Il va sans dire que le début de saison des Nuggets soulève un paquet de questions.
Alors que la franchise espérait travailler en attendant le retour de Jamal Murray, victime d’une rupture des ligaments croisés, le plan a rapidement connu quelques accrocs. Les choses ont très mal commencé, avec un Michael Porter Jr méconnaissable, avant de se blesser au dos. Tout juste auréolé d’un contrat en or massif, on apprend que l’ailier va devoir subir une troisième opération du dos à seulement 22 ans. Mais puisqu’une tuile n’arrive jamais seule, c’est au tour de PJ Dozier, élément majeur de la défense et de la rotation des Nuggets, d’y aller de sa blessure longue durée : rupture des ligaments croisés. Ainsi, entre absences ponctuelles et absences longues durées, la franchise commence sa saison de la pire des manières, luttant pour se maintenir dans la course aux Playoffs.
Pourtant, dans le même temps, un homme continue d’assurer le service et le spectacle : Nikola Jokic. Le MVP 2021 réalise un début de saison tonitruant, prouvant qu’il en avait peut-être même gardé sous le coude, en vue des années à venir. À tel point que la question se pose : à l’instar de Stephen Curry en 2016, Nikola Jokic serait-il en train de faire mieux au sortir de son titre de MVP ?
Toujours plus efficace ?
Jamais aucun pivot n’a à ce point été une triple menace : un joueur capable de scorer, dribbler, passer. Cette faculté à tout faire, à l’instar d’un extérieur, a fait de sa saison passée un must-see. Plus souvent comparé à un ailier (Larry Bird), qu’à n’importe quel autre pivot dans l’histoire du jeu, le serbe est donc capable de sanctionner de n’importe quelle façon. Nécessairement, il fait partie de ces joueurs qui bénéficient de la qualité des options offensives autour de lui. Passeur exceptionnel, plus le danger qui l’entoure est grand, plus cela lui libère offensivement des espaces.
Malheureusement, les multiples absences, dont les deux principales options offensives autour de lui, obligent le pivot à s’adapter. Un constat qui devrait légitimer une chute de sa production. Pourtant, sur ce début de saison, alors que certains joueurs se cherchent encore afin de s’adapter aux nouvelles règles d’arbitrage, le MVP en titre réussit l’exploit d’améliorer sa production globale. À quel point ?
En ce début de saison, si on met de côté une chute importante aux lancers francs, et très légère à longue distance, Nikola Jokic est meilleur que la saison passée au pourcentage global (FG), à 2pts, et à l’efficacité globale (eFG). Si le joueur apparaissait déjà comme un problème insoluble la saison passée, plus le pivot prend en âge, et plus il semble capable de rentrer des tirs compliqués quand la situation l’impose. Il est donc fréquent de le voir rentrer des tirs contestés. L’an dernier, Nikola Jokic avait franchi un cap : le joueur autrefois trop altruiste semblait avoir compris qu’il devait prendre un nombre plus important de tirs pour aider son équipe (et pas uniquement en Playoffs). Puisque personne dans son équipe ne peut scorer avec une efficacité équivalente à la sienne, il s’agissait de prendre les tirs les plus compliqués, à l’image de ce shoot alors que la possession arrive à expiration.
De plus en plus à l’aise au scoring, vous l’aurez néanmoins compris, c’est dans la raquette que le joueur a considérablement amélioré ses performances. Plus mince, et donc plus mobile, sa perte de poids n’a par ailleurs pas amputé sa faculté à finir au poste. Autrement dit, Nikola Jokic fait plus de dégâts, et nécessite chaque saison davantage d’attention lorsqu’il se rapproche du cercle. En chiffres, qu’est-ce que ça donne ?
- En 2020-21 : il prenait 30% de ses tirs dans la raquette, et scorait en moyenne 1,41pts par tirs pris dans cette zone.
- En 2021-22 : il prend 36,6% de ses tirs dans la raquette, et score en moyenne 1,52pts par tirs pris dans cette zone.
Son hook-shot est d’autant plus létal, et sa panoplie offensive, sans forcément s’étoffer, devient de plus en plus précise. Ainsi, entre sa mobilité supérieure et sa faculté de finition toujours en hausse, il n’est pas rare de le voir dominer même face aux meilleurs pivots de la ligue en défense. Que ce soit en bataillant dans la raquette :
Ou en faisant appel à son tir à mi-distance :
Une présence toujours All-Around, une vision toujours unique
Alors qu’il réalise ses pires chiffres en carrière aux lancers francs, et qu’il en tire autant que l’an dernier, on peut même espérer voir Nikola Jokic continuer sa progression au scoring. Et ce alors que dans les autres compartiments, le joueur continue de carburer. D’une part, parce qu’il n’a jamais été aussi présent au rebond pour son équipe : avec 14,8 prises par match, il n’a jamais atteint de tels volumes, et ce malgré un temps de jeu globalement plus bas que les saisons précédentes (blessures, expulsions).
Quant à sa vision du jeu, s’il est difficile de dire que Nikola Jokic est à un niveau différent de ce que l’on connaît déjà de lui, le joueur est toujours aussi impressionnant pour manipuler les défenses. Que ce soit en jouant de sa gravité, comme ici, où, jouant des aides défensives, il est capable de trouver le coéquipier esseulé sans le regarder (lui offrant tout le temps de dégainer) :
Par ailleurs, sa faculté à connaître le positionnement de ses coéquipiers sans jamais les regarder continue de prendre les défenses au dépourvu. Par exemple, ici, Dozier dans le corner opposé paraît “hors-jeu”, alors que toute l’action semble se dérouler côté fort. Pourtant, le pivot va littéralement renverser le jeu par une passe à l’aveugle :
Et évidemment, quand Jokic est porteur du ballon, ne jamais se focaliser uniquement sur l’évidence. Oui, la coupe de Rivers vers le corner et l’écran potentiel de Jeff Green est un problème qu’il est nécessaire d’adresser. Cela ne doit pour autant pas vous détourner des autres mouvements. Ici, c’est la feinte d’écran de Gordon qui repart vers le cercle… et une passe parfaite du serbe. Lancers francs.
Le nombre de possibilités offertes par la présence de Jokic est donc toujours aussi immense. Et de fait, il est naturellement très compliqué de trouver comment défendre sur ce dernier. Pour autant, s’il y a un compartiment dans lequel l’impact du joueur est spectaculaire cette saison, c’est là où on l’a moins souvent attendu… En défense !
Nikola Jokic, le dernier rempart
Vous vous souvenez ? Fut un temps, la défense de Nikola Jokic était montrée du doigt. Un mauvais défenseur, nous pouvions lire à tout bout de champ ; trop lent, trop lourd, trop emprunté. Comment monter une défense avec un pivot aussi peu athlétique ? Alors il a fallu y aller à grand renfort de statistiques et de séquences vidéos pour prouver que Nikola Jokic était un défenseur plutôt correct. À l’impact positif même. On était pas sur du Dikembe Mutombo, mais sa science du placement, son excellent footwork, et des mains extrêmement rapides lui permettaient d’être en réalité un défenseur positif pour son équipe. Surtout lorsqu’il est associé à des joueurs capables de combler ses lacunes, et un à système lui convenant. Évidemment, il ne fallait pas compter sur lui pour faire preuve de verticalité, de “rim protection“.
On a donc vu les Nuggets jouer un hedge très agressif pour empêcher de le cibler. Et alors qu’il semblait d’autant plus à l’aise pour lire les attaquants adverses, l’équipe est revenue à du plus classique permettant au joueur d’éviter une débauche d’énergie, retournant à du drop.
Mais si le joueur montrait de véritables progrès saison après saison, ces derniers furent noyés l’an passé dans un début de saison cataclysmique de son équipe de ce côté du terrain. Avec un départ inattendu de Jerami Grant, la titularisation de Michael Porter Jr, un Paul Millsap irrémédiablement sur le déclin, et une multiplication des blessures et absences (Gary Harris, Jamal Murray notamment), les Nuggets n’arrivaient pas à produire un rempart un minimum décent. De fait, voir Nikola Jokic figurer comme les joueurs les plus impactants de la ligue en défense ce début de saison a tout de quelque chose de troublant, n’est-ce pas ?
Non seulement, sa présence est incontournable, mais en prime, l’équipe prend complètement l’eau quand il n’est pas sur le terrain pour jouer la tour de contrôle. Et ça, messieurs dames, c’est bien quelque chose de nouveau.
Surprenant n’est-ce pas ? Pourtant les chiffres sont catégoriques :
- 99eme percentile on/off défensif chez les pivots (1er)
- +6,1 de on/off au RAPTOR défensif (seuls Evan Mobley et Giannis Antetokoumpo font mieux chez les intérieurs titulaires)
- +4,6 au DBPM (Defensive Box Plus/Minus, 1er)
Dépeindre une défense n’est pour autant jamais évident. On peut par exemple montrer des moments clés : des contres par exemple, chez les pivots. Pour Jokic, on serait tentés de fait de choisir celui-ci.
La vérité, c’est que ce contre n’est pas vraiment caractéristique du joueur ; tout du moins pas si on prend l’action de contrer comme le centre de cette séquence. Si en revanche on parle de l’aide sur Gordon, du choix de ne pas se jeter sur celui-ci, de sa maîtrise de l’espace et de ses bonnes mains pour contrer sans faire faute, alors on se rapproche un peu plus de la vérité.
Doté d’une excellente motricité, de mains très rapides, Jokic n’est pas athlétique au sens les plus courants (vitesse, latéralité, verticalité). Toutefois, les dons qu’il possède dans sa gestion de l’espace et sa réactivité, en font un athlète de haut niveau. Or, ceci couplé à une science du jeu qui a peu d’égal dans la ligue, Jokic apporte énormément à ses coéquipiers. Si des ailiers comme Aaron Gordon ou Jeff Green sont d’excellents compléments, Jokic est le cerveau qui permet à cette synergie de fonctionner. Oui, ces ailiers sont de bons défenseurs, mais sans le serbe, leur présence ne suffit pas à faire des Nuggets une bonne équipe :
Savoir quand se présenter face à l’adversaire, quand sauter, quand réagir ou savoir quand rester pieds au sol fait de Jokic une véritable arme. Maître des déviations et des interceptions, le serbe rend la défense des Nuggets viable.
Or, cette faculté à toucher des ballons, à faire sentir sa présence au porteur de balle, permet à Denver de perturber les schémas offensifs adverses, mais également de voler des ballons qui vont nourrir l’équipe en transition. Et puisque la perte de poids lancée il y a 2 ans permet à Jokic de se mouvoir plus facilement, elle peut également donner ce genre de contre-attaques… assez improbable de la part d’un pivot.
Mais alors, l’impact global de Jokic, cette saison, c’est quoi ?
Toujours plus indispensable ?
Difficile lorsqu’on est MVP de présenter son CV à sa propre succession. Les fans et les votants cherchent le prochain élu. Quand en prime son équipe n’est pas au niveau attendu, on peut rapidement vous mettre de côté. Pourtant, le pivot réalise une nouvelle saison historique. Et ce ne sont pas les métriques d’évaluation de performances globales qui vont me contredire.
À quel point ?
Pour commencer, sonBPM (Box Plus/minus), qui calcule le nombre de points générés par un joueur pour 100 possessions, au-dessus de la moyenne de la ligue est bluffant. Avec 14,6, Jokic a actuellement la première marque de l’histoire de la ligue. S’il maintient ce rythme, il serait 5,4 points au-dessus du record historique de Michael Jordan de 9,2. Et pour cause, pour Denver c’est le jour et la nuit quand le leader est hors des parquets. En début de saison, l’équipe affronte le Jazz ; les Nuggets sont en tête quand Jokic reçoit un contact au genou, et est obligé de sortir. Son équipe se fait balayer par Utah. Depuis le joueur a manqué 5 matchs : un bilan de 1 victoire pour 4 défaites. Défaites concédées par un écart moyen de 14 points.
Comme si cela ne suffisait pas, cette tendance est présente depuis le début de saison chaque fois que le serbe retourne s’asseoir. À quel point ? Je vous laisse juger :
Au point où son équipe met 12,9pts de plus avec lui, et en encaisse 18,6 de moins. Évidemment, ce constat est exacerbé par les absences de Murray, Porter Jr, Will Barton, PJ Dozier, ou à moindre mesure Austin Rivers, mais également par les piètres performances du banc des Nuggets. Mais alors que la course au MVP débute, et que Nikola Jokic est actuellement devancé dans de nombreux classements par ses concurrents, voici une mise en perspective. Alors oui, son impact est probablement magnifié par le fait que ses coéquipiers ne produisent rien offensivement sans lui. Puisqu’ils souffrent en attaque, ils s’exposent à beaucoup plus de transitions. Leurs galères offensives creuse leur tombe en défense, augmentant l’importance du serbe de ce côté du terrain.
Toutefois, si Jokic équivaut à un +31,5pts, où se trouvent les autres franchise player ?
- Giannis Antetokoumpo : +20,5 !
- Stephen Curry : +15,1 !
- Kevin Durant : +12,8 !
Autrement dit, eux non plus ne sont pas en reste, même s’ils restent sur des cadences moindres. Évidemment, ces statistiques sont à mettre dans un contexte, dans la qualité globale d’un roster et son actualité. Toujours est-il que l’équipe de Jokic n’a jamais semblé aussi dépendante de lui. En son absence, elle a plongé et continue de traverser de longs et terribles passages à vide ; l’attaque perd brutalement le cœur de sa création et sa faculté à scorer avec efficacité. Tout ceci aboutissant généralement sur des périodes extrêmement stériles (Mike Malone ayant également sa part de responsabilité dans le manque de créativité). Quant à la défense, souvent pointée comme un énorme point faible du pivot, il en est devenu de façon difficilement entendable… sa condition sine qua non.
De quoi affirmer que Nikola Jokic n’a jamais été aussi fort ? En tout cas, sur la petite vingtaine de matchs disputés en ce début de saison… c’est indubitable.