Vice-championne d’Europe et médaillée olympique avec l’équipe de France féminine, Marine Johannès, le petite pépite du basket français, s’est confiée sur cet été riche en émotions. Entre déceptions, doutes, et joie intense, nous retraçons avec elle les moments-clés de cette campagne estivale de 2021. L’arrière des bleues, désormais plus connue sous le surnom de “MJ 23” – et oui, il va falloir s’y faire Mike – offre un entretien exclusif pour QiBasket !
Alors Marine, commençons par le Championnat d’Europe. Les Bleues ont connu des débuts très solides, notamment avec trois larges victoires à plus de 20 points d’écart, comment se sentait le groupe France avant d’attaquer les phases finales ?
C’est un parcours qui nous met dans de bonnes conditions, c’est sûr. On joue un bon basket sur le début de la compétition, on maîtrise ce qu’on se fait et c’est sûr qu’avec ces victoires “faciles”, on se sent bien au moment d’attaquer ces phases finales.
Victoire face à la Bosnie, puis la Biélorussie et vous voilà propulsées en finale. À ce moment-là, c’est l’or ou rien ?
Oui c’est clair que pour nous l’unique but c’est de décrocher l’or à ce moment là. On a aussi toutes à cœur de montrer que l’on a passé un cap, et qu’on peut aussi réussir nos matchs aux moments les plus importants, contrairement à ce que l’on peut lire un peu partout. Mais la suite, on la connaît…
Comment tu expliques cette défaite face à la Serbie ? La France maîtrisait son basket aussi bien offensivement que défensivement sur toute la compétition. Après un début de match poussif on a cru que vous pouviez vous ressaisir mais le déclic n’a jamais eu lieu. Qu’est-ce qu’il vous a manqué pour renverser le match ?
“Elles nous sont rentrées dedans !”
En fait les Serbes ont été plus agressives que nous, dès le début du match elles nous sont rentrées dedans. On ne s’attendait pas forcément à faire face à un tel engagement. Ce qui nous a manqué sur le moment, c’est la capacité à s’adapter au défi physique que les serbes ont imposé. À vrai dire, c’était frustrant de ne pas être capable d’y répondre.
Comme tu l’as dis le véritable objectif c’était l’or. Comment le groupe a vécu cette défaite ? Et comment personnellement tu l’as vécue ?
Je vais pas mentir, ça a été très dur. Après le match, on était toutes et tous très déçus évidemment, mais il ne faut pas s’arrêter à ça. C’est vrai qu’après l’Euro on a eu une coupure d’une petite semaine, tout le monde a pu retourner chez soi. Moi je suis retournée dans ma famille, j’ai pu me ressourcer, surtout mentalement plus que physiquement, car c’était dur de s’en remettre, mais la petite coupure nous a fait du bien.
Sur le plan personnel tu termines cet Euro en 11,7pts/ 3,5reb/ 4,7ast. Est-ce que malgré la frustration collective sur le coup, tu es satisfaite de ta performance individuelle ?
Oui et non. Dans un sens, je pense que oui parce que j’ai l’impression d’avoir beaucoup progressé, notamment sur ma régularité, qui avait tendance à me faire défaut par le passé. Ça m’a permis d’apporter un plus à l’équipe et ça je l’ai ressenti dans mon jeu. Après je garde aussi en mémoire ce dernier match raté contre la Serbie et j’ai le sentiment d’être passée au travers, alors on ne peut pas vraiment dire que je sois satisfaite.
Suite à cette défaite le coaching de Valérie Garnier a été vivement critiqué, notamment avec ce choix assumé de jouer principalement avec deux “grandes”. Est-ce que ces sujets sont évoqués dans le vestiaire, ou vous mettez ça de côté ?
Pendant les compétitions généralement on évite de trop s’attarder sur les interviews, les réseaux ou les articles qui sortent, car on va peut-être lire du bon, mais surtout du négatif. Donc on fait abstraction de tout ça, pour être vraiment concentrées sur ce qu’on fait sur le terrain. Après, par rapport aux critiques tactiques, on tenait vraiment à faire ce qu’on avait mis en place tout au long du Championnat d’Europe et qui marchait bien. Peut-être que ça nous a fait défaut, parce qu’on a été bloquées par les Serbes, qui nous ont énormément mis en difficulté. On voulait vraiment faire ce qu’on savait faire, malheureusement le résultat final n’était pas celui espéré.
Place aux Jeux Olympiques désormais ! Entrée en matière manquée contre le pays hôte, le Japon, comment vous ressortez de ce match ?
“Un nouveau coup dur”
On savait que c’était le match peut-être le plus important pour nous. Avec les USA et le Nigéria dans notre groupe après, c’était pas évident. C’est clair que pour nous ça a été un nouveau coup dur, on voulait réussir ce match et on a été dépassées par le jeu très particulier des japonaises.
À ce sujet, on a pu entendre des justifications douteuses sur cette première défaite, parlant notamment d’un manque “d’habitude face au basket asiatique” pour reprendre les termes employés. Quelles sont les vraies raisons de cette défaite selon toi ?
C’est sûr, comme je l’ai dit, elles ont un jeu très atypique, ça joue vite, ça met beaucoup de trois points mais ça ne fait pas tout. On a vu qu’elles se connaissaient très bien, elles savent qui est leur leader, elles ont d’excellentes joueuses, donc c’est au-delà du simple style de jeu. Elles ont été meilleures que nous, donc il ne faut pas s’arrêter à ça.
Est-ce que vous vous dites que vous pouvez ne pas vous qualifier après cela ? Car on sait qu’il y a les USA dans votre groupe… Quels sont les mots qui sont dits dans le vestiaire pour continuer d’y croire ?
Dès le lendemain on a eu une réunion, on a beaucoup discuté, on a revu les vidéos, on a vu nos erreurs et tout ce qu’il ne fallait pas refaire. Par rapport au groupe, on savait que le Nigéria n’avait perdu que de neuf points contre les USA : donc on s’est dit qu’on n’avait plus le droit à l’erreur et on avait besoin de cette victoire contre elles pour se rassurer et pouvoir se qualifier aussi.
Vous vous attendiez à être si poussivement qualifiées ? Et comment a été gérée la pression du résultat impératif de moins de 12 points contre les USA ?
En fait, on ne s’attendait pas à ce qu’il y ait de qualifiées en “meilleures troisièmes” dans ce groupe. Avec les équipes qu’il y avait, ça semblait inattendu de voir une équipe troisième se qualifier, mais on l’a fait ! De base, on ne pensait pas se qualifier comme ça, bien sûr on visait la première ou la deuxième place du groupe, mais sur le moment on prend quand même.
Quand le match commence, nous on veut le gagner. Bien sûr on surveillait le score, on y pensait toutes dans un coin de notre tête mais on n’a pas joué ce match pour le perdre de moins de 12 points. Heureusement d’ailleurs, parce que c’est aussi quelque chose qui peut t’empêcher de jouer correctement. On a vu bien souvent des équipes qui ne devaient pas perdre de plus d’une certaine limite de points, qui en oubliaient leur basket au final justement et qui passaient au travers. On voulait à tout prix éviter ça.
Place à l’Espagne en quarts. D’abord au nom de tous les fans du basket français : merci ! Ensuite : quel match ! La meilleure performance du tournoi pour toi avec 18pts, 5rebonds et 4 passes. Est-ce que le fait de jouer l’Espagne a doublé ta motivation pour montrer la voie sur ce match ?
Un quart de finale de Jeux Olympiques, c’est déjà suffisant comme motivation je pense non ? Après, bien sûr que jouer l’Espagne c’est toujours un petit plus mais la motivation des JO était déjà bien suffisante.
Pour la deuxième question, je te remets en contexte : 63-62 pour la France. Il reste 27 secondes à jouer, 3 secondes de possession. Tu as la balle en main. Tu drives, un timide « oh p*tain » résonne dans la tête de chaque spectateur devant son écran. Et tu assassines l’Espagne avec ce floater au buzzer. C’était ce que tu voulais faire ? Quelles émotions te traversent au moment où tu vois la balle rentrer ?
Pas du tout ! De base c’est Gabby qui a la balle qui fait un décalage, elle sert Sandrine dans le corner, qui me fait l’extra passe. Je voulais décaler puis faire un “stop-tir”, mais je sens la défenseuse sur moi qui va me prendre le bras, alors je pars au drive pour essayer de récupérer mon erreur… Et ça rentre donc on prend !
Évidemment sur le moment, c’est un panier important, mais on sait qu’il reste du temps. En face, c’est l’Espagne, elles vont rien lâcher jusqu’au bout, donc à vrai dire, je suis plus concentrée sur le temps qu’il reste à jouer que sur cette action.
Aux J.O de 2016 déjà, tu nous offres l’action de la compétition avec ce move “curry-esque”. En 2021, tu réitères avec cette action digne d’un LeBron James. Peux-tu nous dire ce que tu nous réserve pour les prochains Jeux à Paris ?
Alors ça, je sais pas… Déjà d’être prise dans le groupe, et puis ensuite d’être en bonne santé, je pense que c’est l’important ! Après on verra ce qu’on pourra faire.
A la suite de ce match face à l’Espagne, vous êtes en demies, à nouveau face au Japon. Cette fois, vous les connaissez. Mais à nouveau ça ne passe pas. Vous menez pourtant 22-14 à l’issue du premier quart, défense solide, attaque plutôt bien huilée. Puis vous prenez 27-12 dans le deuxième. Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
Encore une fois, je me répète, mais elles jouent super bien ensemble. Elles vont très vite, elles savent toujours à qui donner la balle, à quel moment. Et puis elles ont aussi trouvé comment nous bloquer défensivement, alors que pour nous c’était plus dur : quand tu prends des trois points à un mètre de la ligne à chaque fois, c’est plus compliqué à gérer. Mais on n’a pas non plus de regrets sur ce match, elles étaient meilleures que nous, donc elles méritaient de l’emporter. C’est moins difficile à avaler quand tu perds dans ces conditions.
Après cette défaite on imagine que la frustration est énorme, mais il y a toujours une médaille à prendre, c’est difficile de se replonger dedans ?
Après ce match on n’a pas perdu de vue notre objectif qu’était la médaille olympique. On s’est remises au travail, on s’est refait cette finale perdue contre la Serbie des centaines de fois dans notre tête. On avait à cœur de prendre cette revanche. On a su profiter du fait que la Serbie était en dessous physiquement, elles ont accumulé plus de fatigue aussi, elles avaient des rotations plus serrées que les nôtres : donc on a pu prendre les devants, et imposer notre rythme cette fois.
Vous vous imposez 91-76, notamment grâce à deux ficelles presque coup sur coup dans le moneytime pour passer à +12 puis à +15. Et ensuite, qu’est-ce qu’il se passe dans ta tête quand tu te rends compte que tu vas être médaillée olympique ? Quelle sensation cela procure ?
“Un sentiment exceptionnel”
On a joué à fond jusqu’à la fin, mais c’est vrai que quand Gabby met son trois points avec la planche, à ce moment-là, on se dit que la médaille peut plus nous échapper, c’est sûr.
C’est un sentiment exceptionnel, c’est génial, ça a tellement d’importance pour nous toutes, les JO c’est quelque chose à part. C’est LE rendez vous immanquable : obtenir cette médaille, avec le groupe avec lequel tu as vécu pendant trois mois, c’est vraiment un sentiment incroyable.
Quel moment tu retiens plus que tout autre sur cet été ?
Un seul moment ? La remise des médailles olympiques ! C’était un moment unique, surtout que l’on a dû attendre le lendemain pour recevoir nos médailles, après la grande finale entre le Japon et les USA. On arrivait pas à réaliser encore le fait d’être médaillée olympique. De se retrouver derrière ces deux équipes, sur le podium, de s’habiller spécialement pour aller récupérer sa médaille : c’est quelque chose d’inoubliable !
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Encore un énorme merci à Marine pour son temps précieux, et on se donne rendez-vous pour les prochaines échéances de nos Bleues, sans faute !