Regen : de l’anglais regenerated, inspiré de la simulation Football Manager. Décrit un joueur fictif généré automatiquement pour remplacer un joueur réel prenant sa retraite dans le jeu, reprenant la plupart de ses caractéristiques.
Des rives de la mer Baltique à l’Arizona, il y a plus qu’un pas, et pourtant, tout semblait destiner Kerr Kriisa à parcourir ces près de 9 000 kilomètres. Le bandeau est en place, la paire retro de Kobe coloris rose est saillante, et la tunique des Wildcats est estampillée KERR, numéro 25. Cette moitié de coïncidence renvoie inévitablement à un temps où ce même maillot filait sur le parquet du McKale Memorial Center, sur les épaules d’un joueur qui n’était pas encore à deux doigts – littéralement – d’avoir deux mains pleines de bagues de champion NBA, et ne s’était pas encore essayé à l’art du pugilat avec son G.O.A.T. de coéquipier à Chicago. Kerr Kriisa ne savait pourtant même pas – péché de jeunesse – que l’actuel coach des Golden State Warriors avait été un Wildcat.
Mais son boomer de père est comme le reste de sa génération, il a grandi et vibré au rythme des exploits des Bulls de Jordan, Pippen, Rodman, Harper ou encore… Kerr. Le gène du ballon orange est transmis au passage, car Valmo Kriisa est un ancien meneur international estonien, âgé aujourd’hui de 47 ans, plus de la moitié en tant que basketteur professionnel.
Kerr Kriisa nait et grandit à Tartu, deuxième ville d’Estonie, et joue pour le club local jusqu’à débuter chez les pros à l’âge de quinze ans, en 2016. Après un court passage en Allemagne, il retourne en région balte et rejoint le prestigieux Zalgiris en Lituanie, véritable institution. Il joue essentiellement pour l’équipe 2, mais obtient tout de même deux minutes de jeu en Euroligue face à l’ASVEL, le temps d’inscrire un petit point sur lancer franc. N’ayant pas encore signé de contrat professionnel, il reste éligible auprès de la NCAA, et rapidement, le téléphone sonne avec l’indicatif des USA qui s’affiche sur l’écran. Oregon, BYU, Washington State puis Syracuse sont sur les rangs, mais c’est finalement Arizona qui séduit le jeune estonien. Le processus de recrutement est perturbé par la pandémie de Covid-19, mais qu’importe, sans même visiter le campus, Kriisa est sûr de son choix : il rejoindra la University of Arizona, à Tucson.
A l’image de la phase de recrutement, la première saison de Kriisa en Arizona est chaotique. Dans le contexte pandémique, les arènes sont vides et le programme de basketball masculin des Wildcats reste embourbé dans ses problèmes avec le F.B.I, avec au centre le head coach Sean Miller, soupçonné et accusé d’avoir utilisé des avantages non-autorisés pour recruter des joueurs. Pire encore, la saison de l’estonien est perturbée par une suspension infligée par la NCAA qui doute de son statut amateur après avoir évolué au sein d’équipes professionnelles en Europe. Plus de la moitié de la saison est passée lorsque Kriisa est autorisé à jouer, et dans ce contexte compliqué, il ne totalisera que huit apparitions dans une campagne à jeter à la poubelle pour son équipe.
L’été 2021 annonce des changements inévitables, et même une révolution : Sean Miller doit finalement faire ses valises, beaucoup trop fragilisé par ses casseroles judiciaires, et est remplacé par Tommy Lloyd, le premier assistant de Mark Few à Gonzaga, l’un des noms les plus prometteurs du coaching au États-Unis et un véritable architecte de l’une des plus grandes success stories du sport américain.
Mais qui dit changement d’entraineur dit bouleversement dans l’effectif, et alors que les nouvelles règles de la NCAA rendent les transferts de joueurs de plus en plus simples et les font ainsi devenir monnaie courante, les premiers éléments à recruter pour un coach à peine arrivé sont ses propres joueurs, qui bien souvent rejoignent le devenu célèbre « transfer portal », une plateforme sur laquelle s’inscrivent tous les étudiants-athlètes à la recherche d’un nouveau foyer dans le système universitaire américain. Mais pour l’estonien Kriisa, Tommy Lloyd va s’avérer être le coach idoine, l’homme de la situation.
Lloyd a travaillé pendant vingt ans avec Mark Few à Gonzaga, aidant ce dernier à transformer ce qui était une équipe au bord de la faillite dans une petite université catholique en l’une des places les plus importantes du basket américain. Pour ce faire, Few et Lloyd ont du emprunter et même construire des routes sur des sentiers encore inexplorés par le monde du basket universitaire américain. Lloyd est vite devenu le Mr. Worldwide (avec des cheveux et sans les costards kitch) du monde NCAA, sillonnant les cinq continents à la recherche de nouveaux talents.
Ce qui commença avec le recrutement de Ronny Turiaf en 2001 deviendra un véritable modèle maintenant adopté par tous les grands entraineurs et recruteurs de NCAA Div. I. C’est à Lloyd qu’on doit les découvertes de joueurs comme Rui Hachimura (Japon), Domantas Sabonis (Lituanie) ou encore Przemek Karnowski (Pologne).
Lloyd sait recruter, et connait le monde, loin de l’idée de l’américain qui connaît à peu près ses cinquante états, et peut placer le Canada et le Mexique sur une carte, avec un peu d’effort. Kerr Kriisa est vite convaincu, et son nom disparait du transfer portal.
La suite c’est une saison de transition avortée, car l’Arizona de Tommy Lloyd est tout de suite trop fort pour rester sur la touche. Le coach a réussi à faire rester presque tous ses éléments les plus importants, et l’équipe est portée par son quatuor international avec Kriisa, mais aussi le pivot lituanien Azuolas Tubelis pour un combo in&out 100% balte, le camerounais Christian Koloko et le prodige montréalais Bennedict Mathurin, meilleur marqueur de l’équipe. Derrière ces quatre fantastiques issues de trois continents différents, les Wildcats retrouvent les sommets, remportant haut la main le titre de la conférénce PAC-12 en saison régulière malgré la concurrence des californiens de USC et surtout UCLA, pourtant favoris en début de saison.
Mathurin et Tubelis sont les premières options et Koloko l’ancre défensive de l’équipe, mais celui qui fait le lien entre tous ces éléments mais également avec le public, c’est bien Kerr Kriisa. Le meneur joue avec une passion communicative de celles qui font de vous une idole auprès des vôtres, et un ennemi juré pour vos adversaires. Il est de ceux qui haranguent le public à domicile dans le feu de l’action, et qui chambre celui de l’adversaire quand son équipe retrouve le momentum.
Dans la gestuelle, dans tantôt le flegme, tantôt la passion rageuse, malgré son maillot il rappelle encore plus un autre joueur, prodige de son temps et également européen, qui flirta un temps avec l’université de Notre Dame et rejoindra finalement les U.S.A par Portland avant d’atterrir dans le New Jersey. Kerr Kriisa remonte parfois la balle avec l’initiative du jeu, mais peut aussi jouer comme deuxième arrière se démarquant pour frapper par surprise avec ses tirs à trois points. En tant d’aspects il rappelle Drazen Petrovic, qui lui aussi brillait avec le ballon, puis chambrait les tribunes en leur tirant la langue.
Pour cette deuxième saison en Amérique, Kriisa écrit déjà l’histoire d’une université à la pourtant riche tradition, devenant par exemple le premier joueur à réussir un triple-double depuis Andre Iguodala en 2004 (le seul joueur d’Arizona à en avoir produit plusieurs).
Mars est là et Arizona est bien installé sur la deuxième marche du Top 25 national avec son bilan de 27-3. Sauf catastrophe, les Wildcats seront l’une des quatre équipes qui se verront attribuer une tête de série #1 lors du tournoi national. Cette équipe qui fait venir le danger de partout a les armes pour aller au bout, mais elle ne laissera surtout personne indifférent, bien à l’image de son numéro 25, le garçon au bandeau qui harangue le public après lui avoir brisé le cœur, ou l’avoir fait vibrer de joie.