Il y a des jambes qui flageolent à Brooklyn, des dos courbés, des mains plaqués contre les genoux, des joueurs cherchant leur souffle. Kevin Durant apparaît épuisé, quelques secondes plus tôt, son tir tombé court, enterre les espoirs des Nets, pourtant sur leur terrain et confiants au sortir de 3 victoires consécutives sur leurs terres face aux Bucks.
Ce même Kevin Durant qui les a menés jusqu’à cette prolongation, seule star de Brooklyn sur ses 2 jambes. Il est revenu d’une rupture du tendon d’Achille, on ne savait pas quel Kevin Durant nous verrions. Nous avons vu le meilleur joueur de basketball de la planète. Plus personne ne fait aussi peur avec une balle orange entre les mains désormais. Pas même LeBron James, le roi de la discipline depuis plus d’une décennie.
Il y a de l’injustice dans les Game 7. Il y a la cruauté du sport, des leçons de l’Histoire. Kevin Durant aurait pu être le gagnant, il aurait pu conter son action décisive, ce qui lui est passé par la tête avec 3 secondes à jouer dans le temps règlementaire, avant de prendre ce tir sur l’un des nombreux défenseurs d’élite de Milwaukee. Cette fois c’est PJ Tucker, il a tout bien fait, comme Jrue Holiday, comme Khris Middleton. On ne peut pas mieux le défendre. Il est solide sur ses appuis, résiste au coup d’épaule du géant, file dans ses pattes et conteste aussi bien que sa taille le lui permet quand il prend un tir compliqué. Mais bien défendre Kevin Durant, ce n’est pas un gage de sûreté. C’est juste une épine dans son pied. Et comme souvent ça ne suffit pas, les Bucks qui semblaient en contrôle viennent de se faire crucifier. C’est ce que le public pense, c’est ce qu’on pense derrière nos écrans et c’est ce que Durant pense lui-même. Et ce n’est pas passé loin, la seule chose qui les a éloignés des finales de conférence, ce sont d’infimes centimètres. Ce sont les énormes panards de Durant et sa tendance à porter des chaussures trop grandes pour se sentir confortable. La pointe de ses pieds vient de mordre sur la ligne à 3 points. Ce qui ressemblait à un 109-110 avec une seconde à jouer est finalement une égalité.
On se dit que ce n’est pas grave, que les Nets ont repris l’ascendant, que les Bucks paraissent éreintés. Jrue Holiday n’est pas en réussite. Middleton non plus. Et il a l’harassante tâche de défendre sur Durant. Et Durant n’est pas sorti la moindre seconde. Et même s’il semble chercher son souffle, en a-t-il vraiment besoin ? Il lui suffit d’un geste pour provoquer une faute, de quelques pas pour s’élever et shooter sur votre tête. Et ce tir il est imparable. Parce qu’il est trop grand, trop précis, trop sûr de lui. Le doute n’est plus de son vocabulaire. KD a peu joué cette saison, on le pensait fragilisé, mais il n’a pas pris une seconde de repos pendant deux matchs, et il est intenable. Alors peu importe Kyrie Irving sur le banc avec son entorse, peu importe James Harden qui joue blessé, n’arrive pas à créer d’espace et peu importe Joe Harris qui n’a pas trouvé la mire tout au long de ces 7 matchs.
Sauf que les Bucks ont trouvé de nouvelles ressources. Ils ne sont plus les mêmes. Plus ceux de 2019 qui ont assisté impuissants à la démonstration de Kawhi Leonard et la furie collective des Raptors. Pas non plus ceux de la bulle qui se sont fait humilier par un Miami Heat en embuscade. Ils profitent peut-être des blessures adverses, mais ils s’accrochent. Et finalement, par leur défense qui ne laissera qu’un panier aux Nets en prolongation, par la puissance physique de Giannis et un fadeaway miraculeux de Middleton, ils finissent par vaincre. Il y a eu beaucoup de déchet. Leur attaque est loin d’être parfaite. Mais leur exécution en défense et leur abnégation leur ouvre les portes vers le tour suivant.
Durant cette série, les deux équipes nous auront offert un spectacle grandiloquent. Probablement le plus intense de ces Playoffs. Bataille de style entre le talent offensif brute et la rigueur défensive. Elle nous aura aussi beaucoup appris sur les deux équipes. Surtout sur les Nets. Les New-Yorkais étaient une énigme jusqu’à cet affrontement. Ils pouvaient aussi bien être une somme de talent effrayante, eux qu’on avait à peine vu au complet à une poignée de reprise, mais sans véritable liant. Ils ont montré être bien plus que cela. Ces Nets peuvent se battre, peuvent jouer en défense, peuvent trouver dans une ancienne star comme Blake Griffin un rôle player exemplaire, un défenseur prêt à se sacrifier à se jeter tête la première sur un ballon. Ils peuvent se retourner vers Kevin Durant pour les porter en attaque. Mais aussi pour se sacrifier sur une pénétration adverse, pour défendre sur la bête Antetokoumpo, pour arracher un entre-deux alors que Brook Lopez semblait avoir un lay-up facile. Mieux, ils peuvent trouver au fond de leur banc un nouveau joueur pour s’élever quand la star tombe. Spencer Dinwiddie n’a presque pas joué de la saison, Kyrie Irving s’est blessé, James Harden s’est blessé et est revenu diminué, LaMarcus Aldridge a dû arrêter sa carrière. Et à chaque fois, cette mentalité « next-man-up » leur a permis de se transcender. Ces Nets sont une équipe, ce n’était absolument pas une garantie. Et la NBA peut trembler s’ils débarquent l’an prochain en pleine forme et un training camp en commun dans les jambes.
Et au-delà du spectacle, cette série nous donne à réfléchir. A prendre du recul sur notre manière de juger les équipes et de les considérer. Parce que si Kevin Durant avait été 3 centimètres plus loin, on pourrait dire que les Bucks avaient encore échoué à passer un gros obstacle, que le projet était voué à l’échec. On l’aurait certainement lu, on l’aurait probablement envisagé. On aurait pu ignorer le chaos dans lequel la série s’est jouée, la difficulté de défendre sur un joueur dans un tel état de grâce. En réalité, on aurait pu oublier la nuance et se focaliser sur le résultat plutôt que sur la réalité du terrain. Et on aurait pris un sacré raccourci.