C’est en larmes que Reggie Jackson terminera sa saison. Devant les caméras, pour la dernière interview de ces Playoffs, le meneur semble s’écrouler. Il y a sûrement un peu de tout dans ces larmes. De la tristesse, d’une défaite aux portes des Finales. De la déception, d’avoir donné l’impression de rivaliser avec un effectif diminué. De l’épuisement, au sortir d’une saison régulière très dense et d’une post-saison où chaque série sera une bataille pour Los Angeles. Et puis, de la gratitude, beaucoup, après avoir joué les meilleures minutes de sa carrière, après des années de galère pour l’ancien du Thunder et des Pistons.
Il faut dire, que Jackson fut providentiel pour les Los Angeles Clippers pendant les dernières semaines. Meneur titulaire, il aura donné tout ce qu’on peut attendre d’un joueur comme lui. Bien plus encore, à vrai dire. De la distribution, de l’adaptation, du spacing, des tirs clutchs à la pelle. Le parcours de l’équipe n’aurait certainement pas été le même sans l’apport du joueur récupéré à la trade deadline 2020.
En fait non, le parcours des Clippers n’aurait pas été sans Reggie Jackson. Comme le récapitule Law Murray dans cet article, voici comment on pourrait en quelques phrases l’importance et le succès du meneur dans cette campagne de Playoffs.
Seul un joueur a joué plus de minutes que Reggie Jackson cette post-saison : Paul George. Et avec ces minutes, Jackson a contribué comme jamais nous ne l’avons vu ou attendu de sa part. Et pour cause, aucun joueur n’a rentré plus de tirs longue distance que lui dans cette campagne de Playoffs, et il a shooté à 43,4% à 3pts. Durant cet intense mois de juin, il a scoré 19,8pts par match à 51% au tir et les Clippers ont affiché un plus/minus de +48 dans les 115 minutes que le joueur aura passé sur les parquets dans les 4eme QT.
La première chose que j’ai dite à ces gars, c’est “Merci de m’avoir sauvé”.
Lors de cette interview, jamais Reggie Jackson n’aura paru aussi loin de celui qu’il était en début de carrière. Car outre la belle histoire de ces Playoffs, d’un joueur enfin en forme après des années à jongler avec les blessures, c’est aussi le parcours initiatique douloureux qu’aura connu le joueur pour accepter un rôle différent, qui ressort ici.
Des rêves de grandeur à la chute
L’histoire de Jackson en NBA commença à Oklahoma City. Pour démarrer dans la grande ligue, il y a pire. Drafté en 24è position, il débarque dans une équipe jeune mais chargée en talent. Plus que l’équipe elle-même en fut consciente, probablement. La difficulté pour lui : faire sa place. Le Thunder est chargé. Kevin Durant est déjà une superstar et Russell Westbrook, James Harden ou Serge Ibaka projettent déjà des rêves de grandeur dans toute la franchise.
Pour sa saison rookie, Jackson doit composer avec de maigres minutes et des passages en D-League, dans lesquels il démontre déjà son talent offensif. Pendant un an, il va alterner entre gros temps de jeu chez les 66ers Tulsa et un temps sporadique et limité avec le Thunder, regardant du banc ses coéquipiers atteindre les Finales NBA.
Mais les choses vont changer en 2è année, quand la franchise va prendre la mesure du joueur qu’il est, d’autant que durant l’été, James Harden a fait ses bagages vers le Texas. Après une saison pour le mettre en couveuse, le joueur devient le remplaçant attitré de Westbrook. Mieux, il est même aligné à ses côtés par séquence sur des line-ups à deux meneurs Après tout, peut-être que Jackson n’est peut-être pas un meneur, mais un combo-guard dans le corps d’un meneur. Toujours est-il que plus la saison avance, plus le joueur prend du poids. Le Thunder va cependant entrer dans le début d’une période contrariée par les blessures et en Playoffs, après seulement 2 matchs, Westbrook se blesse au ménisque dans une action qui n’avait pas lieu d’être. Jackson est désormais à la tête du Thunder. Kevin Durant seule star à bord, le parcours d’OKC va être raccourci, mais Jackson obtient de lourdes minutes et ne déçoit pas, malgré une élimination en demi-finale de conférence. Pas de quoi voir une star tapie dans l’ombre, mais de quoi rêver plus grand.
La saison suivante, le joueur a toujours l’opportunité de briller en attendant Westbrook. Pendant 2 saisons donc, Jackson connaîtra des titularisations et des retours sur le banc, mais aura toujours de solides minutes. Bien qu’il soit un joueur capable de proposer un volume de scoring et des passes décisives, son efficacité n’a rien de transcendante, au contraire. Oscillant autour des 47 d’eFG%, avec des saisons entre 27 et 33% à 3 points, il repose sur ses capacités athlétiques pour contribuer. Jackson est un remplaçant intéressant, certes, mais peut-il être plus ?
Le joueur, lui, n’en doute pas. Et après 2 saisons et demi supplémentaires au Thunder, il ne cache pas son impatience, et veut plus. A la trade deadline, son vœu est exaucé après qu’il ait fait savoir son mécontentement, et Jackson obtient un échange vers Detroit, alors en recherche d’un nouveau meneur titulaire. Quelques semaines plus tôt, Brandon Jennings dans la forme de sa carrière se fait les croisés, et les Pistons, en grande forme, souhaitent sauver leur saison. De là, un échange à 3 équipes s’opère pour acquérir Reggie Jackson. Le joueur clame son enthousiasme sur les réseaux sociaux, en conférence de presse et indique “Pleurer des larmes de joie” suite à la nouvelle.
Mais après une fin de saison prometteuse et une première saison pleine durant laquelle le joueur va se complaire dans sa nouvelle maison, les choses vont se corser. En effet, 2015-16 est un bon crû. Le joueur apprécie ses nouvelles responsabilités et pose ses meilleures statistiques en carrière. S’il apparaît comme un meneur incomplet, son scoring est solide, malgré sa tendance à tricoter avec le ballon, et les jeunes Pistons iront même accrocher les Playoffs. Mieux, malgré un sweep face aux Cavs, ils vont faire très bonne figure dans chaque rencontre et sortir pleins de fierté.
Mais après ça… Les galères débutent. L’équipe sombre collectivement et le physique de Jackson commence à faire des siennes. Pendant 2 ans, il voit son temps de jeu chuter en dessous de celui à OKC, il enchaîne les blessures et manque les Playoffs à chaque fois. Lui qui a connu de longues et intenses campagnes avec OKC en 2013 et 2014 doit désormais les vivre devant sa télévision.
En dépit d’une saison complète en 2018-19 aux côtés d’un Blake Griffin tonitruant, Reggie Jackson reste un meneur incomplet, terriblement inefficace, déchu au regard du public NBA. Les rêves de grandeurs et de titularisation l’ont paradoxalement rendu invisible auprès des fans. Et à vrai dire, le joueur n’émeut pas particulièrement dans ses galères. Peut-être parce qu’il en voulait trop, qu’il l’a trop clamé et qu’il s’est lui-même enfermé dans un rôle d’arrogant, d’arriviste qui n’a pas réussi à assumer ses propos. Ou peut être aussi car il n’a pas montré cette évolution qu’on était en droit d’attendre de quelqu’un qui a eu de nombreuses années pour faire mieux.
Le temps passant, ses faiblesses sont trop visibles. Jackson est un meneur titulaire qui ne sait pas partager la gonfle (cf AST:Usg), mange trop de posessions et n’arrive pas non plus à s’imposer dans une génération de point guards capables d’avoir une mentalité de scoreur, et sachant le faire avec efficacité (cf son PSA 16-17, 19-20 – points per shooting attempt, le nombre de points générés par tir pris en somme).
Source : Cleaning The Glass
Les mauvaises saisons ont masqué les bonnes. Et le joueur en est lui-même conscient. Après des années sans Playoffs, un niveau de jeu loin en dessous de ce qu’il pensait être, un temps de jeu en deçà de ses attentes et plusieurs années grevées par les blessures, le coupe semble pleine. Et ce n’est probablement pas pour rien que lors de cette fameuse interview, il déclarera :
Je n’en serais pas là sans cette équipe. Je ne jouerais plus au basket. Je les remercie éternellement pour ça.
Les Clippers et la renaissance
En pleine négociation de son buy-out avec les Pistons, la lumière va néanmoins arriver. Cette période est charnière pour les joueurs obtenant ce type de faveur. Elles sont soit l’occasion de rebondir et montrer que leur carrière n’est pas terminée, à l’instar de Nicolas Batum cette année, ou la confirmation que le joueur n’est pas ce que beaucoup ont pensé, comme Andre Drummond, ancien coéquipier de Jackson.
Pour lui, la lumière prend la forme d’un coup de téléphone et la voix de Paul George à l’autre bout. Les deux joueurs se connaissent depuis 10 ans et la star des Clippers lui propose de rejoindre un effectif talentueux, ambitieux et de retrouver le plaisir du jeu après des années à manger son pain noir. Un an et demi et un cuisant échec en 2020 plus tard, Reggie Jackson vient de produire sa plus belle campagne de Playoffs en carrière et d’emmener les Clippers dans la première finale de conférence de leur histoire : sans Kawhi Leonard et Serge Ibaka.
Lui pour qui, la carrière fut une grande désillusion que beaucoup avaient vu arriver, cette saison fut une véritable renaissance. Et les raisons sont multiples :
- Il a passé la barre des 20pts en Playoffs 14 fois en carrière ; 10 dans cette seule post-saison
- Il shoote à 34,9% à 3pts en carrière ; 43,4 dans cette post-saison
- Il shoote à 43% en carrière ; 51,7 dans cette post-saison
- Il a sauvé les Clippers avec 14pts dans le 4eme QT du Game 6 face aux Mavericks
- A rentré une multitude de tirs cruciaux pour son équipe
- A rappelé qu’il était un excellent joueur dans les fins de matchs, ce que beaucoup avaient oublié
Au sein d’une équipe en quête de rédemption pour 2020, de joueurs désireux de se réhabiliter auprès de la ligue, Jackson vient de prendre sa revanche sur 5 années de frustration et de déceptions en NBA. Lui qui pensait à la retraite, à tout lâcher, vient de relancer une carrière en retrouvant le plaisir à jouer.
Désormais, sa côte a bondi et lui qui se dit sauvé par ce groupe et cette franchise, aura une situation difficile à affronter. Les Clippers n’ont plus de marge financière et vont devoir faire des choix. Plusieurs maillons essentiels de l’équipe vont renégocier leur contrat et il faudra pour Jackson faire la part des choses entre la bonne situation pour lui, le bon endroit pour jouer et les sirènes d’un juteux contrat NBA. Désormais, il sait que son seul talent n’est pas un gage de réussite, qu’en NBA, le bon entourage et la bonne opportunité peuvent tout changer.
Un été crucial s’annonce donc pour rester la meilleure version de lui-même.