Quand on ne s’appelle pas LeBron James, Tim Duncan, John Stockton ou Kareem-Abdul Jabbar, la vie en NBA peut rapidement devenir sinueuse. Nombreux sont les joueurs passés des ténèbres à la lumière, et vice-versa. Pour d’autres, on embarque dans des montagnes russes permanentes. Nicolas Batum comme tant d’autres avant lui a passé les dernières années dans le doute et la frustration. Du moins, c’est ce que l’on imagine rapidement quand on regarde son parcours et la chute abrupte qui l’accompagne. Forcément, après plusieurs saisons difficiles à Charlotte, l’imaginer rebondir était devenu une hypothèse sur laquelle peu étaient enclins à parier gros. Sûrement parce que sa dégringolade fut aussi rapide qu’impromptue.
Parce que la NBA va vite. Et surtout parce que notre mémoire est courte. Sélective.
En 2013, tout le monde voyait en Nicolas Batum le futur leader leader de l’équipe de France. Joueur le plus éminemment talentueux de la génération post-Parker, il était également un des piliers des Portland Trail Blazers, équipe dont l’avenir semblait radieux. Capable de défendre sur les meilleurs extérieurs adverses, de distribuer si besoin ou de planter quelques banderilles à longue distance, Nico représentait ce profil très rare de joueur techniquement très adaptable et facile à fondre dans un collectif. D’une personnalité affable et tempérée, Batum à la manière d’autres joueurs européens tranchait dans un monde sportif dopé aux égos et à la confiance en soi acérée.
Sa carrière prit un nouveau tournant en 2015 quand LaMarcus Aldridge, taulier des Trail Blazers décidait de quitter l’Oregon pour le Texas. La franchise ne perdait pas de temps pour revoir ses plans et éclatait un groupe qui paraissait pourtant posséder quelques belles années devant lui. Le français faisait les frais de ce remaniement général autour d’un jeune Damian Lillard. S’il quittait l’Ouest, c’était pourtant l’occasion pour lui de montrer un autre visage. Lui à qui on avait souvent reprochait de trop s’effacer, de ne pas suffisamment prendre ses responsabilités dans les grands matchs, notamment dans les compétitions européennes, allait endosser un rôle nouveau : celui de second couteau des Charlotte Hornets.
Une période dorée pour le joueur qui allait passer d’une ombre très relative à la lumière. Side-kick de Kemba Walker, Nico’ allait devenir à la fois ce second scoreur, mais également ce créateur offensif qu’il avait toujours paru capable d’être en NBA. Un adoubement pour le joueur et une prise de pouvoir qui allait le faire changer de catégorie. A 28 ans, le joueur passe la seconde et produit deux saisons autour de 15pts, 6rbds, 6asts de moyenne. Dans une période où la notion d’all-around (joueurs capables de peser dans tous les compartiments du jeu : scoring, rebonds, création offensive et défense) est à la mode, Batum incarne cette génération d’ailiers touche-à-tout qui font la pluie et le beau temps en NBA. Et avec ce statut vient les grandes responsabilités.
Des grandes responsabilités, dans un timing calamiteux
En NBA, un grand salaire implique de grandes responsabilités. Et nécessairement une plus grande exposition aux critiques. C’est ce qui viendra pour le frenchie après sa première saison aux Hornets. Bouclant un premier exercice de grande qualité et affichant une connivence évidente avec la star de l’équipe, Batman de son surnom, se voit auréolé d’une distinction peu évidente à gérer : le contrat maximum. On est en 2017, depuis 1 an les droits TV ont été renégociés et dans le système redistributif de la grande ligue, cela signifie que l’essentiel des franchises disposent d’une grosse enveloppe pour recruter.
Forcément, dans ces conditions, les marchés s’emballent et de nombreuses franchises dépensent à foison pour ne pas se retrouver bredouille. L’été 2016 a déjà vu des centaines de millions distribués en contrat, mais l’inflation ne s’arrête pas et en 2017, Batum a droit à sa propre réévaluation salariale. Si ce passage me semble important, c’est qu’il a probablement tronqué beaucoup de choses par la suite. L’acquisition d’un contrat max est toujours synonyme d’une chose : chaque match du joueur est scruté. Et en première ligne, la capacité du joueur à scorer soir après soir.
En outre, si contrat max’ signifie production offensive et pression médiatique, le timing va corser l’affaire. L’inflation soudaine des contrats redouble l’attention sur les joueurs car les montants proposés sont en disproportion totale avec ce qui était distribué jusqu’en 2015. Or plus vite les équipes se sont jetées dans la bataille des contrats, plus vite leur salary cap est saturé. C’est ce que les Hornets, comme d’autres, vont faire. Avec un insuccès qui va porter préjudice à la franchise, mais renforcer l’étau autour de Batum. Car il y a deux choses à prendre en compte. Non seulement la franchise de Michael Jordan propose une gestion de bas standing (draft médiocre, gestion des contrats douteuse), mais en prime, les équipes qui avaient resigné l’essentiel de leurs groupes avant l’explosion du salary cap se retrouvent nécessairement avec plus de marges pour renforcer leur roster. C’est le cas notamment, par exemple, des Warriors qui vont dominer la ligue pour les 3 prochaines années.
Quant à Batum, s’il est un joueur qui pèse et sait poser son empreinte de multiples manières sur une rencontre, il ne devient pas All-Star. Et pour cause, cette récompense donnée aux joueurs les plus populaires et spectaculaires de la ligue met souvent en avant les scoreurs les plus racés du circuit. Alors que les Hornets sont peu médiatiques et que le français n’a pas le profil idoine de la star NBA, les critiques vont suivre. D’autant qu’il doit assumer cette étiquette complexe du “sportif français le mieux payé de…”. Auprès du grand public et des médias, peu conscients de ces notions de salary cap et de la complexité du CBA, Batum se voit entouré d’attentes démesurées. Alors que son jeu, lui, n’est pas voué à changer. Mais ce contexte, le joueur devra faire avec, car personne ne sera désolé pour ce timing financièrement heureux, mais sportivement difficile.
La chute
Pour sa première saison avec ce nouveau statut, Nico va assumer dans les grandes largeurs. Dans la lignée de sa saison précédente, il pose quasiment un copier-coller de sa production passée. Le soucis, c’est qu’alors même que le joueur fait ce pour quoi on l’a signé, à 28 ans, ce qui sous-entend que la notion de “potentiel” est exclu, il endosse déjà les critiques sur son rendement, son manque de scoring. Il faut que dire si le joueur se maintient, l’équipe elle commence une longue descente aux enfers qui va perdurer le reste de la décennie. 6eme la saison passée, Charlotte termine 11eme. Et si les fans voient bien la régularité du français, ce sont les résultats collectifs qui sont retenus. En réalité, son contrat paraphé, le joueur aurait dû changer de statut. Produire des statistiques plus ronflantes. C’est ce que le changement de perception dont il fait preuve implique. Quand bien même il n’est pas réaliste ou avisé.
Malheureusement, sa carrière va prendre une trajectoire inverse. Si je devais donner un point de départ aux galères, je prendrai la date du 4 octobre 2017. Les Hornets veulent rebondir au sortir d’une saison décevante. Mais après 49 secondes de jeu en pré-saison, Batum sort, se tenant le coude. Les nouvelles qui suivent son mauvaises : 8 à 12 semaines d’absences pour une déchirure ligamentaire au coude. En pleine préparation, le joueur est coupé, contraint de démarrer la saison en retard et probablement hors de forme.
A posteriori, il semble également atteint psychologiquement par la saison précédente et le traitement médiatique dont il fait preuve. Une déclaration, deux jours plus tard, est sans équivoque :
“Des gens en France sont contents de ce qui m’arrive et c’est triste […] Je vous promets, je vois des réactions de ce type en permanence sur les réseaux sociaux.”
Pour quelqu’un qui croit en l’origine des maux, difficile d’y voir une coïncidence. Désireux pourtant de revenir à la compétition, Batum saute la case opération et revient rapidement au jeu. Bien qu’assez proche de ses saisons précédentes en termes d’efficacité, ce dernier perd du volume alors que collectivement, les Hornets ne vont pas mieux. C’est le début des emmerdes pour Batman, et également d’un cercle vicieux dans lequel le joueur va s’engouffrer pour un bon bout de temps. De saison en saison, son rôle et sa contribution diminue et l’arrivée de James Borrego, désireux de lancer un nouveau cycle ne va pas arranger les choses. D’autant que dans le même temps, la posture du français étonne.
Une posture délicate
Le joueur semble irrémédiablement en déclin et de moins en moins à l’aise sur le terrain, comme pris en otage entre divers feux. Pendant des années, il refuse de concéder que son rôle et son niveau ont changé. Les raisons, on l’imagine, sont multiples : les conséquences d’un tel aveux sur sa carrière, sur sa place dans l’effectif. Le refus d’admettre que désormais, les critiques injustes des saisons précédentes sont justifiées. L’égo, évidemment, celui du joueur mais aussi de l’homme. Et puis le milieu, le fait que la moindre prise de parole soit scrutée et reprise. S’avouer amoindri, tant physiquement que psychologiquement, c’est aussi se tirer une balle dans le pied.
Probablement que ce manque de transparence a contribué à couper Nicolas Batum du public. Certainement, n’y avait-il pas de route plus simple pour lui. Du moins, aucune collant à sa personnalité.
Pourtant, sa dernière saison à Charlotte est difficile. Relégué au bout du banc, le français apparaît éloigné de sa silhouette habituelle. Plus lourd. S’il ne s’étend pas dans les conférences de presse, la frustration est palpable. Mais interdit de perdre la face, alors il continue d’arborer un masque. Y compris en France, lors du NBA Paris Game, après une rare titularisation du joueur, pas assez en jambe pour briller devant son public. Si toutefois ce dernier le voit encore comme son public.
Jusqu’à…
Mais évidemment, il y a cette saison. Et pour qu’il y ait un rebond, il faut un élément décisif. Si je devais glisser dans l’univers des suggestions (peu risquées), je dirai que la fin de son contrat avec Charlotte était une chaîne que le joueur attendait de briser depuis longtemps. Véritable boulet accroché à sa cheville, Nico Batum apparaît libéré lors de la dernière intersaison, enfin coupé par les Hornets. Notamment dans les médias. Le joueur qui, en 2019 encore, cherchait à défendre sa situation, son bilan, contre vents et marées apparaît plus franc, plus libre dans sa prise de parole. Plus transparent sur sa propre appréciation aussi. Le 24 novembre 2020, en live avec la First Team, Batum livre plusieurs ressentis. Sa déceptions par rapport aux deux dernières saisons, sa volonté de couper les ponts avec ces derniers mois et de retrouver cette sensation, celle d’appartenir à un projet. Et puis un franc-parler qu’on ne lui connaissait plus.
“[…] C’est sûr que si tu résumes ma carrière à ces 18 derniers mois… J’suis une merde au basket.”
“J’aurai pu avoir une autre approche, j’aurai pu arrêter de me buter sur certaines choses, mais c’est pas arrivé malheureusement, et y a pas mort d’homme parce que je sais ce que je peux encore faire.”
Une auto-critique publique qui tranche avec les dernières années et apparaît comme libératrice pour le joueur. Avant de signer avec les Los Angeles Clippers, quelques jours plus tard, et d’embarquer pour une nouvelle aventure.
Nicolas Batum et les Clippers
Il ne faudra pas longtemps cette saison à Batum pour rappeler qui il est. En arrivant aux Clippers, il ne revient pas par la grande porte, mais débarque sur la grande scène : Los Angeles. S’il doit repasser par la case remplaçant, il suffira de quelques semaines pour s’imposer, montrer que le basket est toujours présent et qu’il peut toujours à la fois contribuer offensivement mais être un véritable atout défensif dans une équipe qui ne manque pas de profils dans ce compartiment.
De ses 3,6pts à 34% au tir, dont 28,6% à 3 points, le français retrouve des couleurs. Sniper de loin (+40%) dans une équipe de qualité qui lui permet de sanctionner les espaces créés par Kawhi Leonard et Paul George, il frappe à la porte et reprend une place de titulaire en NBA. Physiquement plus affuté, le joueur rappelle aussi qu’il n’a que 32 ans et possède encore le coffre athlétique pour exister dans cette ligue. D’autant que si la ligue est en pleine mutation, ses qualités, elles, sont toujours voire de plus en plus recherchées.
Désormais dans la seconde partie de sa vie en NBA, l’avenir semble plus serein pour le joueur. De plus en plus proche de ce rôle d’homme à tout faire, dans l’ombre, qui seyait si bien à un autre français, Boris Diaw, Nicolas Batum a tout pour s’épanouir. Le regard est évidemment tourné vers les Playoffs, où la lutte avec les Mavericks est loin d’être terminée. Et si on n’attend plus de lui se comporter comme une star, il convient de ne pas perdre de vue qu’il peut encore être décisif. Et ce, quelle qu’en soit la manière :