C'est quoi, "Un monde sans Roi" ?
Uchronie : nom féminin.
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- Reconstruction fictive de l’histoire, relatant les faits tels qu’ils auraient pu se produire.
C’est initialement là l’origine des What if. Faire découvrir des récits, centrés sur la NBA, relatant une histoire alternative de la Grande Ligue. Des destins qui basculent, des blessures qui s’effacent, des rivalités qui naissent, d’autres qui s’estompent. Et des mondes nouveaux qui s’écrivent. La NBA telle que nous la connaissons aujourd’hui est le résultat d’une multitude d’aléas. Elle est une expérience unique, qui aurait pu être tout autre si le cours d’un seul d’entre eux avait été altéré. Après s’être attaqué à Brandon Roy, à Drazen Petrovic, aux Sacramento Kings de 2002, à Yao Ming, Shaquille O’Neal, Michael Jordan et autres Magic Johnson, il était l’heure pour QiBasket de s’attaquer à une nouvelle légende, dans tous les sens du terme.
“Un monde sans Roi”, c’est l’histoire d’un monde parallèle, où vos repères NBA des 20 dernières années s’apprêtent à partir en fumée. Un monde que vous allez parcourir, de la fin des années 90 aux années 2010. Un monde où vous serez acteur, un peu, mais surtout, observateur, aux premières loges.
Pour l’occasion, c’est un nouveau format que l’on vous propose, avec non pas une sortie unique, mais une sortie en plusieurs volets. Chapitre par chapitre, vous découvrirez cette histoire unique, illustrée par les graphistes de talents qui nous entourent.
Suivez le guide.
Le quartier était sombre, à l’écart de l’hypercentre d’Akron. À regarder aux alentours, nous n’étions pas dans les beaux quartiers de la ville, c’est certain. Les bâtiments qui nous encerclaient, pour la plupart délabrés, se ressemblaient tous à quelques exceptions près. Les peintures qui les recouvraient, autrefois vives, avaient depuis subi les ravages du temps, témoignant d’un quartier visiblement laissé à l’abandon. La pluie diluvienne qui se versait sur ce triste décor n’aidait pas à le rendre plus attrayant. De l’intérieur de notre voiture, arrêtée sur le bas-côté, on devinait sans peine la morosité qui guettait les foyers des habitants alentours.
Au milieu du bruit assourdissant de pluie s’abattant sur les vitres de notre refuge, nous n’avions pas entendu arriver la voiture qui nous dépassa soudainement. « Ce doit être lui ».
La voiture s’arrêta nette quelques dizaines de mètre après nous. “Lui”, c’est Bruce Kelker.
Kelker était l’un des hommes les plus importants de la vie de notre protagoniste. Il était celui qui l’avait approché un jour, alors qu’il jouait au football américain dans la rue avec ses amis, tous âgés d’à peine 10 ans. Celui qui avait réussi à convaincre la mère de notre héros d’inscrire son protégé dans l’équipe de football qu’il entraînait lui-même. Celui, encore, qui s’était proposé, quelques semaines plus tard, d’accueillir l’enfant chez lui, dans son propre foyer, afin de lui éviter les déménagements à répétition, conséquences d’une vie instable trop lourde à supporter pour les épaules d’un jeune de son âge.
Alors que la pluie redoublait d’effort et que la nuit commençait à tomber, Kelker sortit de la voiture, s’emmitoufla dans son manteau, se fraya un chemin jusqu’à l’un des bâtiments qui nous entouraient et sonna à l’interphone. Dans le même temps, la portière côté passager de sa voiture s’était également ouverte. Une silhouette élancée en était sortie, celle d’un enfant à la limite de l’adolescence, qui se dirigeait vers la porte du bâtiment où Kelker s’était précipité. Quelques secondes plus tard, une femme se présenta sur le palier. Kelker échangea quelques mots de politesse avec elle, le temps que la silhouette enfantine les ait rejoints. Il adressa à la famille un geste de salut et retourna s’abriter dans son véhicule. Illuminés par la lumière des réverbères de la rue, les visages de Gloria et LeBron James nous apparaissaient enfin au loin.
Eux-aussi étaient retournés s’abriter dans le hall de leur immeuble, et s’apprêtaient à reprendre le chemin de l’appartement familial, sans doute provisoire. À cette époque, la vie de la famille James était malheureusement rythmée par des déménagements incessants, dictés par un mode de vie des plus précaires.
« Drôle de sensation, non ? ». Il faut dire que voir celui que l’on a tant vu adulte redevenir un enfant a de quoi surprendre. Mais il était important, pour la suite de notre aventure, que nous ressentions cette atmosphère, cette ambiance, que le jeune LeBron James avait dû côtoyer une grande partie de sa jeunesse. « Vous êtes prêts ? On va avancer un petit peu ».
***
Nous voici projetés en plein milieu du lycée Saint Vincent-Saint Mary d’Akron, durant l’une de ces froides soirées d’automne que la ville ne connaissait que trop bien. Entre pluie et froid glacial, l’Ohio sait définitivement réserver un accueil particulier à ses visiteurs.
Au loin, un jeune homme tentait de s’extirper d’un bâtiment, dépassant à peine d’une innombrable masse de fans venus s’attrouper sur son chemin. Le sourire aux lèvres semblait déjà travaillé tant il ne souffrait d’aucune crispation. Difficilement, notre héros s’extirpa de cet attroupement inattendu, et traça sa route avec quelques-uns de ses coéquipiers à ses côtés, qui ne manquaient pas l’occasion de le taquiner allègrement sur sa popularité croissante. Le petit groupe se dirigeait vers nous, avant de nous dépasser sans un regard. A en juger par vos yeux écarquillés, vous venez à peine de vous rendre compte quel jeune homme fringuant venait de vous frôler. Il est vrai qu’à cette époque, ce dernier avait un peu plus de cheveux et un peu moins de muscles. Toutefois, à quelques semaines de son 16è anniversaire, LeBron James était déjà une sensation.
Ce soir-là, il revenait tout juste d’un match disputé avec l’équipe de football américain de son lycée, dans laquelle il jouait wide-receiver depuis un an. LeBron James avait toujours adoré le football. Dès son plus jeune âge, il s’était épris de ce sport, son premier vrai amour. À 10 ans, il avait été repéré dans la rue par Bruce Kelker, qui allait devenir son premier coach en la matière, et bien plus encore, une aide humaine précieuse. Déjà plus grand que les enfants de son âge et plus développé physiquement, James inscrivit 17 touchdowns pour sa première saison sur les larges terrains verts. Depuis cette année-là, le football ne l’avait jamais quitté, et ce qui était un premier amour s’était mué en véritable passion.
Disons-le franchement : le gamin était plutôt du genre surdoué dans le domaine. Lors de son premier match, alors que son entraineur avait dû le titulariser faute d’alternative dans un match crucial, le jeune LeBron avait réussi à capter neuf passes en tant que receveur, brisant de fait l’ancien record du lycée. Une entrée en matière des plus prometteuses, qui n’était en réalité qu’un avant-goût des aptitudes qu’il montra en suivant. Il fut rapidement bien plus qu’une roue de secours pour son équipe, et allait s’inscrire au contraire, comme une option des plus viables.
Il s’apprêtait à conclure sa deuxième saison sur les terrains. Durant celle-ci, il avait déjà réceptionné 42 passes pour 752 yards gagnés, le tout en inscrivant 11 touchdowns. À votre visage intrigué, je devine que vous n’êtes pas franchement familier d’un des sports favoris de nos amis d’Outre-Atlantique. Laissez-moi vous simplifier les choses : le jeune LeBron affolait les fans, ravissait ses coachs et intriguait les plus curieux. Enchaînant les matchs avec un haut niveau de performance, le jeune étudiant qu’il était alors avait en effet épaté les observateurs, locaux d’abord, et à bien plus grande échelle ensuite.
Il faut dire que la combinaison de ses qualités naturelles – plus d’1 mètre 92 déjà – en faisait un spécimen rare : en plus de ses aptitudes physiques époustouflantes en termes de vitesse et de verticalité, il était doté d’une vraie science du déplacement et d’une très grosse lecture de jeu. Autant de qualités qui commençaient à éveiller sérieusement l’intérêt des scouts universitaires du pays. Aussi, des recruteurs de tout horizon allaient rapidement commencer à planifier leurs voyages à Akron, avec pour objectif de voir si les rumeurs circulant autour de ce talent brut étaient fondées.
Mais si le football était bien ancré dans le quotidien et la vie de LeBron James, en grandissant, ce dernier n’allait pas se contenter de faire vibrer le stade le vendredi soir en rattrapant passe sur passe ou en allant gratter le moindre centimètre de terrain en quête d’un énième touchdown. Après le football, un autre sport était venu se greffer très tôt à sa vie, dès la fin de l’école primaire à vrai dire, lorsqu’il y avait été initié par un autre personnage fondamental dans sa jeune existence, Frank Walter : le basketball.
Le basketball était un sport où les qualités athlétiques naturelles de James pouvaient s’exprimer tout autant, voire davantage, que sur un terrain de football. Un sport où la balle était plus orange, plus ronde, l’équipement plus léger, le terrain moins grand, les aléas climatiques moins nombreux, mais où les gradins étaient toujours aussi remplis lorsque le kid d’Akron entrait en jeu. Après l’école primaire, il avait fréquenté le circuit AAU (Amateur Athletic Union) avec ses amis d’enfance, se donnant le glorieux surnom de « Fab Four ». C’est avec ces mêmes amis qu’il avait fait le choix d’aller, quelques années plus tard, au lycée Saint Vincent – Saint Mary, pour à conjuguer ses deux passions.
Sur les terrains de basket, son appétence pour les envolées aériennes était assouvie à coups de dunks fracassants, en transition ou sur jeu placé. Sa vivacité d’appui et l’impression de puissance qu’il dégageait le faisaient passer pour un géant au milieu des enfants, dévorant les espaces à grandes enjambées, fracassant les cercles avec férocité, et évoluant avec une étonnante impression de facilité au milieu des défenses. Là encore, à l’instar de son niveau de jeu au football, sa domination sur les terrains de basket ne laissait personne indifférent.
Basketball et football américain rythmaient ainsi les semaines et la vie de ce jeune lycéen d’Akron, pour qui, jusqu’ici, seul le plaisir était au programme. Bientôt toutefois, dans le sillage de l’intérêt qu’il suscitait auprès des recruteurs de football et basket universitaire, les médias locaux, puis nationaux n’allaient pas tarder à entrer dans la danse. Déjà, quelques-uns de ses highlights avaient fait le tour du pays. Là où il n’y avait eu jusqu’alors que de la passion, les choses sérieuses allaient débuter pour LeBron James et sa mère. Il allait bientôt devoir faire un choix déterminant pour son avenir, un choix qui allait conditionner le sens de sa vie, de sa famille, et bien plus encore…
Ballon ovale ou ballon rond ? Marron ou orange ? Quel chemin, pour quelle vie ? Quelques mois plus tard, le moment était arrivé, fatalement.
LeBron James devait choisir sa voie. Son destin, diraient les plus audacieux. Il en avait parlé avec sa mère à plusieurs reprises déjà, évidemment. Gloria James ne portait pas réellement le football américain dans son cœur. L’atmosphère, la chaleur et l’ambiance d’une salle de basketball la confortaient, beaucoup plus que le folklore qui pouvait entourer les terrains verts aux lignes blanches qu’elle arrivait à peine à distinguer les jours de pluie. Voir celui qu’elle appelait tendrement “Bron-Bron” revêtir son armure les jours de match lui causait un sentiment trouble. D’un côté, elle savait qu’il était pleinement heureux de mettre chacun de ces équipements, de l’autre la présence de cet attirail la renvoyait à l’idée que ceux-ci étaient nécessaires pour protéger son fils des coups qu’il recevrait. Au fond d’elle, elle savait toutefois que le football était ce qui lui importait le plus depuis son plus jeune âge. Son sport préféré, comme il aimait le répéter à qui voulait l’entendre.
LeBron connaissait les doutes de sa mère, et il écoutait également les conseils de ses amis proches. Évidemment, quand les uns étaient ses coéquipiers dans son équipe de basket et prêchaient pour leur paroisse, les autres, membres de l’équipe de football, leur rendaient la pareille. Chacun plaidait légitimement sa cause. Alors un soir, le jeune homme prit le temps de réfléchir seul à la situation. Il allait devoir choisir l’une ou l’autre de ces voies, pour s’y consacrer pleinement, et tenter de se sortir du quotidien miséreux que sa mère et lui côtoyaient depuis de trop nombreuses années.
En fin de soirée, LeBron descendit de sa chambre, et alla trouver sa mère. Les James eurent une longue conversation, calme, raisonnée, posée, au terme de laquelle le choix du jeune prodige fut acté. Ce dernier fit la promesse à sa mère qu’il n’échouerait pas. Au fond de lui, il savait qu’il ne pouvait pas se le permettre. Il y avait trop d’espoirs, trop d’attentes, il ne pouvait pas échouer, il ne le devait pas. Quelques jours plus tard, LeBron annonça la décision à ses coachs respectifs, puis à ses coéquipiers, de basket d’abord, de football américain ensuite. Très vite, la nouvelle se répandit : le football américain comptait officiellement un prospect de plus.
“On en a bien profité, on peut le laisser un peu aux amateurs de NFL pour cette fois-ci non ?“. Je vois d’ici les multiples questions qui s’amoncellent dans votre tête. Il faut dire que vos sourcils froncés depuis 10 minutes ne laissent que peu de doutes sur votre état d’esprit. Allons, il est temps. Fermez la fenêtre et serrez votre ceinture. Notre séjour à Akron touche à sa fin, il est temps de quitter l’Ohio, et de laisser LeBron James derrière nous.