ses premiers pas basketballistiques. Il n’envisageait cependant pas d’y faire carrière, même lorsqu’il mena les Warhorses de Black Mountain en finale du tournoi de l’État lors de sa dernière année lycéenne :
“Je n’ai jamais voulu jouer en NBA. Je voulais simplement aller à l’université et utiliser mon talent pour me procurer une bourse“.
On le retrouve donc en 1982 sous les ordres du légendaire Dean Smith à l’université de North Carolina, au sein de laquelle il côtoya Michael Jordan et James Worthy. À peine âgé de 16 ans lors de sa première année, il connut une progression exponentielle. Il s’imposa petit à petit comme le pivot d’avenir et termina son ultime saison avec 20 points, 9 rebonds, 2 passes décisives, 1 interception et 1 contre de moyenne. Il quitta l’université auréolé de deux sélections consécutives dans la meilleure équipe de sa conférence (qui lui fit une place dans le top 50 de son histoire en 2002) et en tant que l’un des prospects les plus excitants du pays, aux côtés du malheureux Len Bias, notamment.
La suite, vous la connaissez partiellement. Cleveland jeta son dévolu sur le bonhomme avec le premier choix de la draft 1986. La franchise n’en avait toutefois pas terminé avec son draft shopping, puisqu’avec le 8ème choix (le sien), elle sélectionna Ron Harper, tandis qu’avec le 25ème, le premier du second tour, elle opta pour Mark Price. Voilà comment, en l’espace de 24 heures, vous posez les bases d’une équipe solide et ambitieuse.
Coup de foudre à Cleveland
L’inexorable prise de pouvoir
Qu’était alors Brad Daugherty ? Du haut de ses 215 centimètres et lourd de ses 115 kilos, le pivot n’était pas qu’une brute à même d’enfoncer n’importe quel défenseur. S’il ne développa jamais de tir à longue distance – époque oblige – Big Dukie (gros canard, en VF), comme il était alors surnommé, était une star polyvalente. Scoreur sans être croqueur, rebondeur coriace et passeur talentueux, il n’aurait clairement pas fait tâche dans la NBA d’aujourd’hui, au sein de laquelle les intérieurs doués de leurs mains trouvent toujours chaussure à leurs pieds.
Dans une équipe toujours pas taillée pour la gagne, il ne s’imposa toutefois pas immédiatement comme le franchise player. À dire vrai, il ne peut même pas être considéré comme le meilleur rookie de l’effectif. Et pour cause, sur le poste d’arrière, Ron Harper réalisa un premier exercice unique : 22,9 points, 4,8 rebonds, 4,8 passes décisives, 2,5 interceptions, 1 contre par soir. Au-delà d’Harper, qui ne fut même pas nommé rookie de l’année, dans toute l’histoire de la Grande Ligue, seul Michael Jordan (1988, 1991) termina une saison avec de tels chiffres.
Daugherty n’était toutefois pas en reste. Si Cleveland ne l’emporta qu’à 31 reprises cette saison-ci, son pivot prit rapidement ses marques. Drapé dans son numéro 43 qu’il ne quitta jamais et qu’il portait en hommage à Richard Petty, pilote légendaire de NASCAR, Big Dukie démontra rapidement que l’avenir du poste 5 lui appartenait en partie. Ainsi, lorsque les Warriors de Joe Barry Carroll vinrent en ville le 19 novembre 1986, c’est lui qui marqua la rencontre de son empreinte, avec 29 points (10/14 au tir, 9/9 aux lancers), 6 rebonds, 2 passes décisives et 4 contres. Rebelote deux semaines plus tard, face à Detroit, où ses 29 points, 10 rebonds et 4 passes décisives menèrent les Cavs à la victoire.
S’il impressionna rapidement sur les parquets, Daugherty n’entrait par contre clairement pas dans le carcan classique des stars NBA. Les paillettes, projecteurs et hourras, il les laissait aux autres, à ceux qui aimaient ça. Lui ? Il détestait. Au point, et l’anecdote est tout de même extraordinaire, de cacher à sa future femme qu’il était basketteur professionnel. En effet, à la question “que fais-tu dans la vie ?“, Daugherty répondit qu’il était mécanicien. À l’affirmation selon laquelle “vue ta taille, tu devrais jouer au basket“, il se contenta de dire que cela lui arrivait de temps en temps. Ce n’est que lorsque les fans se sont massés autour de lui à la sortie d’un aéroport pour lui réclamer des autographes que le pivot fut bien obligé d’avouer à sa dulcinée que la mécanique n’était finalement qu’un hobby et qu’il jouait au basketball plus souvent que “de temps à autre”.
Sur les parquets du pays entier, Daugherty ne faisait pas de cachotteries. Par contre, bien qu’encore inconstant, comme cela arrive souvent avec les jeunes intérieurs, son immense talent jaillissait fréquemment. Le vieillissant Jack Sikma ne vous dira pas le contraire, lui qui, au cours d’une victoire arrachée par Cleveland, fut frappé par la foudre Daugherty, qui termina la rencontre avec 27 points, 12 rebonds et 9 passes décisives. Dans l’hypothèse – peu probable au demeurant – où vous vous demandiez combien de rookies ont un jour terminé un match avec une telle ligne statistique, la réponse est : 17. À celle – plus pointue encore – de déterminer parmi eux, combien pouvaient être considérés comme des intérieurs, il convient de répondre 3 : Brad Daugherty, Larry Johnson et Blake Griffin. Seul le premier cité est un pivot véritable.
Le talent est indéniable. Pour éclater définitivement, il fallait qu’il soit accompagné par un meneur digne de ce nom. La vie étant bien faite, la saison 1987-88 fut celle de la prise de pouvoir de Mark Price sur la mène des Cavaliers.
Bien qu’encore juvénile, le roster de Cleveland était prometteur. Mieux encore, il commença à répondre à certaines de ces promesses. Cette fois-ci, c’est bien Daugherty qui endossa le rôle de meilleur joueur de l’équipe. Pourtant, ses statistiques n’étaient pas extraordinaires. Par contre, elles étaient complètes, comme le démontra le premier match de cette seconde saison, remporté face aux Nets : 17 points, 9 rebonds, 5 passes décisives, 2 interceptions, 4 contres. 10. La NBA n’a vu que 10 athlètes finir une rencontre avec ces chiffres.
Cette complétude, c’est aussi celle du profil technique du bonhomme. Doté d’un handle haut mais efficace, Daugherty savait remonter la balle et pouvait même, de temps à autres, aller claquer un coast to coast que Charles Barkley n’aurait pas renié. Excellent dans le jeu au poste et en tant que roll man sur pick & roll, il possédait surtout un tir à mi-distance fiable, que ce soit face au panier ou sur un turn-around jumper lancé depuis la ligne de fond. En gros, défendre sur Daugherty était une tâche pénible. Être défendu par lui l’était d’ailleurs tout autant. Non pas qu’il était un défenseur élite comme Hakeem Olajuwon. Par contre, il était volontaire et n’hésitait pas à partir au combat avec les autres pivots dominants de l’époque. Tout cela, c’est Lenny Wilkens, son coach, qui le synthétise le mieux :
« Il vient de comprendre que le basketball était important. Il prend du plaisir sur le terrain ».
Ce plaisir se traduisit en une première sélection pour le All-star game 1988. Surtout, c’est dans le sillage de son pivot que Cleveland réalisa un dernier mois de saison régulière héroïque, arrachant 11 victoires sur les 13 derniers matchs pour se qualifier in extremis en playoffs, avec un bilan de 42 victoires pour 40 défaites. C’est au cours de ce run que Daugherty réalisa la meilleure performance de son début de carrière, face aux Celtics de Larry Bird, Kevin McHale et Robert Parish : 44 points, 9 rebonds, 2 passes décisives et 2 interceptions, à 68 % au tir et 14 / 18 aux lancers (victoire + 11). A posteriori, malheureusement, il est même possible de dire qu’il s’agit-là de sa meilleure prestation en carrière.
Les playoffs, donc. Cleveland y affronta les Bulls de Michael Jordan. Celui-ci claqua 105 points au cours des deux premières rencontres, remportées par les siens, quand bien même, en face, le trio Brad Daugherty, Mark Price et Larry Nance répondait présent. Tandis que Jordan ne ralentissait qu’à peine la cadence (82 points à cheval sur les matchs 3 et 4), les Cavs sonnèrent la révolte. Les arrières – Price et Harper – firent la misère à la défense des taureaux, tandis que les intérieurs, plus discrets, accompagnèrent le rythme. C’est ainsi que les deux équipes s’affrontèrent pour un 5ème match décisif. Toujours bien défendu par Charles Oakley, Daugherty n’y brilla pas spécialement (16 points, 10 rebonds, 5 passes décisives, mais seulement 33% de réussite au tir et 4 pertes de balle). En face, Jordan claqua 39 points, tandis que Pippen le suppléa parfaitement. C’est ainsi que Chicago vint à bout de valeureux Cavaliers, lesquels menaient pourtant largement à l’issu du premier quart-temps.
Armez-vous de votre meilleur clavier, et faites votre plus beau copier-coller. En effet, l’exercice 1988-89 de Daugherty et des Cavaliers possède d’indubitables signes de gémellité avec celui qui l’a précédé. La seule différence – de taille – c’est que Cleveland est désormais un mastodonte de la conférence Est. Pour passer sur le corps de Daugherty et des siens, il fallait désormais se lever tôt.
Le pivot, lui, réalisa une énième saison dans ses standards, à savoir 19 points, 9 rebonds et 4 passes décisives. All-star pour une seconde saison consécutive, Daugherty récolta même quelques voix dans la course au MVP, qu’il termina à la 11ème place, juste derrière Mark Price. Toutefois, alors même qu’avec 57 victoires, la franchise se classa en seconde position de sa conférence (et de la Ligue, derrière les Bad boys de Detroit et ex aequo avec les Lakers), elle n’était pas forcément favorite à l’heure d’entamer son premier tour des playoffs, une nouvelle fois face aux Bulls.
Brad Daugherty passa à côté de sa série. Dans les grandes largeurs. Sur l’ensemble des 5 matchs, il tourna à 11 points, 9 rebonds, 2,5 passes décisives, 1 interception et 1 contre, en 33 minutes (36% au tir, 60% aux lancers). Pourtant, quand bien même son atout majeur était plongé en pleine léthargie, Cleveland passa à rien de la qualification. En effet, les Cavs se sont à nouveau inclinés sur le score de 3-2. Pourtant, à 5 secondes du buzzer final de la rencontre décisive, les hommes de Wilkens menaient encore d’un point : 100 – 99. La suite, vous la connaissez ; elle reste dans les mémoires sous le nom de The shot :
Courte transition
C’est connu, la tâche de confirmer les espoirs est bien plus complexe que celle qui consiste à les faire naître. Fort logiquement, le sentiment général qui prédominait à l’issue de l’élimination du 7 mai 1989 était la déception. Individuellement, ce sentiment amer va perdurer, puisque pour la première fois de sa carrière, mais pas la dernière – Daugherty va être contraint de suivre les rencontres des Cavaliers depuis les tribunes, en raison d’une blessure qui l’éloigna des terrains jusqu’au mois de février 1990. Le pivot a-t-il manqué son premier tour face aux Bulls en raison d’une blessure ?
Peu importe. Le numéro 43 revint tranquillement pour contribuer à la qualification des siens en playoffs, face aux 76ers de Charles Barkley et Hersey Hawkins. En forme, Daugherty va – enfin ! – réaliser une série à la hauteur de son talent. Au four du scoring et du rebond, on le retrouvait également au moulin de la passe, pour suppléer Mark Price. Enfin adroit, si l’on excepte sa troisième rencontre (3 / 9 aux lancers, victoire + 27), Big Dukie se réimposa comme le meilleur joueur de son équipe. Avec 22,8 points, 9,6 rebonds, 4 passes décisives et 1 contre de moyenne (58,5 % au tir), il se mit très largement à l’abri des critiques. Par contre, une nouvelle fois, Cleveland s’inclina aux termes du match 5, pour la 3ème fois consécutive.
Vous pourriez avoir l’impression que Daugherty est d’ores et déjà un vieux briscard. Que nenni, le pivot vient à peine de souffler sa 25ème bougie. Il fracassa la porte d’entrée dans son prime comme un cow-boy aviné peut fracasser celle de son saloon favori : avec violence et détermination.
Toutefois, le timing n’est parfois qu’une affaire de chance. Or, les Cavaliers vont cruellement en manquer. Alors que leur pivot est revenu plus fort que jamais, tel Sangoku sur Namek, c’est au tour de son meilleur side-kick, Mark Price, de se retrouver sur le flanc pour l’ensemble de la saison. Sans leur meneur, véritable métronome du jeu des siens, Cleveland va connaître une saison noire, alors même que l’effectif avait tout pour prétendre à nouveau à jouer les premiers rôles.
La balle revint alors un peu plus fréquemment entre les paluches de Daugherty. Néanmoins, quand bien même celui-ci devint un scoreur prolifique, sans sacrifier ses tâches défensives ni la distribution du jeu, il marquait surtout ses points dans le vide. Sa rencontre face aux Hawks de Dominique Wilkins du 17 décembre 1990 l’illustre parfaitement : 33 points, 18 rebonds, mais la 14ème défaite de la saison à l’arrivée. Les Cavs étaient d’ailleurs lancés sur une série noire de 17 défaites en 18 matchs, seulement interrompue par une victoire face aux Lakers à la veille de Noël.
Là s’avère être le véritable drame de cet exercice ; même les performances notables de Daugherty ne suffisaient pas pour amener Cleveland à la victoire. C’est ainsi que les Nuggets, pourtant pire bilan de la Ligue, vinrent s’imposer dans l’Ohio le 12 janvier 1991, malgré les 38 points, 10 rebonds et 3 passes décisives de leur pivot, bien suppléé par Larry Nance d’ailleurs (34 points, 17 rebonds). Une saison de plus pour rien, pourrions-nous dire.
Souverain en ses terres
S’il y a plus d’idées dans deux têtes que dans une, comme l’affirmait Jacques Chirac, il y a également plus de victoires avec deux franchises player qu’avec un. Il n’est dès lors pas abracadabrantesque d’affirmer qu’avec le retour en forme de Mark Price, les Cavaliers redevenaient automatiquement un candidat sérieux aux finales de conférence. Aux côtés de son compère, Daugherty devint réglé comme du papier à musique. Sur l’ensemble des 73 rencontres qu’il disputa en 1991-92, il atteignit ou dépassa la barre des 17 points en 62 occurrences. Jamais, par contre, il ne dépassa celle des 32 points.
La relation entre Mark Price et Brad Daugherty, c’était celle – avant l’heure – de John Stockton et Karl Malone. Sur pick & roll, le duo était inarrêtable. Entre la qualité de passe de Price et celle de rollman de Daugherty, Cleveland était assuré de scorer. En effet, rien ni personne ne pouvait totalement faire taire le ballet mené par les deux hommes, qui terminèrent à nouveau dans le top 11 de la course au MVP.
C’est dans le sillage de ces deux joueurs que les Cavaliers s’imposèrent comme la seconde tête de l’est. Pour Daugherty, l’heure est enfin à la reconnaissance. À l’issue d’une série de trois rencontres consécutives, qui le virent martyriser – tour à tour – Hakeem Olajuwon, Patrick Ewing et Robert Parish, pour autant de victoires, Michael Jordan déclara :
“Brad est certainement le meilleur pivot de la Ligue. Il n’a pas la réputation de certains autres, mais il a les meilleures statistiques“.
Sa Majestée disait-elle vraie ? Pas tout à fait. En effet, du pur point de vue des statistiques, Patrick Ewing (24 points, 11,2 rebonds, 2 passes décisives, 3 contres) et David Robinson (23 points, 12 rebonds, 2,7 passes décisives, 2,3 interceptions, 4,5 contres) faisaient mieux que Daugherty. Par contre, lorsqu’il fallait aller à la filoche contre ces superstars, c’est bien souvent Big Dukie qui faisait la meilleure impression. Voyez plutôt :
Des performances métronomiques qui firent dirent à son coach qu’il était désormais l’un des trois meilleurs joueurs du monde. Elles le menèrent, à tout le moins, au sein de la All-NBA 3rd team. Néanmoins, les performances individuelles n’ont désormais plus d’importance ; ce qui importait véritablement, c’était d’enfin vaincre le signe indien et de passer le premier tour de playoffs. Derrière les 67 victoires des Bulls, Cleveland affiche le second bilan de l’est (57 / 25). L’entrée est cette fois-ci composée de Drazen Petrovic, Derrick Coleman et des New Jersey Nets.
40 points, 16 rebonds, 9 passes décisives et la victoire. Difficile d’imaginer Brad Daugherty mieux commencer sa campagne de joutes printanières. Il était alors le second joueur de tous les temps – derrière Elgin Baylor – à conclure une rencontre de playoffs sur une telle partition. Depuis lors, seuls LeBron James, Kevin Durant et Luka Doncic ont réédité l’exploit. Une seconde prestation XXL plus tard (29 points, 8 rebonds, 72,7 % de réussite), et voilà Cleveland lancée sur l’autoroute de la qualification. Si Daugherty se fit plus discret sur la fin de la série, c’est bien la franchise de l’Ohio qui se qualifia en demi-finale, pour la première fois depuis 1976 et la seconde fois de son histoire.
Elle y croisa le fer avec les vétérans des Celtics. Si Reggie Lewis et ses 26 ans incarnait le futur de la franchise, avant de brutalement décéder, l’équipe était toujours dirigée par Bird, McHale et Parish et leurs 107 ans cumulés. Pour écarter les grabataires, la jeune garde de Cleveland eut besoin de 7 rencontres. Daugherty en profita pour claquer sa ligne statistique favorite, à savoir 22,5 points, 9,5 rebonds et 3 passes décisives, avec une régularité exemplaire.
Il fut moins inspiré en finale de conférence, face aux inusables Bulls. Pourtant, la première victoire des siens porte pleinement l’empreinte de ses 28 points. S’il fut maladroit au cours de la seconde, il se rattrapa en convertissant 10 lancers francs, pour terminer son match avec 14 points, autant de rebonds et 6 passes décisives. Néanmoins, à la fin, c’est toujours Chicago qui gagnait (4-2).
La saison suivante s’inscrivit dans la même veine. Daugherty y décrocha sa dernière étoile d’All-star. Avec ses 13 tirs par soirs (autant que Price et Nance), il était encore et toujours le meilleur scoreur des siens, qui remportèrent 54 rencontres au cours de la saison régulière.
Il fallut cette fois-ci 5 rencontres pour venir à bout des Nets de Petrovic. Pour l’une des rares fois de sa carrière, la domination de Big Dukie se concrétisa dans les chiffres. Après un début de série en mode diesel, il monta en puissance pour conclure ses 5 matchs avec 21 points, 13,2 rebonds et 3,5 passes décisives (55,5 % au tir, 81,5 % aux lancers). Las, une fois encore, Chicago se dressa sur la route des Cavaliers, pour l’emporter aisément (4-1). En somme, sur l’ensemble des 5 campagnes de playoffs disputées par Daugherty au cours de sa carrière, les Bulls se sont victorieusement mis en travers de sa route à 4 reprises.
Daugherty avait 28 ans. Il était en plein prime. D’aucuns le considérait comme le meilleur pivot d’une génération qui n’en manquait pas. Lui n’en avait cure, mais les faits étaient là. Il venait de terminer sa troisième saison avec, a minima, 20 points, 10 rebonds et 3,3 passes décisives.
Tué en plein vol
Son exercice suivant fut amputé d’une grosse trentaine de rencontres et de la campagne de playoffs, en raison d’une hernie discale. Celle-ci nécessita une opération, qui fut suivie par une longue rééducation. Néanmoins, après plus de deux années passées loin des parquets, le joueur et la franchise se rendirent à l’évidence ; jamais plus il ne sera en mesure de rejouer en NBA.
Voici la triste fin de l’un des pivots les plus sous-estimés de tous les temps. Capable de dominer à l’ère des big, de faire face à certaines des plus grosses brutes de l’histoire, Daugherty avait pour seul tort d’être trop gentil. Un caractère de Nice Guy qui lui coûta peut-être au plan collectif. Aujourd’hui, il est malheureusement intronisé dans la caste de ceux dont le corps n’a pas supporté l’exigence du sport professionnel, aux côtés de Brandon Roy, Penny Hardaway, Bill Walton, Ralph Sampson, Yao Ming et autres Pete Maravich. Ironiquement, ce roster aurait tout eu pour être bagué à toutes les époques.
La place au box-office des Cavaliers
Difficile d’apprécier l’influence qu’a eue Brad Daugherty sur l’histoire des Cavaliers de Cleveland sans céder à l’exercice de la prospection. En effet, jusqu’où aurait pu aller l’association Daugherty / Price, notamment lorsque Michael Jordan prit sa retraite ? Peut-être que les finales 1994 auraient alors été le théâtre d’un affrontement entre les Rockets d’Olajuwon et les Cavaliers d’un certain numéro 43, qui sait ?
Néanmoins, même sans céder au What If, Daugherty est une icône de sa franchise de toujours. Nommé dans le 5 majeur all-time de l’équipe par un panel de 32 journalistes locaux en 1999, son numéro 43 reçut les honneurs d’être élevé au sommet de la salle des Cavs. Sa carrière, trop courte, lui permet toutefois de se retrouver dans plusieurs classements internes à la franchise :
Il ne peut – évidemment – pas être considéré comme le meilleur joueur de l’histoire des Cavaliers, la place revenant à un certain M. James. Néanmoins, au-delà de celui-ci, rares sont ceux qui doivent impérativement figurer devant lui dans les livres d’histoire de l’équipe. En réalité, si cela ne tenait qu’à nous, seul Mark Price serait également placé devant lui, pour sa longévité. Dans un tiers 3 se retrouveraient alors, dans le désordre et pour des raisons diverses, Kyrie Irving, Larry Nance, Brad Daugherty et Zydrunas Ilgauskas.
Le tout, sans chercher à se mettre en avant. Si Daugherty était peut-être un “gros canard”, il n’en demeure pas moins qu’il était avant tout un immense col bleu.