Les promesses avaient été nombreuses lors de l’arrivée de D’angelo Russell en 2019-2020. Fraîchement débarqué de Golden State pour rejoindre son pote, Karl-Anthony Towns, le meneur n’avait pas perdu son temps pour braquer le cœur des fans, devenant immédiatement ce créateur balle en main qui avait tant fait défaut à la franchise. Combattif, il ne faisait nul doute qu’il était là pour enfin faire les beaux jours de la franchise, et c’est avec beaucoup d’attentes et d’espoirs qu’il fut accueilli par la celle-ci.
Alors que ce bref échantillon avait ouvert la voie de l’amélioration, la saison suivante fut pourtant celle de la désespérance : blessures, grabuge interne, coach éjecté. Le duo longtemps promis avec KAT n’eut pas réellement lieu. Les Wolves sombrent collectivement, et dans ce naufrage D-Lo retrouve certaines de ses mauvaises habitudes, au rang desquelles, une défense voguant entre douteuse et absente.
Il faut dire qu’il n’était pas facile de rester de marbre dans les méandres de cette saison : 25eme attaque, 28eme défense, 30 matchs manqués chacun pour Towns et Russell, 35 pour Malik Beasley, et des performances indignes du talent des deux premiers.
Pourtant, les traits d’une nouvelle ère se dessinent pour les Wolves, fin de saison passée, avec l’arrivée de Chris Finch. Une occasion que Minnesota semble bel et bien en train de concrétiser avec notamment, un D-Lo incontournable pierre à l’édifice de ce succès.
D-Lo, un défenseur, enfin ?
Depuis son arrivée en NBA, D-Lo n’a pas fait résonner son nom pour sa défense. Joueur au talent indéniable, mais en proie à une immaturité et une nonchalance exaspérantes, ce dernier à longtemps été perçu comme un élément, qui, même caché en défense, pouvait toujours coûter cher aux siens.
Profil type du joueur qu’une équipe à la quête du switch cherche à mettre face à ses meilleurs attaquants, ce dernier a dû faire sa place dans la ligue en pariant plutôt son talent offensif.
Parfois plus impliqué, il pouvait à l’occasion présenter les minimums requis pour ne pas être un véritable trou. Toutefois, jamais au cours de sa carrière il n’a pu prétendre à un impact neutre vis-à-vis des moyennes de la ligue. Le RAPTOR, l’une des métriques calculant la production d’un joueur par rapport aux moyennes de la ligue, en attaque et en défense, en est certaine. Jamais il n’a réussi à être un défenseur ne serait-ce que moyen.
Enfin, tout du moins, avant cette saison.
S’il a réussi, c’est aussi qu’il a embrassé une volonté collective. Avant la saison, Chris Finch avait été clair. L’essentiel de la concentration de l’équipe durant le training camp avait été basé sur la défense. Le constat était simple : avec le talent à disposition, ces Wolves finiraient par trouver leur rythme en attaque. En revanche, défensivement, les travaux étaient conséquents tant nombre d’individualités semblaient peu investies dans cet aspect du jeu.
Et cela a fonctionné, puisqu’après des années à zoner dans les bas fonds défensifs de la ligue, Minnesota est désormais la 12eme défense NBA. Et mieux encore, l’exécrable défenseur qu’a pu être D-Lo fait partie des joueurs qui bonifient cette défense !
Comment expliquer ce changement ?
On pourrait dire qu’une première clé est la volonté. Ce qu’on appelle “hustle” en NBA, est forcément une pierre indispensable quand on parle de défense. L’énergie dépensée, l’envie de gêner l’adversaire, de ne pas céder de terrain, de ne pas tenter des paris trop culottés en espérant des interceptions. Un mix de divers éléments : concentration, patience, détermination, et intelligence donc. Pourtant, on voit régulièrement des joueurs plein d’énergie s’avérer être d’assez piètres défenseurs, même parmi ceux disposant de qualités athlétiques supérieures à celles de D-Lo. On pourrait, dans cette catégorie, mentionner son coéquipier, Malik Beasley, qui a toujours peiné à canaliser son jeu en défense.
Mais est-ce uniquement de l’envie ?
Non, c’est aussi un véritable travail effectué par le joueur. Car nous le verrons, réussir en défense, c’est aussi observer et apprendre les mouvements adverses. Et justement, voici quelque chose dans lequel Russell excelle cette saison : faire ses devoirs.
D’angelo Russell, aiguilleur de la défense.
D-Lo n’est pas devenu du jour au lendemain un grand défenseur. Loin s’en faut. Une partie du crédit revient sûrement à Chris Finch, qui a compris que la meilleure manière d’utiliser son meneur… c’était d’utiliser sa vision de jeu, quitte à l’éloigner parfois des porteurs de balle.
Plutôt donc que de lui demander de gagner en mobilité latérale, le staff des Wolves demande à son joueur de rôder dans la raquette. La franchise demande à des joueurs plus mobiles (comme Edwards, McDaniels ou Vanderbilt) de se charger des meilleurs scoreurs extérieurs adverses.
Cela vous rappelle-t-il des choses ? James Harden à Houston par exemple, oui. Les Rockets avaient utilisé l’arrière comme un intérieur pour éviter qu’il se fasse déborder trop souvent par les porteurs de ballon.
Sauf que dans ce rôle… Russell est devenu un véritable aiguilleur défensif. De fait, vous allez plus souvent le trouver dans ce type de position… :
Cela lui permet de se tenir prêt à l’interception, mais surtout de guider ses coéquipiers. Finch & son staff ont décidé de faire de Russell le général de la défense, sans qu’il en soit un de ses meilleurs éléments. Le pari est simple : utiliser son QI Basket et en faire une arme collective.
Alors pourquoi cette séquence ? Parce que nous sommes dans le schéma parfait de ce qui est mentionné précédemment, et qu’elle prend réellement son sens si vous vous concentrez… sur la voix des joueurs. Les Wolves font une zone, et envoient à l’abordage des ball handlers : Edwards, Reid & Vanderbilt. Le meneur, lui, est en retrait. Si vous mettez le son, vous entendez la voix d’un joueur toute la séquence. En 3 temps, il va :
- Prévenir qu’il est présent au poste bas “I’m low, I’m low”
- Signifier de rester sur le meneur, pendant qu’il se positionne sur la ligne de passe vers Valanciunas
- Crier immédiatement à Edwards de lâcher son joueur pour aller contester le tir de Temple
Beaucoup plus vocal, on dirait que le joueur a emporté de Golden State et de Draymond Green certaines habitudes. Lorsque Finch le pousse à mettre cette expérience au profit de sa nouvelle équipe, cela permet de tirer le meilleur de joueurs plus athlétiques que lui en les guidant. Cette utilisation, très importante à prendre en compte, permet de donner une vision plus complète de l’influence globale de D-Lo.
Pour aller un peu loin, voici une séquence de jeu proposée par les Nuggets. Aaron Gordon vient feindre un écran pour Jokic, pendant que l’arrière (Rivers, ici), va venir prendre un écran posé par l’intérieur pour s’ouvrir un espace dans le corner. Sauf que Denver utilise la vision et les timings de passe de Jokic pour s’ouvrir plusieurs possibles. Parmi lesquels, une coupe de Gordon dans une raquette grande ouverte. L’action :
Quelques semaines plus tard, les Wolves retrouvent Denver. Et la même action est lancée : Barton dans le rôle de Rivers. Il lâche sa passe, pendant qu’elle arrive à Jokic, Gordon vient feindre de poser un écran, et pendant ce temps, Barton fonce vers son corner. Sauf que D-Lo reconnaît le système, lâche immédiatement l’arrière pour couper l’accès à la raquette à Gordon, et hurle à Edwards de contester le tir dans le corner. Dans le fond, vous me direz, “oui mais Barton gagne bien un tir ouvert dans le corner“. En effet, mais on peut être sûr que si Denver retente ce système plus tard, cette fois, Edwards pourra lui aussi réagir une demi seconde plus tôt et offrir un bon contest. En outre, mieux vaut un tir à 3 points de Barton qu’un dunk de Gordon.
Un défenseur plus complet, plus impliqué.
De plus, plus la saison avance, et plus il semble clair que même sur le plan individuel, Russell progresse. Et ce qui ne se voyait autrefois pas nécessairement dans les statistiques, commence même à devenir incontestable :
Rapide explication des statistiques :
- DFGA : Correspond au nombre de tirs pris directement sur le joueur
- DFG% : Pourcentage autorisé sur ces tirs pris en face à face
- DIFF% : Différentiel entre le pourcentage au tir moyen des joueurs qui ont tiré face au joueur Vs le DFG%
Le DFGA n’est pas réellement un indicateur du niveau défensif d’un joueur. Bien sûr, un joueur médiocre défensivement va être davantage ciblé par les attaquants adverses. Mais dans le même temps, les équipes en défense tentent de cacher ces défenseurs plus faibles. Donc il est plus révélateur, pour un joueur comme Russell, de l’inventivité des coachs et de l’énergie déployée par ses coéquipiers à le protéger, que de son implication en défense sur une saison. En revanche, les deux autres éléments sont importants. On se rend compte que toute sa carrière, le joueur a été un atout à attaquer en 1 contre 1, parce que ses opposants tirent mieux face à lui que leurs moyennes de saison. Néanmoins, on voit que dans une équipe plus fonctionnelle des Nets (et l’année précédent son nouveau contrat, pour les mauvaises langues), il a été plutôt décent.
À l’inverse, il a été particulièrement exposé lors de son arrivée aux Wolves (absence de plan collectif et donc 15,3 tirs tentés par match face à lui !), quand lui se montrait visiblement très peu dissuasif.
Mais surtout, l’événement, c’est que pour la première fois de sa carrière, dans une équipe qui s’est décidée à défendre, il passe du côté positif de la défense individuelle : -1,6 de DIFF% ! Qu’est-ce que cela signifie ? Que l’impression visuelle “il se fait moins facilement dépasser, il a de meilleurs appuis, il est plus impliqué” se vérifie. En d’autres termes, les joueurs adverses tirent moins bien qu’habituellement quand c’est D-Lo qui défend sur eux.
Or, cette progression ne se vérifie pas que dans le pourcentage autorisé à ses adversaires, ou dans sa volonté d’être la tour de contrôle en défense. Le joueur réussit également à mettre ces deux améliorations à profit pour être de ceux qui concrétisent les efforts défensifs de leurs coéquipiers. Pour l’illustrer, je vous propose ce clip très synthétique de @GuillaumeBInfos.
Ici par exemple, le joueur se trouve côté faible. Ses coéquipiers réussissent de manière efficace à limiter toute ouverture de tir à Anfernee Simmons et Norman Powell.
D-Lo rôde entre Damian Lillard et Robert Covington, tous deux positionnés pour maximiser le spacing de leur équipe. Même s’il n’est pas directement impliqué dans l’action, Russell reste aux aguets, et réalise la bonne lecture pour couper la ligne de passe vers Lillard, et réaliser l’interception.
S’il n’avait pas réussi cet effort, le bon travail pour couper toute opportunité de 3pts et de tir dans la raquette à Powell aurait pu être sanctionné par un tir ouvert dans l’autre corner. Or, posséder un joueur capable de couvrir avec efficacité le côté faible et de faire les bonnes lectures peut réellement changer une défense. C’était notamment ce qui faisait le succès des Spurs version Kawhi Leonard au milieu des 2010s. Sans faire de comparaison malencontreuse, avoir un profil capable de récompenser ses coéquipiers en dissuadant des passes, voire en volant des ballons, facilite grandement le travail d’une défense.
Bref, D’angelo Russell semble bel et bien être devenu un défenseur plus qu’honorable.
… En attendant l’explosion en attaque ?
Depuis son arrivée en NBA, D’angelo Russell a connu des critiques du public et des observateurs et parfois des soufflantes de ses coéquipiers. Toutefois, si le joueur a pu être remis en question, jamais ce ne fut pour autant une remise en cause de son talent offensif. Or de ses années aux Lakers, aux Nets, voire aux Warriors, pour des raisons d’effectifs ou de blessures, jamais D-Lo n’a semblé entouré de joueurs aussi forts offensivement.
En réalité, depuis plusieurs années, le talent offensif n’a jamais été le fond du problème des Wolves. Mais la défense et la cohérence globale de construction des rosters ont miné le talent à disposition. Or, avec l’arrivée de D-Lo, les choses semblaient enfin prêtes à s’accélérer : en devenant le meneur qui avait tant fait défaut à la franchise depuis bien 5 ans, on se disait que les chiffres du joueur allaient également décoller.
Je m’explique : si une chose est claire, c’est que le joueur est la personne la plus créative et sûre balle en main que la franchise a possédé depuis Celui-Dont-On-Ne-Doit-Pas-Prononcer-Le-Nom. Toutefois, si l’auto-proclamé “Ice In My Veins” est devenu une indubitable valeur pour la franchise, son efficacité elle, peine à crever les plafonds.
Qu’on s’accorde.
Avec des joueurs comme Anthony Edwards et Karl-Anthony Towns à ses côtés, il n’est en rien dérangeant de voir le volume de scoring d’un joueur s’abaisser. En revanche, ne pas le voir profiter des talents autour pour améliorer ses pourcentages est plus décevant.
Malgré quelques cartons, le meneur a connu des soirées très délicates cette saison. Notamment à longue distance :
- 1-11 à 3pts contre Dallas
- 1-12 contre Washington
- 1-10 contre les Suns
- 1-7 contre Sacramento
Le souci, ce n’est pas vraiment que cela puisse arriver. Même Stephen Curry connaît des soirées compliquées avec son tir. Non, c’est plutôt que malgré les menaces autour de lui, il n’est qu’à :
- 41,3% au tir
- 35,8% à 3pts
- Dans le 63eme percentile aux points par tirs pris, malgré son statut de talent offensif
Mais comment l’expliquer ?
En réalité, le problème est toujours le même pour D-Lo. Tout d’abord, il est loin d’être un shooteur d’élite à longue distance. S’il a connu quelques saisons au-dessus de la moyenne de la ligue (36.6% environ), et ce malgré de gros volumes, il en possède également tout autant en deçà. Mais d’autres zones permettent aux joueurs de compenser quand l’adresse de loin est en berne. Et c’est là que le bas blesse, Russell n’est ni friand, ni particulièrement bon dans celles qui rapportent le plus. Explication en image :
Ce graphique montre la répartition des tirs de D-Lo, mais aussi combien un tir du joueur rapporte dans cette zone. Enfin, la couleur compare son efficacité au reste de la ligue. Les deux zones qui rapportent le plus sont : la raquette, les zones très proches du panier, et les tirs à 3pts. Or, on se rend compte que non seulement il va très peu finir près du cercle, mais qu’en prime, il n’est pas dans des efficacités qui permettent de sous-entendre qu’il est particulièrement bon dans ces dernières.
Évidemment, cela peut s’expliquer : finir au cercle demande des changements de vitesse ou des qualités athlétiques permettant de se frotter aux intérieurs. Sans dire que Russell ne les possède pas, ce n’est pas les éléments qui reviennent le plus naturellement lorsqu’on pense à lui.
Pour autant, en dépit de ces éléments, que voit-on ? Le PPS (points par tirs pris, en somme) reste beaucoup plus favorable au joueur lorsqu’il se rapproche du panier (1,24pts par tirs pris).
Pourtant, les zones que le joueur préfère sont celles qui nécessitent de s’appuyer sur son tir (mi-distance & 3pts). Qu’il artille de loin n’est pas un problème, à mi-distance non plus en soi. Le souci, c’est que malgré la répétition de cet exercice, il n’est ni un esthète du premier, ni du second. Contrairement à d’autres joueurs (Devin Booker, DeMar DeRozan, Chris Paul…) qui vivent de la zone considérée comme “moins rentable” qu’est la mi-distance, Russell n’est pas particulièrement dangereux dans ces zones.
Pourtant, la réussite de D-Lo est cruciale pour son équipe.
D-Lo, clé du succès ?
D’angelo n’est pas le genre de personne à prendre peur pour une mauvaise série de tirs. C’est d’une certaine manière une excellente chose pour un élément majeur de son schéma offensif. A fortiori quand sa créativité lui permet d’être dangereux dans de nombreuses circonstances en attaque. Il peut à la fois créer pour des opportunités pour les autres mais aussi ses propres tirs.
Toutefois, le problème historique du joueur reste le même en attaque : sa sélection de tirs. Prendre des pull-up en transition, choisir des tirs rapides alors que ses intérieurs ne sont pas au rebond, abuser de zones dans lesquelles il n’est pas particulièrement performant, sont autant de défauts qu’il traîne depuis ses jeunes années. Et l’un des combats de Chris Finch cette saison, c’est de pousser le joueur à dégainer les soirs où il est particulièrement en verve, et à se poser quand la balle a plus de mal à trouver le chemin des filets.
Le constat est pourtant simple, quand Russell franchit la barre des 20 points :
- Les Wolves affichent 70% de victoires
En revanche, quand Russell prend 18 tirs ou plus par match :
- Les Wolves affichent seulement 35,7% de victoires
Ce qui signifie que son efficacité prime sur son volume.
Au point de penser que pour lui et son équipe, l’enjeu n’est pas d’avoir un Russell qui prend tout en main, mais plutôt qu’il fasse un effort pour épurer son jeu et réellement devenir un meneur. D’autant que comme mentionné plus tôt, Russell est un véritable playmaker, capable d’offrir d’excellentes positions à ses coéquipiers, et de trouver des angles de passes particulièrement difficiles :
Dans une équipe où se côtoient des talents offensifs majeurs (Towns, Edwards), et des joueurs plus limités offensivement (McDaniels, Vando, Beverley, Okogie…), sa force de création et sa faculté à trouver ses coéquipiers dans des positions avantageuses est d’autant plus clé pour les Timberwolves. À vrai dire, elle me semble fondamentalement plus importante que sa propre habileté à marquer.
Autrement dit, les enjeux pour Chris Finch et son joueur pourraient être les suivants :
- Discipliner sa sélection de tir
- Le guider petit à petit vers un rôle de meneur de jeu plus classique
- Le voir comme un difference maker et faire appel à son scoring quand son équipe est plus à la peine / quand il est particulièrement adroit
- Continuer de le pousser à s’engager défensivement
Malgré une adresse un tantinet décevante cette saison, D’angelo Russell réalise clairement son exercice le plus mature. Et si ce succès de Minnesota est porté par une myriade de causes, il ne fait nul doute que non seulement le meneur a joué un rôle important dans ce développement, mais qu’en prime, il est une véritable clé pour faire de cette équipe un poil à gratter de la conférence Ouest.
Sources :
How on earth the wolves are a top 10 defense