En 2003-2004, il n’y avait qu’un seul joueur à plus de 25 points par matchs (Tracy McGrady). Ce chiffre monte à trois pour la saison 2014-2015. Lorsque l’on se penche sur la saison dernière, nous en comptons pas moins de douze. La tendance s’est brutalement accélérée ces dernières années. Certains grands joueurs des années 2000 et 2010, parfois même récompensés par des trophées individuels, comme Steve Nash, Manu Ginobili, Marc Gasol ou encore Lamar Odom, n’ont en réalité jamais dépassé les 20 points de moyenne par matchs au cours de leur carrière. Même un Tony Parker prime, lui, n’a jamais franchi le seuil des 22 points de moyenne. Alors que dans le même temps, en regardant la saison 2019-2020, certains joueurs comme Bojan Bogdanovic, Collin Sexton, Spencer Dinwiddie ou Andrew Wiggins ont tous dépassé cette barre symbolique des 20 points de moyenne. Sans leur faire offense (désolé pour ce jeu de mot…), ils n’atteignent pas le niveau de greatness de leurs prédécesseurs. En vérité, il n’a jamais été aussi facile de mettre des paniers que maintenant. Pourquoi ? Comment ? C’est ce que nous essayerons de décortiquer au cours de cet article.
Great offense beats great defense
Joueurs avec plus de skills et plus doués offensivement
Ce que l’on remarque en premier lieu, quand on analyse plus en profondeur notre NBA moderne, ce sont les skills des joueurs, et cela à tous les postes. Les joueurs sont plus avancés en matière d’entrainement, de musculation, de récupération, de nutrition, etc., et tous ces aspects annexes se retranscrivent sur le terrain. S’il est coutume de penser qu’ils deviennent simplement de meilleurs athlètes, car mieux préparés physiquement et mentalement, en réalité, le niveau moyen du joueur NBA s’est aussi largement amélioré au cours des deux dernières décennies. Un meilleur niveau global qui se ressent au niveau de la tactique collective, mais également au niveau de la technique individuelle : les meneurs sont plus vifs et crossent dans tous les sens, les ailiers dominent davantage puisque leur arsenal est plus vaste (pull-up 3, stepback, eurostep, fadeway, hook, crossover, etc), même les pivots deviennent des menaces sérieuses (entre 30% et 40% de loin, c’est devenu la norme pour un poste 5) à trois points.
Exemple qui date du 7 avril dernier, avec Markus Howard, avec ce move élite du rookie des Nuggets, qui n’est pourtant qu’un joueur de rotation :
Sur demi-terrain, nous pouvons désormais compter sur nos doigts les joueurs que l’on peut laisser ouverts et sans monter défendre. Si tous les joueurs deviennent des menaces, alors il est plus simple de faire circuler le ballon : méthodiquement, les efforts des défenseurs sont éparpillés, au lieu d’être concentrés sur 2 ou 3 attaquants, ce qui libère des espaces, qui sont immédiatement sanctionnés. Cette sanction, automatique, est accrue par le fait que les tirs n’ont jamais été aussi précis. Au 8 avril 2021, nous sommes approximativement au ¾ de la saison régulière, et nous avons 56 (!!) joueurs qui atteignent ou dépassent la barrière des 40% de loin. En 2010-2011, ils étaient à peine 31.
Voici le point de point de comparaison : ci-dessus, les joueurs les plus précis à 3 points cette saison. Ci-dessous, la même, mais dix ans en arrière. La différence de pourcentage est éloquente.
En observant les matchs de plus près, ce n’est pas forcément que la défense est médiocre, c’est plutôt que l’attaque est meilleure. Sensiblement meilleure. Dans notre Ligue actuelle, au moins en saison régulière, great offense beats great defense. La défense ne sera jamais qu’une réaction pour tenter de contrer la créativité des attaquants. Elle aura nécessairement un temps de retard et sera toujours limitée. L’attaque est toujours inventive : les joueurs apprennent des techniques des attaquants des époques passées ET ajoutent leurs propres techniques, ce qui donne un cocktail explosif qui se traduit par une avalanche de points. Le plafond de la créativité offensive battra toujours celui de la créativité défensive. C’est dans l’essence même du basket, mais cela se ressent beaucoup plus de nos jours.
Pourquoi y a-t-il plus de points désormais ? Les roles players rentrent davantage leurs tirs et les stars ont un tel arsenal offensif à leur disposition qu’elles en deviennent indéfendables. Prenons les Brooklyn Nets pour illustrer cet exemple, la première équipe à l’offensive rating avec 118 pts marqués de moyenne. Comment les défendre ? Avec leur palette offensive, chacune différente mais toujours létale, James Harden, Kyrie Irving ou Kevin Durant peuvent soit créer leur propre shoot, s’ils éliminent leur défenseur ou s’ils ne sont pas contestés, soit attirer les défenseurs à eux et lâcher la balle à une des deux autres superstars ou bien aux différents roles players, qui se retrouvent ouverts.
Est-ce un meilleur calcul pour les défenseurs adverses ? Pas vraiment, puisque Joe Harris et Jeff Green sont par exemple chacun dans le top 25 des joueurs les plus adroits à 3 points, avec respectivement 47,8 et % 41,8% de réussite. Je repose la question, comment les limiter défensivement ? Eh bien, c’est une question que les vingt-neuf autres franchises doivent actuellement se poser, mais en retour, elles disposent chacune d’armes pour placer les défenseurs brooklynois dans une situation d’impuissance. S’engage dès lors un combat de boxe offensif, entre toutes les équipes de la Ligue.
Si l’on pouvait synthétiser cela avec une formule malicieuse, cela serait : « Pourquoi s’embêter à mieux défendre, alors qu’il suffit juste d’attaquer mieux que l’adversaire. Frappons-nous à tour de rôle. Je l’accepte. Tu vas me frapper, mais je vais tenter de frapper plus fort et de remporter le match de cette façon ». L’idée serait donc bien similaire à un match de boxe, où chacun des deux participants pourraient asséner à tour de rôle un coup libre à l’adversaire, sans que celui-ci puisse répliquer, et le vainqueur serait l’équipe qui arriverait à taper le plus fort sur l’enchainement des coups.
Une évolution des règles qui favorise l’attaquant
Un coup libre, certes, mais il y aussi des raisons qui tendent à l’expliquer. Evacuons tout de suite le point préféré des nostalgiques des années 90 : oui, les défenses sont globalement plus softs de nos jours. Soit, mais c’est surtout que le joueur spécialiste de la défense, autant au niveau individuel que collectif, autant intérieur qu’extérieur, est désavantagé. En réalité, les règles ont été modifiées pour favoriser l’attaquant. Pourquoi ? La NBA étant une Ligue portée avant tout sur le show et sur le spectacle, il est plus vendeur un combat offensif qu’un combat défensif. Tout simplement. Dès 1999, la NBA abolie la règle dite du hand-checking.
Concrètement, que cela signifie-t-elle ? Le défenseur n’est plus autorisé à créer un contact avec ses mains ou avec ses avant-bras sur un attaquant, sauf en dessous de la ligne des lancers-francs. Autrement dit, plus ou moins à l’exception de la peinture, les défenseurs ne peuvent plus gêner les attaquants, sous peine de se voir siffler une faute. Une révolution, donc, et davantage de difficultés à bien défendre, même si l’on a la volonté de bien faire. Vous avez vu The Last Dance ? Si oui, vous rappelez-vous à quel point c’était difficile pour Jordan de marquer un panier ? Les défenseurs lui rentraient dedans physiquement, il prenait des coups et absolument tout était fait pour l’empêcher de scorer. C’était la guerre. Un panier se méritait. De nos jours, ce n’est plus le cas, puisque les nouvelles règles empêchent presque tout contact.
D’autres règles ont aussi vu le jour, comme l’instauration des trois secondes maximum dans la peinture pour les défenseurs, ce qui les limite encore plus dans leur expression défensive. Finalement, que peuvent réellement faire les défenseurs ? Harcèlement autour du porteur, dissuasion avec les mains en avant, faire preuve de latéralité, de vitesse, de lecture et de sens du timing. C’est bien, mais souvent insuffisant. Au mieux, dans la majorité des possessions adverses, le défenseur peut non pas empêcher l’attaquant de tirer, mais essayer de le gêner suffisamment pour tenter de lui faire prendre ce que les statisticiens et les analytiques appellent un « mauvais » tir. Cependant, avec des joueurs de plus en plus précis, même les mauvais shoots ont des chances de faire ficelle.
En synthèse, nous comprenons surtout que deux facteurs globaux peuvent expliquer cette explosion offensive : des joueurs plus talentueux offensivement et techniquement, du joueur lambda à la superstar ; des défenseurs limités dans leur impact à cause des règles qui favorisent les attaquants. Pourtant, les chiffres sont formels : si les règles défensives ont été érigées au tournant du millénaire, ce n’est qu’à partir de 2014-2015-2016 que l’on a vraiment constaté. Pourquoi ? Et comment cela se caractérise-t-il ?
Spécificité de la NBA moderne
Analytics
Si les shoots sont plus précis, c’est surtout parce qu’ils sont mieux pris : grâce aux analytiques, la sélection de tir s’améliore. Chaque joueur sait précisément, selon l’endroit où il se trouve sur le parquet, quelles sont ses chances de rentrer le tir qu’il s’apprête à prendre. Il connait les pourcentage globaux, mais aussi ses propres pourcentages. Par essence, un sport est un jeu, et n’importe quel jeu comporte une part plus ou moins importante de hasard et d’incertitude. Le but premier derrière cette inflation majeure des datas dans le sport, et plus précisément là dans le basketball, c’est de réduire l’incertitude et de basculer le plus possible dans celui de la certitude.
Le scouting report s’est aussi amélioré. Tous les joueurs connaissent précisément les défenseurs adverses, leurs forces et leurs faiblesses, comment tenter de tirer avantage d’eux ou provoquer des mismatchs favorables pour l’attaquant. Cela dit, tout savoir ne signifie pas forcément tout comprendre. Il faut un temps d’adaptation pour assimiler et digérer ces heures passées à la vidéo. On a tendance à dire que le jeu va trop vite pour les rookies ou les sophomores. C’est vrai. Plutôt, c’est la compréhension et la lecture du jeu qui sont trop rapides. Avec le temps, le jeu ne ralentit pas, c’est la compréhension des joueurs qui s’accélère.
Des pôles dédiés à la performance ou à l’analyse statistique et vidéo ont ainsi fleuri dans toutes les franchises. Composés de statisticiens, d’analystes vidéo, de scientifiques et d’entraineurs de la performance, ces petits groupes travaillent en coordination avec les staffs des équipes et sont sollicités pendant les matchs et lors des entrainements. Tablettes, ordinateurs, écrans géants, technologies GPS, tableau interactif, caméras, cardiofréquencemètres, logiciels de montage modernes, drones, tous les objets connectés sont désormais présents dans le quotidien des franchises, et une multitude de chiffres, qui recensent les principaux temps forts d’un entrainement ou d’une rencontre (la production statistique avec des données techniques, les performances physiques, des données physiologiques, etc.), sont manipulés chaque jour pour essayer de tirer le maximum des joueurs, de quantifier et d’ajuster la charge de travail, de corriger une position, un geste, et plus généralement de faire progresser les joueurs. Et un joueur plus fort est une joueur avec une meilleure ligne statistique et une meilleure intelligence de jeu.
Un jeu plus rapide
La Pace (possession per game) a énormément augmenté depuis 2012, passant ainsi de 92 à plus de 100 en 2020. Attention toutefois, une Pace plus rapide ne signifie pas nécessairement que l’on marque plus de points : les Wizards étant notamment l’équipe la plus rapide de la ligue, avec une PACE à 107.3 (merci Russell !), mais seulement la 11e à l’offensive rating. En revanche, avoir plus de possessions offre une chance de marquer plus de points. L’augmentation de la Pace reste toutefois un facteur qui peut expliquer cette inflation offensive globale, puisqu’il est couplé à une adresse générale en hausse.
Scorer est réellement devenu l’aspect le plus important
Si autant de points sont marqués, c’est aussi parce que nous vivons dans une ère de clinquant et de highlights, dans laquelle les statistiques individuelles sont portées aux nues dans ce sport collectif qu’est le basketball. Parmi toutes ces catégories statistiques, une d’entre-elles est particulièrement célébrée : celle du nombre de points inscrits. Faisons un petit jeu. Savez-vous d’abord qui sont les trois meilleurs rebondeurs de la Ligue cette année ? Puis, savez-vous qui sont les trois meilleurs passeurs ? À moins d’être constamment rivé sur les sites de statistiques individuelles, vous ne le savez probablement pas. Moi non plus, d’ailleurs. Et c’est normal.
En revanche, vous serez sans doute capable de me citer sept ou huit joueurs parmi le top 10 des meilleurs scoreurs de la saison. Que Jonas Valanciunas ou Clint Capela soient les meilleurs de la ligue au rebond est une information moins commentée, donc moins importante par extension, que le fait que Jerami Grant soit par exemple le 22ème meilleur scoreur de la NBA. Pour autant, Grant est-il un meilleur joueur de basket que Capela ? Posez les fourches, je n’en sais rien, mais ce que je sais, c’est que le prisme du scoring l’emporte sur tout le reste dans l’appréciation des joueurs et que c’était l’ailier des Pistons qui était dans les discussions pour le All Star Game. Pas Capela.
Des statistiques avantageuses, au regard du rendement attendu et selon le poste en question, permettent de débloquer des primes de résultats individuels, souvent insérées sous forme de clauses dans les contrats. Si cela motive le joueur à se dépasser, individualiser à ce point un jeu collectif, dans lequel l’échange et la coopération sont primordiaux, peut justement tendre à rompre un équilibre collectif et l’esprit du jeu. Mais ça, ce n’est pas vraiment le sujet de cet article. Ce qui compte, c’est que scorer apporte de la reconnaissance, de l’attention et de l’appréciation, ce qui se traduit notamment sur les votes au All-Star Game. Sur les 24 meilleurs scoreurs actuels de la saison, devinez combien ont été sélectionnés au match des étoiles ? 19, dont les quatorze meilleurs scoreurs de la ligue. En guise comparaison, ce chiffre est de 9 pour les meilleurs rebondeurs et de 11 pour les meilleurs passeurs. Un gouffre.
Shooter et scorer offrent donc de la reconnaissance médiatique et de la part des fans, qui se transforme aussi en reconnaissance financière. Pour les superstars, marquer davantage permet de gratter les quelques millions supplémentaires de bonus qui flattent l’égo. En revanche, en dehors des superstars, le sniper, soit l’homme capable de dégainer de loin et de se montrer précis, est une espèce rare et demandée. David Bertans ou Joe Harris ont obtenu d’énormes contrat à la dernière intersaison (respectivement 80 millions de dollars/5 ans et 75 millions de dollars/4ans). Cet été, ce sera au tour de Duncan Robinson d’obtenir probablement une fiche de paie de All-Star. En vérité, dans la NBA actuelle, marquer des points offre des gros contrats.
La question que l’on peut se poser est : pourquoi cette orgie offensive a eu lieu à partir de 2014 et 2015 ? Eh bien, pour une fois, la réponse est plutôt évidente. Comme vous vous en doutez, la révolution est partie de la Baie d’Oakland.
La révolution Stephen Curry et ses conséquences
Avant 2014-2015, le basket était essentiellement un jeu d’échec, où la tactique pure était prépondérante, dans lequel chaque joueur avait un rôle prédéfini : rim-runner, meneur gestionnaire, spot-up shooter, stretch 4, etc. Cela ne bougeait pas, chacun y trouvait son rôle et étaient payé pour ce rôle, et les forces établies se trouvaient plutôt à l’intérieur. Puis les Warriors et le Chef sont arrivés, se sont mis à bombarder de loin, courir vite, slalomer entre les écrans, jouer petit, switcher et se passer d’un pivot dominant. Surtout, ils se sont mis à gagner. Pour la première fois depuis les Pistons d’Isiah Thomas, un meneur a pu guider son équipe au titre, en étant le clair meilleur joueur et l’indéniable premier organisateur. Cela a révolutionné toute la construction d’une attaque en NBA et toutes les équipes ont voulu imiter les Warriors.
Proéminence du tir à trois points
Cette imitation s’est d’abord faite en essayant de les suivre à 3 points. Vous connaissez déjà ce point, qui est sans doute le plus évident de tous, alors je serai concis. En 2013-2014, les équipes tiraient en moyenne 21,5 tirs à trois points par rencontre, avec un taux de réussite oscillant entre 31 et 39%. En cette saison 2020-2021, les franchises shootent en moyenne 34,6 tirs à trois points, en faisant preuve encore de davantage de précision (entre 33 et 41%). 3 points valent ainsi mieux que 2, mécaniquement il est normal que le nombre de points par match ait augmenté, d’autant plus si la réussite globale est elle aussi plus importante.
Nouvelle comparaison, cette fois-ci entre deux saisons séparées seulement de sept années. Comme vous le voyez, c’est le jour et la nuit entre l’exercice 2013-2014 ci-dessus et le 2020-2021 ci-dessous. Entre juste avant le début de dynastie des Warriors et maintenant.
Héliocentrisme
Cette réussite des Warriors de Stephen Curry a fait comprendre l’importance d’un leader d’attaque qui est en même temps le premier ball handler. Par mimétisme, l’ensemble de la NBA a voulu les copier, mais davantage en appliquant ce qui faisait la moelle de leur succès qu’en essayant forcément d’avoir un petit dominant. Le concept d’héliocentrisme a d’ailleurs commencé à se diffuser à cet instant. L’héliocentrisme version NBA, c’est confier les pleins pouvoirs offensifs à une star, pour contrôler et gérer l’ensemble de l’attaque d’une franchise, avec des roles players autour de lui, qui sont dépendants de cet imposant Soleil. Cette star, avec un usage rate bien plus important que celui de ses coéquipiers (avec des chiffres qui fluctuent entre 29 à 37%) se voit confier les responsabilités de scoring ET celles de création, autant pour lui-même que pour les autres. Scoring + playmaking = statistiques individuelles. Ce qui explique notamment pourquoi, depuis 2015, les performances monumentales au scoring se sont accentuées. Avec un nombre compris entre 18 et 25 tirs en moyenne par rencontre, les stars ont tous les tickets shoots qu’elles désirent, ce qui permet plus facilement d’atteindre la barre des 30, des 40, voire des 50 points.
Si ce chef d’orchestre désigné arrive à impliquer ses coéquipiers comme il le faut et comme son talent doit le permettre, cela permet de construire des attaques diversifiées et très efficaces, avec par exemple les Rockets 2018, les Mavs 2020 ou encore les Bucks 2020. Car, ce système héliocentré qui est avant tout basé dans une idée de collectif et de créativité du leader, place la balle dans les mains du meilleur joueur de l’équipe, pas forcément du meilleur ball handler.
Si ce meilleur joueur est un extérieur, la donne est simple : shooter, scorer, être le point de départ de toutes les attaques et impliquer les coéquipiers. Si ce meilleur joueur est un intérieur, deux options : lui permettre de guider l’attaque sans forcément remonter la balle, en tant que point center, comme Jokic ou Sabonis, deux pivots avec une excellente vision du jeu ; lui laisser remonter le terrain balle main et se créer son propre espace en transition comme sur jeu placé, à l’instar Giannis, la saison dernière, qui grâce à son style de jeu pouvait être une menace directement lui-même ou à défaut attirer les défenseurs pour ensuite la lâcher vers un coéquipier. Avec une efficacité certaine, puisque les Bucks étaient tout simplement la meilleure attaque de la Ligue. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien si le Grec disposait du plus haut pourcentage d’usage rate la saison dernière.
La « règle des 3 D »
Ce que j’ai appelé la « règle des 3 D » correspond ici à une décomplexion générale, à une disparition relative des positions et à une diversification des rôles. Promis, je m’explique.
Tout d’abord cette révolution venue de Californie a en réalité décomplexé …toute la Ligue. Nous l’avons dit au point précédent, les stars endossent une majeure partie des responsabilités offensives de leur équipe, ce qui se répercute sur une certaine disparition des positions (Giannis qui porte la balle comme un meneur, Blake Griffin 2018-2019 qui est devenu une menace de loin, Anthony Davis qui prend des step-back 3, etc) et surtout à une diversification des rôles. Pourquoi limiter son meneur à une capacité gestionnaire, alors qu’il est de très loin le meilleur shooter de l’équipe (Trae Young qui tournait quasiment en 30/10 l’an passé) et qu’il peut bombarder du logo avec efficacité ?
Pourquoi, même s’il n’est pas forcément la première option désignée, empêcher de sortir de son rôle un joueur qui est en feu total un soir ? Nous avons bien vu l’an passé Caris LeVert, Eric Gordon ou encore TJ Warren inscrire 50 points ou plus lors d’une rencontre. Pourquoi limiter un pivot à jouer uniquement au poste (Jokic), alors qu’il dispose de la meilleure vision de son équipe ? Et ainsi de suite. Ces « 3 D », que l’on combine avec des joueurs plus techniques et plus adroits que jamais, cela participe grandement à cette éruption offensive actuelle.
Cette productivité nouvelle est permise par notre époque. Dans les ères précédentes, ce n’est pas nécessairement que les joueurs étaient moins bons, c’est que le système et leur rôle attitré ne leur permettait pas de présenter les statistiques de nos joueurs contemporains. Prenons par exemple Steve Nash, 2 fois MVP avec des statistiques approximativement en 18 points et 11 passes décisives. Dix ou quinze ans plus tard, avec de telles lignes statistiques et un bilan collectif similaire au Chris Paul de cette année, il n’aurait pas été MVP, mais ce n’est pas le sujet. Dans un entretien récent accordé à Bill Simmons de The Ringer, Steve Nash est revenu sur sa carrière et sur certains regrets, notamment le peu de 3 points qu’il prenait : « J’étais trop conservateur et trop préoccupé à gérer le tempo. J’aurais dû tirer plus de 3 points. La façon dont je jouerais aujourd’hui serait radicalement différente à la manière dont je jouais à l’époque ».
Précurseur d’un jeu rapide, dans une époque où la Pace était lente, Steve Nash regrette que ses Suns et lui-même ne se soient pas mis davantage au shoot longue distance. Si le meneur Canadien énonce cela, ce n’est pas par égoïsme et seulement pour regretter que ses statistiques individuelles n’aient pas été plus importantes, c’est aussi et surtout parce que l’arme du trois points aurait été…létale.
Steve Nash était en réalité un shooter d’exception, alors qu’il tirait en moyenne même pas 5 trois points par rencontre. À son époque, cela aurait pu le sortir de bien des situations. Dans notre NBA moderne, il en tenterait sans doute 10 ou 11 par rencontre comme Curry ou Lillard, en étant probablement autant voire plus efficace (rappelons que Lillard tourne « seulement » à 38% de loin cette saison). Son nombre de points marqués passerait ainsi de 18 à 25-26 grand minimum et les yeux fermés. Même joueur, époque différente. Même joueur, regard sur sa greatness différent aussi.
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Pour conclure, de multiples facteurs expliquent en réalité cette inflation offensive actuelle. Si cela peut légitimement agacer, il n’y a à blâmer les joueurs pour autant, qui vivent simplement en leur temps. Cependant, lorsque cela compte vraiment, en play-offs, les défenses se resserrent et les cartons offensifs se raréfient. Nous retrouvons cette forme d’équilibre que nous apprécions tant.