Ce soir, les Memphis Grizzlies jouent leur survie en playoffs face au Jazz d’Utah, menés 3-1 après une première victoire surprise arrachée à Salt Lake City. Les Grizzlies voguaient alors sur l’euphorie née du play-in tournament, duquel ils sont sortis vainqueurs en battant successivement les San Antonio Spurs puis les Golden State Warriors pour s’arroger le dernier strapontin qualificatif des playoffs.
Depuis, l’euphorie est retombée. Une vague de froid s’est progressivement abattue sur Memphis. Le Jazz, solide premier de conférence tout au long de la saison à l’Ouest, a repris les choses en main. En position de force dans la série, nul doute que les hommes de Quinn Snyder auront à cœur de finir le travail le plus tôt possible.
Mais alors que la fin de saison s’approche dangereusement dans le Tennessee, Ja Morant, lui, continue de briller, et d’éblouir les yeux des fans et spectateurs de tous horizons. Dans un style de jeu forcément tape-à-l’œil, Morant détonne.
Le sophomore, drafté en 2019, vit actuellement sa première campagne de playoffs. Une première expérience face aux leaders de la conférence, meilleure défense de NBA sur la saison, tenue par le probable futur triple Défenseur de l’Année, et également face à celui qui a incarné avant lui l’image de la franchise de Memphis, Mike Conley. Et malgré tous ces obstacles potentiels, Ja Morant ne s’est pas dégonflé, loin de là.
L’occasion d’aller creuser un peu derrière les highlights, en se concentrant sur ce que Ja Morant produit réellement sur ses premiers playoffs, mais également sur l’importante marge de progression qui en ressort.
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Vivre et mourir dans la peinture
C’est la première chose qui frappe lorsque l’on s’intéresse au jeu de Ja Morant, et c’est parfaitement logique. Comme d’autres meneurs très athlétiques avant lui, Morant va chercher la plupart de ses points au plus près du cercle. Et il n’a pas dérogé à la règle sur ce premier tour face au Jazz, quand bien même Rudy Gobert et Derrick Favors s’opposaient à lui dans la peinture.
Quelques chiffres sur ces playoffs :
- Morant est – de très loin – le leader en terme de drives par match : 25 en moyenne. Bradley Beal, 2è du classement, pointe à 19,8.
- Morant est le 4 ème joueur de ces playoffs à prendre le plus de tirs dans la restricted arena – la zone la plus proche du cercle – : 6,8 en moyenne. Les autres membres du top 5 : Giannis Antetokounmpo, DeAndre Ayton, Rudy Gobert et Ben Simmons.
- Il est le premier au classement des meilleurs scoreurs dans la peinture : Ja Morant (18 PITP), DeAndre Ayton (15.6), Giannis Antetokounmpo (15.5), Dillon Brooks (15), Kawhi Leonard (14.5)
Un athlète hors-normes
Les raisons sont assez évidentes, au premier rang desquelles se trouvent ses qualités athlétiques absolument phénoménales, sur lesquelles Morant a construit son jeu depuis ses plus jeunes années. Voyons un peu dans le détail ce qu’il en retourne, images à l’appui.
- Tout d’abord, la vitesse pure de Morant, alliée à sa maîtrise balle en main et son body-control, lui permettent d’être létal en transition et sur les phases de contre-attaques. Il est ainsi le 4 ème meilleur scoreur des playoffs sur ces phases-là, avec une très belle efficacité : 1,29PPP (point per possession) dans l’exercice, faisant ainsi mieux que 80% de ses compères (80,4 percentile).
- Morant bénéficie sans aucun doute de l’un des premiers pas les plus tranchants et incisifs de la ligue. Un véritable coup de boost qui lui permet de créer de véritables césures très tôt, en passant sous le défenseur ou en le débordant naturellement, notamment après un hesitation move bien senti.
- En plus de ce premier pas, Morant gère très bien son rythme d’accélération-décélération. Le meilleur exemple en la matière est, à ce jour, l’un de ses gestes signatures, le cross-jab : un simple crossover, doublé d’un appui très franc et incisif, réalisé quasi-simultanément, côté opposé au cross.
- On parlait un peu plus haut de body-control, la capacité qu’un joueur peut avoir à gérer son corps, sans céder trop facilement aux coups, aux chocs, ou à l’inertie créée par la vitesse acquise. Morant conclut tous ses tirs, ou presque, dans la peinture, ainsi que nous l’avons déjà dit. Et pour finir dans la raquette, pas de secret : il faut être armé. Sur ce point-là, pas de problème pour le meneur, qui, malgré son physique chétif à première vue, n’implose que très rarement au contact.
On l’aura compris : les qualités physiques de Morant lui font orienter son jeu, naturellement, vers du drive, du slash, bref, de la pénétration. Mais une fois au cercle, comment ça se passe ?
Floaters & à gauche toute !
Après avoir visionné l’intégralité des paniers, marqués ou non, de Ja Morant sur les quatre matchs disputés jusqu’alors face au Jazz, j’ai pu me rendre compte de deux choses.
- 1er point : à l’image de Trae Young, Ja Morant use et abuse du floater.
Arme redoutable pour les petits gabarits de la Grande Ligue, le floater à l’avantage de permettre de passer par-dessus les défenseurs intérieurs restés en protection du cercle. En tant qu’arme basketballistique, ce tir a autant de détracteurs que d’admirateurs, et pour cause : il est très difficile de le maîtriser avec régularité et efficacité, car il demande davantage de touché qu’un double-pas classique – notamment en raison de la distance plus éloignée à laquelle il est déclenché.
Avec près de 3 floaters tentés par match cette saison selon Second Spectrum, et une tendance à la hausse sur les matchs face à Utah, Ja Morant en est l’un des plus fervents utilisateurs.
A vrai dire, lorsqu’il met un pied dans la raquette, Morant n’a que deux solutions : une finition au cercle ou un floater. Ce schéma très binaire pourrait être caricatural, mais il est surtout manifeste : sur les 4 matchs de la série face au Jazz, il n’a qu’à menues reprises tenté un tir, un vrai tir, après pénétration – on y reviendra un peu plus tard.
Dans la plupart des cas, il utilise son floater lorsque le défenseur intérieur – Gobert la majorité du temps – reste en protection proche du cercle, et qu’il ne bénéficie d’aucun angle d’attaque ou d’aucun avantage de vitesse à exploiter. Il joue derrière le pick qu’on lui a proposé, navigue un brin, et déclenche son floater main droite.
- 2nd point : Ja Morant est très, très à l’aise à l’idée d’utiliser sa main faible.
Il m’a été impossible d’obtenir les réelles statistiques en la matière, mais après avoir vu et revu toutes les finitions en pénétration de Morant sur demi-terrain – et au regard du nombre, l’échantillon est quand même important, croyez-moi -, face au Jazz, les finitions main droite de ce dernier se compte sur les doigts d’une main, exception faite des floaters et dunks.
Dans une écrasante majorité, le meneur conclut ses pénétrations par une finition main gauche, même lorsqu’il doit avoir recours à des finitions des plus acrobatiques. Capable d’aller chercher des angles très hauts, très compliqués voire très fermés, Morant semble avoir une confiance absolue en sa main faible.
Une efficacité relative
Là où le bas blesse en revanche, c’est en terme d’efficacité. Evidemment, sur la série face au Jazz avec une peinture adverse où résident Rudy Gobert et Derrick Favors, cela à tendance à compliquer les choses. Bien sûr, la présence du pivot français a de quoi dissuader, mais le problème de Morant va en réalité au-delà de ça.
Morant a un des plus haut taux d’usage des playoffs, et est la première option des Grizzlies. Comme nous l’avons vu, il joue la plupart de ses possessions en drive, via des picks and roll ou non, pour finir en très grand majorité avec un tir dans la peinture. Mais avec seulement 0,95 points per possession dans la zone et une efficacité globale d’à peine 50% (50,6), Morant se situe dans le 59,6 percentile – autrement dit, près de 40% des joueurs de son poste font mieux que lui dans l’exercice.
Une efficacité toute relative. Alors quelles en sont les raisons, au-delà de la défense ?
- Tout d’abord, le manque d’alternative entre finition au cercle-floater pénalise immanquablement Morant.
Nous l’avons déjà brièvement souligné, mais lorsqu’il est dans la zone intermédiaire, Ja Morant n’a que très rarement recours à un vrai tir. Cette tendance est flagrante sur les deux possessions qui suivent, où on se demande même s’il n’a pas hésité à prendre un vrai tir, certes déséquilibré, avant de finalement opter pour le floater, pour au final sortir une sorte de tir hybride.
Nul doute que d’ajouter à son arsenal offensif un simple tir fiable sur la zone des lancers-francs, le fameux elbow shot, serait un atout précieux dans son jeu, sans pour autant supprimer le recours aux floaters. A ce sujet, je vous renvoie vers le développement et la progression nette de Dejounte Murray, sublimée par Chip Engelland.
- D’autre part, les acrobaties de Morant, si elles sont un régal pour les yeux quand elles réussissent, peuvent parfois le desservir.
Ja Morant a un goût prononcé, pour sa main gauche, pour le spectacle, et a des qualités athlétiques que peu de gens ont… Certes. Mais quand bien même ce cocktail est explosif et apprécié, il peut à certains égards lui jouer des tours. C’est ici l’apanage des meneurs ultra-athlétiques que sont Morant, Westbrook, ou encore John Wall avant eux.
A titre d’exemple, il arrive à Morant d’aller chercher des finitions au cercle en décollant de très, très loin, le contraignant à aller chercher des angles impossibles, main gauche, derrière un défenseur. Forcément, des fois, ça ne passe pas.
En somme, des points très difficiles à aller chercher avec régularité. Certes, lorsque ça passe, la beauté visuelle de la chose nous subjugue, et le style de jeu de Morant veut qu’il s’engage à fond dans ses pénétrations et ses drives… Mais ne gagnerait-il pas parfois à se préserver ou à trouver plus de patience/variations autour du cercle ?
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Le tir de Ja Morant : problématique, vraiment ?
Les axes de progression de Ja Morant sont encore nombreux, et c’est bien normal au regard de son jeune âge. Avant de tirer le rideau de cet article et de laisser place au match décisif du soir pour Memphis, il me semblait important de dire quelques mots sur son tir.
En la matière, Morant part d’assez loin. Son jeu naturel, nous l’avons vu, n’est pas orienté sur le tir longue distance. Pourtant, il ne rechigne pas dans l’exercice, avec près de 3,8 tentatives par match dans la saison, et plus de 5 tentatives en moyenne sur les confrontations face à Utah. Mais entre prendre des tirs et les mettre avec régularité, il y a une marge conséquente que Morant n’a pas encore franchi (22,7% de réussite sur la série).
Alors, est-ce inquiétant, et à quel point ces complications au tir sont-elles réellement problématiques ? Synthétiquement, quelques éléments de réponse :
- Premièrement, non, ce n’est si inquiétant que ça.
Ja Morant est jeune, et son développement bien loin d’être achevé. Morant a largement le temps de reprendre les bases de son tir, et de trouver une mécanique plus fluide qu’actuellement.
Je l’ai dit un peu plus haut, mais prendre exemple ce qu’est parvenu à faire le meneur de San Antonio, Dejounte Murray, semble être un bon point de départ. Développer un elbow shot, ou du moins un shoot fiable dans cette zone intermédiaire proche des lancers francs aiderait considérablement Ja Morant dans son jeu, étant donné que c’est actuellement l’une de ses zones d’attaque préférentielles. Il pourrait ainsi sanctionner avec plus de régularité les défenses qui l’attendent au cercle, assez logiquement.
Sur sa mécanique en elle-même, celle-ci n’est pas à revoir en tout point, et les bases semblent assez bonnes, avec quelques bémols à corriger : le point de relâchement du tir semble très “en-avant”, et surtout, Morant relâche le tir avant d’avoir atteint le point “culminant” de son saut, ce qui interrompt la fluidité de son mouvement et donne cette impression de “décalage”.
- Deuxièmement, à quel point, ce tir peu fiable, est-il un problème ?
Très simplement et schématiquement, disons que pour pouvoir espérer aller plus loin à l’avenir en playoffs – et sans présupposer d’une élimination face au Jazz -, Memphis devra à terme pouvoir compter sur un Morant plus dangereux avec son tir.
Il y a dans cette affirmation quelque chose d’inéluctable, et pour cause : dans la physionomie de jeu actuelle, avoir une première option offensive disposant d’un tir longue distance viable est devenue une quasi-obligation, surtout lorsque celle-ci est un guard. Il n’y a qu’à voir parmi les équipes NBA qualifiées pour les playoffs : à l’exception des Grizzlies, toutes les équipes dont le leader offensif est un arrière répondent à cette règle.
S’il ne sera probablement jamais un sniper d’élite, il lui faudra dans les prochaines années savoir apporter un tant soit peu de danger via son tir, que ce soit sur de simples catch and shoot, sur les tirs que lui donnent des défenses passant sous les écrans, ou tout simplement lorsqu’il dispose de l’espace nécessaire pour tenter un pull-up 3.
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Vous l’aurez compris, Ja Morant détonne, étonne, régale, et pourtant il faut espérer que le meilleur reste encore à venir, pour Memphis, mais aussi pour nous ! Bref, Ja Rules.