Entre les 29 novembre 2019 et 2 avril 2021 @BenjaminForant et @Schoepfer68, accompagnés ponctuellement par d’autres membres de la rédaction, ont dressé le portrait de certains des acteurs méconnus ou sous-estimés de la NBA. Au total, ce sont 63 articles qui vous ont été proposés : un par année, entre les saisons 1950 – 1951 et 2009 – 2010, avec quelques bonus par-ci, par-là.
Pour cette saison 2, Le Magnéto change de format. Si l’idée est toujours de narrer la carrière des joueurs dont on parle finalement trop peu, il ne s’agira plus de traverser de part en part la si vaste histoire de la Grande Ligue. Désormais, chaque portrait sera l’occasion de braquer les projecteurs sur une franchise en particulier, avec l’ambition d’évoquer l’ensemble des équipes ayant un jour évolué en NBA, mais également en ABA.
Replongez avec nous dans ce grand voyage que constitue Le Magnéto. Dans ce 72ème épisode, revenons sur la carrière de Nick Anderson. Cela nous permettra, de surcroît, d’évoquer les plus belles heures de la franchise d’Orlando.
Il était une fois dans l’Est
Floride, 1988
“C’est un endroit excitant, un lieu magique”.
Tels furent les premiers mots de Jim Hewitt, une fois que la présence d’une franchise à Orlando fut officialisée par la NBA. L’homme d’affaires, décédé à la fin de l’année 2020, fut le premier instigateur de l’implantation d’une équipe au sein de la quatrième ville floridienne ; c’est lui qui monta un pool d’investisseur, qui parvint à convaincre le maire de la ville de la viabilité du projet et qui débaucha Pat Williams, alors General Manager des 76ers. Enfin, alors que les décisionnaires de la Grande Ligue ne souhaitaient créer qu’une franchise en Floride et que Miami tenait la corde, c’est notamment son discours qui poussa les décisionnaires à accorder à l’État deux équipes différentes.
Il faut dire qu’au milieu des années 1980, Orlando était certes un endroit excitant, mais surtout une ville sans véritables infrastructures ni équipe professionnelle dans l’un des quatre sports majeurs du pays. Le Magic devint ainsi la première franchise de la ville, contre un coquet chèque de 32,5 M$. Le Magic, justement. Une fois étant manifestement coutume, la fanbase de la future équipe fut autorisée à sélectionner le nom de celle-ci. Les résultats du premier vote ? Orlando Heat, Orlando Tropics, Orlando Juice, Orlando Magic. Ce dernier patronyme n’a pourtant été proposé qu’à 11 reprises sur les 4 296 votes initiaux. Pourquoi, dès lors, la franchise s’appelle-t-elle le “Magic” ?
Il faut d’abord y voir le résultat de l’influence d’une fillette de 7 ans. Pas n’importe laquelle, certes, puisqu’il s’agit de Karen Williams, fille de Pat (le GM), qui considéra, elle aussi, que la ville possédait un aspect “magique” après une rapide visite. Ensuite, le nom fut définitivement entériné par un comité, lequel considéra que le terme “Heat” avait une connotation péjorative, que le “Tropics” était en réalité géographiquement erroné et que le “Juice” serait de nature à raviver les mauvais souvenirs d’un hiver particulièrement rude qui dévasta les plantations de citron du coin. Et c’est ainsi, par une sorte de pragmatisme total, que le nom d’Orlando Magic fut entériné.
Filons au mois de juin 1989, charnière dans le début d’histoire de l’institution. Le 15, Orlando et Minnesota s’assirent autour d’une table pour réaliser leur draft d’expansion. Le front-office du Magic y sélectionna Sidney Green (#1), le double All-star Reggie Theus (#3) ou encore le futur meilleur passeur de l’histoire sur un match, Scott Skiles (#11). Le 27, au Madison Square Garden, se déroula la draft annuelle, dont la cuvée était prometteuse. On y retrouve ainsi, entre autre, Clifford Robinson (Portland, #36), Vlade Divac (LAL, #26), Glen Rice (#4, Miami), Shawn Kemp (#17, Seattle) ou Tim Hardaway (#14, Golden State). Alors que la lottery ne concernait que les 9 pires équipes de la saison précédente, Minnesota possédait le pick #10 et Orlando le suivant. Avec ce choix, le front-office sélectionna un jeune swingman en provenance de la faculté d’Illinois : Nick Anderson.
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Pendant ce temps-là, dans l’Illinois
Complexe est la tâche de celui qui souhaite s’intéresser à la toute jeune enfance de Nelison Anderson, cet enfant de Chicago né le 20 janvier 1968. Si les informations ne sont pas légion, celles que nous avons à notre disposition peignent le portrait d’un enfant qui a grandi dans la violence de Windy City, à l’instar d’Isiah Thomas ou de Muggsy Bogues. Alors que ses deux grands frères dirigent chacun leur propre gang et connaissent les prisons du coin comme leur poche arrière, le cadet de la famille exècre la violence.
Destiné à devenir professeur ou policier – selon ses propres dires – il trouva comme d’autres avant et après lui son exutoire dans le basketball. Sur les playgrounds de la ville, d’abord, aux côtés parfois de Tim Hardaway, mais toujours à ceux de Ben Wilson. Le premier allait éblouir la NBA de son talent. Le second aurait dû le faire, lui qui était considéré comme le meilleur lycéen du pays au milieu des eighties. La faucheuse, croisée au coin d’une rue malfamée, portait le visage de deux adolescents armés que Wilson avait malencontreusement bousculés. Pour Anderson, l’assassinat de son meilleur ami constitue un traumatisme qu’il peine encore aujourd’hui à gérer. Les funestes cartouches de ce 20 novembre 1984 mirent un terme définitif à son enfance. Childhood’s end.
Nommé Mister Basketball en dernière année au lycée (20,5 points, 10,5 rebonds, 5 passes décisives, 4 contres de moyenne), Nick Anderson s’engagea pour l’université de l’Illinois, au sein de laquelle il aurait dû rejoindre son meilleur ami. En hommage, il revêtit le numéro 25 qu’il ne quitta plus jamais. Il ne put cependant pas prendre part aux rencontres des Fighting Illini lors de sa première année, en raison de trop mauvais résultats sur les bancs de la faculté. Il fit donc ses débuts lors de sa seconde année, aux côtés de Kendall Gill. Leader de l’équipe, il connut ses plus grands succès universitaires l’année suivante, en emmenant Illinois au final four du tournoi annuel, pour une courte défaite concédée face à Michigan.
Avec 18 points, 8 rebonds et 2 passes décisives de moyenne, il décida de sauter sa dernière année d’étude pour se présenter à la draft 1989. La suite, vous la connaissez ; il fut sélectionné par le Magic d’Orlando, franchise qu’il ne quitta que dix années plus tard.
Coup de foudre à Orlando
Learning to fly
C’est dans un rôle de doublure de Reggie Theus que, rookie, il découvrit les exigences de la Grande Ligue. Dans une équipe qui lança sa saison – et son histoire – sur des bases plutôt réjouissantes avant de se liquéfier totalement, Nick Anderson s’imposa immédiatement comme une solide alternative au poste d’arrière. Certes, à l’issue de son exercice, il ne fut pas nommé dans l’une des deux All rookie team. La raison, toutefois, n’était pas à rechercher dans ses maigres performances, mais plutôt dans un bilan collectif catastrophique (18 victoires, avant-dernier total de la Ligue), une forte présence d’extérieurs parmi les meilleurs débutants de l’année (Tim Hardaway, Pooh Richardson, Sherman Douglas…) et une second team exclusivement composée de postes 3, 4 et 5, chose pour le moins étonnante (on y retrouve Blue Edwards, Sean Elliott, Glen Rice, J.R Reid et Stacey King).
Ainsi, avec 11,5 points, 4 rebonds, 1,5 passe décisive et 1 interception de moyenne sur l’ensemble des 81 rencontres disputées (22 minutes / soir), avec 49,4 % de réussite au tir (dont… 5,9 % à trois-points !), Anderson est loin d’être passé à côté de son premier plongeon. D’ailleurs, il fut l’un des artisans du début d’exercice relativement convainquant du Magic qui, au bout de 20 rencontres, avait remporté 8 d’entre elles. Pas folichon, certes, mais souvenez-vous que les 62 rencontres suivantes ont accouché de 52 défaites. Par exemple, dans une victoire remportée lors du premier derby floridien face au Heat (+ 5), Anderson termina sa rencontre avec 24 points à 8 /11 au tir en 19 minutes de présence sur le parquet.
Dans une équipe qui n’avait de toute manière rien d’autre à faire que le développer, le jeune Nick monta en puissance au fil des mois. S’il ne remporta qu’une rencontre au mois de mars 1990, il profita de l’absence de Theus pour être propulsé au poste d’arrière titulaire et pour enchaîner 14 rencontres avec 15,5 points, 5,5 rebonds, 3 passes décisives et 1,3 interception par match, le tout avec une propreté difficilement égalable au tir (54,2 % de réussite), quand bien même les lancers-francs constituaient une faiblesse évidente (62,7 % en 4 tentatives).
C’est au cours de cette période, dans la seule victoire mensuelle – remportée face aux Knicks de 3 petits points – qu’il réalisa sa performance la plus probante de sa saison : 29 points (60 % au tir), 9 rebonds, 4 passes décisives, 1 interception et 2 contres. Si elle ne paie pas de mine, la ligne statistique demeure particulièrement rare chez les rookies, puisqu’on ne la retrouve qu’à 35 reprises depuis le décompte officiel des interceptions et des contres en 1973.
La lottery, farceuse, n’accorda à l’équipe que le 4ème choix de la draft 1990. Dans une cuvée particulièrement faible, Orlando opta pour un autre swing man, Dennis Scott, lequel fut immédiatement propulsé en tant qu’arrière titulaire de l’équipe en lieu et place de Theus. Avec Scott Skiles en leader, qui n’allait pas tarder à envoyer 30 passes décisives (record all-time) aux copains le 30 décembre 1990, il était certain que l’équipe ne nourrissait toujours pas de grandes ambitions. Néanmoins, la meute commençait à montrer les dents. Au sein de celle-ci, Nick Anderson n’était pas en reste. À l’instar d’un DeMar DeRozan, l’arrière devint très rapidement un expert du mid-range, zone qu’il ne désertait que très rarement et au sein de laquelle il savait être létal.
Il commença d’ailleurs son exercice sophomore sur les chapeaux de roue, malgré une panne particulièrement handicapante aux lancers-francs (54,8 % de réussite en 4 tentatives sur les 20 premières rencontres). C’est ainsi qu’avec quelques 16 points à 47 % de réussite (dont 40% de loin, en 1 tentative), il devint la troisième roue du carrosse offensif de l’équipe toujours dirigée par Matt Guokas. Ce qu’il ignore, à l’instar de l’ensemble de la planète basket à cette époque, c’est qu’il n’allait pas tarder à devenir la troisième option d’une presque dynastie.
Pour cela, il, comme vous chers lecteurs / chères lectrices, devra patienter encore un peu. En effet, à la draft 1991, Orlando et ses 31 victoires de l’année précédente se vit offrir le 10ème choix ; trop bas pour sélectionner l’une des rares stars de l’année, à savoir Larry Johnson (#1, Charlotte) et Dikembe Mutombo (#4, Denver). Les dirigeants jetèrent leur dévolu sur un joueur atypique, Brian Carson Williams, qui devint par la suite Bison Dele. Celui-ci, talent quasi-générationnel, avait pour dérangeante particularité (pour lui) de ne pas aimer le basketball. Marginalisé car différent, il ne parvint jamais à trouver sa place dans le monde professionnel, ni même dans le monde tout court. Ce mal-être généralisé, exacerbé par la jalousie assassine de son frère, le mena à disparaître dans le Pacifique Sud en 2002, dans un naufrage dont seul à survécu son frangin. Celui-ci n’a jamais avoué ses actes meurtriers avant son suicide. Si le destin tragique de Bison Dele vous intéresse, nous ne pouvons que vous conseiller l’écoute de l’excellent podcast qui lui a été consacré par l’équipe d’Eurosport.
Revenons à Nick Anderson et au Magic d’Orlando. De manière tout à fait graduelle, le joueur brillait de plus en plus dans une Ligue au sein de laquelle il commença à se faire un nom. Le voici désormais un cadre indiscutable de l’effectif ; c’est lui qui possédait de le plus gros temps de jeu (36,7 minutes / soir) et, hormis Dennis Scott, c’est lui qui tirait le plus chaque soir (17,4 tentatives). Ses nouvelles responsabilités lui allaient comme un gant. Mélangeant toujours précision au tir et maladresse aux lancers, Anderson devint le meilleur scoreur des siens et toqua tout doucement à la porte du All-star game. Toutefois, il n’avait pas l’étoffe du franchise player, celle du joueur qui mène son équipe en playoffs sur ses épaules. Dès lors, avec 31 victoires encourageantes en 1991, le Magic retomba dans ses travers, enregistrant 10 succès de moins au cours de cette nouvelle saison.
À l’étude, on s’aperçoit d’ailleurs que c’est (probablement) le bilan du Magic qui empêcha son numéro 25 de participer au match des étoiles, honneur qu’il n’aura finalement jamais. En effet, au sein de la conférence Est, derrière les intouchables Isiah Thomas et Michael Jordan, les sélectionnés sur les lignes arrières répondaient aux noms de Michael Adams (Washington), Reggie Lewis (Boston) et Joe Dumars (Detroit) et ces derniers affichent tous des statistiques similaires à celles de Nick Anderson, lequel tournait à 19,8 points, 6,5 rebonds, 2,5 passes décisives et 1,6 interception au moment de l’événement annuel.
Les saisons se ressemblent, certes, mais ce n’est pas le cas des drafts. Si celles de 1990 et 1991 n’offrirent finalement pas grand chose à Orlando, les piètres performances de l’équipe lui octroyèrent le first pick 1992. Une aubaine, lorsque l’on sait qu’un pivot, qui sortait de trois années universitaire à LSU, promettait d’être l’un de ces joueurs qui vous font gagner. Avec ce premier choix, et sans trop hésiter, Orlando sélectionna Shaquille O’Neal.
Shaq, ultra-dominant dès son année 1, forma avec Anderson un one-two punch qui mena le Magic aux portes des playoffs 1993. En effet, derrière les 23,4 points, 14 rebonds et 3,5 contres de son nouveau pivot, l’arrière termina sa 4 saisons avec 19,9 points de moyenne – le même total que l’année précédente. Plus maladroit au tir, il entama son exercice en réalisant sa meilleure performance jusqu’alors : 42 points, 8 rebonds, 6 passes décisives, 5 interceptions à 65,4 % au tir. Et encore, dans le lot, il manqua 7 de ses 12 tentatives sur la ligne… Il n’en demeure pas moins qu’ils ne sont que 13 à avoir terminé une rencontre avec de telles statistiques et qu’aucun joueur, aussi fort soit-il, ne l’a fait plus d’une fois. C’est ainsi que dans ce groupe des 13, Anderson côtoie Rick Barry, James Harden, LeBron James, Clyde Drexler, Michael Jordan ou Hakeem Olajuwon.
Sur cette lancée, il manqua à nouveau d’un chouilla une sélection au All-star game. Il termina la saison comme il l’avait commencée, à savoir par une performance extraordinaire, voire unique. Un soir d’avril 1993, le Magic se rendit dans le New-Jersey pour y affronter les Nets. Remplaçant au coup d’envoi, Anderson va tout de même voir le parquet pendant 33 minutes. Le temps de prendre 25 tirs et d’en convertir 17. Celui, également, de se rendre 12 fois sur la ligne des lancers et de faire ficelle autant de fois. Il termina sa rencontre avec 50 points au compteur, son record en carrière. Surtout, il s’agissait alors de la première fois de l’histoire qu’un remplaçant inscrivait 50 points. Aujourd’hui, il n’a été rejoint que par Jamal Crawford et ses 51 points en avril 2019.
Un pivot extraordinaire, un arrière scoreur dans la force de l’âge, un bilan de 41 victoires et… un nouveau premier choix de draft. C’est avec cet immense coup de pouce du destin qu’Orlando jeta son dévolu sur Chris Webber à la draft 1993… pour l’échanger dans la foulée avec Golden State. Si l’association Webber / O’Neal avait tout pour faire saliver, elle n’exista que virtuellement. En effet, le soir même de la draft, Chris Webber fut envoyé dans la baie d’Oakland, contre Anfernee “Penny” Hardaway, meneur longiligne qui avait tapé dans l’œil d’O’Neal sur le tournage du film Blue Chips.
L’heure était venue pour la franchise de déployer ses ailes.
Let there be more light
6 octobre 1993. Les États-Unis connaissent un séisme d’une magnitude de 10 sur l’échelle de la surprise : Michael Jordan, endeuillé par la mort de son père, annonce au monde entier qu’il quitte la NBA. Pour Orlando, la conférence Est s’ouvre avec la disparition de l’un de ses adversaires les plus encombrants. Pour Nick Anderson, la retraite de Jordan a une portée tout autre.
En effet, le soir même où il annonça aux médias qu’il raccrochait les sneakers, Michael Jordan décrocha son téléphone et composa le numéro du jeune arrière d’Orlando. L’objet de son appel ?
“Moi, j’arrête. Toi, tu peux me succéder. Tu le peux vraiment”.
Voilà pour la pression. Jordan ne s’est toutefois pas arrêté à un seul coup de fil. Avant de prendre sa retraite, l’arrière des Bulls avait signé un contrat juteux avec Nike, dans l’optique de développer, notamment, une ligne de chaussure réservée au meilleur joueur de son ère. Alors que l’annonce du 6 octobre a dû provoquer un ouragan de panique chez les décisionnaires de la marque à la virgule, Jordan dressa une liste de 6 joueurs autorisés à enfiler lesdites chaussures. Parmi eux, une fois encore, Nick Anderson fut sélectionné.
Penny Hardaway, Nick Anderson, Dennis Scott, Jeff Turner, Shaquille O’Neal. Au démarrage de la saison 1993-94, Orlando a définitivement changé de dimension et peut nourrir des ambitions élevées. Pour le numéro 25, l’arrivée d’Hardaway à la mène fut synonyme d’adaptation. L’enfant de Memphis, rapide, explosif et longiligne, n’était en effet pas un adepte du tir à longue distance. Il ne le fut d’ailleurs jamais au cours de sa carrière longue de 704 rencontres de saison régulière (2,3 tentatives / match, 31,6 % de réussite globale). Dès lors, pour améliorer le fit avec la deuxième star de l’équipe, Anderson entama sa mue. Sans quitter définitivement sa zone préférentielle, il commença à se fabriquer un tir à trois-points. Par-là, il libérait également de la place dans la raquette adverse, pour les pénétrations pleine de fougue d’Hardaway.
Forcément, le nouveau one-two punch de l’équipe lui coûta quelques responsabilités offensives. Dans ces situations, les joueurs peuvent semble-t-il se scinder en deux catégories. Les premiers, égotiques devant l’Éternel, refusent de voir leur rôle se restreindre pour le bien du collectif. Nous vous saluons, Horace Grant et Jerami Grant. Les seconds, évidemment plus modestes, font les sacrifices individuels nécessaires pour s’adapter aux besoins de leur franchise. Anderson, lui, n’a pas hésité. Brian Hill voulait faire de lui la 3ème option de l’équipe ? Il en devint une superbe.
Dans un rôle “à la Joe Dumars”, comme il le disait lui-même, et tandis que Shaquille O’Neal devint la superstar que tout le monde voyait venir, Anderson commença sa saison sur courant alternatif. Parfois, comme un soir de défaite face aux Bullets (- 2), il dégainait à 20 reprises pour 35 points, 7 rebonds et 6 passes décisives. Parfois, comme entre le 9 et le 14 décembre (4 matchs), il ne prenait pas plus de 8 tirs par match et ne parvenait pas à atteindre la barre des 10 points.
Il devint le liant nécessaire à toute équipe, l’homme qui fait ce que ses stars de collègues ne veulent pas nécessairement faire. C’est donc tout naturellement qu’il s’imposa comme un leader incontesté du vestiaire. Et si la saison se termina en eau de boudin avec un sweep au premier tour des playoffs face à Indiana (3 – 0, après avoir remporté 50 matchs en saison régulière), ce n’était là que l’amuse-bouche. Les ailes déployées n’allaient pas être celles d’un aigle, mais bel et bien celles d’un Airbus.
66 points, 20,2 rebonds, 14 passes décisives. Le trio du Magic n’a pas fait dans la dentelle en cette saison 1994 – 1995 à l’issue de laquelle O’Neal termina second de la course au MVP, derrière David Robinson. Le Big Diesel n’était toutefois pas seul au moment d’emmener Orlando au sommet de sa conférence. Hardaway prenait indubitablement de l’épaisseur tandis qu’Anderson avait terminé sa métamorphose en sniper. Voyez plutôt ; on le retrouve au 10ème rang des joueurs qui ont le plus pris leur chance derrière l’arc dans la saison (431 tentatives), au 8ème parmi ceux qui ont converti le plus de tirs primés (179) et au 14ème lorsqu’il s’agit d’apprécier la précision desdites tentatives (41,5 % !). D’ailleurs, parmi les 9 hommes qui ont pris plus souvent leur chance que lui à trois-points… personne n’affiche un meilleur pourcentage de réussite dans l’exercice.
De spécialiste du mid-range, Anderson est devenu un floor spacer et un véritable shooteur de renom. Ajoutez au portrait une modestie à toute épreuve, un caractère besogneux et une capacité vocale reconnue, et vous obtenez non seulement un genre idéal, mais aussi un joueur qui chaque équipe aimerait avoir dans son roster.
Il ne le savait pas encore, mais il allait faire la pluie et le beau temps d’un Magic qui s’apprêtait à confirmer tout le bien qu’on pensait de lui. Après un premier tour de playoffs remporté sans douleur (3 – 1 face à Boston, alors même qu’O’Neal jouait avec le frein à main), Orlando croisa le fer avec l’ancien mastodonte, les Bulls, en demi-finale de conférence. Une formalité, sans Michael Jordan, pourriez-vous vous dire. Sauf que Sa Majestée a fait son retour sur les parquets à la mi-mars, avec son numéro 45 qui aura une importance pour la suite.
Pas intimidé par son vis-à-vis, Anderson va réaliser une série à la hauteur de son talent : 15 points (44 % au tir, 41,5 % de loin), 4,5 rebonds, 2,3 passes décisives, 1,7 interception de moyenne. En face, Jordan faisait déjà à nouveau du Jordan. Ou presque. Dans le money-time de la première rencontre, tandis que Chicago menait d’un point, il remonta la balle. Nick Anderson, qui le pressait tout terrain, galopait derrière lui. L’horloge indiquait 15 secondes à jouer. Le moment était tout trouvé. L’arrière du Magic jeta ses longs bras et commit un crime de lèse-majesté :
“Anderson stole the ball ! Anderson stole the ball ! Nick Anderson stole the ball from Michael Jordan !”, s’écria David Steele aux commentaires.
Hardaway récupéra la balle, la donna à Horace Grant qui alla terminer la rencontre d’un dunk ravageur. L’occasion pour Anderson de se fendre d’une pique qui n’a sûrement pas été appréciée par son destinataire :
“Le numéro 45 n’est pas le numéro 23”.
Jordan termina meilleur scoreur des quatre rencontres qui suivirent. Cela n’empêcha pas Orlando d’en remporter deux d’entre elles et de plier la série en 6 matchs. Voici la franchise en finale NBA, pour y retrouver les Rockets de Houston, tenants du titre mais seulement 6ème de la conférence Ouest.
Another Brick in the Wall
Pourtant, les texans ne commencèrent pas la série en outsiders. Dans leurs rangs, Hakeem Olajuwon paraissait être encore plus impressionnant que ne pouvait l’être Shaquille O’Neal, ce qui n’est pas peu dire. Quand bien même The Dream était sur une planète bien différente – celle où il est autorisé de terroriser quiconque vous approche, mais uniquement si vous êtes situé sous un cercle orange (drôle de législation, si vous voulez notre avis) – Orlando avait ses propres arguments pour prétendre sérieusement au titre NBA. Son 5 majeur, sur le papier, est d’ailleurs plus convaincant que celui des fusées. En somme, tous les ingrédients étaient réunis pour une série longue, haletante, passionnante.
Il n’en fut évidemment rien. Houston remporta son second trophée consécutif, au terme de 4 petites rencontres dont seule la première vaut véritablement le coup d’œil. Et pour cause, malgré une grosse craquante dans le troisième quart-temps (remporté 37-19 par Houston), c’est Orlando qui faisait la course en tête en fin de rencontre. Celle-ci était d’ailleurs “presque” gagnée, puisqu’à 10 secondes du gong final, les floridiens menaient 110 – 107 et avaient la balle dans les mains. Faute sur Nick Anderson, deux lancers-francs à venir. En convertir ne serait-ce qu’un seul, c’était l’assurance de mettre son équipe définitivement à l’abri.
Jusqu’alors, l’arrière s’était révélé plutôt adroit, avec 22 points à 9 / 17 au tir. Par contre, il n’avait pas encore été sur la ligne de l’ensemble de la rencontre. Le premier lancer ? Trois rebonds, une flexion des genoux, un tir bien trop court. Le second ? Trois rebonds, une flexion des genoux, un tir bien, bien trop court. Si court qu’il revint directement entre les paluches d’un Anderson sur lequel la défense texane se jeta pour refaire faute et arrêter le chronomètre. Deux lancers-francs à venir. Avons-nous déjà précisé qu’en convertir ne serait-ce qu’un seul, c’était l’assurance de mettre son équipe définitivement à l’abri ?
Vous connaissez la routine. Trois rebonds, une flexion des genoux… et un troisième lancer qui vient heurter le fond du cercle, pour ne pas y entrer. La quatrième tentative donna exactement le même résultat. Toutefois, Houston s’empara cette fois-ci de la gonfle et Kenny Smith planta un trois-points assassin synonyme de prolongation. Si Paul Le Guen avait été au commentaire de la rencontre, il aurait crié son iconique “nooooooooon”. La prolongation se termina par un tip-in inscrit par Hakeem Olajuwon au buzzer, qui offrit la rencontre à Houston (120 – 118).
Plus personne ne se souvient de la suite de la série. Elle n’intéresse d’ailleurs personne. La seule chose à laquelle on pense lorsque l’on évoque les finales NBA 1995, c’est à “Nick the brick“, l’homme qui a raté 4 lancers-francs consécutifs pour la gagne. L’homme qui n’a pas supporté la pression. Celui qui a ruiné les chances des siens. Dès lors, s’il y en a bien un qui peut s’opposer à Jacques Chirac, lorsqu’il énonçait qu’un homme ne pouvait pas se définir en une demi-minute, c’est bien Nick Anderson.
“Aujourd’hui encore, on ne me parle que de ça. J’ai eu du mal à accepter les critiques, car il s’agissait d’une série au meilleur des 7 matchs […]. Après cette Finale, j’ai commencé à croire que je ne savais plus shooter du tout […]. Je ne veux plus laisser une action de jeu résumer ma carrière entière”.
Le déclin était toutefois entamé, à 27 ans. Alors qu’Orlando s’inclina en finale de conférence face aux Bulls l’année suivante, Anderson se liquéfiait dès qu’il se rendait sur la ligne des lancers-francs, en témoigne son 40,4 % de réussite en 1997. Le départ de Shaquille O’Neal pour Los Angeles cette année-là, puis les blessures de Penny Hardaway la saison suivante mirent un terme définitif aux rêves du Magic.
Goodbye Blue Sky
Ce blocage psychologique mina la suite de la carrière de Nick Anderson. Entre 1996 et 2002, il disputa 276 rencontres de saison régulière, pour 40,4 % de réussite au tir, dont 34 % à trois-points et 56,7 % aux lancers. Pire, si l’on ne tient compte que de ses 4 dernières saisons, ces pourcentages s’aggravent encore, pour terminer avec un taux de réussite au tir de 25 % lors du nouveau siècle.
Le début de saison 1997 – 1998 symbolisa cela. Après 30 matchs, Anderson inscrivait 6,3 points de moyenne et ne convertissait que 30 % de ses lancers. D’ailleurs, il n’en tirait plus que 0,8 par soir, signe qu’il rechignait désormais à attaquer le cercle. Le symbole, c’est également celui de sa renaissance au cours de la seconde partie de la saison. Grâce à Chuck Daly, nouvel entraîneur de la franchise, Anderson retrouva tout. La confiance, le jeu, la hargne, la gagne. Sur les 35 dernières rencontres de la saison régulière, terminée sans qualification en playoffs, l’arrière tournait à 22,2 points, 6,5 rebonds, 2,7 passes décisives et 2 interceptions de moyenne, à 68 % aux lancers. Ce n’était pas Byzance, mais cela ressemblait enfin à nouveau à du basketball.
À l’intersaison 1999, la franchise décida de se séparer du joueur, qui avait passé 10 années en son sein. C’est là la fin de la plus belle période du Orlando Magic (avec la campagne 2009). Nick Anderson fut envoyé à Sacramento, où il joua une saison et demi, avant de se blesser. Il termina sa carrière en 2002, avec 15 rencontres disputées à Memphis, dans l’anonymat le plus total.
La place au box-office du Magic
Dans cette série qu’est le Magnéto, nous avons parfois évoqué certaines légendes mésestimées du jeu. Nick Anderson n’en fait pas partie. Talentueux et adoubé par Jordan, il n’en demeure pas moins qu’il n’était pas suffisamment doué pour mener sa propre franchise. Par contre, il est de ces joueurs qui apportent à une équipe ambitieuse ce qui pouvait lui manquer : de la défense, du tir, du leadership.
Il ne faut donc pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Dans l’Histoire du Orlando Magic, rares sont ceux qui peuvent prétendre à avoir laissé une trace aussi positive que celle d’Anderson.
Tout ceci fait de lui, à notre sens, le 5ème meilleur joueur du Orlando Magic, derrière, dans l’ordre que vous souhaitez, les quatre monstres que furent Shaquille O’Neal, Penny Hardaway, Tracy McGrady et Dwight Howard. Pourtant, de cela, nous n’en parlons jamais. De ses 50 points en sortie de banc non plus, d’ailleurs. Comme si les 13 années de carrière d’un joueur pouvait être résumées par 30 secondes tragiques.
Dans l’imaginaire collectif, à l’instar de Pompéi, au sein de laquelle Pink Floyd réalisa un concert live de toute beauté, Nick Anderson n’est jamais rené de ses cendres. Crying song.