C'est quoi, "Un monde sans Roi" ?
Uchronie : nom féminin.
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- Reconstruction fictive de l’histoire, relatant les faits tels qu’ils auraient pu se produire.
C’est initialement là l’origine des What if. Faire découvrir des récits, centrés sur la NBA, relatant une histoire alternative de la Grande Ligue. Des destins qui basculent, des blessures qui s’effacent, des rivalités qui naissent, d’autres qui s’estompent. Et des mondes nouveaux qui s’écrivent. La NBA telle que nous la connaissons aujourd’hui est le résultat d’une multitude d’aléas. Elle est une expérience unique, qui aurait pu être tout autre si le cours d’un seul d’entre eux avait été altéré. Après s’être attaqué à Brandon Roy, à Drazen Petrovic, aux Sacramento Kings de 2002, à Yao Ming, Shaquille O’Neal, Michael Jordan et autres Magic Johnson, il était l’heure pour QiBasket de s’attaquer à une nouvelle légende, dans tous les sens du terme.
“Un monde sans Roi”, c’est l’histoire d’un monde parallèle, où vos repères NBA des 20 dernières années s’apprêtent à partir en fumée. Un monde que vous allez parcourir, de la fin des années 90 aux années 2010. Un monde où vous serez acteur, un peu, mais surtout, observateur, aux premières loges.
Pour l’occasion, c’est un nouveau format que l’on vous propose, avec non pas une sortie unique, mais une sortie en plusieurs volets. Chapitre par chapitre, vous découvrirez cette histoire unique, illustrée par les graphistes de talents qui nous entourent.
Suivez le guide :
- Préambule (publié le 1er août 2021)
Evidemment, un monde NBA sans LeBron James implique de nombreuses, très nombreuses choses. Pour mieux cerner les principaux enjeux de notre histoire, une division en plusieurs livres, plusieurs “ères” est nécessaire. Ce premier livre va se concentrer sur trois personnages phares de notre histoire : Carmelo Anthony, Dwayne Wade et Chris Bosh. Avec un LeBron James hors de course, leurs destins basculent inévitablement. De quelle manière, dans quelle organisation, et avec quel avenir ? Ca, on vous laisse le découvrir…
Nous voici en 2003, en plein New York. Quand bien même la hauteur des gratte-ciels vous donne le tournis, croyez-moi : il ne se passe rien d’intéressant là-haut. Regardez plutôt devant vous, et admirez.
La salle du Madison Square Garden, “la Mecque du basketball” comme on la surnomme, est juste de l’autre côté du trottoir, et vos yeux viennent soudainement de s’agrandir.
La grande messe annuelle de la draft NBA allait ouvrir ses portes, enfin. Après des semaines de test, d’entraînements privés, d’observations, de comparaisons, de rumeurs, d’appels, d’interviews, il était temps pour les jeunes joueurs incarnant le futur de la Grande Ligue d’y faire leur entrée. Quelques semaines plus tôt, la loterie de la draft avait rendu son verdict : Cleveland partait avec le premier choix, suivi de Detroit et Miami sur le podium, tandis que Denver et Toronto clôturaient le top 5.
Si l’excitation était palpable dans l’enceinte de la mythique salle new-yorkaise, du côté des joueurs, les sentiments différaient d’un visage à l’autre. Quand certains étaient assurés d’être sélectionnés à une place de premier rang, pour d’autres, c’était l’inconnue la plus totale. On distinguait d’un simple coup d’œil qui était anxieux, stressé, serein ou apaisé. Une palette d’émotions composait ainsi le Madison Square Garden. Un profond murmure chahuta subitement les travées de la salle : David Stern, le commissionnaire NBA, n’allait plus tarder à faire son entrée.
“Je sais que vous devez être impatient, mais ça ne vous dirait pas de remonter légèrement en arrière, d’à peine quelques semaines ?”. Votre visage en dit long sur les suites que vous comptez donner à mon invitation. Je sais, il est très tentant d’enfin se plonger à corps perdu dans l’aventure de cette draft 2003… Mais ne vaut-il pas mieux connaître un peu mieux ceux dont nous nous apprêtons à voir le sort scellé ?
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Jim Boeheim, l’illustre coach de Syracuse présent depuis 1963, ne voulait pas que cette semaine s’achève. Du haut de l’estrade, il regardait la foule de supporters, amassée devant lui et son équipe.
Cette ferveur populaire, il l’avait sentie monter peu à peu. La victoire en février contre Pittsburgh, alors en passe de devenir #1 du pays, devant près de 35.000 supporters de l’Orange Army, lui avait fait comprendre qu’enfin, peut-être, après des années d’attente, cette saison année pouvait être la bonne.
Après un Sweet Sixteen et un Elite Eight joués quasiment à domicile à Albany et deux énormes victoires lors du Final Four NCAA, sa prophétie s’était enfin réalisée : Syracuse remportait le premier titre universitaire de son histoire. Pour Boeheim, l’historique coach, le moment était des plus savoureux. Il regardait, comme un père fier de ses enfants, tous ses joueurs être acclamés par la foule en délire. Visiblement, plus longue était l’attente, plus savoureuse était la victoire. “Certains prétendent que la véritable joie est dans l’attente de son rêve, et non dans sa réalisation… Pauvres fous !”, les quelques mots qu’il avait prononcé quelques minutes auparavant avaient suffi à faire rugir la foule de plus belle, mais il s’était rapidement éclipsé, laissant la place à ceux qui le méritaient selon lui le plus.
Parmi les joueurs tout d’orange vêtus, qui défilait désormais un à un au micro, l’un d’eux était particulièrement sollicité. Qu’ils soient étudiants, professeurs, journalistes, ou extérieurs au campus, chaque supporter n’avait qu’un nom à la bouche : « Melo ! Melo ! Melo ! ». Un jeune homme d’à peine 20 ans fut, dans l’instant, propulsé sur le devant de la scène par ses coéquipiers, trop heureux de pouvoir célébrer l’un des leurs.
Carmelo Anthony était devenu, en une année seulement, une icône de Syracuse. Lui, qui avait grandi dans les quartiers sombres de Baltimore, avait été projeté en pleine lumière par la seule force de son talent. Son salut à la foule, timide mais sincère, électrisa un public qui n’attendait plus que ça pour verser définitivement dans l’ivresse. Aux premières loges pour assister cette scène marquante, coach Boeheim ne put réprimer un sourire en coin.
Il se rappelait la première fois qu’il avait rencontré le jeune Carmelo. Son assistant, Troy Weaver, l’avait forcé à se rendre à Baltimore avec lui pour le convaincre du talent de la pépite qui y couvait. Après quelques actions, Boeheim se rappelait s’être tourné vers Weaver et avoir dit à son assistant : « Pourquoi nous ne sommes venus le voir que maintenant ? ». Melo était un talent brut, une évidence, tout simplement.
Le coach avait instantanément senti que l’ailier, aussi jeune soit-il, pouvait être celui qui ferait de son équipe un réel prétendant au titre NCAA. Mais jamais il n’aurait pu imaginer à quel point Anthony allait éclabousser le paysage universitaire de toute sa classe, en seulement une seule saison. 22 points et 10 rebonds de moyenne plus tard – des statistiques rarement vues pour un joueur de première année, un freshman -, le terrain avait parlé, et Melo y avait mis tout le monde d’accord à son sujet.
Boeheim avait beau avoir vu son lot de joueurs tout au long de sa carrière, jamais il n’avait fait confiance à un joueur aussi tôt, comme il l’avait fait cette saison pour ce gamin de Baltimore. Et jamais il n’avait pris une aussi bonne décision que celle de lui confier les clés de son équipe.
En plus d’avoir brillé sur l’ensemble de la saison, permettant aux siens de clôturer l’exercice invaincus à domicile en 17 matchs, Carmelo avait répondu présent au meilleur des moments lors des phases finales. Contre Texas en demi-finale, il avait porté son équipe à bout de bras, scorant 33 points avec une facilité déconcertante, avant de marquer de son empreinte la finale contre Kansas, avec 20 points et 10 rebonds. Logiquement, il avait été nommé meilleur joueur du tournoi. Comme une évidence.
À voir jouer, Anthony était un joyau offensif qu’aucune défense universitaire ne réussissait à dompter. Chacun de ses gestes et mouvements étaient précis, soyeux, fluide, et exécuté avec un naturel déconcertant. Son shoot, son jeu d’appuis, ses feintes, ses changements de rythme, de direction, son jeu au poste, tout semblait déjà maîtrisé, et prêt à être employé à un niveau supérieur.
C’était aussi pour cela que Jim Boeheim savourait cet intense moment de célébration : il savait mieux que quiconque que l’appel de la NBA serait trop fort pour que son protégé y résiste, et qu’il serait stupide de tenter de l’en empêcher. Toujours un peu paternaliste, il espérait seulement que Carmelo Anthony tombe entre de bonnes mains.
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Son directeur de publication ne connaissait même pas l’existence de la petite ville de Vršac il y a de ça quelques semaines, ce qui avait rendu la validation du voyage d’autant plus fastidieuse. Pour être totalement honnête, Ford avait même un temps douté que son directeur connaisse l’existence de la Serbie. Quand tous ses collègues d’ESPN souhaitaient s’envoler pour Syracuse, Milwaukee ou Atlanta, Chad Ford avait fait des pieds et des mains pour pouvoir partir dans ce petit pays d’Europe.
Mais pour lui, se rendre là-bas avait été une nécessité. Il fallait qu’il y aille, pour le voir “en vrai”. Il connaissait son dossier par cœur, sur le bout des doigts. Là-bas, niché au cœur de sa Serbie natale l’attendait un gamin au talent colossal, qui – il en était sûr – avait le potentiel pour chambouler la hiérarchie NBA, ni plus ni moins. Darko Milicic, 17 ans à peine, était son joyau du bout du monde.
Tel un chercheur d’or, Chad Ford n’allait pas lâcher sa pépite, quand bien même en théorie voir un scout NBA se déplacer pour observer Milicic n’avait aucun sens.
A ce jour, celui-ci n’était en effet pas éligible à la draft 2003 pour une raison aussi simple que stupide : en fêtant ses 18 ans quelques jours avant la grande messe de juin, Darko Milicic ne respectait pas l’incompréhensible délai de 45 jours imposé par la NBA. 45 jours, soit le laps de temps qui devait, a minima, s’être écoulé entre le 18è anniversaire des prospects et le jour de l’événement. Éligible en 2004, Milicic devrait passer son tour pour 2003.
Toutefois, Chad Ford savait qu’en coulisses, son agent Marc Cornstein travaillait la NBA au corps depuis de longues semaines pour faire changer la réglementation. D’après certains bruits de couloir et certaines sources du journaliste, ce dernier était en passe d’atteindre son but. Il avait fait preuve d’une telle ténacité auprès de son directeur de publication que ce dernier avait fini par céder, l’autorisant à se rendre au bout du monde pour rencontre son diamant.
Ford avait longuement étudié le dossier Milicic.
Il savait tout du procédé qui avait été mis en place pour lui dans son club, mais également la mentalité qui avait guidé son évolution. Il avait dominé outrageusement les catégories jeunes du haut de ses 2 mètres 13, et évoluait depuis déjà deux saisons au plus haut niveau national. Toutes les semaines, il lui fallait ainsi composer avec des adversaires qui lui rendaient parfois deux fois son âge, qui se montraient nécessairement plus physiques, plus denses, et qui étaient éminemment plus briscards et expérimentés que lui.
Milicic était un intérieur complet, aux mains exceptionnelles de toucher et de dextérité. Il possédait un très bon shoot et une très bonne gestuelle pour son physique, avec une patte gauche affûtée pour le haut-niveau. Son physique d’armoire lui permettait de s’imposer au poste et de servir de cible privilégiée sur pick and roll, et il n’avait également aucun mal à se mouvoir des deux côtés du terrain.
Mais malgré son statut de jeune prodige de la nation, hors de question pour son club de le mettre sur un piédestal : dans le système européen et serbe, vous ne récoltiez que ce que vous étiez allés chercher vous-même. Aucun cadeau ne lui était ainsi fait.
Ford s’était décidé à profiter d’un match d’Euroleague pour observer attentivement les attitudes et le jeu de sa cible favorite, mais il n’eut pas eu le temps de remplir son carnet de notes, tant la prestation à laquelle il assista fut aussi complète qu’éphémère.
En 15 minutes de temps de jeu, Milicic cumula 14 points, 10 rebonds, 5 contres et 3 passes décisives. Un express venu tout droit d’une autre planète. En l’espace de quelques minutes, Ford savait qu’il venait de rentabiliser chacune des 9 heures de vol qu’il avait dû faire pour arriver en Serbie.
A la fin de son périple, Ford en était convaincu : si David Stern se décidait à changer le règlement NBA pour laisser Darko Milicic se présenter à la draft 2003, il n’y avait d’autre issue que de voir le Serbe sur le podium de la draft, au bas mot.
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Phénoménal. Le match venait de se terminer il y a quelques secondes à peine, et les nombreux scouts qui avaient fait le déplacement pour assister à cette finale régionale du Midwest se languissaient déjà d’écrire leur rapport, éblouis par la prestation à laquelle ils venaient d’assister.
Steve Novak, le freshman de Marquette en était lui aussi bouche bée. Avec 16 points au compteur et 5 tirs à 3 points convertis, il était évidemment satisfait de sa performance. Mais ce qui le laissait véritablement béa, c’était l’historique ligne statistique que l’on venait de lui rapporter. Affolante, tout simplement, surtout au regard du contexte, surtout à ce niveau-là de la compétition.
Cette affiche avait été très attendue, car forcément séduisante sur le papier entre le #1 et le #3 de la région. D’un côté, les Wildcats de Kentucky, surfant sur une impressionnante série de 26 victoires consécutives. De l’autre, les Golden Eagles de Marquette, qui tentaient d’arracher leur billet pour leur premier Final Four NCAA depuis 1977, année de leur seul et unique titre national.
Sur le terrain, l’affrontement tant attendu n’eut pas réellement lieu. La faute à un hold-up parfait, durant lequel Marquette avait assommé Kentucky, 83-69. Une performance qui n’aurait sans doute pas été permise sans l’énorme contribution du joueur star de Marquette, Dwyane Wade.
L’arrière avait éclaboussé le terrain de son talent et de sa polyvalence, clôturant le match avec ce qui devenait seulement le 4è triple-double de l’histoire du championnat universitaire américain d’élite : 29 points, 11 rebonds, 11 passes décisives et 4 contres.
Wade avait d’abord mené la charge en première mi-temps, permettant aux siens de prendre l’avantage, puis de le confirmer. Une fois lancé, jamais il ne s’était décidé à lever le pied de la pédale d’accélérateur, et il avait continué de guider les siens des deux côtés du terrain. Drive, contre-attaque, shoots longue distance, interceptions, contres, passes, rebonds : Wade s’était démultiplié avec une étonnante impression d’agir en total contrôle, comme si tout ce qu’il entreprenait était naturel. Sans jamais chercher à trop en faire, sans montrer un ardent désir de s’octroyer la lumière, il avait brillé.
Dans le vestiaire, isolé de la folie qui avait envahi le terrain au coup de sifflet final, Steve Novak regardait son coéquipier, désormais au centre de l’attention. Wade avait 20 ans, un an de plus que lui seulement, mais il était déjà empreint d’une grande maturité, et d’une vraie conscience professionnelle. Cette maturité allait de pair avec l’étonnante sérénité qu’il dégageait, deux traits de caractère qui n’étaient pas dû au hasard.
Au contraire, ils étaient le fruit d’un réel parcours du combattant, que le jeune homme avait affronté depuis ses premiers pas. Ne serait-ce que lors de sa première année à l’université, où il n’avait pas pu revêtir le maillot des Golden Eagles, la faute à des résultats scolaires trop médiocres. Ce n’était qu’à force de travail, de persévérance et d’abnégation que Wade avait finalement eu droit à ce privilège. Et pour quel résultat !
Dans le sillage de son leader, Marquette venait d’atteindre le deuxième Final Four de son histoire. Steve Novak avait beau être lui aussi très jeune, il avait pleinement conscience qu’il venait de jouer un match historique pour l’université de Marquette. Après ça, Wade n’allait plus être une star : il allait être une icône.
Le campus, bercé dans la folie de l’accession au Final Four, n’en n’avait peut-être pas encore conscience, mais les jours de Dwyane Wade parmi eux étaient désormais comptés : la NBA l’attendait.
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C’était exactement pour ce genre de moments, si particuliers et intimes, qu’il ne savait pas quoi faire, quoi choisir pour son futur. Rassemblés dans la chambre de Jarett Jack, quelques joueurs de l’équipe de Georgia Tech s’étaient rassemblés pour parler de tout et de rien à l’approche de la fin de saison. Pour partager un moment, ensemble, simplement.
Avec un bilan de 14 victoires pour 13 défaites jusqu’alors, les Yellow Jackets n’avaient aucun espoir de March Madness, et ils savaient que d’ici quelques jours, leur saison se terminerait. « Alors Chris, tu t’es décidé ? » lança Jack à l’intention du jeune homme qui venait à peine de trouver où se nicher dans la chambre exiguë. Le discret et timide Chris Bosh redoutait ces moments, où il savait qu’on attendait de lui qu’il livre le fond de sa pensée.
Bien qu’il se soit peu confié jusqu’alors sur son état d’esprit, ses interrogations et ses doutes, ses coéquipiers n’étaient pas nés de la dernière pluie. Tous savaient que la fin de saison NCAA qui se profilait allait probablement ouvrir, pour le jeune intérieur, un nouveau chapitre de sa vie. Mais pour ce faire, il fallait qu’il en prenne la décision, qu’il se décide à quitter l’université et à se présenter à la draft, chose qu’il n’avait pas encore faite.
Bosh n’était que freshman, et allait terminer sa première saison à Georgia Tech.
Il avait mis du temps à s’adapter au rythme universitaire, à concilier ce statut étrange d’étudiant-athlète qui demandait deux fois plus d’efforts et de sacrifices, surtout loin du cocon familial. Ces dernières semaines toutefois, il s’était senti mieux. Il s’était constitué un cercle d’amis avec ses coéquipiers, s’était créé quelques habitudes avec eux et jonglait avec beaucoup plus de facilités entre études et attentes sportives. Mais à peine cette tranquillité acquise, celle-ci était venue se troubler avec l’approche de la draft NBA et la pression que l’événement impliquait pour les premiers talents concernés.
Avec ses performances et son niveau de jeu, Bosh avait attiré très tôt les scouts de la Grande Ligue tout au long de l’année. Son profil d’intérieur fuyant, hyper mobile, capable de manier la balle, de driver, de jouer face au cercle au poste, de tirer avec efficacité y compris à longue distance, avait forcément intrigué, tant et si bien que la curiosité des premiers instants se mua peu à peu en véritable intérêt des différentes écuries NBA. Mais Chris Bosh doutait. Il avait peur que la NBA représente un trop gros changement pour lui, qui venait à peine de s’acclimater à la vie universitaire. Il allait devoir se réadapter à un nouvel environnement, une nouvelle ville, de nouvelles habitudes, une nouvelle situation, un nouveau rythme, bref, à une nouvelle vie.
De fait, la tentation d’attendre un an de plus à Georgia Tech était réelle. Ici, il avait tout, il se sentait bien. Mais était-ce de la vraie peur, ou juste de l’appréhension ?
Au fond de lui, Bosh se savait prêt. Il savait que son jeu l’aiderait à compenser les faiblesses physiques que certains scouts avaient relevées. Il savait qu’il pouvait apporter à une franchise NBA dès demain, et qu’il se ferait sa place dans la Grande Ligue, tôt ou tard. Ses doutes n’étaient pas sur son niveau de jeu, mais sur tous les à-côtés qu’un passage en NBA impliquait. Alors, quand il dévoila ses états d’âme à ses coéquipiers d’une traite pour la première fois de la saison, ses paroles laissèrent place au silence, comme si chacun dans la pièce venait de prendre conscience du poids de la décision qui attendait leur coéquipier et ami.
Le silence ne fut brisé que par la parole de l’hôte d’un soir, Jarett Jack : « Chris, t’as l’opportunité d’être un top 5, voire top 3 de draft, et ça sans aucun doute possible. Je crois pas qu’il y a quelqu’un de plus près ici à faire ce grand saut que toi. C’est ta chance, ton tour. T’es prêt, putain. Je te jure, si je te revois ici l’an prochain, je te botte le cul. ».
Bosh ne put réfréner son sourire, ce qui déclencha immédiatement les réactions de ses coéquipiers, qui passèrent le reste de la soirée à chambrer leur ami sur son futur destin doré dans la Grande Ligue. Chris Bosh était prêt, enfin.
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Osez me dire que ces petits détours ça ne valaient pas le coup ! Nous voici de retour au Madison Square Garden, installés à quelques encablures à peine des tables où les plus gros prospects dont nous venons de partager les souvenirs attendaient leur heure de gloire, la fameuse green room.
La tension et l’excitation étaient toujours palpables dans l’antre new-yorkaise, et à en juger par les allées et venues de plus en plus pressants des caméras et photographes, on n’allait pas tarder à mettre fin à l’insupportable attente.
Sur la gauche de la salle, on pouvait facilement distinguer le plateau d’ESPN où trônaient Mike Tridico et ses hôtes, s’amusant à faire monter la pression en direct à travers tout le pays. Les prospects étaient passés au crible depuis de longues minutes, et ce jusqu’à l’ultime moment. Çà et là, de minuscules setups avaient été installés pour que l’on puisse multiplier les interviews de ces jeunes garçons, comme pour prendre une dernière fois leur pouls avant leur grand saut dans l’inconnu.
Aucun d’eux n’avait encore un pied en NBA, mais déjà, la plupart avait dû s’habituer au folklore médiatique qui les attendrait les prochaines années, et qui allait, pour les plus chanceux d’entre eux amenés à jouer les premiers rôles, devenir leur quotidien. On voyait alors leurs visages arborer de larges sourires, parfois naturels, parfois crispés, et on arrivait déjà à distinguer ceux qui crevaient l’écran de ceux qui tentaient de se faire tout petits, rongés par l’anxiété de voir leur rêve se réaliser.
“Venez, allons voir l’envers du décor”. Contrairement à tout à l’heure, on dirait que cette fois l’idée vous emballe. Quelques tours de passe-passe, un brin de discrétion, et nous voilà de l’autre côté de l’immense scène exposée au public, joueurs et familles.
“Regardez un peu qui voilà”. À quelques mètres de nous à peine, visiblement coincé dans une discussion qui avait l’air de le passionner autant que les interminables dîners auxquels on l’invitait, David Stern patientait. Son regard fuyait les mots que ses geôliers de conversations lui adressaient. La petite porte qui le séparait de la scène du Madison Square Garden captait, à elle seule, toute son attention.
Chaque année, il savourait ce moment intérieurement. C’était l’un des moments de la saison NBA qu’il chérissait le plus. Avoir le privilège, année après année, d’annoncer un à un les noms des jeunes joueurs rejoignant la ligue était un vent de fraîcheur dans le rythme effréné des saisons NBA. Ce grand rendez-vous, annonçant l’arrivée de nouveaux talents, c’était pour lui une occasion unique de réaliser des dizaines et dizaines de rêves. Une sorte de Père Noël de juin diraient certains.
Le sauveur de David Stern arriva enfin, et tira le commissionnaire de son ennui pour l’amener à l’écart, dans une pièce annexe. La porte se referma rapidement, avant que nos yeux indiscrets aient pu y jeter un coup d’œil. “J’imagine que tout doit se jouer là-dedans”. Votre regard insistant n’y fit rien, il était impossible pour nous de pénétrer dans cette pièce.
Mais aussitôt, la porte se rouvrit, laissant David Stern en sortir, muni de quelques notes dans sa main droite. Parmi ces papiers cartonnés, avait-il inscrit le nom du premier choix ? Cachait-il l’annonce d’un trade ? Ou avait-il simplement inscrit ses notes d’introduction ? Impossible de le dire, et là n’était pas l’important. “Ça va commencer, retournons là-bas”.
Un moment de flottement se fit sentir dans la salle new-yorkaise. On avait entendu la confirmation sur le plateau d’ESPN. Ça y est, cette fois, le show allait débuter.
L’instant d’après, David Stern faisait son entrée sur scène.
Visage fermé, comme pour ne pas faillir dans un des moments les plus importants de l’année. Sa gravité et son sérieux tranchaient avec le bruit des fans, regroupés au fond du Madison Square Garden et qui redoublaient d’excitation. Ce moment était aussi le leur, évidemment. Une fois installé face à son pupitre, Stern ne perdit pas de temps, et se lança dans son bref discours d’ouverture. Aussitôt, son visage sembla se détendre, jusqu’à laisser échapper un sourire, plein de malice, laissant entrevoir à son auditoire que pour lui aussi, la draft était un moment particulièrement savoureux.
Bientôt, le commissionnaire allait de nouveau s’éclipser, avant de revenir annoncer le premier choix de cette draft 2003. Et ainsi de suite, jusqu’au bout de la nuit, et au 60è et ultime choix de cette cuvée de draft.
Le Madison Square Garden s’était bien vidé. Les fans en étaient sortis depuis un moment déjà, certains poursuivant la fête non loin de là, dans les rues environnantes de la métropole new-yorkaise. Les joueurs et leurs familles avaient également quitté les lieux, peu à peu, s’en allant à leur tour profiter de la fête qui s’annonçait pour les plus heureux d’entre eux. Pour les malheureux, les déçus, ceux dont les espoirs avaient été douchés, la nuit s’annonçait toute aussi longue, bien que les raisons en soient totalement différentes.
Les techniciens d’ESPN et autres médias étaient toujours affairés à démonter leur matériel installé pour l’occasion. Le plateau d’ESPN était à présent à nu, après avoir vu défiler une à une les jeunes stars de demain, coiffées de leur toute nouvelle casquette, floquée du blason de leur première équipe NBA.
L’immense tableau où avaient été dévoilés tour à tour leurs noms était lui aussi toujours là, trônant fièrement tel le dernier témoin d’une soirée mémorable qui venait de s’achever. La magie avait opéré, une fois encore, et voilà que le destin de dizaines de jeunes garçons venait de basculer dans un nouvel univers. Pour la NBA, allait peut-être s’ouvrir une nouvelle ère dans leur sillage. Pour nous, ce nouveau monde NBA sans LeBron James était désormais acté.
“Quand même, ça fait bizarre…“. À votre tour, vous levez les yeux vers l’immense fresque, comme pour être sûr une dernière fois de cette nouvelle réalité qui s’ouvrait à vous. Carmelo Anthony, Darko Milicic, Dwyane Wade, Chris Bosh… Tous avaient été au rendez-vous. Tous, sauf un. Et les cartes étaient désormais redistribuées.