Tyronn Lue est né dans le Missouri. Peu importe qu’on ait joué en NBA, qu’on coache dans la grande ligue, qu’on vive dans une multitude d’autres villes, quand on est attaché à sa région, on continue de garder un œil sur ce qui vient de chez soi. Souvent, au cours de ses années de coaching, Lue a entendu parler d’un gamin au tir exceptionnel. Aussi, à l’heure d’affronter les Denver Nuggets et Michael Porter Jr le 2 avril dernier, le coach des Clippers savait parfaitement à quoi s’attendre de la part du sophomore.
Depuis que ce dernier a fait ses premiers pas en AAU Basketball, les scouts de tout le pays n’ont eu de cesse de vanter ses prouesses. Et si une lourde blessure a effrayé de nombreux GMs, l’ex-futur premier choix de draft 2018 commence à vraiment faire parler de lui, perché dans le Colorado. Et cette saison, ce n’est pas seulement en tant que joker offensif, mais en véritable titulaire d’une franchise NBA ambitieuse.
Un shooteur prodige
Michael Porter Jr a souvent été comparé à Kevin Durant. Entre sa taille et son tir, la similitude avec l’ailier des Nets est effectivement compréhensible. Pourtant, il convient de le préciser : MPJ est loin de posséder le handle, la vision ou la qualité de passe de l’ex-MVP du Thunder.
En revanche, quand il s’agit de shooter, l’ailier n’a rien à envier à personne en NBA. Pas même à Kevin Durant. Et en dépit de son jeune âge, ses dernières semaines de compétition parlent pour lui. Durant une série de 20 matchs, Porter Jr a shooté un surréaliste 52,4% à 3 points (arrêtée au 4 avril). Et l’échantillon est plutôt parlant, puisque sur cette période, il tente en moyenne 5,4 tirs longue distance par rencontre. Durant cette période, il en a rentré plus de 5 à 5 reprises. C’est simple, aussi jeune et a aussi haut volume, aucun joueur dans l’histoire ne peut se targuer d’une telle précision sur l’ensemble d’une saison. Autrement dit, s’il maintenait ce rythme sur la vingtaine de matchs restants : la saison du jeune ailier serait tout simplement historique.
Le problème pour les adversaires de MPJ, c’est que les défenses se retrouvent souvent dépourvues quand il s’agit de défendre son tir. Plusieurs raisons à cela.
Tout d’abord, sa taille. A la manière d’un Kevin Durant, contester un tir de MPJ est une véritable sinécure. Mesuré à 2m08 à son entrée en NBA, l’ailier possède en prime un point de relâche très haut au bout de bras très longs. Autrement dit, le moindre espace au moment où il déclenche son tir est quasiment impossible à compenser.
Mais le poison ne s’arrête pas là. Ce dernier, s’il n’est pas doté d’une mobilité latérale en faisant un défenseur solide, possède en revanche une détente non négligeable. S’il n’est pas l’athlète parfait, tout semble converger vers une réalité : tout est fait pour que le tir de MPJ soit impossible à contrer. Et puisque cela ne suffisait pas, il ne semble pas perturbé quand un défenseur est assez proche pour tenter de contrer. Résultat, dans une équipe où la balle circule vite, où le groupe est capable de générer des décalages, laisser MPJ ouvert s’avère souvent fatal. Et à haut volume.
Tyronn Lue résume cela plus simplement « Un contest ne compte pas vraiment avec lui ».
MPJ brille aisément avec son tir. Que ce soit en catch & shoot, ou par des tirs pris spontanément (notamment du pull-up 3), l’ailier est un tireur qui peut vivre de sa capacité à artiller tout au long de sa carrière. En réalité, le seul “problème” actuel avec son shoot est son étonnant 76,9% aux lancers francs. Une efficacité assez basse pour un tireur de ce calibre.
Pour vous donner une meilleure idée de la source de ses tirs, voici son rapport Synergy :
Les Nuggets, tendent à raison, à maximiser le shooteur exceptionnel qu’il est, à limiter le nombre d’actions auto-générées (Post-Up, P&R, Isolation). En revanche, il est bon ou excellent (voir “rank” ), dès qu’il est utilisé sur sa force principale.
En réalité, est-ce étonnant ? Si de nombreux front-office ont douté de sa capacité à récupérer de sa blessure au dos, tout le monde était au courant du potentiel de l’ailier. Et même durant sa saison blanche, l’année ayant suivie sa draft, les rumeurs autour des concours de shoot entre les joueurs des Nuggets émergeaient souvent. A savoir que malgré la présence d’excellents shooteurs dans l’équipe (Jamal Murray, Nikola Jokic, Malik Beasley, Monte Morris…etc), le vainqueur quasi-systématique de ces sessions était le futur rookie des Nuggets. Et ce après avoir pourtant était une nouvelle fois opéré au dos suite à sa draft.
Résultat, l’ailier rentre 44,9% de ses 3 points cette saison. Ce nombre monte à 48,7 quand on ne prend que ceux pris sur catch & shoot. Et puisqu’il est si menaçant de loin, mais également capable de se frayer un chemin (par ses coupes ou son activité au rebond) vers le panier, il est important de préciser quelque chose : Michael Porter Jr. peut se targuer de shooter à 71% sur l’arceau. Lorsqu’on se souvient que les deux tirs les plus rentables en NBA se trouvent sous l’arceau et derrière la ligne à 3 points…. Cela en dit long sur l’efficacité du joueur (65,7 de TS% !), mais également sur le coup de poker de la franchise qui a peut-être bien trouvé sa troisième menace offensive derrière Nikola Jokic & Jamal Murray.
Un jeu en développement
L’an passé, à l’orée de la bulle, nous vous parlions des objectifs de développement de MPJ. Qu’en est-il un an plus tard (la bulle, une campagne de Playoffs et une presque-saison NBA) ?
Une défense en progrès
Il va sans dire que le sujet de la défense aura émaillé la jeune carrière de l’ailier. Dans une équipe compétitive avec des velléités de victoires en post-saison, il est souvent difficile d’être patient avec les rookies. A fortiori pour un rookie qui n’a pas joué depuis presque 2 ans, et mené par un coach qui parle d’engagement physique et de défense dans l’essentiel de ses prises de parole.
Malheureusement pour MPJ, il va sans dire que son niveau de ce côté du terrain était préoccupant. Croisement de plusieurs facteurs, il a pâti de sa vitesse latérale… modeste, d’une tendance à se faire malmener par ses vis-à-vis (même lors de contests sur des joueurs plus petits) et surtout d’une absence totale de repères en défense qui créaient beaucoup de mauvais placements, de failles défensives et de joueurs qui profitaient de son manque de conscience de l’espace pour couper. En somme, tout aussi bon qu’il soit offensivement, il coûtait énormément de l’autre côté du terrain et était la cible parfaite pour une équipe chassant les match-ups favorables.
En vérite, le seul aspect de la défense qu’il semblait véritablement maîtriser : le chasedown block. Or, pas de quoi le catapulter dans un 5 de départ, même si cela permet de rattraper des erreurs et aussi spectaculaire et satisfaisant que cela puisse être à voir.
Cette saison, l’ailier fait des efforts. Et ça paye. Si l’ensemble est loin d’être parfait (il part de loin), il commence à montrer des améliorations très encourageantes.
On peut notamment penser à la séquence défensive lors du dernier match face aux Pelicans, où, opposé à Brandon Ingram en isolation, il pousse l’ailier à lâcher la balle, la récupérer et tient une seconde fois son son vis-à-vis en l’orientant vers l’aide de Nikola Jokic.
Plus à l’aise dans le schéma défensif de Denver cette saison, moins facilement dépassé sur ses mouvements latéraux (ce sera probablement toujours une faiblesse pour autant), il devient plus facilement alignable pour son équipe. En outre, s’il est encore loin d’être un atout en défense, il va profiter de l’arrivée d’Aaron Gordon, bon défenseur collectif et capable de défendre sur de nombreuses positions pour éviter les match-ups trop désavantageux.
Avec MPJ, l’équipe encaissait +6,2 pts/poss (en défense) l’an dernier. Cette saison, elle arrive à un plus honorable +2,1 points encaissés avec que sans. Or, souvent aligné avec Aaron Gordon (et éventuellement JaVale McGee dans les semaines à venir) depuis la trade deadline, il pourrait plus facilement être protégé et donc, pouvoir s’exprimer plus aisément et longuement.
Par ailleurs, excellent rebondeur (des deux côtés du terrain), la présence MPJ apporte une assise au rebond non négligeable aux Nuggets. Un élément important pour « parachever » une bonne possession défensive. Et un atout supplémentaire pour son équipe, même si, il est encore trop souvent pris à défaut sur le box-out (protection du rebond pour ses coéquipiers) et n’affecte pas encore positivement la capacité de son équipe à maîtriser le rebond. Néanmoins, cela semble plus une question de temps qu’un véritable problème.
Et la création ?
Autre aspect du jeu sur lequel Porter Jr part de très loin : la création. Le soucis est double. Le joueur n’est pas vraiment capable de se créer ses propres tirs en faisant la différence par son dribble (ce dernier est plutôt médiocre aux standards NBA), mais il n’est pas non plus doté d’un jeu de passe lui permettant d’être une menace à la création pour autrui.
De facto, Michael Porter Jr ne peut prétendre dans une équipe possédant des créateurs comme Jokic, Murray, Campazzo ou Morris à devenir un initiateur offensif et à porter le ballon (voir le très faible nombre de Pick & Roll ou Isolation dans le tableay Synergy). Et par ailleurs, son talent de passeur est plutôt moindre comparé à celui de ses coéquipiers. La bonne nouvelle cette saison, c’est que ses choix sont en revanche beaucoup plus sûrs. Il n’a plus cette fâcheuse tendance à prendre un tir dès que la balle lui arrive, ce qui était peut être une précipitation venue de son incertitude sur son temps de jeu et sur les opportunités de se montrer.
Cette saison, il paraît plus à-même de faire l’extra-passe, mais aussi plus conscient des mouvements et placements de ses coéquipiers.
En consolidant ses minutes par sa défense et via moins de concurrence à l’aile, le joueur a au moins le mérite de mieux se fondre dans le collectif. Quand bien même ses gestes sont parfois patauds et empruntés.
Quel avenir pour Michael Porter Jr ?
Finalement, le joueur mainte fois comparé à Kevin Durant, est assez éloigné de l’ex-prodige du Thunder. Avant tout, Porter Jr est un joueur doté de la taille d’un intérieur, avec la capacité de tir des meilleurs shooting guards de la ligue et une faculté à prendre des tirs sur à peu près toutes les phases du jeu : transition (via une passe ou non), sur demi-terrain (coupes et catch and shoot) ou en bataillant au rebond. Les mois passant, il se développe comme une menace de haut vol capable de s’exprimer essentiellement par les opportunités crées par autrui ou en arrachant des possessions.
Plongé dans un collectif très habile pour se mouvoir sans la balle et entouré d’une majorité de joueurs bons pour trouver un coéquipier démarqué ou faire l’extra-passe, Porter Jr peut vraiment s’appuyer sur ce sur quoi il est le meilleur. La question étant : doit-il continuer de s’appuyer sur sa force, ou existe-t-il un fantasme d’un Michael Porter Jr qui devient plus complet et peut devenir une star offensive ? Et si cela arrive, est-ce vraiment préférable ?
L’arrivée d’Aaron Gordon change-t-elle la donne ?
Dans un podcast donné aux côtés d’Adam Mares, George Karl (coach légendaire et ancien coach des Denver Nuggets) interrogé sur Porter Jr, retournait l’interview en demandant à son hôte quel était le poste naturel de l’ailier. Là ou Mares voyait un poste 3, George Karl, plus juste en mon sens, voyait en lui un poste 4. Une réflexion qui me semble plus véridique car elle ne se base pas que sur le jeu offensif de l’ailier.
Pourtant, la réalité est peut-être ailleurs. Le problème de MPJ vient probablement plus du fait qu’il est ni l’un, ni l’autre. Ou plutôt les deux. Offensivement, ce dernier est même plutôt un shooting guard. Dans le sens le plus pur du terme. En revanche, il a besoin d’être pensé comme un stretch-4 car son manque de facultés défensives nécessitent de créer des lineups offrant l’opportunité de le placer sur des joueurs moins mobiles.
C’est en cela que l’arrivée d’Aaron Gordon change considérablement la donne pour le sophomore. En effet, Gordon, à l’inverse est plutôt un joueur que vous avez envie de positionner sur le meilleur ailier adverse en défense. Alors qu’un attaque, il doit plutôt être considéré comme un intérieur moderne (capable d’amorcer la création, de prendre quelques tirs longues distances et profiter de sa mobilité) pour être au sommet de son efficacité.
En quelques sortes, les deux joueurs sont des hybrides et les forces & faiblesses de l’un et l’autre tendent à bien se compléter. En cela, l’arrivée d’AG change complètement la donne pour MPJ qui peut être utilisé plus facilement tout en continuant de briller dans ce rôle de menace off-ball.
Alors que la fin de saison doit permettre au sophomore d’accumuler de la confiance, le vrai test sera désormais les Playoffs. Face à des défenses plus resserrées et en étant certainement une cible à attaquer pour les équipes adverses, le vrai défi pour Porter Jr sera de demeurer un facteur positif pour son équipe en post-saison. Un rendez-vous certainement indispensable pour le joueur qui a prouvé ne pas avoir peur de prendre des tirs importants l’an passé, mais aussi des difficultés nombreuses de l’autre côté du terrain.
Toutefois, si le rendez-vous sera important, il ne sera pas encore décisif pour le joueur qui démontre match après match que les discours dithyrambiques sur son talent n’ont pas été usurpés. Et ce malgré les péripéties dont son chemin a été émaillé.