L’idée de reconstruire son effectif n’est pas une chose nouvelle en NBA, tant il s’agit d’une ligue fondée sur des cycles de succès plus ou moins importants et des cycles de disette. Dès lors, quand le fond est atteint ou que le plafond n’est finalement pas aussi haut que prévu, la tentation de renouveler en profondeur son effectif et de tout recommencer à zéro, ou presque, est grande. Cela nous mène à la notion de reconstruction.
Tout d’abord… penchons sur ce que n’est pas une reconstruction : ce n’est pas une construction d’équipe, car pour reconstruire il faut déjà avoir construit auparavant et avoir atteint une forme de plafond. C’est donc pour cela que nous exclurons les Wolves et les Kings de cet article.
La reconstruction est processus et nous ne parlerons ici que des équipes qui sont encore en chemin, ce qui exclut celles qui sont arrivées à terme (Bucks, Suns), celles qui ont déjà de trop grands accomplissements collectifs et / ou individuels pour parler encore de reconstruction (Mavs, Hawks), ainsi que celles en transition entre deux ères (Celtics et Raptors).
Une reconstruction a une limite temporelle. Cela n’a pas de sens de reconstruire pendant six ou sept ans. Pour garder une limite, nous prendrons les équipes qui se reconstruisent depuis, au plus loin, la saison 2018-2019. Cela inclut les Spurs et les Cavaliers, mais pas de la même façon, et nous reparlerons des deux équipes un peu plus bas, puisqu’elles ont perdu leur joueur majeur de la deuxième partie de la décennie précédente au même moment : à l’intersaison 2018, avec LeBron dans l’Ohio et Kawhi Leonard dans le Texas.
Enfin, une (re)construction en récupérant des stars par trade ou à la Free Agency, aussi méthode aussi appelée le « privilège des gros marchés », c’est un modèle différent de ce que nous voudrions développer dans cet article : Heat, Bulls, Lakers, Knicks, Nets et autres Clippers ont récupéré une ou plusieurs de leurs trois options principales par un trade ou par la FA, ce qui est évidemment plus simple pour rebâtir une équipe compétitive. Avec ces franchises, nous sommes moins sur un processus à long terme et une reconstruction à l’huile de coude. Ce point m’amène aux deux seuls contre-exemples : celui des Pelicans et du Thunder : ils ont certes récupéré leur 2e et leur 1e option, respectivement Brandon Ingram et Shai Gilgeous-Alexander, via un trade, mais ils n’ont pas impulsé cette décision et y ont perdu leur claire première option (Anthony Davis en Louisiane, et Paul George pour OKC).
Outre les contenders évidents que nous n’avons pas encore cités (Jazz, Warriors), en dehors des équipes tout simplement pas concernées par cette notion de reconstruction (Blazers, Nuggets, Sixers, Wizards) et celle qui y pense sans avoir encore franchi le pas (Pacers), nous nous retrouvons avec neuf franchises, classées en deux colonnes : celles qui visent la prochaine draft, c’est-à-dire les Rockets, le Magic, les Pistons et le Thunder ; celles qui espèrent une qualification en play-offs, soit les Hornets, les Grizzlies et les Pelicans ; ainsi que le duo de franchises entre les deux objectifs, draft et postseason, c’est-à-dire les Cavaliers et les Spurs. Tour d’horizon. Avant une phase de réflexion et les enseignements à tirer de ces différentes processus de reconstruction.
Les franchises qui visent la prochaine draft
Les Rockets
Avec un bilan pour l’heure médiocre, malgré un sursaut fin novembre, les Rockets sont sur les bases d’une saison galère. Coach inexpérimenté, des vétérans trop rares et peu concernés, une avalanche de rookies et de jeunes (Green, Sengun, Porter Jr, Garuba, Christopher) sans guides ni repères, voilà toutes les raisons qui expliquent le décollage délicat de la fusée texane. Dans l’absolu, il n’y a rien de dramatique. Toutefois, on ne progresse pas ou pas assez dans la médiocrité. C’est ici que le bât blesse et que les questions se posent, même s’il convient de laisser du temps à cette jeune troupe. Justement, avec six victoires de suite et en l’absence de Jalen Green, à l’heure où ces lignes sont écrites, Houston commence à trouver la bonne formule.
Les Rockets n’ont pas choisi cette reconstruction ; elle leur a été imposée par le départ forcé de Russell Westbrook puis de James Harden, tant et si bien que le modèle choisi a été le suivant : perdre, mais essayer de se battre, en espérant obtenir de hauts choix de draft. Ce qui a fonctionné l’an passé, lors de la saison 2020-2021, avec des défaites décentes et encourageantes, pour récupérer le 2e choix de la draft. Marqué au fer rouge par les exploits de Warriors de la décennie passée, encore plus que n’importe quelle autre franchise de la Ligue, Houston a reproduit ce schéma et a placé ses deux meilleures billes dans son backcourt, avec Jalen Green et Kevin Porter Jr. Un choix osé et finalement pas si courant que ça, pour le meilleur comme pour le pire.
Le Thunder
OKC est un cas d’école de volonté de reconstruction par l’accumulation de picks de draft. La franchise de l’Oklahoma vise en quantité, pour espérer récupérer les futurs joueurs qui feront partie de leur projet. Le processus de reconstruction, lancé officieusement après le départ du duo Westbrook/George en 2019 puis officiellement à la suite du départ de Chris Paul en 2020, s’est articulé autour d’une pièce qui, ironie du sort, n’a pas été drafté par le Thunder : leur guard Shai Gilgeous-Alexander, qui évolue déjà à un niveau de All-Star, avec un leadership de vétéran, récupéré en contrepartie du transfert de Paul George.
Autour de lui, c’est flou : Maledon, Dort, Pokusevski, Bazley, difficile à ce stade d’affirmer avec certitude quels éléments feront réellement partie du projet. Cette année, il est clair que l’ambition du Thunder n’est pas de gagner trop de matchs. L’an passé, même en tradant Chris Paul, il aurait pu avoir un 5 : Rubio, Shai, Oubre Jr, Dort et Horford, capable de lutter à minima pour le play-in, mais ce n’était pas l’objectif. Le but était de récupérer Cade Cunningham. Échec, à cause d’une loterie farceuse et douloureuse. Bonjour Josh Giddey, un joueur sensiblement du même profil, auquel le front office croit beaucoup sur le long terme, pour former un nouveau backcourt de grande taille.
Le Magic
« Vous êtes un groupe de bons mecs. Mais pendant un match, vous ne pouvez pas être gentils. Vous devez être une bande de salauds ». José Mourinho x Orlando Magic, c’était inattendu. Si l’entraineur portugais ne s’adressait pas à l’effectif floridien lorsqu’il a prononcé ces mots, les bons mecs du Magic (Vucevic, Gordon et Fournier en tête) avaient atteint leur plafond à la suite des deux gentlemen’s sweep de 2019 puis 2020, et il était temps d’appuyer sur le bouton rouge sous peine de s’enliser. Chose faite à la deadline dernière, lors de laquelle les trois figures majeures du projet ont été transférées. Nous nous retrouvons désormais avec un effectif jeune et talentueux (Isaac, Fultz, Suggs, Hampton, Anthony, Wagner, etc.), piloté par un coach rookie, Jamahl Mosley, avec des idées de jeu claires.
Pour l’heure, difficile de ressortir une pierre angulaire majeure du projet Orlando. La future star. Cela passera par le développement interne (un Cole Anthony qui tourne déjà à près de 20 points par match, un Jonathan Isaac enfin en état d’enchainer sur les parquets, etc.) et/ou par les prochains choix de draft. Les bases sont posées, elles sont saines et, comme souvent au pays de Mickey, on prend le temps de construire sereinement.
Les Pistons
Après une tentative de twin towers Griffin-Drummond dépourvue de réels succès collectifs (au mieux un sweep contre les Bucks au premier tour des play-offs 2019), la franchise a enclenché un cycle de reconstruction en 2020, d’abord en se séparant de ses anciens leaders, puis en récupérant des jeunes (Bey, Hayes, Doumbouya), avec une réussite que l’on qualifierait poliment de mitigée. Il est tout de même question de réussite, puisque cela leur aura permis de récupérer le 1er choix de la draft 2021. Contrairement au Magic, les Pistons ont déjà normalement leur future star, en la personne de Cade Cunningham. Ce qu’ils ont moins, à l’heure actuelle, ce sont les joueurs pour l’entourer dans le projet et le coach adéquat.
Si la reconstruction n’en est encore qu’à ses balbutiements, elle a déjà connu quelques couacs. Tout d’abord, l’abandon de l’intriguant projet Sékou Doumbouya, au bout de seulement deux saisons. C’est un pick si précieux en sortie de loterie de gaspillé pour la franchise de Motor City. Le deuxième, c’est la draft de Killian Hayes en 8e position, avant celle de Cade Cunningham la saison d’après. Entendons-le, ces choix s’entendent au moment des faits, mais l’on se retrouve à l’arrivée avec deux joueurs qui évoluent sur le même poste, avec une concurrence à armes peu égales. Ils pourraient peut-être évoluer ensemble à l’avenir, mais ce n’est pas gagné. À l’arrivée, hormis Cade Cunningham, et dans une moindre mesure Saddiq Bey, aucun élément des Pistons n’est certain de faire partie du projet reconstruction. Le troisième problème vient du coach, Dwayne Casey, qui ne semble pas être l’homme de la situation pour cette reconstruction. Le processus, comme prévu, prendra du temps.
Les franchises entre rêve de play-in et haut choix de draft
Les Cavaliers
Officiellement en reconstruction depuis le départ de qui vous savez, la franchise de l’Ohio a vu son processus s’accélérer cet été avec l’acquisition d’Evan Mobley. Véritable ancre défensive, le rookie améliore indéniablement le plancher de son équipe. Quand Mobley joue, les Cavs ont un bilan de 13-7. Quand il n’est pas là ? 0-4. La saison passée, les Cavaliers étaient la 25e défense NBA. En cet exercice 2021-2022, après un quart de saison, ils sont la 3e défense de la ligue. Game changer. Une arrivée salvatrice pour une projet qui avait du mal à décoller depuis trois ans, malgré un effectif talentueux et des choix de draft osés : Sexton en 2018, Garland et Kevin Porter Jr en 2019, Okoro en 2020, tout en s’étant immiscé dans le trade d’Harden pour récupérer Jarrett Allen.
Il aura fallu attendre l’année 4 du projet de reconstruction pour obtenir ce qui semble être leur future franchise player. En attendant, les Cavs ont longtemps tâtonné et réalisé des paris. Vouloir associer Sexton et Garland dans le backcourt n’était pas l’idée du siècle, à cause surtout du trou béant que cela faisait en défense, mais voir Cleveland tenter cette association, alors qu’elle a été en confrontation directe avec les splash brothers lors de quatre Finales de suite, cela ne surprend personne. Hélas, le résultat ressemblait davantage à du « Portland du pauvre » qu’à la réussite baguée de la baie d’Oakland. Garland ou Sexton, pourquoi pas, avec une préférence pour le premier, mais les associer n’est pas viable. Les dirigeants ont d’ailleurs commencé à se questionner sur le projet Sexton. Le talent est aussi indéniable que ses qualités de scoreur sont prononcées, comme l’était celui de Kevin Porter Jr, mais là aussi pour des raisons de fit (d’ordre sportif ici), il pourrait quitter le navire. Ensuite, le pari Okoro prend également du plomb dans l’aile, à cause de son incapacité à développer un jeu offensif de niveau NBA (shoot, handle, création, etc.). La draft de Mobley, déjà bien meilleur défenseur qu’Okoro, ce qui est pourtant sa qualité première, rend celle de l’ailier assez inutile. Des petits ratés qui n’entachent pas le fait que les Cavs ont développé un axe clé de leur reconstruction, avec celui 1-4-5. Une base prometteuse.
Les Spurs
Après trois saisons de transition post-Kawhi, les Spurs ont cet été ouvert la porte à leur reconstruction avec les départs de DeRozan et Patty Mills, après celui un peu plus tôt dans la saison d’Aldridge. Une page s’est tournée. Les jeunes prennent doucement le pouvoir (Dejounte Murray et Keldon Johnson en tête, mais aussi Walker, Vassell ou Derrick White) et un nouveau cycle s’enclenche.
Comme à Orlando, difficile en l’état de dégager un clair numéro 1 et une réelle hiérarchie. Ni même encore les postes à réellement pourvoir (Arrière ? Ailier-fort ? Pivot ?). Si la star n’est pas encore présente, alors elle sera peut-être attendue via la draft (Paolo Banchero ? Chet Holmgren ? Victor Wembanyama ? Autres ?), avec le risque que le meilleur talent disponible se trouve sur des postes déjà bien chargés. L’autre chantier à San Antonio, c’est celui du coach. Gregg Popovich n’incarne pas vraiment l’avenir et à la gagne dans le sang. Idéal pour insuffler la bonne mentalité aux jeunes, ce qui est toujours positif, moins pour récupérer de hauts choix de draft. La franchise texane devra réussir son passage de flambeau au coaching pour accomplir pleinement sa reconstruction. Il y a toujours des étapes clés dans un rebuilt et celle-ci en fera clairement partie.
Les franchises qui lorgnent sur les play-offs
Les Hornets
Le projet Kemba Walker n’ayant pas mené plus loin qu’un 1er tour des play-offs en 2016, les Hornets ont acté leur reconstruction au départ de leur meneur star en 2019. Après une saison de transition, un 3e choix de draft obtenu, qui s’est transformé en LaMelo Ball, un meneur aussi spectaculaire qu’il est efficace dans la création pour lui-même comme pour ses coéquipiers, l’équipe de Caroline du Nord s’est trouvé un franchise player en devenir, qu’elle a entouré de jeunes joueurs à bon potentiel (Miles Bridges, PJ Washington, etc.) et d’éléments expérimentés à toutes les lignes (Oubre Jr, Hayward, Rozier, Plumlee).
Il s’agit ici d’une reconstruction express, sur un modèle similaire à celui des Hawks de Trae Young, réalisée en deux années et presque déjà entièrement achevée. Masterclass. Le temps, le vécu collectif et la progression naturelle de LaMelo Ball sont des éléments qui pourraient permettre de retrouver les play-offs, et pas forcément en tant que faire-valoir.
Les Grizzlies
Voilà encore d’excellents élèves. Les Grizzlies ont repris une formule simple, mais efficace : reconstruire avec un initiateur en première option (Ja Morant) et un intérieur en deuxième option (Jaren Jackson Jr). Un parallèle que l’on peut pousser avec le Jazz, et sa paire Mitchell-Gobert, d’autant plus qu’à l’instar de la franchise de Utah, c’est le lieutenant qui a été drafté avant la star. Dans cette situation, le projet ne démarre vraiment qu’à l’arrivée de l’initiateur de haut calibre, capable d’impulser la création pour lui-même et pour ses coéquipiers, ce qui améliore d’emblée le plancher de la franchise. Et le plafond des Grizzlies dépendra de la progression de Ja Morant. La franchise du Tennessee dispose d’une denrée finalement peu commune en NBA et un avantage certain dans un processus de reconstruction, c’est une profondeur de joueurs à même de s’insérer dans l’ADN de l’équipe et de sublimer le collectif : Desmond Bane, Dillon Brooks, De’Anthony Melton ou encore Xavier Tillman, tous sont capables de prendre feu un soir et d’être le troisième homme aux côtés du duo de jeunes stars.
Bien sûr, ce n’est pas encore parfait, et cette question du plafond réel du groupe se posera, mais l’équipe et les individualités sont en progrès constant. Personne n’a de doutes sur les capacités de Ja Morant à être à terme la première option d’une franchise qui passe des tours de play-offs. Memphis est à une dernière draft ou à un vétéran près d’avoir achevé son processus de reconstruction.
Les Pelicans
Les Pelicans, qui ont lancé leur reconstruction l’année où les Grizzlies ont récupéré leur pièce fondatrice, font face plusieurs problèmes. Certains sont conjoncturels, d’autres sont plutôt structurels et plus embêtants. Le premier, c’est leur alpha et leur oméga, c’est-à-dire Zion Williamson : monstre physique, dominant quand il est en forme, mais souvent blessé et / ou hors de forme à cause de son hygiène de vie et son physique trop massif. Cette franchise devra vivre et mourir au gré des humeurs et des performances de Zion. Toujours performant sur le terrain, le colosse devra réussir à terme à être un leader par l’exemple et emporter l’adhésion de ses coéquipiers. C’est par exemple ce qu’est parvenu à faire son rival de cuvée, Ja Morant.
Le second problème concerne le front office de la Nouvelle-Orléans. Ne pas vouloir payer Lonzo Ball est un immense problème qui met un coup au projet, car la franchise n’a plus de meneur de solide niveau NBA : avec Graham, Satoransky, Kira Lewis et Alexander-Walker, ils ont des combos, des slashers, de jeunes promesses, des meneurs back-up, mais plus aucun meneur type référencé en NBA. Les Pelicans pensent ne pas en avoir besoin, mais cela semble faux. Il avait une première bascule à effectuer dans leur reconstruction, ils n’ont pas su la réaliser.
Le modèle choisi, du moins fantasmé, c’est de reproduire le schéma des Bucks : faire de Zion Williamson le porteur de balle numéro 1, à même de pouvoir pénétrer dans les défenses adverses et ainsi de se créer son propre tir ; une 2de option qui est un ailier scoreur ; ainsi que des joueurs de devoir, des 3 & D solides, aux autres postes. Le hic, c’est que Zion réalise jusqu’alors environ autant de turnovers que de passes décisives et qu’il ne dispose encore pas des qualités requises pour être l’initiateur de son équipe. Il semblerait plus logique d’utiliser Zion en dernier maillon de la chaine, celui qui clôture les actions, car c’est là ou ses capacités et sa puissance font des ravages (27 points de moyenne pour lui la saison dernière, avec 62 % de réussite au tir sur ses shoots à deux points, des chiffres colossaux pour un sophomore). Le profil de Zion le rapproche beaucoup plus d’un Shaquille O’Neal que d’un Giannis Antetokounmpo. Le projet Pelicans est bien loin d’être un échec, mais les bonnes questions doivent être posées à tous les étages de la franchise, sous peine d’un immense gâchis.
Quels enseignements pouvons-nous en retirer ?
L’importance de la star en tant qu’initiateur
Le premier des enseignements que nous pouvons tirer, c’est que le joueur majeur d’une franchise en reconstruction, si tant est que celui-ci ait émergé, a davantage de facilités à faire briller le collectif lorsqu’il est le porteur de balle principal. Si le meilleur joueur de l’équipe est celui qui tient la gonfle, cela offre plus de situations possibles : se créer son propre tir, utiliser au mieux son talent de playmaker pour servir des coéquipiers. À l’arrivée, cela crée de l’incertitude pour les défenses adverses et fait augmenter le plancher collectif de la franchise.
C’est ce que l’on a vu récemment avec l’émergence des Mavs de Luka Doncic, des Hawks de Trae Young, qui pourraient être imités au niveau des résultats collectifs par les Grizzlies de Ja Morant ou les Hornets de LaMelo Ball, voire à plus long terme des Pistons de Cade Cunningham. Avoir un meneur en première option et en tant que porteur de balle numéro 1 permet généralement d’accélérer le processus de reconstruction, puisqu’il entraine dans son sillage l’ensemble du collectif et bonifie une grande majorité de ses coéquipiers.
Dans le cas où le joueur majeur de la reconstruction n’est pas le porteur de balle principal, alors il doit mener par l’exemple et disposer d’un solide playmaker pour l’approvisionner en bons ballons. Ce type de processus prend plus de temps, car ce franchise player en devenir n’est qu’un maillon du système et non celui qui impulse les systèmes. Il devient ainsi dépendant du niveau de ses coéquipiers et n’est que peu en mesure de les sublimer. Il peut s’en sortir sur son talent intrinsèque ou à coups d’exploits individuels, mais les résultats collectifs viennent souvent bien après. C’est notamment l’un des problèmes actuels avec le cas Zion qui, s’il ne parvient pas à développer des qualités d’initiateur, aura désespérément besoin de son « Chris Paul », c’est-à-dire son meneur gestionnaire et playmaker.
Ce point est surtout valable pour les profils intérieurs, qui sont dépendants de leur écosystème (sauf Jokic ou Giannis, qui ne sont pas des intérieurs classiques) et le niveau importe peu : Embiid, top 3 des pivots de la ligue, a lui besoin d’un initiateur référencé pour briller collectivement (Butler, Simmons), sinon cela ne donne rien (sweep notamment au 1er tour dans la bulle) ; Anthony Davis, talent pourtant phénoménal lors de ces années Pelicans, a dû attendre d’avoir un playmaker élite en la personne de LeBron James pour passer des tours de play-offs, etc… Il n’y a pas de raisons que Zion Williamson échappe à la règle.
Quand nous parlions de mener par l’exemple, à défaut d’avoir les qualités pour porter la gonfle la majeure partie du temps, c’est axer les efforts sur le leadership, sur la défense (Evan Mobley par exemple) ou être une forte menace au scoring (Anthony Edwards notamment) ; en somme appuyer sur ses qualités propres, celles qui l’ont rendu ultra dominant dans son domaine, et avoir toujours l’attitude parfaite. En effet, être un franchise player ne s’improvise pas, cela s’apprend et ça va bien plus loin que les simples limites des parquets : c’est l’emblème d’une franchise, voire d’une ville ou d’un État. Ce n’est pas rien en ce qui concerne les responsabilités. D’où l’importance de donner l’exemple.
Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier
Le deuxième grand enseignement, c’est qu’une équipe en transition ou en reconstruction a plutôt intérêt de répartir ses forces et ses faiblesses au niveau des postes, et ainsi éviter d’avoir ses meilleurs éléments dans les mêmes zones du terrain. Pourquoi ? Outre le risque réel qu’ils se marchent dessus, mais finalement peu présent, c’est surtout que cela offre une faiblesse béante dans les zones restantes du parquet, qui deviennent des cibles sur lesquels attaquer. Lorsque cette situation survient dans les jeunes projets, ce qui peut arriver car les franchises avec des hauts picks draftent souvent davantage au talent qu’au fit, cela peut donner cela : si les deux meilleurs joueurs sont sur le backcourt, l’équipe attaque bien, mais défend mal, voire très mal (exemple des Cavs de Garland et Sexton des deux années précédentes) ; si les deux meilleurs joueurs jouent sur l’un des postes de forward, il peut y avoir des problèmes à la création, donc pour attaquer (les Pelicans de cette année par exemple).
Autant un modèle de twin tower dominant n’existe pas dans la NBA moderne (hormis des flashs de AD et Cousins en 2017-2018, il n’y a rien depuis Duncan et Robinson du début des années 2000), autant la volonté de créer un backcourt surpuissant est à la mode depuis les exploits des Warriors de la décennie 2010, ce qui prouve que cela peut fonctionner. Il s’agit toutefois d’une association viable sous deux conditions : que l’un des deux puisse davantage jouer off-ball ; que l’un des deux ait un profil plus défensif ou que leur troisième option soit un spécialiste de la défense (Draymond Green). Garland et Sexton, comme auparavant Lillard et McCollum, étaient et sont toujours des défenseurs avec des fortes limitations. L’association ne paraît donc pas être viable. Ainsi, à voir ce que donnera Green-Porter Jr aux Rockets, Giddey-Alexander au Thunder, voire Cunningham-Hayes. Pour autant, ce n’est pas d’emblée une mauvaise idée, puisque l’on n’a jamais assez de bons ball-handler dans une équipe et augmenter le niveau guard play permet à terme de rehausser le plafond de la franchise. Hélas, avant de peut-être significativement progresser, il faut généralement passer par un lot de défaites.
Le fonctionnement plus classique Initiateur créateur – Intérieur dominant en défense et / ou en attaque, avec diverses possibilités offensives (pick and roll, pick and pop, écrans, lignes de pénétration, etc.) et une assise plancher en défense, a fait ses preuves pour les projets récents de reconstructions : Trae Young-John Collins, Mitchell-Gobert, Booker-Ayton, Doncic-Porzingis, etc. Cela a d’ailleurs été repris avec un certain espoir par les Grizzlies (Morant-Jaren Jackson Jr), les Hornets (la connexion Ball et Bridges) ou encore les Cavaliers (Garland-Mobley). Même si l’on a tendance à l’occulter, les fondamentaux, souvent, ils fonctionnent.
Trouver ce fragile équilibre
Le troisième et dernier enseignement majeur concerne la tactique pure et le coaching. Un projet de reconstruction n’est pas une décision banale à confier à n’importe qui. Le coach doit établir une philosophie en adéquation avec le projet. C’est-à-dire ? D’abord trouver l’équilibre entre les joueurs à développer et les vétérans pour les entourer : trop de jeunes sur le terrain, c’est l’avalanche de défaites, comme le Thunder de la saison dernière ; trop de joueurs établis ou vétérans en même temps, c’est un non-sens dans une optique de reconstruction, car cela ne fait pas progresser les jeunes et cela fait perdre du temps à tout le monde. Cet équilibre, si fragile, n’est ni facile à appréhender ni à obtenir. Laisser les rookies à l’abandon, surtout des hauts choix de draft, n’est pas un bon calcul : ils sont généralement habitués à être des stars depuis leur enfance et il leur est difficile d’encaisser mentalement de perdre trois soirs sur quatre et d’être impuissants.
Aux Rockets comme au Thunder de l’an passé, la politique est la course au first pick, quitte à faire exprès de ne pas mettre ses meilleurs éléments sur le terrain : John Wall dans le Texas, et Shai Gilgeous-Alexander et Al Horford dans l’Oklahoma. Un choix compréhensible, mais discutable, tant l’apport d’un vétéran peut s’avérer bénéfique pour le développement des jeunes pousses. À l’inverse, un vétéran peut avoir un impact statistique positif, mais tout de même un impact négatif pour un projet de reconstruction et le développement des jeunes. Par exemple, voir Jerami Grant monopoliser la gonfle et croquer dans tous les sens, ce n’est pas l’idéal d’un point de vue collectif, tant bien même qu’il est le clair meilleur joueur actuel des Pistons. Au Thunder, équipe avec l’effectif le le plus jeune de la ligue (22,7 ans de moyenne d’âge), l’absence de vétérans se fait lui cruellement ressentir pour planter les tirs importants dans les nombreuses défaites frustrantes de cette saison, ou bien pour remobiliser les troupes après un mauvais quart-temps : faute d’électrochoc collectif, une jeune équipe peut parfois sombrer totalement un soir, en atteste leur défaite all-time face aux Grizzlies, sur le score de 152 à 79.
Nous devons ensuite différencier les projets qui ont déjà une tête d’affiche établie des autres. Reconstruire sans récupérer un top 3 ou un top 4 de draft, c’est souvent plus compliqué. Ces dernières années, les Spurs et le Magic sont passés par ce chemin. Dès lors, comment faire ? S’en sortir par le jeu et miser sur le collectif, avec San Antonio qui est actuellement la 2e équipe de la ligue en nombre de passes décisives par rencontre, juste derrière les Warriors, tandis que le Magic développe un jeu agréable et a cinq joueurs dans ses rangs à au moins dix points par match, ce qui montre que le scoring est bien réparti. Quand il n’y a pas de star, ou pas encore, c’est finalement le collectif qui prend ce rôle.
Pour les projets avec un clair numéro 1 en l’état ou en devenir, toutes les conditions doivent être réunies pour que celui-ci puisse progresser. LaMelo Ball a par exemple commencé sa carrière NBA en sortie de banc, le temps de s’habituer au rythme et au niveau de jeu de la grande ligue, puis il a été rapidement installé en tant que titulaire, avec des joueurs solides et référencés à ses côtés (Hayward et Rozier en tête), ainsi qu’un style de jeu porté sur la transition qui lui permet de faire briller ses partenaires comme Miles Bridges et de jouer sur ses forces. L’équilibre global a été trouvé : jeunes/vétérans, star/coach/style de jeu. Un terreau fertile qui devrait appeler des progrès et des résultats collectifs à moyen terme. L’exemple des Hornets est criant, mais il n’est pas le seul ; les Grizzlies ont pris le même chemin, et bien d’autres franchises peu avant eux, comme les Hawks ou Mavs.
Les problèmes surviennent lorsque le coach ne parvient pas à placer sa star dans les meilleures conditions. On peut citer l’exemple de Dwayne Casey et Detroit par exemple ; Cade Cunningham joue trop off-ball et son usage rate paraît bien trop faible, tandis que la gonfle se retrouve souvent dans les mains du très peu générationnel Cory Joseph. Le numéro 1 de la dernière draft aurait besoin de meilleurs profils à ses côtés, c’est-à-dire idéalement : un arrière scoreur, des 3 & D dans les ailes (Saddiq Bey, s’il parvient à être fiable au tir, peut remplir ce rôle, et un pivot bon défenseur et partenaire de pick and roll). Initiateur comme ses pairs Morant, Ball, Doncic et Trae Young, le jeune rookie des Pistons n’est pour l’instant pas dans le cadre parfait pour exceller. Tant qu’il ne sera pas mis dans les meilleures conditions, ce qui commence peu à peu à être le cas, difficile de réellement progresser d’un point de vue individuel et surtout collectif.
Ces soucis peuvent être présents aussi lorsque le coach échoue à trouver le bon équilibre collectif, avec par exemple Silas aux Rockets, même s’il y a du mieux ces derniers temps, ou bien les différents coachs des Pelicans, entre 2019 et aujourd’hui. À Cleveland, après des années de tergiversations, l’équilibre est proche : la présence d’un vétéran comme Rubio fait du bien à l’ensemble du groupe, et l’on est à un développement offensif de Okoro près de franchir un vrai cap.
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Une reconstruction n’est pas une affaire de quelques semaines, cela prend du temps. Nous avons tendance à l’oublier, puisque tout va toujours très vite en NBA, deux ans ou trois ans semblent être une éternité, mais c’est bien souvent le temps nécessaire pour réussir à impulser un nouveau projet, le conduire dans la direction espérée et que le développement des jeunes commence réellement à porter ses fruits. Une reconstruction réussie, c’est la combinaison de plusieurs facteurs à toutes les échelles de la franchise qui, mis bout à bout, permettent de poser les pierres dans la bonne direction et de croire en la possibilité d’un avenir couronné d’accomplissements collectifs.