Les débuts de James Harden à Philadelphia allaient forcément être scrutés. Beaucoup de questions étaient en suspend. Quid de son état de forme ? A quoi ressemblerait sa cohabitation avec Joël Embiid : simple cohabitation ou véritable synergie ? Comment cela allait affecter Tyrese Maxey et Tobias Harris ?
Il aura fallu deux matchs et deux victoires à la paire pour rassurer les sceptiques. Non, l’arrière et le pivot ne vont pas cohabiter. Ils vont bien former un duo aussi complémentaire qu’on peut l’espérer si l’on est fan des Sixers, ou le craindre si on doit les affronter en Playoffs. Eh bien il ne leur aura pas fallu longtemps pour faire des étincelles. Mieux, ils se facilitent mutuellement la vie tout en changeant celles d’autres joueurs.
En quelques chiffres, le duo a sur ses 4 premiers matchs un net rating de +33. Depuis son arrivée, James Harden tourne à 26,8pts, 7,5rbds, 12asts avec un stratosphérique 79,8% de True Shooting. Et puisque vous vous demandez, le duo a shooté 116 lancers francs en 4 matchs. Oui, c’est énorme, mais c’est surtout preuve de l’incapacité des adversaires à les défendre.
La question désormais est de savoir ce qu’il faut retenir de cette première semaine de cohabitation. Pour rappel sur cette période, l’équipe a affronté Les Wolves, les Knicks à 2 reprises et les Cavaliers.
Sur ce, allons-y.
Oui, le Pick & Roll sera bel et bien une arme
Avant le premier match de ce nouveau tandem, des doutes persistaient sur ce que serait leur association. Le postulat de base était simple : James Harden est un joueur qui domine en isolation. Joël Embiid est un joueur qui préfère les paniers non-assistés et travailler poste bas plutôt que de s’impliquer dans des actions de pick & roll ou sur des coupes, lobs et autres actions de mouvement. C’était tout de moins ce que suggérait leurs précédentes saisons.
Il était légitime, dans ce contexte, de se demander s’ils se relaieraient en attaque (ce qui aurait déjà été un soulagement pour l’un comme pour l’autre) et seraient de temps en temps associés ; ou si au contraire, ils allaient être très largement dans la recherche d’automatismes directs. La réponse fut donnée assez rapidement lors de leur premier rencontre face aux Wolves.
Deuxième ballon offensif pour Philly et un premier P&R. Le constat est clair, les deux joueurs ont une telle gravité que même si l’action est bien défendue, cela créé soit des décalages pour les coéquipiers, soit des opportunités pour l’un et l’autre s’ils restent en mouvement.
En réalité, cette association sur Pick & Roll est on ne peut plus naturelle quand on y réfléchit. Du point de vue d’Harden tout d’abord. Le Barbu est la triple menace par excellence. Il peut vous attaquer par le dribble, c’est un shooteur fabuleux, notamment sur les pull-ups à longue distance et nul besoin de préciser que c’est un passeur hors pair (en attestent ses 12 passes de moyenne sur les 4 premiers match chez les Sixers).
Cette phase de jeu avec un joueur aussi dangereux qu’Embiid est parfaite car ce dernier possède une gravité monstrueuse. Harden peut donc au choix :
- Profiter d’un mismatch généré sur un switch (soit pour lui-même en isolation, soit pour Embiid au poste bas). Vous l’aurez donc compris, il faut être armé de véritables licornes pour faire appel à du switch face à ce duo. Et par licorne, on attend des Adebayo, Gobert, Giannis de préférence.
- Entrer en mouvement et prendre la meilleure décision entre passe pour Embiid, ressortir pour un coéquipier démarqué ou scorer. Trois choses dans lesquelles il excelle, vous l’aurez noté. Et c’est une première dans l’ère Embiid d’avoir un joueur aussi fort dans ce rôle de triple-menace. Par ailleurs, en cas de mismatch, puisqu’Embiid est déjà un problème poste bas pour l’ensemble des pivots de la ligue, imaginez si vous concédez un mismatch avec un joueur plus petit…
Face aux Wolves, quelques minutes plus tard, cette action est extrêmement intéressante. Les Wolves défendent en drop pour limiter les possibilités d’accès au panier d’Harden. Embiid en profite pour s’écarter à 3pts. Quand Harden lui transmet la balle, il a un tir ouvert mais décide d’enfoncer Towns en profitant de son élan. Résultat, la défense de Minnesota n’envoie pas 1 mais 2 aides pour soutenir KAT. Je vous laisse mettre en pause à 8 secondes et voir combien de joueurs des Sixers sont ouverts. J’en vois 2 avec tout le temps de prendre leur tir (Tobias Harris, Tyrese Maxey), tandis qu’Harden peut en obtenir 1 également si D’angelo Russell ne coupe pas la ligne de passe.
Avec un joueur aussi dangereux qu’Harden, Joël Embiid est plus facile à impliquer en pick&roll ou pick&pop. Tout simplement parce que le danger que représente Harden est trop important pour être ignoré. Il a beaucoup plus d’options balle en main qu’un joueur comme Ben Simmons (au bas mot) et possède la créativité et la patience à la passe qu’un jeune joueur comme Maxey ne possède pas. Par ailleurs, les progrès constants d’Embiid à longue distance (36,2% à 3pts cette saison) et ses facultés déjà solides à mi-distance permettent de varier entre attaque de la défense et shooting. Résultat, ça ouvre des schémas très simples, mais rentables :
Cette phase de jeu, n’explique évidemment pas tout ce qui change pour les Sixers depuis l’arrivée d’Harden. Plusieurs éléments sont déjà notables.
Déjà, il faut prendre en compte la propension d’Embiid à provoquer des fautes, s’ajoute celle d’Harden. Mais également, l’accélération du jeu permise par Harden (jeu en transition) et l’augmentation des attaques dans le mouvement du camerounais (plus de p&r, moins de jeu au poste) et donc tout les décalages que cela engendre pour Philly qui permettent à l’équipe d’agresser les défenseurs et gonfler encore le nombre de lancers francs pris.
Les Sixers ont inscrit 126pts sur la ligne des lancers francs sur ces 4 premiers matchs. C’est 17 de plus que la seconde équipe (les Pistons, qui ont joué 2 matchs de plus), ou que les 3eme, les Cavaliers (qui ont joué 1 match de plus). Outre leur faculté à provoquer des fautes par eux-mêmes, leur combinaison est si complexe à défendre que bien souvent, comme les Knicks l’ont vite compris, le meilleur moyen de les arrêter… est de faire faute.
Alors évidemment, cette propension à provoquer des lancers devrait se réduire en Playoffs. Mais ne vous trompez pas, cela ne sera non plus, selon toutes vraisemblances, le joueur et la nuit entre ce qu’on l’on observera en saison régulière.
Et si la solution de la faute est la meilleure, c’est que l’équipe possède d’excellents attaquants (Embiid, Harden, Maxey, Harris…) et qu’elle a vu la qualité de ses tirs pris drastiquement s’améliorer depuis la première du barbu. Selon pbpstats.com, les Sixers sont passés de 22e dans la catégorie “qualité des tirs pris” à 4eme depuis l’intronisation du barbu dans l’effectif. Un changement radical obtenu alors que les automatismes entre l’arrière et ses nouveaux coéquipiers ne sont, forcément, pas encore parfaits.
Un exemple de tirs faciles ?
Joël vient initier un dribble hand-off avec Harden. L’écran donne de l’avance à James sur son défenseur (Barrett), pour permettre à son coéquipier de récupérer, Mitchell Robinson est obligé de décrocher d’Embiid pour venir aider. Burks est également obligé de lâcher Tyrese Maxey pour venir fermer la route du barbu. Dans le dos d’Harden, Maxey est ouvert, côté faible, Harris est ouvert. Mais mieux, il trouve Embiid qui roule vers le cercle : résultat, dunk facile pour le pivot.
Qu’est-ce que cela change pour Embiid ?
Simple. Ces 4 dernières saisons, entre 45 et 53% des tirs pris par Embiid provenaient d’une passe. En manque de véritable playmaker de haut vol, le pivot avait été obligé de se transformer en monstre de la création pour soi-même. Depuis l’arrivée de l’ex-MVP, plus de 70% de ses tirs pris proviennent d’une passe. Sur cette saison, pour le comparatif :
- Avant Harden : 50,6% des tirs réussis sur des actions sans passe préalable
- Avec Harden : 32,3% des tirs réussis étaient sur des actions sans passe préalable
Pour Embiid, cela signifie une charge offensive moindre. Ce qui permet soit de le faire jouer plus, soit d’attendre plus de lui dans d’autres secteurs… Au hasard, la défense. Dans ce compartiment, le pivot n’est plus celui qu’il était il y a encore quelques saisons. Être déchargé par la présence d’autres joueurs majeurs et par la typologie des tirs pris peut donc permettre de rehausser les attentes dans ce compartiment du jeu.
Des changements pour le reste de l’équipe
Autre grand bénéficiaire de l’arrivée de James Harden : Tyrese Maxey !
Lui qui était devenu l’option numéro 1 balle en main en l’absence de Ben Simmons a vu ses responsabilités changer. De quoi bouder ? Certainement pas !
Le sophomore a vu ce changement d’organigramme comme une opportunité. Moins de responsabilités balle en main, c’est l’occasion de bénéficier de plus d’espaces. De fait, il attaque inlassablement les défenses adverses, se tient prêt à dégainer, à couper et fonce en transition. En réalité, le joueur est resté aussi agressif qu’avant le trade. Maintenir un tel niveau d’agressivité dans un contexte plus facile lui bénéficie forcément, et c’est pour ça que sa forme actuelle fait tant parler. Le sophomore de 21 ans continue d’alimenter toutes les promesses qu’il offre et ces 4 premiers matchs ne viendront pas les démentir.
Résultat, il affiche des statistiques absurdes sur ces 4 premiers matchs (et difficiles à maintenir à un tel niveau, précisons-le) : 26,8 points avec un True shooting de 80,2%. Harden n’est donc pas le seul à crever les plafonds pour le moment et tous deux bénéficient de plusieurs éléments.
Tout d’abord, des affrontements avec des équipes pas forcément équipées pour défendre un tel trio d’attaquants, mais également l’attente qu’une équipe inspirée trouve des moyens de contenir ce nouveau défi imposé par les Sixers.
En attendant, Maxey se tient prêt. La séquence suivante : mains prêtes à recevoir la balle, en position pour dégainer immédiatement ou driver si Russell reste aussi relâché et éloigné. Cette attitude constante est la clé de son succès récent.
D’autres joueurs peuvent tirer leur épingle du jeu. A commencer par tous les shooteurs qui devraient profiter de la gravité, en définitive, non pas de ce duo mais de ce trio qui semble se former. George Niang et Danny Green seront forcément attendus à 3 points. Tandis que Fukan Korkmaz qui survit dans la rotation doit immédiatement profiter de cette opportunité pour se relancer. Dans le même temps, Paul Millsap apparaît en bout de course et on peut imaginer que Willie Cauley Stein ou Paul Reed, si Rivers se décide à l’utiliser, peuvent trouver des espaces pour des lobs et s’amuser.
En revanche, un joueur semble pâtir à ce stade de cette nouvelle hiérarchie : Tobias Harris.
3eme option cette saison et joueur important de la franchise, Harris semble pour le moment peiner à trouver son rôle et sa place. Sur ces 4 premiers matchs, le joueur a vu son nombre de points chuter et on sent qu’il hésite encore entre s’effacer selon les matchs, ou tenter d’apporter son écot par lui-même. S’il bénéficie évidemment d’espaces, le risque est de se voir transformer en catch-and-shooteur ou de vivre de ses coupes. Un rôle qui ne lui sied pas forcément et qui pose donc la question de comment trouver sa place alors que 3 autres joueurs brillent de mille feux à ses côtés. Si le joueur le prend avec philosophie, toujours est-il que Doc Rivers et son staff doivent garder en tête qu’il faut réussir à l’optimiser tant que faire se peut.
Qu’attendre désormais ?
L’objectif pour ce groupe est désormais de rester réaliste. Il est difficile d’imaginer que son trio garde le même volume avec la même adresse, en particulier en Playoffs où les défenses se durciront, s’adapteront et où les coups de sifflets seront moins cléments. En vue de cette période, les Sixers doivent se préparer et améliorer un certain nombre de choses.
Tout d’abord, les rotations. Doc Rivers doit réussir à trouver les meilleures synergies, mais aussi limiter les minutes sans son quatuor d’attaquants. En mon sens, Harris doit passer un maximum de temps avec le banc. L’occasion pour lui d’avoir plus de tirs et donc de mieux exploiter sa palette offensive. Mais les rotations doivent aussi être éprouvées et la fin de saison devrait permettre de tester les meilleurs joueurs disponibles. Rivers s’est toujours montré très… têtu dans le don de ses minutes. Mais tester les nouveaux arrivants et la jeunesse accumulée ces dernières saisons devrait faire partie de ses priorités.
Willie Cauley Stein, Isaiah Joe, Paul Reed sont des options potentiellement viables qui doivent obtenir des minutes conséquentes pour être réellement jugées dans ce contexte. L’expérience est souvent bien évaluée en NBA, mais les qualités athlétiques et les possibilités d’améliorations offertes par la jeunesse doivent également, il me semble, être explorées. En d’autres termes : des joueurs peuvent s’imposer devant Fukan Korkmaz et Paul Millsap.
Évidemment, les automatismes doivent continuer de se construire pour cette équipe de Philadelphie. La bonne nouvelle, c’est qu’Harden et Embiid semblent si euphoriques de jouer ensemble, qu’on les voit même s’amuser à tenter des choses un peu improbables, comme ce pick-and-roll inversé où Harden vient poser l’écran pour Embiid. Si l’action est plutôt anecdotique, elle est je pense, symptomatique de cette volonté de construire quelque chose ensemble.
Enfin, les phases de jeu à base de dribble hand-off semblent très prometteuses et méritent d’être encore plus utilisées. Ce schéma semble idéal pour Harden. Pas forcément l’athlète le plus explosif (même si ses capacités d’accélération sont toujours dévastatrices), bénéficier d’être déjà en mouvement au moment où son vis-à-vis doit traverser l’écran lui donne encore plus de marge pour manipuler les défenses.
Encore 20 matchs pour les Sixers. Il reste du travail pour préparer le vrai visage de l’équipe au moment des Playoffs. 20 matchs à suivre, donc, pour mieux cerner la bête que ce groupe peut être… Et ses chances d’enfin connaître les finales de conférence avec Joël Embiid.