Si ce 1er tour de Playoffs, première rencontre en post-saison entre Chris Paul et LeBron James nous a rappelé quelques vérités sur le meneur, ce seraient les suivantes. CP3 semble poursuivi par un destin au mieux taquin, au pire cruel et ce dernier lui fait face, comme à l’accoutumée, avec son habituel courage et sa posture de dur au mal. Quoi qu’il en soit, l’évidence semble s’imposer : le meneur joue blessé, il est franchement handicapé et ses trois derniers matchs ne vont pas nous contre-dire :
Revenu suite à un mauvais coup dans le deuxième quart temps du Game 1, Chris semble à la fois diminué dans ses déplacements, dans son toucher et dans sa faculté à armer son shoot. Autrement dit, il ne lui reste que sa science du jeu. Toute phénoménale qu’elle soit, elle ne lui permet pas d’être le facteur majeur qu’il doit être pour les Phoenix Suns. Et alors que la franchise d’Arizona apparaissait comme une ombre majeure sur la route du repeat des Los Angeles Lakers, elle semble avoir perdu de sa superbe avec cette énigmatique gêne que ressent le joueur.
Si toutefois son retour fut récompensé par une jolie victoire dans le premier match, les Lakers ont répondu le match suivant. Et malgré l’envie de son joueur, Monty Williams s’est contenté de 7 min du joueur en seconde mi-temps du Game 2, bien obligé de se rendre à l’évidence. Alors que le doute plane autour de la faculté de récupération du joueur, quelles sont vraiment les options de Phoenix si ce dernier ne revient pas en meilleure grâce ?
Que perdent les Suns ?
Il va sans dire que c’est un sacré morceau que perdent les Suns. Chris Paul a vieilli, certes, mais il est toujours l’élite du poste de meneur. Général sur la parquet, d’une propreté sans borne balle en main et capable de scorer quand il le souhaite et particulièrement quand chaque panier compte. Paul est tout ce que l’on souhaite de son poste, penser le contraire, c’est faire injure à la balle orange. Cette année, après une décennie de disette, Phoenix est revenu au centre des discussions. Et si un élément fut déterminant dans cette soudaine ascension, c’est bien notre homme.
De fait, si l’équipe n’a plus rien à voir avec celle de l’an passé, qu’elle possède des armes pour se défendre même sans son meneur, il va sans dire que la perte est lourde et que le timing est désastreux : les Suns affrontent le champion en titre. La paire LeBron James-Anthony Davis. Et dans le même temps, c’est bien cet homme qui est absent :
86eme percentile au PSA (points par tirs tentés) chez les meneurs, 91eme percentile au % de passes, le tout avec un taux de perte de balle à faire pâlir l’essentiel des porteurs de balle de la ligue. Autrement dit, vous perdez votre principal créateur pour autrui et un joueur létal au scoring. Et si votre back-up lutte et surprend (Cameron Payne), il ne peut prendre sa place en prenant du volume ou du temps de jeu. Or Chris Paul pèse +16pts et +8asts par match ce qui en fait un des meilleurs scoreurs, mais surtout, la principale force de création de l’équipe. Mine de rien, vous créez facilement une dépendance à une présence pareille.
En prime, si l’effectif est dans le coup, on est en droit de douter la durabilité de certains éléments.
La réussite de la Paire Devin Booker – De’Andre Ayton peut-elle durer ?
Alors que je lançais l’article, la veille du Game 3, cette partie me semblait au cœur du problème. Pour leurs deux premiers matchs de Playoffs en carrière, Devin Booker et De’Andre Ayton ont fait mieux que confirmer les attentes. Ils ont brillé.
32,5pts à 46% au tir avec 5,5asts pour Booker.
21,5pts à 87,5% au tir avec 13rbds pour Ayton.
Aussi fort que les deux joueurs puissent être, cela signifie des statistiques au-dessus de leurs standards de saison. Et si les Playoffs laissent souvent la parole aux grands joueurs, toujours est-il que les voir maintenir cette forme n’a rien d’évident. Rappelons que Devin Booker, se situait autour des 25,6pts par match cette saison, tandis qu’Ayton était lui à 14,4.
Le match 3, à ce titre, a donné un premier élément de réponse. Si le pivot a maintenu son rythme de croisière, continuant de naviguer dans la raquette et de dominer, l’arrière a lui connu son premier coup d’arrêt : 19pts en autant de tir malgré 7 lancers francs obtenus. Il va sans dire que la traction arrière des Lakers, si elle n’est pas dominante offensivement, lui permet de proposer de solides opposants à l’arrière. De Schroëder à KCP, de Caruso à Matthews, l’opposition est de qualité. Tant sur l’homme que dans la lecture du jeu.
D’autant que sans Paul, empêcher Devin Booker de trouver son rythme est devenu le mot d’ordre des Lakers. Bon exemple proposé par Steve Jones Jr., cette attention portée à contester chaque tir du joueur dans ses positions préférentielles. Ici, Devin Booker prend soin d’éviter l’aide de Schroëder, mais malgré le drop, Gasol réussit un contest de qualité :
Il va sans dire par ailleurs que la défense élite des Lakers rend le timing de la perte de Paul déplorable pour Phoenix. Ici, un exemple de Hand-Off, qui figure comme un bon moyen de libérer Booker ou de créer du jeu… mais : KCP suit son vis-à-vis malgré l’écran de Crowder, AD flotte suffisamment longtemps pour barrer le chemin puis récupère Ayton (le drive est impossible, la passe lobée trop compliquée/risquée). Assez pour que KCP se repositionne. A partir de là, ce dernier mène sa défense tandis que Schroëder simule des aides. Booker se décourage, lâche la balle à Crowder qui continue sa série de briques à 3 pts.
Si cela n’a pas empêché Booker de sortir de belles performances, qu’il peut réitérer, la réalité est que ses pourcentages ne devraient pas crever le plafond dans cette série. Et c’est bien là le problème, Chris Paul ne risque pas d’être à ses côtés pour prendre le relais comme il peut le faire. La double menace incarnée par le duo en prend un coup, toute l’équipe avec.
Quelles solutions & ajustements pour les Suns ?
A moins que Paul ne revienne à de meilleures sensations, le travail de l’équipe et de Monty Williams est maintenant de trouver d’autres moyens de submerger les Lakers. Ce qui frappe, jusqu’ici, dans la série et à fortiori après le visionnage du Game 3, c’est le manque de solutions offensives pour Phoenix. Dès lors, comment sortir de ce guépier ?
Hausser le ton en défense ?
Quand vous ne pouvez vaincre par l’attaque, agressez l’adversaire. C’est souvent la première chose à laquelle on pense lorsqu’une équipe paraît trop faible offensivement pour outscorer son opposant. Le soucis, ici, c’est que la marge de manœuvre pour les Suns me paraît très faible. S’ils étaient apparus comme des challengers très intéressants pour le champion en titre, c’est qu’ils possèdent la rigueur défensive pour contenir leurs adversaires. Et dans une série, s’il est toujours possible de trouver des axes d’amélioration, la défense des Suns m’a semblé jusqu’ici au rendez-vous.
L’échantillon est certes faible, mais à ce stade, on peut même dire que la défense des Suns est montée d’un cran avec les Playoffs. Déjà 6eme avec leur 110,8 de defensive rating, ils affichent désormais un 108,4, alors qu’ils doivent faire face à l’un des duos les plus réguliers de la ligue offensivement. L’ensemble des matchs de la série ont été physiquement engagés et il faut noter l’excellent travail de Mikal Bridges, Jae Crowder, Cameron Johnson et Torrey Craig pour éviter que LeBron James fasse un match tonitruant, tout comme pour contenir Anthony Davis, pourtant bien plus imposant qu’eux physiquement.
Bien sûr, des choix “radicaux” pourraient être réalisés. Par exemple, considérer que Chris Paul ne sera toujours pas à 100% et à ce titre : titulariser Cameron Payne et donner bonnes minutes à Jevon Carter en tentant de compliquer la vie d’un maximum de créateurs (Schröeder / Caruso). Néanmoins, là encore, cela comporte un risque énorme pour une attaque déjà suffisamment dans les vapes.
Car oui, améliorer la défense ne semble pas un facteur suffisamment déterminant.
Combattre au rebond ?
Cela ne vous aura peut-être pas échappé, mais comme souvent, les Lakers ont installé leur domination sous l’arceau. Si la bataille fut plutôt disputée à la 1ere rencontre, elle a depuis complètement tournée à l’avantage des angelinos. Un ordre d’idée ? Les Lakers captent 58% des rebonds sur les deux matchs qu’ils ont remporté. Alors que le langage corporel du champion laissait planer une sorte de vulnérabilité au premier match, le sursaut fut terrible à encaisser pour les Suns.
La principale forme d’amélioration semble se trouver ici pour Phoenix. Certes leur défense est bonne, à vrai dire, les Suns autorisent un faible 44,2% au tir (mieux que leur adversaire), le problème, c’est qu’incapables d’être souverains dans la raquette, ils concèdent énormément de secondes chances : +7 tirs par rencontre pour les Lakers.
Or puisque de l’autre côté du terrain, ils ne rendent pas le moins du monde la pareille (18,1% des rebonds offensifs captés, moitié moins que les Lakers), ils se retrouvent naturellement submergés par l’attaque adversaire qui n’est pas nécessairement meilleure.
Et c’est là qu’il y a peut-être un pari à prendre. Deux questions se posent forcément en amont : Est-ce que cela vaut le coup de perdre en faculté à switcher (Booker – Bridges – Crowder), en apportant de la taille et une faculté à maîtriser le rebond ? L’équipe possède-t-elle un joueur à même d’améliorer le box-out de l’équipe et d’apporter un sens du rebond plus important ?
D’emblée le seul joueur qui matche potentiellement ces exigences semble être Dario Saric. S’il n’est pas un athlète féroce, le croate apporte une présence au rebond solide (environ 9rbds/match pour 36 minutes de jeu, de la taille et une vraie discipline basket). On peut imaginer que si sa mission est d’améliorer l’équipe dans ce compartiment clé en Playoffs, il a la faculté d’avoir un impact positif.
En prime, le joueur s’il manque de mobilité latérale est un défenseur intelligent qui a globalement bonifié son équipe cette saison. Si sa présence change probablement les consignes défensives de l’équipe lorsqu’il est aligné, toujours est-il que l’équipe est meilleure avec lui : -4,4pts pour 100 possessions, -4,1% de rebonds offensifs concédés. Reste à éviter que le joueur soit ciblé en permanence. Notamment en décorrélant ses minutes, tant que faire ce peut, de la présence du King.
Trouver d’autres options pour scorer ?
C’est probablement l’élément clé pour Monty Williams. Alors que les Suns sont passés d’une attaque “all-time” avec leurs +116pts pour 100 possessions en saison régulière à 104,6 sur ces 3 premiers matchs, l’équipe doit trouver comment créer du mouvement et des décalages sans Paul à la baguette.
Et c’est là que le bas blesse. Si Cameron Payne continue de surprendre chaque soir dans cette série, le titulariser et se passer de CP3 (en l’état) n’apparaît pas comme une réponse suffisante. Le coaching staff des Suns doit trouver d’autres solutions. E’Twaun Moore pourrait par exemple amener quelques bonnes possessions, même si cela paraît peu pour faire pencher la balance (surtout avec la défense des Lakers). Là encore, le salut pourrait (très partiellement) venir de Dario Saric.
Tenter de l’utiliser comme initiateur poste haut permettrait de laisser Ayton continuer d’évoluer ligne de fond et dans la raquette des Lakers, tout en rendant le manque de talent sur Pick & Roll moins criant. Étant donné que Jae Crowder connaît une pénurie offensive désastreuse (10% derrière l’arc pour 6,7 tentatives par match), l’équipe ne serait pas nécessairement perdante à l’idée d’utiliser Dario Saric (35% cette saison de loin), dans un rôle de stretch-4, sur les séquences où il ne serait pas impliqué dans la création.
L’idée est simple : ajouter des Hand-offs pour Devin Booker et Cameron Payne. En ce faisant, l’équipe améliore ses chances de punir la défense des Lakers pendant les rotations défensives, puisque cette dernière s’adapte très bien au pick&roll des Suns (ce qui explique les difficultés croissantes des Suns pour scorer voire éviter les pertes de balles).
Mais puisque tout cela apparaît comme de bien légers ajustements, c’est peut-être dans le rythme que Phoenix pourrait tenter quelque chose. Suns-Lakers est à ce jour la série de Playoffs la plus lente de ce premier tour avec 95,5 possessions par match. Et si c’est ainsi, c’est parce que les deux équipes aiment prendre leur temps et jouer sur demi-terrain. Or ce ralentissement dans le jeu, côté Suns, est aussi la conséquence directe de l’arrivée de Chris Paul à Phoenix. Sorti de l’équation, s’il ne fait nul doute que changer de style à ce stade de la saison peut apparaître étrange, il semble pourtant nécessaire, presque dos au mur, de vouloir chercher une issue à un problème presque insoluble.
Prendre le risque d’accélérer le jeu pourrait permettre à Phoenix d’obtenir plus de points faciles, mais également de se précipiter en attaque et de payer le prix face à une des meilleures formations de la ligue en transition. Pourtant, opposé à un groupe expérimenté, solide en défense et sans véritable faille à exploiter, tenter de marquer des points faciles apparaît presque comme naturel.
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Malgré ces quelques options envisagées, malgré des éventualités bienvenues (qui sait, un Jae Crowder qui retrouve les chemins du filet, une ou deux soirées d’adresses insolentes des role players), un nuage est en train de passer sur Phoenix. Dans ces conditions, la meilleure chance de la franchise semble encore d’espérer un retour en forme de Chris Paul. Autrement, la cruauté du calendrier pourrait bien avoir joué un sale tour aux Suns, mettant sur leur route le champion trop tôt malgré une saison maîtrisée de bout en bout.