Terry Rozier a connu quelques beaux moments avec les Celtics. A commencer par ses playoffs 2018 où les celtes, amputés de Kyrie Irving, se tournaient vers son back-up pour les aider à avancer en post-saison. Pourtant, le jour ou Scary Terry a décidé de prendre ses clics et ses clacs vers Charlotte, peu de fan de Boston ont pleuré leur joueur.
A vrai dire, Rozier ressemblait à un autre de ces meneurs trop forts pour se satisfaire d’un poste de remplaçant, mais pas assez complet pour devenir un titulaire suffisamment solide dans une bonne franchise NBA. Si l’on se basait sur ses seuls chiffres, on pouvait se dire que c’était très bon. Mais lorsqu’on confrontait son jeu et son efficacité aux chiffres bruts, on avait tendance à revoir ses attentes à la baisse…
De fait, quand les Hornets ont aligné le chèque en pleine reconstruction, il semblait que le départ de Rozier ressemblait à un deal gagnant-gagnant. Le joueur obtenait les responsabilités qu’il convoitait, tandis que les Celtics évitaient de donner trop pour un joueur dont le temps de jeu serait limité.
Deux ans plus tard, n’y a-t-il pourtant pas de quoi nourrir quelques regrets pour Danny Ainge & cie ?
Gros plan sur l’évolution du point guard et sa très belle saison.
Quel parcours pour Terry Rozier ?
C’est la première question qu’il faut se poser. S’il est enregistré comme un meneur, Terry Rozier est plus proche de l’hybride. A savoir, un combo guard, un joueur capable de beaucoup tenir balle, de scorer, mais qui n’épouse pas exactement la faculté à mener le jeu qu’on peut attendre, classiquement, d’un meneur. En réalité, comme beaucoup d’autres joueurs dans cette catégorie, il n’est pas le gestionnaire qu’on aurait aimé qu’il soit, et si ses mensurations l’ont pourtant longtemps cantonné à un rôle de meneur de jeu, il est plus bien plus efficace pour scorer que dicter le tempo.
Le problème de ce genre de profil, c’est qu’on hésite à les faire évoluer à côté d’un meneur plus traditionnel (qui aurait besoin de la balle pour peser sur la rencontre), et que le soucis de la taille globale d’un tel backcourt, c’est qu’il expose souvent l’équipe en défense.
Des années frustres de Boston…
En ce qui concerne Terry Rozier, il entretenait la réputation d’avoir un bon potentiel défensif. De son temps à Boston, il a souvent (hormis sa dernière saison) figuré comme un atout pour son équipe de ce côté-là du terrain. Dans le système très défensif de Brad Stevens, Rozier s’est avéré en phase avec les attentes de l’équipe. Là où le bas blessait en revanche, c’était plutôt offensivement : si le talent était indéniable, le joueur peinait, comme susmentionné, à être véritablement efficace. De fait, s’il était une option cohérente pour porter le ballon, il ne l’était pas pour être un joueur à fort usage – c’est-à-dire que vous n’aviez pas envie, si vous penchiez pour les celtes, que le joueur prenne beaucoup de tirs…
Pour donner un ordre d’idée, durant ces 4 années dans la ligue, il a oscillé entre le 0ème et le 17è percentile à son poste en termes d’eFG% on/off : ce qui signifie qu’il a été le pire ou parmi les pires joueurs en terme d’impact sur l’efficacité offensive de son équipe durant ses années à Boston. Si le joueur avait sûrement encore besoin de développement, on peut tout de même imaginer que la pression d’être derrière plusieurs joueurs (Isaiah Thomas, puis Kyrie Irving et Marcus Smart) et d’avoir un temps de jeu très approximatif pouvait allègrement jouer dans la difficulté à trouver son rythme.
… Au nouveau départ à Charlotte
En 2019, nouveau départ pour le joueur qui profite des envies d’ailleurs de Kemba Walker, en transit vers Boston pour faire chemin inverse. L’occasion pour lui de prendre les rennes d’une équipe va toutefois finir dans l’ombre d’un joueur moins attendu : James Borrego s’appuie sur son duo avec Devonte Graham et si Terry Rozier va afficher de véritables progrès, c’est pourtant le meneur sophomore qui va tirer la couverture sur lui.
Ce qui frappait déjà l’an passé avec les Hornets, c’était l’ambiance générale du groupe. Malgré un niveau globalement faible, l’équipe n’en était pas moins très agréable à regarder. Le jeu offensif était nourri, et l’équipe dégageait déjà cette impression d’optimisme que l’on retrouve décuplée cette saison : les joueurs s’encourageaient, l’ambiance semblait bonne, et le spectacle n’était pas absent. Sauf que contre toute attente, et malgré des progrès dans toutes les catégories offensives, notamment à l’efficacité, Rozier était médiatiquement déclassé par Devonte Graham.
La vérité, c’est que Rozier a prouvé dès l’an passé sa capacité à scorer face à n’importe qui… Mais dans le même temps, il ne pouvait pas lutter avec son partenaire de backcourt dans les autres segments du jeu : qualité de passe, gestion de la gonfle (moins de pertes de balle) notamment. Et puisque Devonte faisait en prime une énorme saison au scoring, les performances de Rozier ont été passées sous silence. Un peu triste pour un joueur qui souhaitait prouver à tous qu’il méritait un rôle plus important.
Durant l’intersaison, les Hornets sont pourtant allés chercher un autre playmaker : LaMelo Ball. Avec trois meneurs capables de glaner de grosses minutes dans de nombreuses équipes, il semblait évident que l’un des trois paierai les pots cassés de ce trio. Si l’équipe est repartie avec son duo dans le 5 de départ, il n’aurait pas fallu longtemps à Ball pour démontrer être plus qu’un passeur prodige… et s’implanter comme le nouveau meneur titulaire de l’équipe. Pour autant, James Borrego n’a pas souhaité mettre l’un de ses trois guards sur le banc, et a retenté l’expérience des Suns de Thomas-Dragic-Bledsoe. Pour autant, c’est cette fois Devonte Graham qui a semblé faire les frais de cette arrivée. Car si ce dernier peinait à maintenir le rythme de sa saison précédente, Terry, lui, a franchi un nouveau cap.
Et c’est précisément ce dont nous allons discuter ici.
Terry Rozier a grandi
Terry Rozier a depuis toujours eu des arguments indéniables. Bon défenseur, doté de bons fondamentaux, il lui manquait deux éléments pour vraiment prendre du poids dans une équipe : l’efficacité et le playmaking. Si le second est encore loin d’être celui d’un meneur, il a en revanche pris une dimension toute autre en deux ans chez les Hornets. En deux temps, Rozier a su gravir les échelons de son poste. Et puis qu’il a désormais LaMelo Ball et Devonte Graham dans son équipe, il n’a plus réellement besoin de devenir très complet à la mène, a fortiori dans un basket qui fait de plus en plus fi du carcan des positions.
Alors, en chiffres, ça donne quoi ?
L’évolution qu’il est nécessaire de constater se situe au niveau de deux éléments.
Tout d’abord, la stat “USG%“, c’est-à-dire la part d’actions où le joueur termine par un tir. Là où le lien est intéressant, c’est qu’alors que son “usage” augmente, son efficacité, elle, bondit. Résultat, entre sa meilleure saison à Boston et sa saison 2021, son “PSA” (Point per Shoot Attempts) est passé de 102,8 à 121,6. Il est ainsi entré dans le 91è percentile à son poste, soit parmi les 9% de joueurs les plus efficaces par tirs tentés, rien que ça.
Dès lors, il peut s’épanouir dans ce rôle de scoreur dont l’équipe a besoin et devenir un second ball-handler, car le besoin n’est plus à la création générale, gérée par ses coéquipiers.
Pour ne rien gâcher, James Borrego s’est imposé comme un coach tout à fait capable de mettre en avant les qualités de ses joueurs et de proposer un système léché pour eux. Ce n’est pas un hasard si l’ensemble de l’équipe est un des must-see de la NBA depuis deux saisons. L’énergie globale qui se dégage du groupe est aussi galvanisée par le fait que tout le monde trouve sa place. Pour Terry Rozier, c’est particulièrement parlant depuis qu’il est devenu un joueur capable de scorer face à n’importe quelle opposition.
Et pour cela, qu’a-t-il changé ?
Pour réussir cette évolution, Rozier n’a pas foncièrement changé son jeu, ni ajouté une arme nouvelle. Là où plusieurs joueurs ont débloqué leur potentiel en ajoutant l’arme du pull-up à 3, le joueur des Hornets ne brille pas particulièrement dans cet exercice (2,8 tentatives par match à 31,6%).
En revanche, ce dernier s’est amélioré dans ce qui formait déjà son jeu.
La première étape fut en 2019-2020, où le joueur est devenu un sniper à 3 points : il est ainsi passé de 35 à 40% et ce malgré une augmentation du volume. Cette saison, il n’a pas baissé le rythme puisqu’il affiche un joli 40,7% à 3 points, avec plus de 8 tentatives par rencontre. Puisqu’un panier à 3 points vaut plus, forcément, l’apport par tir pris du joueur également a bondi.
Mais il ne s’est pour autant pas arrêté là. Non content d’être devenu une menace de loin, il a continué à s’améliorer de toutes les positions pour devenir un meilleur joueur que la moyenne de la ligue à mi-distance. Pour comparaison, voici deux shotcharts (celle de l’an dernier, et celle de cette saison) :
Shot Chart 2019-2020
Shot Chart 2020-2021
Comme Zach LaVine, Terry Rozier cherche à devenir une menace aux 3 niveaux : cercle, mi-distance et tir primé.
S’il ne shoote pas à des volumes très importants à mi-distance, il est bien plus capable que les années précédentes de sanctionner des défenses qui forcent l’adversaire à prendre des midrange (moins rentables qu’un 3 points ou un tir au cercle). Car si ces derniers rapportent moins, ils deviennent très intéressants lorsque vous êtes capables de les sanctionner avec un haut pourcentage, d’autant plus si prendre ces tirs est une volonté collective pour contrer le plan de jeu adversaire.
Dans le cas de Rozier, c’est important, puisque comme susmentionné, il n’est pas particulièrement friand du pull-up shot. Se rapprocher du panier pour prendre ces tirs plus compliqués est donc nécessaire. En effet, plus conventionnel, Rozier est surtout un joueur de catch & shoot : par exemple, il prend 5,4 tirs à 3 points sur catch and shoot par rencontres, et sur ces séquences, il shoote à 45,6% de loin, de quoi le placer parmi les tous meilleurs de la ligue.
Alors reste-t-il une marge de progression à Rozier pour devenir encore plus fort ? Oui !
Si la dimension gestion pourrait être un plus, c’est toujours dans l’art du scoring que le joueur excelle. Et dans ce registre, il y a deux axes à travailler.
Le premier, les lancers francs. Pour un joueur avec un USG% élevé, une faculté à jouer en percussion, l’arrière provoque peu de fautes (moins de 3 lancers francs tirés par rencontre). Et sur ces quelques lancers obtenus, il n’a pas une efficacité équivalente à celle de la saison passée (81% cette saison contre 88 l’an dernier). Bien évidemment, obtenir peu de lancers francs, c’est la marque des joueurs qui usent beaucoup de leur tir extérieur. Pour autant, Rozier est aussi un athlète tout à fait respectable et à ce titre, il prend une proportion importante de ses tirs dans la raquette.
Et c’est probablement là que la marge du joueur est la plus importante.
En effet, s’il a déjà effectué d’énormes progrès dans cette zone (1,16pts par tirs pris contre 1,01 l’an dernier), il n’en reste pas moins qu’il est tout juste dans les moyennes de cette position qui est le Graal de tout basketteur. Or s’il était meilleur, non seulement son efficacité continuerait de bondir, mais cela lui permettrait également d’obtenir plus de fautes. Comme l’an passé, il prend un peu plus d’un cinquième de ses tirs dans la peinture (21,72%) : s’il arrivait à combiner progression à l’efficacité avec une volume tangiblement plus élevé, il deviendrait le parfait scoreur-second créateur pour son équipe alors qu’un avenir avec le duo de meneur Graham-Ball ne semble pas s’infirmer.
Terry Rozier – Clutch !
Les commentateurs des Hornets sont parmi les plus enthousiastes de la ligue. Cette saison, il va sans dire que leurs joueurs leur ont donné de quoi s’emballer. Malgré un bilan tout juste à l’équilibre, Charlotte s’est imposé comme une équipe qui sait crucifier ses adversaires. Et vous vous en doutez, Terry Rozier n’y a pas été étranger.
Cette saison, par 25 fois les Charlotte Hornets se sont retrouvés dos au mur, dans une bataille où l’écart était de 5 points ou moins, dans les 5 dernières minutes de la rencontre. Dans cette situation, ils sont sortis vainqueurs à 17 reprises, ce qui est rarement évident lorsque vous ne possédez pas une grosse défense pour verrouiller les fins de rencontres.
Pourtant, dans ces instants, non seulement l’équipe se transforme collectivement (2e defensive rating de la ligue dans le clutch), mais elle explose aussi offensivement (1er offensive rating, et de loin !). Et dans tout ça, la première option offensive a, toute la saison, été Scary Terry, qui n’a jamais mieux porté son surnom que lorsqu’il s’agit de plomber l’adversaire.
Comme d’autres esthètes du clutch, il ne semble pas souffrir de la défense adversaire et voit son sang-froid se décupler quand vient l’heure de la fin du match. Non seulement son adresse est très élevée (76,5 de True Shooting % !), mais il devient aussi plus agressif (quasiment un lancer franc provoqué en moyenne). Pour le reste, c’est le talent qui fait son œuvre.
Et comme mentionné plus tôt, ce n’est pas la difficulté des tirs qui l’arrête :
Le statut de clutch player de Rozier est d’autant plus validé, qu’il ne sort pas de sa boîte que dans les bons soirs. On peut mentionner le match face aux Pistons, post-ASG. Les Hornets sont dans une sale soirée et Rozier ne fait pas exception à la règle : à 1min30 de la fin, l’arrière est à 3/11, et n’a pas été particulièrement visible dans un match où la maladresse est généralisée.
Pourtant, alors qu’il reste 1min15 à jouer, il va enchaîner plusieurs actions de grande classe. Il marque son réveil par un floater sur son drive malgré une bonne défense… And one (transformé) !
Il enchaîne avec un 3 points plein de maîtrise sur une passe de LaMelo. Pourtant, alors que l’élan de Detroit est cassé, le spectacle n’est pas terminé et afin de sécuriser le match, il va à nouveau sévir sur un floater dans l’entre-deux :
Avec ce genre de performances, Terry Rozier permet à son équipe de continuer à croire aux Playoffs malgré sa jeunesse. Si rien n’est encore fait, il n’était pas évident de voir les Hornets s’accrocher toute la saison dans ce wagon. Et si cette réussite incarnée par les accélérations de l’arrière est cruciale, c’est qu’avec 68% de victoires dans le clutch (3è de la ligue), il est clair que la saison aurait pu être beaucoup plus morose pour les hommes de James Borrego.
Alors oui, les ingrédients de cette réussite sont nombreux, mais si Rozier n’est qu’un maillon du succès, il convient de le dire : quel maillon !