Fortuna. Déesse de la mythologie romaine, elle est la divinité de la chance. Si l’on prétend que son culte avait été introduit à Rome au cours de l’Antiquité, il se pourrait bien que certaines personnes en Arizona ait oublié de l’honorer. La sanction a été immédiate : en dépit d’une excellente régulière, achevée avec le 2ème bilan de la Ligue, les Suns affronteront les Lakers pour un premier tour explosif.
Les Angelinos, malgré leur saison en dent de scie, à cause notamment des blessures des joueurs majeurs, qui l’ont fait glisser jusqu’au play-in, abordent la postseason avec le couteau entre les dents. Si la marge sur leurs adversaires semblent s’être réduite par rapport à la bulle d’Orlando, il ne faut en aucun cas sous-estimer le cœur du champion, d’autant plus s’il est mené par un LeBron James en mission, comme toujours, dès que les play-offs surviennent.
Pour autant, ce sont bien les Suns qui s’avancent dans la peau de l’équipe qui a le plus de certitudes collectives et un bien meilleur bilan. Assurance, régularité et efficacité ont marqué cette saison du côté de Phoenix, qui retrouve ainsi les play-offs pour la première fois depuis onze longues années et qui n’entend absolument pas faire de la figuration. C’est donc un choc entre deux montagnes qui s’annonce. Mesdames et messieurs, entrez dans l’arène. Spectacle garanti.
Dynamique de la fin de saison
D’un point de vue purement arithmétique, sur le dernier quart de saison, les Californiens ont un bilan à l’équilibre de 8-8, qui est réhaussé par la victoire aux couteaux dans le match de play-in face aux Warriors. Une dynamique qui peut sembler au mieux passable, au pire franchement moyenne pour une équipe d’un tel calibre. Ce serait toutefois rater le point le plus important : le contexte.
En effet, les deux principales stars de la franchise n’ont cessé de faire des allers-retours entre présence et absences, ce qui a pénalisé les résultats collectifs : Anthony Davis est officiellement revenu le 23 avril, après deux mois d’arrêt, et il a eu besoin de deux semaines pour retrouver de vraies bonnes sensations (nous en reparlerons un peu plus tard de cette rencontre référence) ; tandis que LeBron James est revenu le 1er mai …pour finalement réaggraver sa blessure et ne réapparaitre pour de bon que le 15 mai, soit lors de l’avant-dernier match de saison régulière.
La dynamique récente inspire en revanche à l’optimisme : le groupe est enfin au complet et ils sont sur une série de cinq victoires consécutives. Autrement dit, bon gré mal gré, les Lakers sont dans une bien meilleure dynamique que ne le laisserait supposer leur bilan comptable et leur pâle 7e place à l’Ouest. Derrière ce bilan modeste se cache en réalité une équipe redoutable et redoutée.
En Arizona, la confiance règne. Cette phrase, qui pourrait faire sourire bon nombre d’amateurs de NBA, tant cette franchise n’était pas habituée à la tranquillité au cours de la décennie écoulée, est désormais tout sauf une blague. Oui, les Suns sont devenus une équipe compétitive, ce qui finalement ne date pas d’hier : en réalité, ils sont excellents depuis maintenant neuf mois. Depuis la bulle, en fait, dans laquelle ils ont réalisé un perfect lors des derniers matchs de régulière, échouant de peu aux portes des play-offs.
Une fois ce déclic survenu, l’arrivée d’un meneur all-time en la personne de Chris Paul a permis à cette franchise de passer ce cap tant attendu. Désormais, ils veulent juste en découdre. Comme un symbole, Devin Booker, aucun match de play-offs au compteur malgré son immense talent, a déclaré à ESPN et sans trembler du menton « We’re trying to win it all ». Ambitieux ? Oui, mais cela témoigne surtout d’un changement drastique d’état d’esprit : les Suns visent le titre NBA, pas le titre de darling de la saison régulière.
Rien de nouveau sous le soleil, comme on dirait l’expression. Et c’est ce qui pourrait qualifier le moral des Suns en cette fin de régulière. Après neuf mois de réussites, des certitudes individuelles et collectives se sont créées. La fin de saison a été du même acabit : 11 victoires sur les 16 dernières rencontres, contre majoritairement de grosses équipes, et du repos pour les cadres en vue de la postseason. Idyllique ? Presque, puisqu’en creusant bien nous pouvons détecter deux épines dans le pied. Tout d’abord, la blessure de Deandre Ayton, absent sur les trois dernières rencontres. Puis, le dernier quart-temps calamiteux face aux Warriors, le 12 mai dernier. Un finish bâclé et mal maitrisé, qui a finalement d’immenses conséquences, lorsque l’on sait que les Suns ont échoué à une petite victoire du premier spot à l’Ouest.
Affrontement en saison régulière
Cette section est à prendre avec des pincettes, au vue de la saison régulière pour le moins étrange à laquelle nous venons d’assister. Peu d’enseignements sont à tirer, mais un récap ne fait pas de mal. Les Suns et les Lakers se sont joués trois fois cette saison, avec un avantage de 2 victoires à 1 pour Phoenix. Voilà le bilan comptable.
Dans le détail, nous avons eu une victoire 114 à 104 des Suns au Staples Center le 3 mars. LeBron (38 pts), sans Anthony Davis, était trop seul face à la densité de talent des Arizoniens (cinq joueurs à 15 points ou plus), qui ont continué à bien exécuter malgré l’exclusion de Booker dans le 3e quart-temps.
Ensuite, une nouvelle victoire des Suns, le 22 mars, à domicile, 111 à 94. Sans ses deux stars, blessés, les Lakers se sont fait attaquer à l’intérieur (Ayton à 26 points) comme à l’extérieur (Booker également à 26 points), avec un CP3 royal et en triple-double pour mener cette démonstration collective.
Enfin, les Californiens ont remporté la dernière des trois rencontres, le 10 mai dernier, sur le score de 123 à 110. C’était il y a moins de deux semaines, finalement. Les Suns avaient pourtant la grosse équipe, mais ils n’ont rien pu faire face à la domination individuelle d’Anthony Davis, qui a sorti là son match référence post blessure : 42 pts, 12 rebonds, 5 passes décisives et la raquette adverse dans sa poche arrière (Ayton dominé des deux côtés du parquet et limité à 6 malheureux points notamment, des remplaçants coté cactus encore moins efficaces). Un massacre donc, et réalisé sans un certain LeBron James.
En résumé, si la saison régulière nous a bien offert trois affrontements entre ces deux franchises, aucun d’entre eux ne ressemblera à la future série à laquelle nous assisterons, puisqu’elle se déroulera avec LeBron James ET Anthony Davis sur le parquet. Le seul enseignement notable est que, lorsque l’une ou l’autre des stars californiennes a été apte à jouer, c’était minimum 38 points marqués. Alors les deux ensemble, qu’est-ce que cela pourrait donner ?
Match-up et clés de la série
Incertitude sur la forme de certains joueurs majeurs
De nombreuses blessures ont été à déplorer du côté des Lakers cette saison, et les joueurs touchés sont soit âgés (LeBron James, 36 ans au compteur), soit plutôt fragiles physiquement (Anthony Davis a un long passif avec les blessures musculaires). L’un comme l’autre ont eu peu de matchs pour pouvoir préchauffer, et ont par ailleurs dû se coltiner un affrontement épique et éreintant de play-in pour atteindre les play-offs.
La question n’est pas de savoir s’ils sont à 100%, car ce n’est pas le cas, mais bien de savoir à quel point ils sont en forme. S’ils s’approchent de leur forme optimale, ce sera bien évidemment une mauvaise nouvelle pour les Suns, puisqu’il se pourrait que les deux meilleurs joueurs, du moins du point de vue du talent pur, se trouvent dans l’équipe adverse.
Si la cuisse de Chris Paul semble n’être qu’un lointain mauvais souvenir et que Booker est bel et bien en forme, c’est le troisième larron qui inquiète : Ayton sera de retour, mais là aussi, sans doute pas à 100%. Vu le bouillon qu’il avait pris face à Anthony Davis le 10 mai dernier, s’il est court physiquement, l’affrontement à l’intérieur pourrait aisément tourner à l’avantage des Angelinos.
La bataille sous les cercles
Dans la continuité du point précédent, nous pouvons nous poser cette interrogation majeure : qui diable peut défendre sur Anthony Davis et l’empêcher de gober de si précieux rebonds ? Les Suns ont un problème : ils sont la 23e équipe de la ligue en total de rebonds captés, et même la 28e pour les rebonds offensifs. Traduction : les shoots auront intérêt à rentrer, car ils auront peu de deuxième chance.
Maintenant, comment tenter de limiter AD ? Un joueur de cette trempe peut difficilement être laissé en 1 contre 1, d’autant plus qu’avec ses qualités, une prise à deux ou une potentielle défense de zone ne lui font pas peur : il saura décaler le bon partenaire ou prendre le 3 points qu’il faut. Les Suns n’ont pas ce profil idéal qui est ultra athlétique, rapide, physique et fort défenseur, capable de le limiter (type Embiid, Giannis ou Adebayo). Par séquences, Ayton pourra s’y coller, mais pas pendant tout un match.
Dès lors, la seule solution est de se relayer : Ayton, Kaminsky, voire Saric ou Jalen Smith. Mais une telle option coûte des fautes et use le personnel, ce qui risque de le rendre moins efficace dans l’autre surface (surtout Ayton, qui devra peser offensivement et notamment obtenir des lancers, sans quoi il leur sera difficile de s’imposer) et au rebond offensif, et ainsi de devoir reposer la majorité du scoring sur les joueurs extérieurs, c’est-à-dire principalement sur Booker.
Le match des généraux
LeBron James contre Chris Paul. Un véritable match dans le match. Deux joueurs all-time, et deux ball-handler qui cohabitent avec une autre grosse star dans leur équipe. Leur capacité à mener l’équipe et à avoir cette gestion de métronome va peser sur l’issue de la série. Au sein d’un effectif jeune et peu expérimenté en play-off (seul Jae Crowder a déjà connu des Finales du côté des Suns), le rôle de Chris Paul sera prépondérant, car ça sera à lui d’essayer d’imposer son tempo : dicter le match, trouver des armes tactiques pour combattre la taille des Lakers, rester sur une PACE lente et savoir faire preuve de patience des deux côtés du terrain, gérer la circulation de la balle, jouer au maximum sur demi-terrain, c’est-à-dire le cocktail gagnant de la saison régulière. Plus que des arabesques ou des passes impossibles, Chris Paul devra s’efforcer de faire en sorte que le train ne déraille pas…ce qui n’est pas une tâche aisée avec un effectif certes talentueux, mais aussi relativement jeune et inexpérimenté.
De son côté, LeBron James n’aura pas de problème d’inexpérience à gérer, puisque le groupe qui a connu le titre est globalement resté le même (les deux leaders, Caruso, Markieff Morris, KCP), et que les nouveaux arrivants ont déjà de l’expérience en play-offs (Gasol, Harrell, Schröder). Toutefois, ce sera au King de mettre de l’ordre sur le terrain, et son rôle là non plus ne sera pas facile : alimenter Davis au mieux, gérer le backcourt terrifiant des Suns, replacer ses extérieurs, son intérieur (Drummond ? Gasol ? Harrell ?), car Ayton est redoutable en attaque, et essayer de limiter la circulation de balle adverse. LeBron aura fort à faire dans son travail d’organisateur. Et quand il se décidera lui-même à pénétrer en drivant, les Suns auront de quoi lui faire face avec Craig, Crowder et surtout Mikal Bridges.
Si Anthony Davis risque d’être un problème insoluble pour les Arizoniens, la diversité et la qualité des défenseurs envoyés en mission sur LeBron pourraient être un atout de taille à le gêner. Nous nous retrouvons dans tous les cas face à deux immenses challenges, à la mesure du talent et de la greatness de Chris Paul et de LeBron James.
Des bancs à la hauteur ?
Phoenix pourra s’appuyer sur une forte profondeur de banc, constituée de 12 voire 13 joueurs capables d’avoir un réel impact dans cette série. Une richesse d’effectif délectable, qui pourrait faire la différence, surtout si la série tend à s’éterniser. Monty Williams, qui connait parfaitement ses joueurs, devrait pouvoir s’ajuster au mieux, et chaque homme du banc sait ce qu’il doit faire : Cameron Payne, Saric, Torrey Craig ou encore Cam Johnson connaissent exactement leur rôle, ce qui assure une productivité, une contribution et une efficacité estimables des deux côtés terrain en sortie de banc. En un mot, cela garantit une forme de régularité.
Les Lakers sont au complet. Bonne nouvelle. Mais, c’est quoi exactement leur équipe-type ? Bien sûr, LeBron James et Anthony Davis sont indéboulonnables. KCP est également essentiel. Ensuite, cela se corse. Schröder ou Caruso au poste 1 ? Quel pivot pour accompagner AD dans la raquette ? Le choix est large, mais peu concluant : Drummond et son +/- cataclysmique ? Harrell limité en défense ? Gasol mécontent de jouer peu, mais pour autant pas assez impactant en attaque quand il est sur le parquet ?
Malgré les apparences et les certitudes du champion, c’est bien du côté des Suns que les rotations semblent les plus ancrées dans l’esprit du coach et des joueurs. Le maitre-mot de cette problématique, c’est encore une fois bien la régularité. C’est ici que la bât pourrait blesser : Kuzma, Harrell, Schröder ou encore Drummond sont, et j’utilise des grosses guillemets, des joueurs intrinsèquement meilleurs que leurs homologues du banc d’en face, sauf qu’il y a deux soucis : ils manquent de régularité, c’est-à-dire qu’ils peuvent tantôt scorer 50 points à eux quatre, tantôt 18 ; ils peuvent se prendre pour ce qu’ils ne sont pas, c’est-à-dire une troisième option fiable dans une équipe qui gagne, et ainsi déséquilibrer l’harmonie collective et pénaliser l’équipe.
Pronostic & mot de la fin
Il est l’heure de trancher, et c’est difficile tant on a l’impression que tout peut se passer dans cette série. Nous avons deux excellentes équipes sur le papier et sur le terrain. C’est un fait. Pourtant, aussi emballante la saison des Suns soit elle, le manque d’expérience est souvent une barrière infranchissable quand cela compte vraiment : obtenir des fautes bien senties, gérer un money-time tendu, etc, cela s’apprend, surtout face à une opposition qui a tous les atours du boss final.
En play-offs, l’histoire a montré qu’il fallait apprendre de se défaites, que cela faisait partie d’un processus presque inéluctable. Enfin, puisque l’on parle d’histoire, vous rappelez-vous en quelle année LeBron James a été sorti au premier tour des play-offs ? Non, et c’est bien normal, puisque ce n’est jamais arrivé. Un 14/14 au 1er tour, que nous voyons se transformer en 15/15. Logique implacable.
Los Angeles Lakers 4 – 2 Phoenix Suns
Il serait surprenant que Phoenix n’offre pas une valeureuse résistance, mais nous pronostiquons une victoire en six matchs des Angelinos, avec plusieurs rencontres accrochées.
La puissance des Lakers, emmenés par ses deux superstars et son expérience, devraient dès lors pousser les Suns en vacances. Si cela arrive bel et bien, soyez certains que les Arizoniens retiendront deux leçons. Tout d’abord, que c’est perdant que l’on apprend le plus. Enfin, et peut-être le plus important, qu’il fallait honorer la déesse Fortuna.
NB : Merci à @SunsFR pour son avis éclairé sur les points clés des Suns lors de cette série !