La dernière marche du play-in de la Conférence Ouest a rendu son verdict. Au terme d’un match âprement disputé entre deux équipes éreintées par une fin de saison haletante, les Memphies Grizzlies sont parvenus à éliminer les Golden State Warriors de la course aux Playoffs. Après une saison semée d’embûches, les coéquipiers de Ja Morant s’offre au leader quelque peu inattendu de l’Ouest, le Utah Jazz.
Chez les mormons, le suspense ne fut pas de mise. Le Jazz a validé son ticket pour la postseason depuis bien longtemps, et cherchera à valider un statut de place forte de sa conférence. Depuis l’instauration du play-in, les affrontements entre leaders et derniers arrivés en Playoffs peuvent sembler plus déséquilibrés que jamais. Pourtant, entre le premier de l’Ouest et ceux qualifiés par la petite porte, l’écart est-il si évident ?
Dynamiques de la fin de saison
Les deux franchises ont vécu des saisons régulières diamétralement opposées, ou presque.
Dans l’Utah, le constat est limpide : la franchise a pu se reposer sur un effectif stable, complet, et d’une efficacité chirurgicale pendant 72 matchs. Au cours d’un exercice marqué par les blessures, la COVID-19 et un contexte global très particulier, la bande de Quin Snyder a su naviguer et éviter toute forme de tempête. On savait le Jazz prêt à affronter cette saison régulière, et les coéquipiers de Donovan Mitchell n’ont pas déçu. Portée par un collectif inébranlable, Utah a mené sa campagne d’une main de maître. La franchise sortait d’un exercice décevant, conclue sur ce qui ressemblait à une débâcle face à Denver au premier tour. Une claque qui ne remettait pas en cause le noyau dur du Jazz, composé de Mitchell, Gobert et Ingles, rejoints plus tôt par Conley, Bogdanovic et Clarkson. L’arrière réalise d’ailleurs une saison remarquable, en pôle position pour glaner un titre de 6ème Homme de l’Année.
Mais finalement, que dire de la saison du Jazz, si ce n’est ce qui a été maintes fois répétés ces derniers mois ? Oui, Utah a légèrement surpassé les attentes. Oui, Quin Snyder et son collectif amènent un bon nombre de certitudes à cette franchise. Que l’on ne s’y méprenne pas, le Jazz a réalisé un superbe exercice, dominant une Conférence Ouest toujours plus dense et récitant sa partition sans accroc. Le Utah Jazz était tout simplement la meilleure équipe de saison régulière. Mais comme nous l’avons écrit à plusieurs reprises, la véritable échéance de Rudy Gobert et les siens ne se situaient plus entre décembre et mai, mais bien en juin. Le 30 mai, pour être tout à fait honnête. Pour l’avoir lu chez différents confrères en préparant cette preview, nombreux sont ceux qui attribuent la réussite du Jazz en saison régulière au trépas des autres places fortes de l’Ouest : les blessures des Lakers, le load management des Clippers, ou encore la baisse de régime des Suns en fin d’exercice. Utah doit faire taire ses détracteurs, et aborde ce premier tour en confiance et sûre de ses forces. Seule ombre au tableau, la récente blessure de Donovan Mitchell à la cheville. L’arrière est annoncé présent pour débuter la série, mais dans quelle forme physique ?
Du côté de Memphis, la chanson est bien différente. L’équipe démarre ces Playoffs à bout de souffle, mais dans une euphorie palpable. Au terme d’une saison éprouvante pour les oursons (COVID, blessures, matchs reportés et accumulés ces derniers jours), les coéquipiers de Ja Morant ont bien failli perdre le fil. A l’approche du play-in, le momentum semblait du côté des Warriors après un affrontement épique face aux Lakers. Memphis venait de passer les Spurs de justesse grâce à un énorme Valanciunas, avant de finalement taper Golden State dans un match des épuisés. Un épilogue dingue après prolongations, dans lequel Morant s’est largement illustré. Alors que l’on voyait les Grizzlies lâcher leur avance sur le parquet des Warriors, ils ont fini par valider leur qualification au bout du suspense. La démonstration d’un groupe soudé et très fort mentalement, endurci par les épreuves d’une saison régulière qui ne leur a fait aucun cadeau. La récompense pour une équipe qui n’aura rien à perdre, et dont chaque minute au cours des prochains matchs relèvera de l’apprentissage.
Affrontements de la saison régulière
Il était difficile d’affronter le Jazz cette saison, et les Grizzlies ne diront pas le contraire. En trois rencontres, les oursons ont subi autant de revers face à une équipe plus stable et mieux rôdée.
Pourtant, hormis le match de mars qui a vu Utah l’emporter largement, les deux autres rencontres furent très disputées. Le premier affrontement s’est joué dans les dernières secondes, et conclu par une victoire de trois petits points au terme d’un superbe duel Morant – Mitchell. Le collectif du Jazz a fait la différence, et l’histoire s’est répétée quelques jours plus tard malgré l’absence de l’arrière de Utah. A noter que les deux équipes se sont jouées trois fois… En six jours. Les deux extérieurs s’en sont donnés à cœur joie, et il est intéressant de noter que les deux effectifs étaient à chaque fois presque au complet. Hormis les absences notables de Jaren Jackson Jr. et de Donovan Mitchell sur un match donc.
Lors de ces affrontements, les forces et faiblesses de chacun ont d’ailleurs été mises en évidence. Alors que le Jazz a une fois de plus surclassé son adversaire derrière la ligne, les Grizzlies ont maintenu la distance à l’intérieur, notamment en grattant beaucoup de fautes. Sur les trois matchs, Utah cumule 63pts de plus que Memphis derrière l’arc, soit 21pts par match en moyenne. Il faut savoir que sur la saison régulière, les mormons affichent un différentiel moyen de 17.6pts par rapport à leurs adversaires à 3pts. Forcément, alors que les Grizzlies sont parmi les pires équipes de la ligue dans le registre, ce fut une aubaine pour les hommes de Quin Snyder.
A l’inverse, Memphis a comblé son retard dans les autres secteurs au scoring, notamment sur la ligne des lancers. En trois rencontres, ils ont obtenu 71 lancer francs, soit le plus gros total pour un adversaire du Jazz cette saison. A lui seul, Ja Morant a cumulé 26 lancers lors des deux matchs serrés, contre seulement 4 lors du blow-out administré par Utah. Une clé de la série à venir ?
Dernière remarque à propos de ces confrontations en saison régulière : les deux équipes ont à chaque reprise encaissé plus de points que leur moyenne accordée à l’adversaire sur la saison. Alors que Utah et Memphis sont respectivement 4ème et 7ème Defensive Ratings, doit-on pour autant s’attendre à une série placée sous cadenas ?
Match-up & clés de la série
Deux collectifs forts
Utah et Memphis partagent ce point commun sur cette saison régulière : des collectifs en place au service de la performance et des résultats. Les statistiques défensives des deux équipes ne trompent pas, les efforts sont faits et les rôles bien définis. Si Memphis a longtemps pâti d’une instabilité due aux absences, l’effectif a toujours été régi par des missions claires, des deux côtés du terrain. Bien aidés par la présence de joueurs expérimentés comme Jonas Valanciunas ou Kyle Anderson, les oursons peuvent s’appuyer sur un mélange d’expérience et de jeunesse, qui ne se laisse pas altérer par les égos de chacun. Même s’il reste de la marge de progression, on sent que Taylor Jenkins tire l’essence de tous ses joueurs, en leur confiant les bonnes responsabilités. Hormis les quelques passages un peu forcés d’un Dillon Brooks en pleine euphorie, personne ne sort du cadre et ça fonctionne.
Le problème pour Memphis est que son adversaire place la barre encore plus haut dans le domaine. Si l’on doit prendre un collectif en exemple cette saison, c’est bien celui du Jazz. Tous les rôles sont parfaitement définis, et surtout complémentaire. Porteurs de balle, défenseurs, shooteurs, besogneux, dynamiteurs, tous les profils sont représentés et servent parfaitement le groupe. La preuve en est : Utah place deux joueurs sur le podium du 6th Man of the Year (Clarkson et Ingles). Toute la saison, Quin Snyder et ses joueurs ont proposé un jeu léché, basé sur un mouvement de balle constant faisant la part belle aux shooteurs. Utah est l’équipe la plus adroite de la ligue derrière l’arc, mais aussi l’une des plus redoutables défenses. Attaquer sur eux est tout simplement un enfer, tant l’effectif offre des alternatives et des possibilités de switch.
Finalement, Memphis et Utah présentent des similitudes sur le plan collectif. Cependant, les mormons semblent plus complets et surtout plus fournis pour dominer une série. Sur chaque registre ou presque, les match-ups leur sont favorables, et il faudra compter sur plus d’exploits individuels côté Memphis pour espérer quelque chose. On pense notamment aux bancs, car les Grizzlies vont devoir défendre sur Clarkson et Ingles. Grayson Allen, De’Anthony Melton ou encore Xavier Tillman ont montré de belles choses de ce côté du terrain, mais affichent un manque de régularité criant face à leurs futurs adversaires.
Au global, le collectif des Grizzlies semble surclassé par celui du Jazz. D’autant que les hommes de Jenkins abordent ce premier tour épuisés après une campagne éprouvante, et des joutes intenses en play-in. L’euphorie sera de leur côté, mais la régularité et la fraicheur sont clairement en faveur de Utah. On pense notamment à Justise Winslow et Jaren Jackson Jr., empêtrés dans des problèmes de blessures et qui ne semblent jamais à 100% de leurs capacités. A l’inverse, les coéquipiers de Rudy Gobert ont récité leur basket toute la saison, avec une exécution parfaite et un modèle de régularité. Sans compter une expérience bien plus importante, mais on y reviendra plus tard.
Donovan Mitchell/Rudy Gobert VS Ja Morant/Jonas Valanciunas
Sans surprise, ce sont les deux duos à observer lors de cette série. En premier lieu, les projecteurs seront bien sûr braqués sur les jeunes extérieurs que sont Morant et Mitchell. Le meneur des Grizzlies sort d’une saison très convaincante, et d’une performance de haut vol face aux Warriors et Stephen Curry. Ce sera pour lui le second gros test de sa jeune carrière, et ses récentes déclarations ajoutent un peu de pression sur ses épaules. Parfois en manque de régularité, notamment au tir, il doit s’imposer comme le meilleur joueur de la série s’il veut donner une chance aux siens. Une énorme responsabilité pour un sophomore, d’autant que l’adversité n’est pas des plus faciles. En face, le vieux briscard Mike Conley fera jouer son expérience et sa défense, et il sera plus difficile d’aller chercher certaines fautes obtenues en saison régulière. En Playoffs, les défenses se resserrent et les contacts se font plus rugueux. Le Jazz ne dérogera pas à cette règle et lorsque les solutions se feront rares, Morant devra être capable de trouver les failles. La postseason est souvent une affaire de star, Ja Morant devra se comporter en tant que tel.
Se comporter en patron, Donovan Mitchell l’a fait l’an passé. Lors de la série contre Denver, l’arrière avait éclaboussé la NBA de son talent. Problème, il semble débuter ces Playoffs amoindri, si toutefois il les débute vraiment dès ce dimanche. La santé de Mitchell et les performances qui en découleront sont nécessairement un point clé de cette série, car l’arrière débloque les situations épineuses de son équipe. Lorsque les tirs ne rentrent plus collectivement – c’est rare, on vous l’accorde – Spida est capable de prendre les choses en main au scoring. Une donnée essentielle en Playoffs, et l’arrière devra en plus se coltiner un Dillon Brooks devenu franchement relou en défense.
A leur côté, la bataille des pivots sera également déterminante. Et si l’on cite les duos en tant que point clé, c’est tout simplement pour la relation de dépendance qui existe entre leurs acteurs. Ja Morant sera confronté au meilleur défenseur intérieur de la ligue, en la personne de Rudy Gobert. La présence de Valanciunas doit l’aider à trouver des solutions lorsqu’il agressera le cercle comme à son habitude. Le pivot des Grizzlies aura d’ailleurs fort à faire, car si sa technique peut lui permettre de gêner Gobert, il n’en reste pas moins un profil largement à portée du français. La bataille sous le cercle s’annonce rude, notamment au rebond, et les extérieurs auront la charge de bien positionner leurs pivots respectifs pour des paniers importants.
Une histoire de statuts
Pour la première fois depuis longtemps, Utah borde une série de Playoffs en incontestable favori. Un statut à assumer, et une mission délicate pour les hommes de Quin Snyder après la débâcle de l’an passé. On ne va pas répéter tout ce qui fait la force du Jazz. En revanche, nombreux sont ceux qui émettent des doutes quant à la capacité des mormons à aller loin en postseason. Forts de joueurs expérimentés aux joutes de mai, Utah doit dominer la série de bout en bout et se comporter en patron. En face, les Grizzlies n’ont rien à perdre et chaque minute sera presque du bonus pour des oursons qui joueront crânement leur chance. Les jeunes de Memphis, encadrés par quelques vétérans importants, laisseront leur peau sur le parquet. Cet affrontement fait partie de leur construction et de leur courbe de progression.
Plusieurs fois cette saison, les joueurs d’Utah se sont plaints d’un manque de respect et de considération. A eux d’envoyer un message au reste de la ligue en assumant leur place de leader de l’Ouest. Le Jazz ne doit pas se contenter de remporter la série, mais doit le faire avec la manière. En ne laissant aucun espoir à ses adversaires. Donovan Mitchell a montré que la pression ne le dérangeait pas, bien au contraire, mais Utah a déjà laissé filer une série qui semblait déjà gagnée. Cette fois, ils ont un nouveau statut à assumer, et des bouches à fermer.
Pronostic & mot de la fin
Utah Jazz 4 – 1 Memphis Grizzlies
Difficile néanmoins de voir Memphis accrocher plus de deux matchs dans cette série. Utah jouit d’un collectif plus fort, et de certitudes essentielles pour une telle échéance. Il faudra compter sur un grand Ja Morant et sur des joueurs morts de faim pour espérer décrocher un match ou deux. Mais si les Grizzlies parviennent à prendre une victoire sur le parquet du Jazz en début de série, le doute pourrait s’installer chez les hommes de Snyder.
Au global, Utah dispose de plusieurs joueurs capables de faire basculer un match en leur faveur. Au-delà de Mitchell, Jordan Clarkson et Bojan Bogdanovic sont de cette trempe, et l’ont montré à plusieurs reprises cette saison. On ne voit pas Memphis rivaliser sur toute une série, malgré le talent et l’intensité dont feront preuve les Grizzlies.
Parmi la rédaction, l’issue de la confrontation ne fait pas de débat, et on imagine un 4-1 en faveur du Jazz. En revanche, personne n’est contre une série à suspense et des oursons qui se muent en poil à gratter de la meilleure équipe de saison régulière…