Dans le marasme collectif des Knicks en janvier et février (8 victoires en 25 matchs), Mitchell Robinson avait surnagé avant la trêve du week-end des étoiles : 14 points, 11 rebonds, 8 contres face à Memphis, 19 points et 21 rebonds contre un Jazz privé de Rudy Gobert, 14 points et 17 rebonds contre le Thunder, rien que sur le mois de février. Lors de la large victoire face à Dallas la nuit dernière, le pivot new-yorkais a puni le small ball texan, avec un nouveau double-double et 3 contres. Mitchell Robinson et les Knicks arriveront très vite à un moment charnière de leur collaboration, alors que le pivot sera agent libre non-restreint cet été, et voudra capitaliser sur sa forme retrouvée pour signer un nouveau contrat. Assez pour questionner l’avenir de Mitchell Robinson à New York ?
Eté 2018 : le pari Mitchell Robinson
Pour comprendre la complexité de la situation Mitchell Robinson, jetons un rapide coup d’œil à l’été 2018. Les Knicks finissent la saison précédente dans le ventre mou de la conférence Est, terrassés par la blessure de leur all-star Kristaps Porzingis et par un premier exercice compliqué pour Frank Ntilikina. Désormais armé du 9ème choix et du 36ème choix, hérité du transfert de Carmelo Anthony un an plus tôt, le front office de Scott Perry et Steve Mills entend bien trouver une nouvelle jeune pépite pour relancer le projet de reconstruction. Après un été à réfléchir sur le « Bridges », Miles ou Mikal, à choisir, les Knicks sélectionnent Kevin Knox, auteur, comme bien d’autres avant et après lui, d’une saison freshman bien en-dessous des attentes sous John Calipari à l’Université de Kentucky. Le risque est calculé, Knox est alors un des plus jeunes joueurs de sa draft (comme Frank Ntilikina avant lui), un grand ailier au potentiel de tireur d’élite. Parfait pour renforcer une équipe en manque de talent offensif évident.
Les Knicks se retrouvent donc au 36ème choix, en plein cœur d’une reconstruction entamée l’été précédent par le départ de Carmelo Anthony, et renforcée par la blessure de leur espoir letton. Après la fin de l’espoir de voir Jalen Brunson (sélectionné en 33ème position) ou Devonte’ Graham, deux joueurs très productifs à l’université, glisser jusqu’au 36ème choix, les Knicks décident de prendre le deuxième risque de leur soirée. Mitchell Robinson, énorme recrue au lycée (8ème de sa classe), long, athlétique et producteur de highlights en série au lycée, avait tout d’un joueur choisi au premier tour de la draft. Seulement, sa décision de ne pas s’engager dans un programme universitaire et de préparer sa draft en privé, dissuade chaque équipe de le sélectionner au premier tour, et donc de lui offrir un contrat garanti. Les Knicks, qui n’ont aucun impératif de victoire immédiate et assez de pivots dans l’effectif (Enes Kanter, Kyle O’Quinn, Willy Hernangomez) pour développer le jeune homme dans l’ombre, appuient sur la gâchette.
Durant l’été, les Knicks profitent de l’aubaine en sécurisant les services de Robinson pendant 4 ans, dont 3 années garanties. Un contrat anormalement long pour un joueur sélectionné au deuxième tour, mais des atteintes placées en lui que le jeune pivot confirme dès sa première Summer league où il brille, enchaînant contres et dunks tous plus spectaculaires les uns que les autres.
Trois ans plus tard, Mitchell Robinson s’est établi comme un solide joueur NBA, en enchaînant … contres et dunks tous plus spectaculaires les uns que les autres … Ce manque d’évolution et de progression dans les autres secteurs du jeu est-il seulement le fait d’une hyperspécialisation dans un profil adapté à la NBA moderne, ou bien purement un indicateur des limites techniques, et mentales, de Mitchell Robinson ?
Un « rim runner » de très haut-niveau
La transition de la NBA dans l’ère du pick-and-roll a fait émerger un style particulier de poste 5, rôle dans lequel Mitchell Robinson s’inscrit parfaitement : le rim-runner. Du côté offensif du terrain, leur mission, a minima, est simple : poser des écrans et apporter une menace sur leur ouverture vers le cercle, grâce à leurs qualités athlétiques et leur taille, ou bien profiter des décalages faits par leurs coéquipiers pour finir au cercle (souvent en lay-up ou en dunk). Même logique en défense, où la protection du cercle est leur principal mandat. Parmi les 30 pivots de la ligue au plus haut temps de jeu par match, on retrouve quelques-uns des représentants de l’élite des rim-runners : Clint Capela, Jarrett Allen, Robert Williams III et donc Mitchell Robinson.
Des progrès envisageables en attaque ?
Des responsabilités limitées donc, mais un profil qui doit en théorie apporter les tirs les plus efficaces en attaque (les lay-ups et les dunks), et limiter ces mêmes tirs pour l’adversaire de l’autre côté du terrain. Mitchell Robinson est l’archétype de ce profil. En attaque, son tir le plus lointain cette année a eu lieu à 2,4 mètres du panier, soit au milieu de la peinture, ce qui explique son pourcentage de réussite historiquement haut (76%). C’est d’ailleurs toujours lui qui détient le record de réussite au tir dans l’histoire de la NBA, juste devant Wilt Chamberlain.
L’attrait offensif de Mitchell Robinson est simple : il doit fondre sur le panier après avoir posé un écran, ou bien rester proche du cercle dans toutes les autres situations, et espérer que ses coéquipiers le nourrissent, plus ou moins précisément. Un observateur attentif des récents effectifs des Knicks adviendra que Mitchell Robinson a pour l’instant manqué un passeur de très haut niveau à ses côtés. Le passeur le plus prolifique que Mitchell Robinson ait pour l’instant connu est Elfrid Payton (qui lui a offert 68 passes décisives en deux saisons), tandis que RJ Barrett, grâce à ses progrès récents à la création, s’approche de ce chiffre (30 passes décisives pour l’instant cette saison), selon pbpstats.
Sans créateur de haut niveau capable de le trouver (la connexion entre Mitchell Robinson et Julius Randle est très limitée), l’apport offensif de Mitchell Robinson est intrinsèquement limité. Son impact actuel se résume donc à finir les actions que ses coéquipiers peinent à créer, mais surtout à générer de nouvelles possessions offensives. Derrière Steven Adams, Robinson est statistiquement le meilleur rebondeur offensif de NBA, autant aidé par son envergure et son impressionnant sens du timing que par les nombreux tirs manqués de ses coéquipiers.
Malgré ses frasques sur Instagram où il montre ses entraînements à 3 points et ses déclarations sur sa volonté de devenir un créateur balle en main en NBA, le grand pivot n’a pour l’instant pas ajouté de cordes à son arc, ou du moins pas de cordes assez efficaces pour être utilisées en NBA. Plus grave, son pourcentage de réussite aux lancers-francs, crucial pour un grand qui ne finit qu’au cercle (et est donc souvent appelé à aller sur la ligne), n’a fait que baisser.
Saison | Nb de tentatives par saison (/matchs) | Taux de réussite (moyenne NBA = 77%) |
2018/19 | 135 (2.0) | 60% |
2019/20 | 148 (2.4) | 56.8% |
2020/21 | 53 (1.7) | 49.1% |
2021/22 | 142* (2.4*) | 48.6% |
*au 7 mars 2022
Le constat est sans appel : alors que Mitchell Robinson était, dans ses premières saisons, un tireur de lancers-francs respectable par rapport à son profil, il a désormais chuté dans les fins fonds de la ligue (4ème pire pourcentage parmi les joueurs ayant tiré plus de 100 LFs cette saison). Difficile d’établir un diagnostic précis : cette chute peut à la fois être due à un manque de travail (cependant, ce profil de joueur n’est pas étranger à des soucis chroniques sur la ligne, malgré le travail), mais peut être aussi imputée à sa fracture de la main droite qui lui a fait manquer la plupart de la saison passée.
Pour l’instant, Mitchell Robinson peine à diversifier son profil offensif. Toutefois, la diversification récente de l’attaque de Rudy Gobert, notamment sur sa qualité de passe en sortie de pick and roll, est une voie de progrès ambitieuse, qui lui serait cependant grandement bénéfique. Exemples vidéos tirés de l’excellent article de l’excellent Mark Schindler pour basketballnews.com :
Déjà dans l’élite défensive de la ligue ?
Dans une ligue toujours plus tournée vers la création extérieure et la menace du tir lointain, la valeur du pivot NBA moyen se mesure avant tout du côté défensif du terrain. C’est une des conséquences de la révolution du pick and roll et du tir à trois-points : les pivots à valeur défensive négative disparaissent rapidement des rotations des bonnes équipes NBA. Et c’est dans les domaines les plus importants en défense que Mitchell Robinson excelle : la protection de cercle et la défense du Pick and Roll.
Mitchell Robinson n’est plus le contreur fou, aussi impressionnant était-il, de ses jeunes années en NBA. Sous David Fizdale, il était le plus prolifique de la ligue (à temps de jeu pondéré). Utilisant sa mobilité et son envergure déconcertante, il menait également la ligue au nombre de tirs à trois-points contrés (24 sa saison rookie, 16 sa saison sophomore).
Mais cette activité venait à un prix : celui des fautes. Quelques rencontres récentes nous rappellent les temps où les minutes de Mitchell Robinson n’étaient pas limitées parce qu’il y avait un remplaçant digne de le remplacer, mais bien parce qu’il était handicapé par les fautes. D’autant plus que pour un joueur qui base toute sa défense sur le playmaking défensif (un contre par exemple) bien plus que sur la dissuasion, il est crucial de pouvoir risquer la faute sans répercussion. Pensez à un défenseur au football qui base son jeu sur un tacle glissé, et qui doit totalement changer son jeu après un carton jaune.
Aujourd’hui plus patient, moins naïf, mais surtout plus lourd (sa blessure à la main lui a permis d’ajouter plus de 10 kg de muscle), Robinson optimise ses mensurations très avantageuses. Le volume de contres a diminué certes, passant de l’élite dans l’histoire de la ligue, à l’élite de la ligue actuelle, mais au profit de sa défense globale, qui reste parmi les meilleures de la ligue, comme il le montre en neutralisant tous les meilleurs attaquants.
On peut même penser que le système défensif de Tom Thibodeau, qui repose sur la protection de la raquette à tout prix, limite le profil défensif de Mitchell Robinson. En ne l’utilisant que dans ce registre, les attributs d’agilité de Robinson sont-ils vraiment optimisés ? D’autant qu’il montre, par séquence, sa capacité à défendre sur des extérieurs, lors de changement après écrans. Il avait déjà montré cette capacité sous David Fizdale, qui offrait davantage de diversité dans ses schémas défensifs.
Les Knicks sont aussi efficaces défensivement avec Mitchell Robinson que sans lui (avec un Nerlens Noel diminué par les blessures, le second tour de draft Jericho Sims et l’éternel Taj Gibson). Est-ce à imputer à Mitchell Robinson, ou bien au schéma monolithique de Tom Thibodeau ? Le futur des deux hommes pourrait nous apporter une réponse claire.
Un investissement risqué sur le long-terme ?
C’est donc un attaquant parfait dans son rôle limité, rebondeur offensif d’élite et défenseur au potentiel effrayant, mais fragile, que les Knicks doivent aborder en vue d’une prolongation de contrat. Les Knicks ont peu ou prou deux options principales : offrir un contrat sur le long-terme à leur pivot, ou bien le laisser rejoindre une autre franchise.
Le front office de Leon Rose a montré qu’il était enclin à récompenser, parfois à prix fort, la fidélité et la performance de ses joueurs : les contrats de Derrick Rose, Nerlens Noel et Alec Burks cet été en sont la preuve. Mitchell Robinson bénéficiera-t-il d’une telle générosité ? Dans des profils similaires, le presque All-Star Jarrett Allen a cassé la banque et reçu un contrat à neufs chiffres (100 millions sur 5 ans) aux Cavs, tandis que Robert Williams III, candidat aux All-NBA defensive team et en progrès offensivement, a lui accepté une prolongation de 48 millions pour 4 ans.
Il est difficile de voir Mitchell Robinson prétendre à un contrat significativement inférieur à celui de l’intérieur de Boston. Mais les Knicks seront-ils les vainqueurs de l’enchère ?
Le fait que Mitchell Robinson n’ait pas encore prolongé son contrat dès l’été dernier semble indiquer qu’un divorce est plus que probable. D’une part parce que les cadres du projet Knicks, RJ Barrett et Julius Randle, sont très peu complémentaires avec un pivot inopérant en dehors de la raquette. D’autre part parce que les Knicks semblent trouver en Jericho Sims, et a minima Nerlens Noel, des alternatives viables et moins chères à Mitchell Robinson. D’autant plus que la draft 2022 présente quelques profils similaires qui pourraient intriguer Leon Rose et Tom Thibodeau : Jalen Duren de Memphis, Mark Williams de Duke, Walker Kessler d’Auburn entre autres.
Si les Knicks décidaient d’offrir moins que les 48 millions sur 4 ans auquel Mitchell Robinson semble prétendre, ils risqueraient de voir un de leurs plus prometteurs jeunes joueurs filer entre leurs doigts. Nul doute que le profil technique de Mitchell Robinson va intéresser des équipes en recherche de menace verticale offensive et d’ancre défensive : Luka Doncic ou Lamelo Ball rêveraient d’un partenaire de pick and roll pouvant attraper leurs passes improbables. Nick Nurse et les Raptors trouveraient un nouveau freak à l’envergure impressionnante, tandis que les Pistons et les Bulls auraient été intéressés par le joueur lors de discussion de transfert.
Un long et fort investissement financier des Knicks est donc nécessaire pour au moins se donner une chance de conserver une de leurs belles histoires des 4 dernières années. Face à leurs difficultés évidentes d’attirer de nouveaux talents, il serait avisé de tout faire pour garder leurs rares certitudes : Mitchell Robinson en est une. Mais encore faudrait-il que le principal intéressé, qui ne s’est pas encore prononcé sur la question, veuille passer le début de son prime dans un environnement encore instable.